l’affaire Steve Caniço, un « poison à diffusion lente » pour le ministère de l’Intérieur

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  • Erreurs en cascade : l’affaire Steve Caniço, un « poison à diffusion lente » pour le ministère de l’Intérieur

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    Castaner aux chiottes (mais avant tu passes devant une cours de justice pour répondre de tes crapuleries)

    "Un vent mauvais souffle sur le ministère de l’Intérieur. « L’affaire Steve est un poison à diffusion lente, mais à l’arrivée des têtes tomberont », pronostique un vieux syndicaliste de la grande maison, « stupéfait », comme beaucoup d’autres, par la « communication » de son ministère. « On subit », admet à Marianne une source haut placée de Beauvau… Christophe Castaner est aux abonnés absents, et paraît même inaudible sur le terrain des « violences policières », tant il semble avoir couvert ses flics ces derniers mois en marge des manifestations des « gilets jaunes ». Quant à son secrétaire d’État Laurent Nunez, selon une source syndicale, il a été décidé fin juin de le mettre « en retrait cet été, pour ne pas donner l’impression qu’il faisait tout le boulot à la place de Casta et ne plus lui faire d’ombre ».

    UN FIASCO COMMUNICATIONNEL
    Aux étages opérationnels, même constat. Où est passé Eric Morvan, le directeur général de la police nationale ? Officiellement, il est en vacances. Mais, selon certains, « il déprimerait ». Depuis fin juin, il s’est fendu de deux petits tweets de routine sur le réseau social. Mais, sur l’affaire Steve, rien, lui non plus. Silence radio complet.

    Le préfet de Loire-Atlantique, Claude d’Harcourt, ancien patron de l’administration pénitentiaire recasé à Nantes, n’est guère plus loquace. « La nuit de la Fête de la musique, le préfet dormait… Et même le sous-préfet de permanence était chez lui au lit », raille un policier local, qui aimerait bien savoir « qui » a décidé de faire éteindre la musique à 4 heures pétantes, alors que les autres années « ça avait duré sans problème ». Plusieurs sources locales déplorent la « gestion froide » de la préfecture de Loire-Atlantique. Un peu comme si, tant que le jeune homme de 24 ans restait disparu, sa mort n’était pas certaine et l’affaire n’en était pas totalement une. La découverte du corps de Steve Maia Caniço dans la Loire, ce lundi 29 juillet, va changer la donne

    Hasard du calendrier, le mardi 16 juillet, le commandant de police en charge de l’enquête administrative venait de rédiger un rapport à l’attention de son chef, Brigitte Jullien, patronne de l’IGPN. Dix pages récapitulent la soirée tragique du 21 juin. Les faits bruts y sont étalés pour la première fois : entre 4h30 et 4h51, soit en vingt et une minutes, la vingtaine de policiers, pris à partie par des « teuffeurs » ne souhaitant pas que la musique cesse, ripostent en tirant 33 grenades lacrymogènes, 12 LBD, ces balles de défense en caoutchouc, et 10 grenades de désencerclement. Soit un tir toutes les vingt-trois secondes sur un quai de Loire sans barrières de protection…

    LE RAPPORT DE L’IGPN EN QUESTION
    Le rapport signale aussi que les caméras de vidéosurveillance ont permis à la salle de commandement de la police nantaise, dès 4 h 37, de « remarquer une première salve de gaz… avec un épais nuage de fumée blanche qui empâtait toute visibilité sur la réaction des manifestants ». La vidéosurveillance situe à 4 h 41 et 4 h 50 « de nouveaux jets de gaz lacrymogène qui dérivaient vers la Loire ». Or, dès 4 h 37, la salle de commandement intime l’ordre au commissaire opérationnel sur place d’« arrêter les tirs ». A 4 h 52, sous l’indicatif « Draco », le directeur départemental par intérim, en personne, ordonne au commissaire sur place de « cesser » tout tir. Autre révélation de l’IGPN, quand les CRS arrivent en renforts, à 4 h 45, s’ils sont encore la cible de « jets de projectiles sporadiques », ils n’engagent, eux, « aucun moyen ». Entre les lignes, le rapport de l’IGPN démontre bien la dangerosité de cette intervention puisque immédiatement après de nombreux signalements font état de personnes tombées dans la Loire… Dont certaines auraient coulé. En neuf pages, une description minute par minute d’un véritable fiasco opérationnel.

