Soixante ans après Malraux, vers la privatisation de la culture

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  • Soixante ans après #Malraux, vers la privatisation de la #culture
    https://www.franceculture.fr/politique/soixante-ans-apres-malraux-vers-la-privatisation-de-la-culture

    Le fil culture | A désormais 60 ans, le ministère de la Culture est sous le feu de critiques virulentes qui lui reprochent son tournant libéral. Syndicats, artistes, chercheurs dénoncent la mise à mort d’un ministère public de la culture au profit des industries culturelles et du mécénat privé.

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    Le ministère de la Culture, rue de Valois, à Paris.
    Crédits : Olivier Boitet - Maxppp

    La #loi_Aillagon de 2003 offre de tels avantages aux entreprises (60 % de déduction fiscale pour les dons, contreparties et allègements fiscaux pour les fondations) que le #mécénat s’est largement développé ; les fondations culturelles des grandes entreprises se sont multipliées. A tel point qu’un rapport de la Cour des comptes révélait en novembre 2018 que les dépenses publiques en la matière - dues à la défiscalisation du mécénat - coûte chaque année près d’un milliard d’euros à l’Etat. Mais sur 70 000 entreprises qui pratiquent le mécénat, une trentaine seulement (les plus grosses) bénéficie des trois quarts de ces allègements fiscaux. 

    Autre point gênant pour ce dispositif mécénat : le cas de la fondation LVMH qui appartient à Bernard Arnault, l’un des hommes les plus riches du monde, et dont la construction du musée a coûté 7 fois plus que prévu et a été supportée à 60% par de l’argent public. Pour lutter contre ce qu’il appelle un manque à gagner fiscal, le gouvernement prévoit donc de revoir les règles du mécénat et notamment la défiscalisation des dons qui passerait de 60 à 40%. La nouvelle loi est prévue à l’automne.

    Pourtant, de plus en plus d’affaires sortent qui mettent en doute le mécénat culturel et surtout ses contreparties. Dans le domaine de la culture, l’entreprise mécène fait un don d’intérêt général défiscalisé à 60% et peut prétendre à des contreparties à hauteur de 25% de son don. Ainsi, certains mécènes voient par exemple leur nom gravé en lettres d’or sur les murs de certains musées ou peuvent monter des expositions à la gloire de leur marque dans les locaux de ces musées. Surtout, avoir leur nom magnifié par une institution culturelle de renom est une manière très efficace de conquérir de nouveaux marchés ou de redorer son image.

    En 2010, la firme Perenco avait organisé au musée du Quai Branly une exposition sur le Guatemala alors qu’elle était mise en cause pour l’exploitation controversée du pétrole dans ce pays. Au Grand Palais en 2015, LVMH organisait une exposition publicitaire sur Vuitton juste à côté de celle sérieuse et scientifique sur Picasso. Le public n’y comprenait plus rien.

    En 2014, Bernard Hasquenoph avait révélé qu’un photographe amateur sud-coréen, nommé Ahaé, milliardaire poursuivi dans son pays pour corruption et notamment pour la mort de 300 adolescents dans un naufrage, aurait blanchi de l’argent via un mécénat de 2 millions et demi d’euros au Château de Versailles et de plus d’un million d’euros au Louvre. La contrepartie : des expositions de ses photos de piètre qualité dont les deux institutions, mondialement reconnues, faisaient largement la promotion. Le photographe a été retrouvé mort en 2014 et une instruction judiciaire est toujours en cours en France, la Corée du Sud demandant que les sommes versées aux institutions culturelles françaises soient récupérées.

    Le 1er juillet, le collectif PAIN a manifesté devant le Louvre où, comme à la Portrait Gallery de Londres ou au Musée Guggenheim de New York, il demande que le nom de Sackler soit retiré de l’institution culturelle. Sackler est le nom de la famille milliardaire responsable de la crise des opioïdes, qui chaque année tue 45 000 personnes par overdose aux Etats-Unis. Une crise sanitaire similaire arrive en France, or suite à une don de 10 millions de francs en 1996, le Louvre avait baptisé son aile d’antiquités orientale du nom de Sackler.

    Cela participe à un mouvement de la société civile qui n’accepte pas de voir la culture entachée par la #philanthropie_toxique. Récemment, aux États-Unis, huit artistes ont boycotté la Whitney Biennal d’art contemporain, retirant leurs œuvres pour protester contre un partenariat avec un vendeur d’armes. En France, le ministère de la Culture vient aussi de rembourser au groupe Lafarge, mis en examen dans le financement du terrorisme, le mécénat offert au musée de Cluny. De son côté, la mairie de Paris a refusé le partenariat de Total pour les JO de 2024. Chaque fois, c’est la peur de la mauvaise publicité (le fameux « #name_and_shame », nommer pour faire honte) qui a été la plus forte.