Seuils de pauvreté : le mauvais calcul de l’Observatoire des inégalités | Le Club de Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/pierre-concialdi/blog/080619/seuils-de-pauvrete-le-mauvais-calcul-de-l-observatoire-des-inegalite
Dans le dossier consacré par Libération du 5 juin au dernier rapport de l’Observatoire des inégalités, une infographie donne des seuils de pauvreté et de richesse pour diverses situations familiales. Le même graphique est reproduit dans un billet publié le 6 juin sur le site de Mediapart[1]. Pour les familles nombreuses (couples avec 3 enfants et plus) le seuil de pauvreté est de 1928 €, soit environ 70€ de moins que le seuil défini pour les couples avec deux enfants (1999€). Autrement dit, il faut moins de ressources aux familles nombreuses qu’aux couples avec deux enfants pour « sortir », en quelque sorte, de la pauvreté alors que leurs besoins sont pourtant plus importants. L’écart est aussi frappant entre les familles monoparentales (dont plus de la moitié comporte 2 enfants ou plus) et les couples sans enfant. Ces derniers doivent disposer d’un peu plus de 1500 € par mois pour sortir de la pauvreté alors que leur voisine de palier qui élève seule 2 enfants n’aurait besoin que d’un peu plus de 1000€. Il n’y a pas d’erreur ni de coquille dans ces chiffres. L’observatoire des inégalités assume depuis longtemps le résultat paradoxal de ce calcul des seuils de pauvreté qui aboutit à en pervertir la signification.
Pour calculer un seuil de pauvreté monétaire, on définit arbitrairement une norme en-dessous de laquelle les individus sont qualifiés de pauvres. Ce seuil équivaut à un certain pourcentage (50%, 60%...) du revenu médian, celui qui partage la population en deux parties égales (une moitié se situe au-dessus, l’autre moitié au-dessous). Le seuil retenu par l’observatoire est de 50% pour tous les ménages. Là n’est pas l’explication du paradoxe.
Ce qui distingue le calcul de l’observatoire de toutes les approches existantes, c’est qu’il retient le revenu médian correspondant à chaque situation familiale prise isolément et non pas le revenu médian de l’ensemble de la population française comme on le fait habituellement. Le seuil de pauvreté des familles nombreuses est ainsi égal à la moitié du revenu médian de ces familles nombreuses ; le seuil de pauvreté des personnes seules est égal à moitié du revenu médian des personnes seules, etc. Comme le revenu des familles nombreuses est plus faible que celui des couples avec deux enfants, ce calcul aboutit à un seuil de pauvreté moins élevé pour les familles nombreuses.
Le chiffrage du seuil de pauvreté dépend ainsi très fortement de la position de chaque type de ménage dans l’échelle des revenus. Les besoins des enfants de familles nombreuses sont évalués à l’aune de la condition sociale de ces familles aux revenus généralement modestes. Ils sont donc moins importants, dans l’optique de l’Observatoire, que ceux des enfants des familles de taille restreinte aux revenus plus élevés. En résumé, cette méthode de calcul considère que les besoins de toutes les personnes ne sont pas (ou ne devraient pas être ?) les mêmes. Dans ce schéma de pensée, il n’y a pas d’égalité face à la nécessité. D’où le paradoxe initial dont une autre lecture est de dire que, selon l’Observatoire, les besoins des familles nombreuses seraient moins importants que ceux des familles restreintes. Aucune analyse de la pauvreté ne permet de soutenir une telle conclusion.
Ce mode de calcul aboutit à donner une représentation fragmentée de la réalité sociale. Il y a ainsi le monde des familles monoparentales, celui des couples sans enfant, celui des personnes seules…mais ces mondes sont étanches. Ils coexistent sans faire véritablement société par rapport à un repère commun. Mais comment progresser alors vers une société inclusive ?
Dans des sociétés rongées par l’anomie, il est essentiel de pouvoir disposer de repères pertinents pour nourrir le débat public. Il est regrettable que sur une question aussi essentielle que celle de la pauvreté, l’Observatoire des inégalités continue d’entretenir une confusion qui ne peut qu’être nuisible à ce débat.
Question @simplicissimus est-ce que ca veut dire que les mères célibataires sont en fait encore plus nombreuses et plus pauvres que ce que les statistiques montrent ?