• Ce qui est monstrueux est normal, de Céline Lapertot
    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/06/18/toute-honte-bue-lapertot

    Toute honte bue
    par Roger-Yves Roche
    18 juin 2019
    Un titre à coucher dehors. Une histoire à ne pas se relever. Un livre qui tient pourtant debout. Telle est la leçon de vie, et de littérature, de Céline Lapertot.
    Céline Lapertot, Ce qui est monstrueux est normal. Viviane Hamy, 96 p., 12,50 €

    Comme l’enfant se demande d’où viennent les enfants, l’écrivain (sans compter le lecteur qui va avec…) s’interroge parfois sur l’origine d’un livre, de quel souvenir il procède, de quelle image il sort, en d’autres termes comment il en est arrivé à écrire ça. Point n’est besoin de trop attendre pour découvrir la scène primitive du livre de Céline Lapertot, appelons-le un récit plutôt qu’un roman (même si cette appellation pourrait se défendre), l’histoire d’une vie privée d’histoire, parce qu’on la lui a volée, en même temps que son corps, son intimité. Ce sera une anamnèse, courte comme il se doit, mais prégnante, tranchante, glaçante. Un petit pont « tout habillé de son bois pourri », la chute qui eut lieu et la vision qui s’y agrégea : « Elle voit le pont au-dessus de sa tête, par intermittence, quand l’eau ne noie pas ses yeux, elle voit les adultes, chacun dans le rôle qui lui est attribué. Son beau-père retire son pull – et plus tard elle se dira qu’il a tout de même pris le temps de le retirer, avant de sauter –, sa mère, elle, a posé ses coudes sur la balustrade, il lui semble qu’elle regarde la scène […] L’enfant est tombée, oui, bon, on va aller la chercher, ça va, elle n’est pas morte ».

    #littérature

  • Les effets de Nuremberg sur la question raciale aux Etats-Unis
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/080619/les-effets-de-nuremberg-sur-la-question-raciale-aux-etats-unis

    Les États-Unis ont joué un rôle essentiel dans la conception du procès de Nuremberg en 1945. Ce procès fut plus tard utilisé en Amérique dans le combat judiciaire pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam, ce que voulaient pourtant éviter ses concepteurs. Dans un ouvrage très sérieux, l’historien du droit et sociologue Guillaume Mouralis nous ouvre « les coulisses et la machinerie de Nuremberg ».

    #ESSAIS #En_attendant_Nadeau,_états_unis,_race,_Nuremberg

    • Comment pourtant ne pas saisir ce qui est à l’œuvre dans la déclaration, le 25 juillet 1945, soit trois mois avant l’ouverture du procès, de Robert H. Jackson, procureur général des États-Unis et chargé par le président Truman de préparer le procès : « La manière dont l’Allemagne traite ses habitants ou dont tout autre pays traite ses habitants n’est pas plus notre affaire que ce n’est celle d’un autre gouvernement de s’interposer dans nos problèmes » ? Rétrospectivement, cela saute aux yeux. Le message est sans ambiguïté : la répression des crimes commis pour des raisons raciales par le Troisième Reich ne devait en aucun cas servir à remettre en question l’ordre racial qui prévalait au même moment aux États-Unis. C’est cette contrainte, disséquée par Guillaume Mouralis, qui est à l’origine de la définition « corsetée » du crime contre l’humanité adoptée en 1945 et qui est le point fort de son étude. Non que des auteurs américains ne l’aient pas relevée auparavant, ils sont d’ailleurs largement cités, mais parce que, sans doute grâce à sa position d’extériorité, Mouralis a un regard comparatif plus large – un peu à la manière, d’ailleurs, du documentaire filmique, sur le même sujet mais avec une autre approche, de Marcel Ophuls, The Memory of Justice (1976), auquel il est fait plusieurs fois référence. Les deux derniers chapitres du livre montrent l’usage qui a pu non sans mal être fait de Nuremberg par les mobilisations afro-américaines, puis par les militants contre la guerre au Vietnam, et ce en dépit de toutes les précautions de ses acteurs américains.

      https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/06/15/nuremberg-etats-unis-mouralis