    Mais, pour autant, la dixième page, en conclusion, n’établit aucun lien entre cette intervention musclée et la disparition de Steve. « Cet usage de la force, en riposte à des voies de fait perpétrées par une foule de personne rassemblées sur un terrain public, était justifié et n’est pas apparu disproportionné », conclut même le document, excluant « tout bond offensif » et « toute manœuvre s’assimilant à une charge ».

    Selon nos sources, ce rapport paradoxal atterrit le jeudi 18 juillet sur le bureau de Laurent Nunez, secrétaire d’Etat au ministère de l’Intérieur, qui avise aussitôt Christophe Castaner de son contenu mi-chèvre mi-chou pour la police. Plutôt accablant dans le déploiement de moyens lors de l’intervention, mais rassurant dans sa conclusion d’« absence de faute administrative ». « Nunez sait lire un rapport de police, confie un policier de haut rang. Il a immédiatement compris que l’intervention policière ce soir là était totalement inappropriée. » « Tout professionnel à la lecture de ces 10 pages comprend que l’intervention policière est en soit une erreur, que non seulement elle n’aurait pas dû avoir lieu, mais qu’ensuite des moyens conséquents auraient dû être mis en œuvre pour retrouver les personnes tombées à l’eau », admet auprès de Marianne une source gouvernementale. Un constat sans fard expliquant le silence gêné à tous les étages de la Place Beauvau…

    ERREURS EN CASACADE
    Dans un premier temps, le jeudi 18 juillet, le ministère de l’Intérieur n’envisage pas de rendre publique ces premières conclusions de l’IGPN. Christophe Castaner retient même l’idée de transmettre le rapport à la famille de Steve, avec lequel ses services ont noué des contacts pour une éventuelle rencontre. Dans le même temps, la décision est prise, dès la semaine du 16 juillet, de saisir l’IGA, l’Inspection générale de l’administration, pour décortiquer les décisions prises par la préfecture de Loire-Atlantique et la Mairie de Nantes tant sur l’organisation de la fête, les moyens de sécurité mis en œuvre, que les opérations de secours lancées après coup. « On est bien conscients qu’une série d’erreurs ont été commises, admet-on au ministère de l’Intérieur, même si on n’a pas encore tranché la façon de le reconnaître. »

    Mais, avec la découverte du corps de Steve, le lundi 29 juillet, ce n’est plus une enquête pour disparition inquiétante qui menace désormais la maison police, mais une information judiciaire pour « homicide involontaire ». Après consultation exprès du procureur de Nantes, et le feu vert de Matignon, la décision est prise en urgence, ce lundi 29, de communiquer les 10 pages de synthèse du rapport de l’IGPN. Plusieurs syndicalistes policiers reçoivent le document puis, le mardi 30, il est rendu public avec un objectif évident : dédouaner la police. « C’était une erreur. Il aurait fallu que quelqu’un explique, analyse un syndicaliste. Tel quel, avec sa conclusion maladroite et sans nuance, ce rapport apparaît comme une opération de couverture. » Il faudra attendre onze jours pour que Brigitte Jullien, dans l’Obs, vienne réfuter que son service ait voulu dédouaner quiconque. Puis dans Libération, ce lundi 5 août, elle assure n’avoir « jamais voulu blanchir qui que ce soit » et s’épanche sur les limites de l’enquête administrative. Une séance de pédagogie bien tardive.

    « A ce stade, alors qu’on ne sait même pas quand Steve Caniço est tombé à l’eau, alors que son téléphone cesse même de borner une demi-heure avant l’intervention policière, il vaudrait mieux rester tout simplement prudent et laisser faire la justice », soupire pour sa part David Le Bars, le patron du puissant syndicat des commissaires, inquiet du déferlement de haine « anti flic » ces dernières semaines. Dans les rangs policiers, il est désormais loin d’être le seul."