/payer-les-dedicaces-je-trouve-cela-pres

  • Payer les dédicaces, “je trouve cela presque contre nature” (Jacques Glénat)
    https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/payer-les-dedicaces-je-trouve-cela-presque-contre-nature-jacques-glenat/95620

    Face aux libraires réunis à l’occasion des Rencontres nationales de la librairie, Jacques Glénat est revenu sur un monde de la bande dessinée qu’il avait vu radicalement se transformer en 50 ans de métier, entre des lettres de noblesse acquises avec difficulté par ce mode d’expression et l’émergence de nouveaux publics, attirés par d’autres formats récents comme le manga.

    L’éditeur se devait aussi de saluer les libraires, dont certains se sont engagés rapidement pour défendre la bande dessinée : aujourd’hui encore, le format profite aux libraires, et ces derniers le lui rendent bien. La librairie réunit 34 % des acheteurs de BD, soit 2,2 millions de lecteurs, dont le panier annuel atteint 57 €. On compte d’ailleurs parmi ces acheteurs 45 % de moins de 40 ans avec, parmi eux, 24 % de 15-29 ans, une tranche d’âge souvent absente des librairies.

    Malgré des chiffres de vente impressionnants, avec 24,1 millions d’exemplaires vendus en 2018 pour un total de 337 millions € (en hausse de 9 % par rapport à 2016) pour la seule BD franco-belge, le secteur de la bande dessinée traverse une crise profonde, pointée du doigt par les auteurs depuis plusieurs années.

    La surproduction d’albums, au risque de noyer tous les albums au démarrage pas assez spectaculaire, fait notamment partie des explications données aux difficultés des auteurs contemporains. Interrogé, Jacques Glénat nous explique qu’il voit « le côté positif : avant, il n’y avait pas d’auteurs de BD. À présent, il y en a beaucoup, et cela représente une créativité extraordinaire. Que tout le monde n’arrive pas à en vivre, c’est un peu comme si un sculpteur ou un peintre expliquait qu’il arrêtait parce qu’il n’arrive pas à vendre ses œuvres. Oui, c’est embêtant, mais malheureusement, c’est le succès qui fait la différence. »

    Il reconnait cependant que la surproduction représente un problème, pour tous les éditeurs, « qui sont tous d’accord pour baisser les volumes... chez leurs concurrents », s’amuse-t-il. « Nous, nous avons réduit la voilure : au total, il y en a un peu plus chaque année, avec les catégories en croissance comme le manga, générateur de nombreuses parutions régulières et rapprochées. Mais, en BD, nous avons dû baisser d’une quinzaine de nouveautés par an environ, parallèlement à la baisse des tirages », souligne Jacques Glénat.

    L’une des pistes évoquées par les auteurs de bandes dessinées pour améliorer leurs conditions de vie porte sur la rémunération des dédicaces, étant donné que la réalisation d’un dessin original et personnalisé est monnaie courante lors de ces rendez-vous très prisés des lecteurs.

    Le rapport de Pierre Lungheretti sur le monde de la BD le soulignait, d’ailleurs : « La notion de “dédicaces” est très différente selon qu’il s’agit d’auteurs de littérature ou de bande dessinée, la dédicace réalisée par un auteur de BD s’assimile à un travail de création puisqu’il s’agit la plupart du temps d’un dessin personnalisé offert par l’auteur à son lecteur. »

    Et les auteurs eux-mêmes l’ont récemment souligné lors d’une discussion qui évoquait notamment l’année de la BD, en 2020 : « Mais de la même manière qu’on prévoit les frais de transport et d’assurance pour déplacer des planches originales dans le cadre d’une exposition, de même l’intervention d’un auteur devrait être financée », indiquait ainsi Denis Bajram.

    Une hypothèse de travail qui laisse Jacques Glénat dubitatif : « Comme l’a montré une étude présentée ce matin, un des freins des libraires à faire venir les auteurs, ce sont les coûts », rappelle l’éditeur, qui évoque aussi le cas des salons, y compris ceux dont l’entrée est payante. « Ces événements invitent déjà les auteurs : le budget invitations d’Angoulême, pour l’organisation et pour les éditeurs est déjà gigantesque. Si ces salons doivent en plus payer les auteurs pour leur temps de présence, je ne sais pas comment ils vont réussi à équilibrer leurs comptes. Finalement, c’est l’État qui va se retrouver à payer. »

    Sauf que l’État, par l’intermédiaire des aides que peut octroyer le Centre national du livre, apporte d’ores et déjà des subsides publiques aux manifestations, aux librairies, aux maisons d’édition.

    En 2020, une année de la bande
    dessinée en France

    L’éditeur estime que « l’auteur qui fait une conférence, cela me parait normal qu’il soit rémunéré, mais celui qui vient faire la promotion de son livre, rencontrer des gens, je ne vois pas pourquoi on le payerait, c’est déjà une opportunité. Qu’on soit payé pour signer un livre, je trouve cela presque contre nature, car l’auteur est content de partager son travail avec les gens, d’entendre des questions, des commentaires... Ce serait un rapport un peu bizarre », conclut-il.