Dans le désert du Néguev, Israël expulse les Bédouins pour planter des forêts
▻https://reporterre.net/Dans-le-desert-du-Neguev-Israel-expulse-les-Bedouins-pour-planter-des-fo
Planter des arbres, faire fleurir le désert, ça sert aussi à faire la guerre. Très bonne enquête. #palestine #écologie
Présentée comme une forêt modèle, « Yatir prouve que nous pouvons combattre la désertification et soigner la terre », selon le site du KKL. Pourtant, les environnementalistes remettent en question depuis des années le bien-fondé écologique de ce modèle. Le nord du Néguev constitue en effet une zone de transition entre le sud désertique et les paysages méditerranéens de Cisjordanie. Son paysage ouvert, naturellement peu boisé, héberge une biodiversité unique et plusieurs espèces menacées.
Selon la Société pour la protection de la nature (SPN), la principale ONG de conservation d’Israël, ce type d’écosystème est parmi les plus menacés du pays. L’État israélien a néanmoins prévu d’en boiser des milliers d’hectares, au grand dam de la SPN. Car le boisement implique la construction de routes, de retenues d’eau, de fossés pour planter les pousses, le tout au détriment de la végétation endémique et de la faune, souvent remplacée par des espèces forestières. « Quel besoin y a-t-il aujourd’hui de poursuivre une afforestation qui transforme des zones naturelles en forêts plantées ? », s’interrogeait la SPN dans un rapport de 2019.
Yatir est la plus grande forêt plantée d’Israël. © Lyse Mauvais / Reporterre
Vu d’une hauteur proche, le village de Sde Boker est un cercle émeraude qui se démarque des étendues ocre du centre du Néguev. Il y flotte un parfum d’oasis : les allées baignent dans l’ombre d’une végétation dense, les maisonnettes sont bordées de pelouse et de fleurs.
C’est dans ce kibboutz (une exploitation agricole collective) que le premier dirigeant d’Israël, David Ben Gourion, s’est installé en 1953. Il était fasciné par le Néguev, dont l’immense étendue (12 000 km²) représentait selon lui la clé de la pérennité de l’État juif. Dépeint comme une terre « vierge » à développer (malgré la présence de milliers de Bédouins palestiniens), le Néguev a capturé l’imaginaire des Israéliens, qui ont acquis la réputation d’avoir « fait fleurir le désert » en domptant ce territoire aride, source d’étonnants succès agricoles : 80 % de la production nationale de tomates cerises vient du Néguev.
Détournement de fleuve et glyphosate
Planter des arbres s’inscrit aussi dans ce récit national fondateur de la lutte contre le désert. Mais ses détracteurs dénoncent le coût de ce « succès » pour les populations d’origines. Les Palestiniens n’oublient pas que pour combattre le désert, le pays a abondamment détourné l’eau du fleuve Jourdain, privant ses voisins arabes de cette ressource. Ni qu’en 2005, l’administration israélienne a reconnu avoir répandu du glyphosate par avion dans les champs des Bédouins afin de contrer « l’occupation illégale des terres », au mépris de l’environnement comme des risques encourus par les habitants et le bétail.
Des arbustes plantés par le KKL à proximité du village « non reconnu » d’Ar-Rweis . © Lyse Mauvais / Reporterre
Les activistes accusent aussi le Fonds national juif (FNJ), créé en 1901 dans le but d’acquérir des terres pour de futures colonies, d’accaparer les terres revendiquées par des Palestiniens. L’ONG israélienne Zochrot estime ainsi que deux tiers des forêts gérées par le FNJ sont plantées sur les ruines de villages palestiniens, contribuant ainsi à effacer les traces de leur présence.
Alors même que dans les territoires palestiniens occupés, des centaines d’arbres sont régulièrement arrachés pour faire place à de nouvelles colonies, « la création de forêts ou de réserves naturelles sert d’excuse pour limiter le développement des villages arabes et pour "préserver" la terre en vue de l’établissement de villages juifs », a rappelé l’ONG Adalah, qui défend les droits des minorités arabes d’Israël, dans un communiqué contre le plan d’afforestation.
Contacté par Reporterre, le KKL n’a pas souhaité s’étendre, affirmant seulement agir « selon les décisions » du gouvernement, dont il dit n’être qu’un prestataire.