Ma conviction profonde - Henri Guillemin

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  • Henri Guillemin livre son « arrière-pensée » (entretien avec Guy Peeters publié dans Le Soir des 20 et 21 novembre 1977) :

    http://www.spa-entouteslettres.be/hgarriere-pensee.html

    Extrait :

    « Les arrière-pensées qui m’animent. Eh bien, vous employez ce mot sans doute parce que moi-même je l’ai utilisé dans mon livre sur Jaurès. C’était une phrase de Jaurès lui-même qui m’avait déclenché. Cette phrase, je l’ai trouvée au chapitre X de son livre sur L’armée nouvelle, écrit entre 1910 et 1911, et je me permets de la citer ici puisque je la sais par cœur : « J’ai sur le monde, si cruellement ambigu, une arrière-pensée sans laquelle la vie de l’esprit me semblerait à peine tolérable à la race humaine. » Un point. Donc, nous avons de l’aveu même de Jean Jaurès une affirmation que derrière son entreprise politique, il y a une arrière-pensée métaphysique puisqu’il s’agissait bien d’une explication du monde. Cette arrière-pensée de Jaurès, elle n’était pas difficile à définir, étant donné que lui-même avait écrit son livre De la réalité du monde sensible en 1892, livre dont il a dit en janvier 1910 à la Chambre : « Je n’en renie pas une syllabe et il est resté la substance même de ma pensée. » J’étais donc autorisé par Jaurès lui-même à découvrir cette arrière-pensée à laquelle il a fait allusion. D’autre part, lorsque j’ai fait ce travail sur Jaurès, j’avais déjà moi-même une autre arrière-pensée qui était qu’il n’était pas le seul à avoir une arrière-pensée politique. Prenons le cas de Robespierre. Robespierre est quelqu’un qui est critiqué, qui est haï, qui est détesté par des tas de gens, et qui, même du côté de ceux qui se prétendent ses héritiers, a un aspect de sa pensée que l’on masque le plus souvent possible, c’est-à-dire la Fête de l’Être Suprême qu’il avait organisée. Comme si on lui « pardonnait » ce côté périmé de sa pensée. Or, un homme comme Robespierre était un homme qui considérait que la modification des structures économiques et politiques d’une Cité n’avait d’intérêt que dans la mesure où elle permettait un développement de l’individu. Je n’en veux pour preuve qu’un discours dont la date m’échappe maintenant (je crois début 1794) sur les « Principes d’un gouvernement républicain » où Robespierre ose dire cette phrase qui me touche tellement : « Ce que nous voulons, c’est une organisation de la Cité où toutes les âmes s’agrandiront » — vous entendez bien. Il s’agit donc bien d’un prolongement de la réforme structurelle, de la réforme politique, de la réforme sociale en vue d’un développement de l’individu. « Où toutes les âmes s’agrandiront... » Il faut savoir qu’un homme comme Robespierre était extrêmement influencé par la pensée de Jean-Jacques Rousseau. Et, à mon sens, on ne peut comprendre le Contrat social de Rousseau si on ne se réfère pas à la Profession de foi du vicaire Savoyard. Il y a un certain chapitre du Contrat social qui s’appelle « Le Législateur ». Ce législateur, il ne s’en explique pas ; c’est un texte qui demeure obscur et volontairement réservé sous la plume de Jean-Jacques. Mais, il est facile de comprendre, quand on a lu sa Correspondance et qu’on a pénétré sa pensée, que pour lui ce législateur n’est pas autre chose que Jésus-Christ. La pensée politique et sociale de Jean-Jacques Rousseau repose sur une métaphysique, il ne cessera pas de l’exprimer depuis ses premier et deuxième Discours — deuxième discours qui porte en épigraphe un vers latin de l’auteur Perse : « Quem te Deus esse jussit, disce » ; ça veut dire : « Homme, apprends ce que Dieu veut que tu sois ». Cette épigraphe à elle seule montre que Jean-Jacques Rousseau est préoccupé de la destinée de la personne humaine, qu’il veut permettre à l’homme d’accomplir sa destination, et que, dans sa pensée, cette destination dépasse le plan temporel et va jusqu’au plan spirituel et même surnaturel.

    « Trois exemples, trois grands penseurs — Jaurès, Robespierre et Rousseau — auxquels on pourrait adjoindre Hugo et Lamartine, ce Lamartine qui, en février 1848, alors qu’il se lance dans la politique violente écrit : « C’est la bataille de Dieu que nous entreprenons. »

