/capture-d-e-cran-2019-10-22-a-11-20-11.

  • Célébrités engagées et transformations de la parole politique | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2019/10/23/celebrites-engagees-et-transformations-de-la-parole-politique

    Dans le même temps, en raison de transformations internes au jeu professionnel d’Hollywood, l’intégration d’une dimension d’engagement civique au profil d’un artiste fait très souvent partie de la construction de sa « marque » et de son statut de star. Les nominations de George Clooney comme Messager de la paix de l’ONU et d’Angelina Jolie comme Envoyée spéciale du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ont ainsi contribué à leur réinvention professionnelle, à travers la figure de la célébrité engagée.

    Ces constructions identitaires en miroir concourent à redessiner les rôles de porte-parole populaire et posent un défi aux logiques de la démocratie représentative telle que nous la connaissons. Les confrontations qui opposent Donald Trump à des personnalités des arts et du spectacle qui dénoncent ses prises de position et ses politiques signalent donc des mutations plus générales de la représentation politique démocratique, aux États-Unis mais aussi au-delà, et participent à les faire advenir.
    S’engager hors des œuvres

    En disant cela, je n’entends pas suggérer que les artistes se mobilisent désormais massivement en politique, ou que l’art se politise. Bien au contraire. Un détour par les modes et formes de cet engagement s’impose ici. Les artistes s’engagent en tant que citoyen-ne-s mais aussi et surtout en tant que personnalités publiques. L’engagement en tant que personnalité, c’est-à-dire « par le nom », se distingue de l’engagement « par les œuvres », dans lequel la création est mise au service d’enjeux politiques ou militants.

    Les artistes réputés et les célébrités ont en effet la possibilité d’utiliser leur nom et la visibilité que le statut d’artiste leur confère pour prendre position publiquement ; ils ont d’entrée accès aux médias de masse, alors que s’y faire entendre est un casse-tête pour d’autres types d’activistes et de mouvements. Les célébrités engagées peuvent donc mettre leur capital de notoriété au service d’une cause, de manière efficace socialement.

    Si cette figure d’engagement n’est pas radicalement nouvelle, elle diffère néanmoins clairement du personnage sartrien de l’artiste engagé (intellectuel public responsable, historiquement lié à la figure de l’écrivain, à la fois savant et engagé). D’une part, parce que la dimension savante et cultivée n’est plus au centre du rôle que les artistes s’attribuent. D’autre part et surtout, parce que les artistes contemporains ont à cœur de préserver leur crédit professionnel et artistique en tendant à séparer strictement leur engagement comme personnalité publique de leur activité de créateur professionnel. L’engagement explicitement politique ou militant dans l’art, « par les œuvres », est en effet généralement vu comme risqué et discréditant professionnellement, et donc évité.

    Les mobilisations d’artistes pourraient sembler simplement se couler dans les formes et modes d’action déjà identifiés comme caractérisant les nouveaux mouvements sociaux : un engagement en faveur de causes plus sociales ou humanitaires que politiques, à distance des organisations partisanes. La réalité est plus complexe, et donne à voir la contribution des artistes au façonnage de ces « causes ». Aux États-Unis, la victoire inattendue de Donald Trump est décrite comme un choc qui paralyse un temps les mobilisations et engendre le scepticisme des personnalités qui s’étaient faites « compagnes de route » du Parti Démocrate quant à l’efficacité de ce mode d’engagement.

    Notre enquête montre comment, au bout de quelques mois, dans le monde professionnel d’Hollywood, des basculements successifs des perceptions conduisent à la construction d’une nouvelle cause centrale : celle de la lutte contre les inégalités de genre et les abus sexuels, articulée à la cascade de scandales qui suit l’affaire Weinstein. Le « Mouvement Me Too » devient l’enjeu saillant de mobilisations que les acteurs de cet espace lient étroitement à la question de l’activisme anti-Trump. Alors que les célébrités de la musique étaient très visibles dans les protestations de l’immédiat après-élection, ce sont les professionnel-le-s des du cinéma et de la télévision qui sont désormais au centre du jeu. Leurs interventions dans l’espace public façonnent une cause du genre aux contours flous, qui va de la lutte contre les inégalités et le harcèlement aux dénonciations de différents types d’atteintes sexuelles.

    Une critique plus délicate à gérer pour les artistes est celle de leur déconnexion sociale vis-à-vis des groupes qu’ils se proposent de défendre : comment des personnalités célébrées et économiquement privilégiées pourraient-elles savoir ce qu’est la détresse sociale des Gilets Jaunes de la première heure, ou celle des immigrants illégaux aux situations tragiques ou des populations américaines racisées ciblés par les politiques de Donald Trump ? C’est un dilemme classique des mobilisations que rencontrent ici les artistes. Les groupes dominés doivent souvent s’en remettre à des porte-parole distants socialement de leur situation afin de pouvoir faire entendre leur cause – pensons par exemple aux mobilisations de sans-papiers. Les groupes dominés le sont néanmoins inégalement : ainsi les membres du mouvement des Gilets Jaunes ne sont-ils pas tous dépourvus du capital culturel permettant de prendre la parole publiquement et de « se représenter », loin de là.

    #Engagement #Gilets_jaunes #Artistes #Personnalités_publiques