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  • Bretagne. La pluie, une histoire vieille de 300 millions d’années - Bretagne - LeTelegramme.fr
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    Tempête sur la presqu’île de Quiberon. C’est là qu’ont été échantillonnés des granites dans lesquels des eaux de pluie se sont infiltrées il y a 300 millions d’années.
    Le Télégramme/François Destoc

    C’est sans doute la plus ancienne eau de pluie jamais analysée. Datée de 300 millions d’années et découverte dans du granite en Bretagne, elle permet d’en savoir plus sur l’étonnant paysage breton de l’époque : de la haute montagne située au niveau de l’équateur !

    « Il pleut tout le temps en Bretagne ». Un sarcasme essoré jusqu’à la dernière goutte qui agace, depuis des lustres, les fiers Bretons. Ironie scientifique, c’est grâce à des trombes d’eau tombées il y a des centaines de millions d’années sur un Massif armoricain aux allures alpines, qu’on est aujourd’hui capable d’en savoir plus sur l’histoire de la région. Grâce, notamment, au travail de fourmi exécuté par une jeune thésarde française, Camille Dusséaux. Expatriée à l’Université de Plymouth (Angleterre), elle vient de publier ses premiers travaux dans la revue Terra Nova, élaborés en collaboration avec des équipes de Rennes, Lille, Montpellier, Lyon, Francfort et Portsmouth. Ils ont été présentés lors de la dernière conférence de géochimie Goldschmidt à Barcelone, le 21 août.

    Juste avant les premiers dinosaures
    Au départ de ces trois ans de recherches, une obsession : débusquer des eaux de pluie ancestrales piégées dans du granite et en étudier la composition. Bourrés de failles propices à la pénétration de ces pluies, la Bretagne et le Limousin ont été les cibles privilégiées de Camille Dusséaux. Avec une histoire commune : il y a 300 millions d’années, les Massif armoricain et Massif Central étaient une même chaîne de haute montagne. Elle est née du rapprochement, puis du chevauchement, de plusieurs masses continentales qui formeront la Pangée, ce supercontinent sur lequel s’ébroueront les premiers dinosaures. Les granites étaient à cette époque enfouis à plusieurs kilomètres de profondeur. On les observe aujourd’hui à nu, grâce au rabotage des montagnes par l’érosion.


    L’équipe scientifique examinant les roches et prélevant des échantillons de granite mis en place il y a 300 millions d’années sur la presqu’île de Quiberon en mars 2016.
    Photo Camille Dusséaux

    Une équipe de scientifiques, dont Camille Dusséaux, est allée prélever des échantillons de cette roche du côté de Quiberon (56) et Piriac-sur-Mer (44). Puis, la partie « travail de titan » a démarré : « Il a fallu extraire les minéraux qui contiennent de l’eau. Cela prend énormément de temps, car il faut les séparer à la main et vérifier pour chacun, avec une loupe, qu’ils sont purs. Pour produire les 70 échantillons de l’étude, ça a nécessité près d’un an de tri. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point ça allait être pénible ! », rigole (maintenant) la jeune géologue.

    Émotion et soulagement
    Restait à faire parler ces minéraux, grâce à des mesures réalisées en Allemagne. Camille Dusséaux s’est penchée sur les quantités d’hydrogène et de son cousin plus lourd, le deutérium, qu’ils contiennent. En comparant avec des étalons, ces analyses isotopiques ont permis d’être « sûrs que des eaux de pluie avaient interagi avec les granites », conclut-elle. Leur datation a été établie à 300 millions d’années via une « horloge naturelle », basée sur la désintégration des isotopes de l’argon. « C’était émouvant d’imaginer, que oui, de l’eau de pluie avait bien circulé là à cette époque. J’étais vraiment soulagée, car si je n’en avais pas trouvé, mon sujet tombait à l’eau », souffle la thésarde nordiste.


    Photo des minéraux hydratés (ici, des muscovites aux couleurs chatoyantes) contenant 4 % d’eau dans leur structure. Cet échantillon provient du granite de Quiberon mis en place entre 320 et 300 millions d’années.
    Photo Camille Dusséaux

    Mais les conclusions de Camille Dusséaux ne s’arrêtent pas là : les mesures d’hydrogène réalisées corroborent l’idée déjà établie par d’autres études, que la Bretagne se situait à l’équateur il y a 300 millions d’années. Avec le climat chaud qui va avec. Ces valeurs appuient aussi la thèse selon laquelle les altitudes de l’époque « se rapprochent de celle des Alpes » et « pas, comme on me l’a appris en cours, de celles de l’Himalaya ». Enfin, ces travaux, complémentaires à ceux d’un autre thésard, Christophe Ballouard, établissent le fait que les pluies ont pénétré les granites et transporté l’uranium qu’ils contiennent, pour les faire précipiter ailleurs, sous forme de gisements. Qui ont donné lieu, encore récemment, à des exploitations minières dans le secteur de Guérande (44), notamment.