• Navires câbliers. Tractations en coulisses - Brest - LeTelegramme.fr
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    Le Pierre-de-Fermat est l’un des navires d’Orange marine basé à Brest. Un rapprochement avec Alcatel le ferait-il partir pour Calais ?
    Photo Claude Prigent

    L’explosion des données numériques et la soif des géants du web (Gafa) ont mis en lumière les tractations auxquelles se livrent les opérateurs maritimes pour défendre leur souveraineté sur ces autoroutes invisibles que sont les câbles sous-marins.

    Le sujet est sensible, pour ne pas dire stratégique ! Peu d’éléments ressortent de la tractation à haut niveau que se livrent Orange Marine d’une part, Alcatel Submarine Networks (ASN) de l’autre. Les câbles sous-marins posés et réparés par les navires français revêtent en effet une importance capitale à l’heure de la communication mondiale et du tout internet. Courant 2013, l’ancienne députée de Brest, Patricia Adam, alors présidente de la commission de la Défense, était montée au créneau pour rappeler l’intérêt stratégique de cette mission. Sa demande de placer l’entreprise sous statut d’Opérateur d’intérêt vital avait été soutenue par les ministres de l’époque mais n’avait pas abouti. Une première tentative de rapprochement entre Orange et ASN était tombée à l’eau. Un peu plus tard, ce dernier décrochait le statut d’opérateur d’intérêt vital mais pas la branche maritime d’Orange.

    Les discussions sont reparties de plus belle entre Orange et Alcatel Submarine Networks, société rachetée par Nokia en 2016, elle-même détenue par Microsoft et ses capitaux américains. L’État français, Orange et BPI France chercheraient à entrer dans le capital ou à racheter ASN qui ne semblait pas intéresser plus que cela Nokia lors du rachat d’Alcatel.

    Sauf qu’aujourd’hui, les besoins débordant des Gafa ont changé la donne avec de précieuses technologies détenues par ASN et de juteux contrats à venir de la part de ces géants de l’informatique désireux de développer leurs propres autoroutes de données. En mai dernier, nos confrères de La Tribune décryptaient l’attachement de Nokia pour la technologie maîtrisée par ASN en rappelant les besoins des Gafa de relier par la mer les câbles terrestres de leurs puissants centres de données.

    Sur le terrain et à bord des trois navires d’Orange basés à Brest ou à la Seyne-sur-Mer (Pierre-de-Fermat, Raymond-Croze et René-Descartes), on craint que cette entrée en capital d’Orange n’entraîne une fusion des deux groupes, avec la redéfinition d’un tout nouveau schéma économique. Que cette fusion entraîne une perte d’emplois et une modification de l’armement. Aujourd’hui, Orange est son propre amateur alors qu’Alcatel s’appuie sur le groupe Dreyfus pour la gestion de ses navires. Enfin, les syndicats de FT Marine, plutôt unis sur le sujet, inversent volontiers le point de vue de l’État français en agitant la perte de contrôle et de souveraineté de cette activité en cas d’entrée dans le capital d’Alcatel, avec fusion des savoir-faire et des compétences. « Et si les Américains mettaient la main sur ce domaine d’activité ou en tout cas, si la France perdait le contrôle de la pose et de l’entretien de ces autoroutes de l’information ? ».
    Le spectre des fonds de pension américains qui ont déjà tenté d’infiltrer Orange est également évoqué par les syndicats mobilisés jusqu’au plan judiciaire (une procédure a bloqué un premier rapprochement entre les deux sociétés).

    Selon Christophe Besnard, délégué syndical Sud Orange, secrétaire adjoint du CE FT Marine, « On est sur un schéma comparable à Alstom ». Il ajoute qu’« on a vidé la trésorerie de FT Marine et son « cash-flow » pour la fragiliser et l’exposer ainsi, une fois vulnérable, à une éventuelle vente ». « Le P-DG du Groupe Orange ne cesse de battre le chaud et le froid vis-à-vis d’Alcatel ». « Il alterne entre sa volonté de racheter ASN et l’affirmation de n’avoir aucune intention de rachat », observe-t-il.
    Sollicité sur le sujet, le patron d’Orange, Stéphane Richard, se garde de commenter les discussions engagées au plus haut niveau. La ligne reste donc coupée du côté d’Orange, pendant que les salariés s’interrogent fortement sur leur avenir et sur les conséquences de ce rapprochement entre deux concurrents historiques.