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  • Olivier Ertzscheid : « Il faut faire de Facebook un bien commun » | L’Humanité
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    Les « Gafam poussent jusqu’au bout la logique du capitalisme de surveillance et du capitalisme tout court ». Démonstration et alternative avec Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’université de Nantes.

    Comment analyser vous le fait que Facebook veuille désormais créer sa propre monnaie ?

    Il faut d’abord dire que, malgré la puissance de feu de Facebook, il n’est pas totalement sûr que ça prenne. Mais la création d’une monnaie virtuelle est un aboutissement logique pour Facebook. Il pousse jusqu’au bout la logique du capitalisme de la surveillance et du capitalisme tout court en étant à deux doigts de battre monnaie et de proposer du crédit. Facebook vise le marché des pays du Nord bien sûr, mais principalement celui des pays émergents. Facebook y est très présent depuis des années, amenant de la connexion là où les États sont absents ou défaillants. L’Afrique est le premier continent en termes de transactions bancaires avec un smartphone. Donc, on voit bien que pour Facebook l’enjeu dans ces pays-là est d’une autre nature. C’est d’autant plus inquiétant et colossal quand on connaît la puissance de frappe de Facebook et de tout son écosystème d’applications.

    Qu’est-ce que cela nous dessine comme société pour demain ?

    Tout en appelant les États à plus de régulation sur la vie privée ou les discours de haine, Facebook lance aujourd’hui une sorte de jackpot de la dérégulation. Les Gafam attaquent à chaque fois qu’ils peuvent des secteurs régaliens : transport, santé… et aujourd’hui celui du crédit et de l’assurance. Facebook attaque de manière assez sauvage nombre de marchés pour capter toute la valeur et pour rendre impossible ensuite l’installation d’autres concurrents. Il y a 2,5 milliards d’utilisateurs de Facebook et 1 milliard pour Whatsapp dans le monde. C’est énorme. On se sert de ces applications à la fois pour se divertir, prendre des nouvelles de la famille, regarder des vidéos, s’informer, débattre, soutenir des causes, communiquer, etc. C’est devenu une espèce de métonymie de tout ce qu’il est possible de faire à l’échelle numérique. En étant l’entreprise qui, aujourd’hui, maîtrise le spectre le plus large des usages courants à l’échelle numérique, Facebook est en situation de créer des situations de crise. On l’a vu dans le domaine politique avec l’affaire à Cambridge Analytica. Mais on peut tout à fait imaginer un équivalent à l’échelle micro ou macroéconomique. C’est très problématique en termes d’influence et de fabrique de l’opinion : quand on a à la fois les idées politiques des gens, leurs coordonnées bancaires et leurs préférences sociales ou religieuses, on est à deux doigts d’une bascule totalitaire.

    Quelle pourrait être l’alternative à cette mainmise des Gafam ?

    On a besoin au minimum d’une régulation forte. Ce qui pose donc la question du démantèlement. Peut-être d’ailleurs que cette annonce d’une création de monnaie va provoquer une réaction des États ou de l’Union européenne. Cela impliquerait de revoir les lois antitrust, et ça prendra du temps. L’autre option, c’est d’aller vers des formes de nationalisation. En tout cas on peut dire que, si on arrive à couper Facebook du modèle économique qui est le sien, on peut basculer, avec une régulation collective et non marchande, vers un outil qui est capable de rendre des services à la collectivité. Je plaide plutôt pour une forme de mise en commun de cette plateforme sociale. Ça peut se réfléchir à l’échelle de l’Europe par exemple. Un certain nombre d’acteurs et d’États pourraient se saisir de ces questions et réfléchir à la manière dont on peut faire de ces outils des formes de « communs ». Ça se fait déjà à l’échelle locale, par exemple en Italie à Bologne. Ils travaillent sur des outils, des logiciels libres qui permettent de faire de la mise en commun et de fabriquer du collectif.
    Entretien réalisé par Cédric Clérin

    #Olivier_Ertzscheid #Facebook