    « De quoi s’agit-il ? Il s’agit de donner à l’être humain une vue du monde qui lui permettrait de dépasser le désespoir. Je dis bien désespoir, parce que, quand je pense à Tolstoï — autour de ses 50 ans, un homme comblé, un homme qui avait six beaux enfants, qui avait une femme qui l’aimait et qui le désirait, qui était le plus grand écrivain de son temps et qui le savait — je vois un homme sur le bord du désespoir et du suicide parce qu’il n’arrivait pas à répondre à une question qui lui paraissait fondamentale et pour laquelle il n’y avait pas de réponse : « À quoi ça sert ? Qu’est-ce que c’est que la vie ? Nous sommes condamnés à mort, mais c’est une absurdité que cette mort, étant donné que nous avons un esprit capable de concevoir des tas de choses, et puis, tout à coup, il n’y a plus rien. » Tolstoï, au terme de cette année 1878, a eu une illumination, il a cru avoir compris, et cet homme qui était désespéré a cessé de l’être. Aujourd’hui, vous le voyez, il y a des quantités de jeunes qui sont attirés vers le suicide. Le suicide des jeunes en Occident ne cesse pas de croître. Parce que — je les comprends tellement bien — on leur présente une vue du monde qui ne serait qu’une jouissance, qui ne serait qu’une utilisation de leur sexe ou de leur argent, et ils finissent forcément par un mur du fond. Je comprends très bien que notre mode de vie débouche sur l’absurdité, et c’est justement pourquoi je suis tellement attaché à la pensée métaphysique qui est la mienne, parce qu’elle seule — il me semble — est capable de délivrer la jeunesse de ce désespoir vers lequel elle va obligatoirement, forcément, foncièrement.

    « Il s’agit pour moi, de découvrir ce que nous sommes, ce que l’individu est dans sa substance. Et c’est là que je suis profondément d’accord avec un homme comme Jaurès qui dit : « L’humanité n’a de valeur que comme expression de l’infini » ; avec Pascal qui affirme que « l’homme passe infiniment l’homme » ; avec Jean-Jacques Rousseau qui croit que « notre vrai moi n’est pas tout entier en nous ».

    « Ma certitude fondamentale, c’est que ce qui nous constitue dans notre substance même, c’est une revendication. L’individu humain est fait d’une vibration, d’une espérance. Ce qui me frappe d’ailleurs beaucoup, c’est que les physiciens contemporains voient se modifier d’une manière extraordinaire leur conception de la matière. Autrefois, chez Épicure et chez Lucrèce, la matière, c’étaient de petits atomes, pondérables, qui avaient une densité et qui tombaient. Aujourd’hui, quand on parle de matière, on parle de plus en plus d’une section de cette matière — l’atome se décompose — et on en arrive à une espèce d’idée que la matière ne serait qu’une vibration, une énergie. Eh bien, je me demande si la personne humaine, au fond, dans sa substance, n’est pas elle-même une vibration et une énergie. Quand je vous parlais de la réclamation, c’est tout de même vrai que, nous tous, nous désirons quelque chose, nous sommes aspirés par quelque chose ; nous voudrions ce que nous appelons dans un bredouillage : Dieu, une solidarité, amour, tendresse, bonté. Nous voulons quelque chose qui réponde à une demande de nous-mêmes, à une espèce de mise en demeure du monde de nous satisfaire, parce que nous ne sommes pas satisfaits.

    « Or, pour aimer et désirer quelque chose, il faut déjà avoir une certaine connaissance, au moins un pressentiment de ce quelque chose. On ne peut pas désirer ce dont on n’a pas d’idée. Cette réclamation, elle est non seulement viscérale mais elle est en elle-même la preuve que ce quelque chose que nous désirons existe. C’est là que j’aime à citer une phrase de Lamartine, qui est dans Utopie, écrit en 1838 : « Cette aspiration qui prouve une atmosphère ». De même qu’il n’y a de poumons que parce qu’il y a une atmosphère concrète, de même ce qui est le fond de nous-mêmes, cette revendication, ce cri vers quelque chose, prouve que ce quelque chose existe. Ce quelque chose, je l’appelle Dieu ; Teilhard de Chardin parlait de l’Oméga ; nous appelons cela aussi, dans un vocabulaire misérable, le Bien, la Solidarité, etc.

    « Voilà, dans mes conférences et dans mes livres, j’essaie de donner à ceux qui m’écoutent ou me lisent l’idée que la vie ne se ferme pas sur elle-même, que la mort est un transfert d’existence, que nous sommes bien autre chose qu’un carrefour de réflexes et de reflets — ce que prétendent les structuralistes. Il y a en nous un noyau qui nous permet de dire je ; et ce qui nous permet de dire je, c’est le contact que nous avons avec cet infini dont nous dépendons et qui nous a créé. »

    Écouter aussi « Ma conviction profonde », dont voici le début :

    Entendu ; je jouerai le jeu. Je ne l’ai jamais fait. Le prosélytisme n’est pas mon fort, mais puisqu’on m’interroge, les yeux dans les yeux, je ne me déroberai pas.
    J’ai essayé de bien réfléchir, posément, de me prendre en mains, de me rassembler. Il ne s’agit pas de discourir, mais d’atteindre et de livrer le noyau de moi-même.
    ....Tant pis. Avec tout ce que je puis d’intelligence et de bonne volonté, la voici, ma conviction.
    Peut-on vivre sans une idée précise de ce que c’est la vie, du sens que ça peut avoir, cette course à la mort ?
    .... Et si l’on me demande à présent : "Alors pratiquement, la vie, d’après vous, c’est pourquoi faire ?"je dirai c’est de tâcher, si je suis incapable de faire grand bien, c’est de tâcher, oui, au moins, de ne pas faire de mal ; de travailler, comme je peux, dans mon coin, à dire ce qui me semble vrai ; et d’essayer, enfin, d’être bon, de ne pas me tromper sur le sens de ce mot : aimer.

    http://www.youtube.com/watch?v=VMblvGKDAIE&list=PL3FE0F0801FEAED00&index=113&feature=plpp_video

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