Ces femmes qui ont compté dans l’ombre
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photo apparaissant « par magie », donc non créditée
On trouve beaucoup d’exemples de travaux scientifiques basés sur le travail de « calculatrices féminines », dont les noms apparaissent au mieux dans les remerciements.
L’un de mes articles scientifiques préférés a été écrit par Edward Lorenz, en 1963, et s’intitule « Deterministic Nonperiodic Flow » (flot déterministe et non périodique). Il s’agit de l’un des textes fondateurs de la théorie du chaos. Son contenu passera dans le grand public un peu plus tard à travers la belle image de l’effet papillon : un battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait engendrer un ouragan au Texas. Cette publication est un mélange extraordinaire de physique, de météorologie, de mathématiques et de simulations numériques. Je l’ai lue et relue un très grand nombre de fois et je croyais la connaître jusque la semaine dernière.
Un article de Joshua Sokol dans Quanta Magazine m’a appris que j’aurais dû lire le dernier paragraphe dans lequel l’auteur remercie « Miss Ellen Fetter qui a pris en charge les nombreux calculs et les graphiques ». Comment ? Ce n’est pas Edward Lorenz qui a fait les calculs, mais une assistante ? Il faut comprendre que simuler le mouvement de l’atmosphère sur un ordinateur était une composante essentielle de l’article. En 1963, les ordinateurs étaient primitifs et « prendre en charge les calculs » aurait probablement mérité un peu plus qu’un discret remerciement.
Ce n’est pas la première fois que des scientifiques utilisent des « calculatrices féminines », dont les noms apparaissent au mieux dans les remerciements. Dix ans auparavant, Enrico Fermi, John Pasta et Stanislaw Ulam publiaient la première simulation numérique d’un système physique complexe. On peut considérer cet article comme la naissance d’une nouvelle discipline de physique mathématique. Il s’agissait d’étudier, sur un ordinateur, les vibrations d’une chaîne constituée d’une soixantaine de ressorts « non linéaires ».
Là encore, deux lignes discrètes dans la publication remercient Miss Mary Tsingou pour « la programmation efficace du problème et pour avoir effectué les calculs sur l’ordinateur Maniac de Los Alamos », ce qui représente pourtant une partie très importante du travail. Ce n’est qu’en 2008 que le physicien Thierry Dauxois lira ces deux lignes et proposera d’appeler Fermi-Pasta-Ulam-Tsingou cette simulation numérique. J’aurais même proposé de respecter l’ordre alphabétique…