Travailleurs essorés
Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne s’occupe pas des travailleurs. Au contraire, on pourrait dire que de ce côté-ci de la barrière de classe (oh, le gros mot !), c’est la dégelée.
Reprenons les quelques mesures récentes :
– Vous êtes un travailleur qui cherche à se former grâce au compte personnel de formation ? En vertu de la dernière loi de finances, il faudra payer de votre poche, sauf à ce que cette formation convienne à votre patron. Autrement dit, le CPF est désormais un outil à disposition prioritaire de l’entreprise pour former sa main d’œuvre, selon ses intérêts. Le frein, un ticket modérateur de 20 % taxera celles et ceux qui voudraient se former pour faire autre chose, ou autre part, ou avec un autre employeur… Est-ce bien raisonnable, mon bon monsieur ? C’est tellement caricatural que selon la mère du CPF, l’ex-ministre Muriel Pénicaud, le droit à la formation « va disparaître pour ceux qui en ont le plus besoin, c’est à dire les catégories populaires ».
– Vous êtes un travailleur qui en a marre – il paraît qu’il en existe – et qui se met en « abandon de poste » pour quitter sans bruit son établi ou son bureau ? Bien mal vous en prend, Pôle emploi vous refusera désormais l’accès à l’allocation chômage en application de la dernière réforme de l’assurance chômage.
– Vous êtes un travailleur privé d’emploi ? Pas question de lambiner, ou de chercher l’emploi idéal, celui qui vous assure un revenu décent, une perspective de carrière, voire – quelle horreur – un sens à la vie ! Avec une durée d’indemnisation réduite de 25 % dès le 1er février, il va falloir vous précipiter sur le premier poste disponible. Celui qu’on trouve en « traversant la rue ». Le travailleur privé d’emploi, vulgairement appelé « chômeur », est placé dans un vaste réservoir de 2,3 millions d’individus à la disposition non pas d’un entrepreneur mais de tous les entrepreneurs. La semaine dernière, le gouvernement prévoyait de resserrer encore le nœud coulant, en réduisant la durée d’indemnisation de 40 %, dès que le taux de chômage descendrait sous les 6 %. Il semble qu’au dernier moment Elisabeth Borne eut un sursaut de lucidité. La mesure est donc « suspendue » jusqu’à l’an prochain…
D’apparence limitée ou technique, ces dispositions ne payent pas de mine mais elles ont ceci en commun qu’elles placent un peu plus le travailleur dans un état de dépendance. On n’est pas revenu au livret ouvrier du Second Empire, qui exigeait de demander au patron la permission de le quitter, mais c’est la même philosophie : les hommes sont à la disposition de l’économie et du capital. Pas l’inverse.
La prochaine jeanfoutrerie contre les travailleurs est à venir la semaine prochaine : c’est la réforme des retraites. Si on ignore encore à quel âge sera placé le curseur – 64 ou 65 ans –, on sait en revanche qui seront les plus touchés : les travailleurs, qui ayant commencé tôt, ayant exercé les métiers les plus pénibles, ont le plus de mal à « aller au bout », devront allonger la carrière de un, deux, ou trois ans, comme l’explique Henri Sterdyniak.
Autrement dit, les travailleurs sont appelés à être les premiers contributeurs (sous forme de travail) d’une réforme dont le gouvernement explique sans vergogne qu’elle a pour première qualité d’éviter d’augmenter les impôts sur les riches. Comme quoi, si la valeur travail existe, et cela reste à prouver, elle se paye sur le dos des travailleurs.