• L’interminable traque des black blocs - L’Express
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    Alors que le mouvement des gilets jaunes semble à bout de souffle, des groupes d’enquête sont engagés dans un vrai travail de fourmi pour identifier les casseurs.

    Ils le surnomment le « Punisher » parce qu’il porte un masque de super-héros - une sorte de face de squelette. Le 23 février dernier, à Toulouse, lors de l’acte XV des gilets jaunes, la vidéosurveillance l’a surpris en train de jeter un cocktail Molotov sur les forces de l’ordre. Impossible de l’identifier, il est camouflé de la tête aux pieds. Comme n’importe quel pilier d’un black bloc - comprendre un regroupement ponctuel de manifestants qui ne se connaissent pas forcément mais passent à l’affrontement. Des heures durant, les enquêteurs toulousains écument toutes les sources d’images possibles : caméras de la ville ou des policiers eux-mêmes, photos de la presse régionale, live sur Facebook tournés par des manifestants... Et soudain, enfin, dans un banal reportage filmé par un Youtubeur, la chance leur sourit. A l’arrière-plan, on aperçoit le « Punisher » qui a relevé son masque deux minutes pour griller une cigarette...

    Ce genre de « traque » constitue le quotidien du « groupe d’enquête gilets jaunes » basé dans la Ville rose. Neuf policiers de la sûreté départementale ont été choisis et totalement détachés depuis le mois de janvier pour confondre les casseurs des rassemblements de chasubles. Des limiers de la brigade criminelle, de la financière ou de la lutte contre la cybercriminalité constituent cette force logée à l’hôtel de police, dans un open space dont les murs arborent des photos de suspects. Sur un tableau blanc, une trentaine d’hommes au visage immortalisé, auxquels aucun nom n’a encore été donné. « Des objectifs », selon la terminologie, qui accaparent leur journée. 80 % de celle-ci est occupée à visionner les 10 000 heures d’images stockées sur leurs ordinateurs.
    De nouvelles interpellations chaque semaine

    Une quinzaine de groupes similaires ont été mis en place en France, parfois brièvement, dans les villes marquées par les plus fortes tensions. Le mot d’ordre : « Ne laisser passer aucune exaction », selon Kevin Gutter, le chef adjoint de la sûreté départementale toulousaine. Un travail de fourmi qui perdure, malgré le déclin du mouvement : « Chaque semaine, à l’aube, il y a de nouvelles interpellations, assure ce commissaire. Encore aujourd’hui, nous identifions des individus pour des faits datant de janvier. » Dans la capitale occitane, où les services de renseignement jaugent le noyau dur à 500 ultras, les violences ont blessé 249 membres des forces de l’ordre. Il y en a eu plus de 1600 au niveau national. Le préfet d’Occitanie, Étienne Guyot, l’assure à L’Express : « On a parfois eu l’impression d’avoir en face de nous des gens prêts à tuer. »

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    Pour chaque manifestation décortiquée, la première étape consiste à cerner les faits commis, de la destruction de mobilier urbain aux tentatives d’homicide avec cocktails Molotov (les faits seront peut-être requalifiés en violences volontaires au moment du procès). Puis vient l’identification des auteurs. N’importe quel détail saisi par un zoom sur les images compte : une boucle d’oreille, la couleur d’une semelle, même un tic. Un vandale s’est, par exemple, trahi parce qu’il avait la manie de poser ses mains sur ses hanches. Ce même détail a ensuite été recherché sur les vidéos jusqu’à ce que la « cible » en laisse voir davantage.

    « On n’a pas affaire à des professionnels de la criminalité, ils font donc forcément des erreurs, même s’ils pensent être des maîtres en camouflage », constate le capitaine Vincent Escorsac, qui dirige le groupe. Mais la réalité n’est pas la science-fiction : même lorsqu’un visage finit par se découvrir, aucun logiciel à leur disposition ne permet la reconnaissance faciale. La plupart du temps, les portraits sont donc transmis aux différentes brigades dans l’espoir d’un contrôle fructueux sur la voie publique.
    Radicalisés en cours de mouvement

    La difficulté est d’autant plus grande qu’une large partie des suspects est inconnue des services de police et de renseignement. « Nous avons des profils qui se sont radicalisés au cours du mouvement, observe Kevin Gutter. Il y a ceux qui nourrissent une réelle haine des institutions et ceux qui se sont laissé entraîner par la foule. En général, ceux-là s’effondrent en garde à vue. Mais ceux qui nous intéressent le plus, ce sont les recruteurs. »

    Les profils débusqués ménagent parfois des surprises : comme ce sexagénaire, qui se prétendait légionnaire, et stimulait les cortèges. Ou cette étudiante en ergothérapie qui dévoilait les identités de policiers sur les réseaux sociaux dissimulée sous un pseudonyme masculin. Un phénomène qui porte un nom - le #copwatching - et qui a d’ailleurs attiré l’attention des services de renseignement au niveau national depuis la fin mars. A Toulouse, les investigations sur cette pratique ont également été confiées au groupe d’enquête spéciale.

    #maintien_de_l'ordre #police #justice