Plusieurs centaines dâĂ©tudiants ont manifestĂ© en France mardi aux abords dâune quarantaine de Crous et dâuniversitĂ©s contre la prĂ©caritĂ© Ă©tudiante. Certains ont racontĂ© Ă franceinfo leur quotidien fragile.
« La prĂ©caritĂ© tue. » Avec ce hashtag, des centaines dâĂ©tudiants ont rĂ©agi sur Twitter aprĂšs lâimmolation par le feu, vendredi, dâun de leurs camarades, devant le siĂšge du Crous, Ă Lyon. BrĂ»lĂ© Ă 90% et entre la vie et la mort, cet Ă©tudiant en licence de sciences politiques voulait dĂ©noncer la prĂ©caritĂ© dans laquelle vivent de nombreux jeunes. « MĂȘme quand jâavais 450 euros par mois, Ă©tait-ce suffisant pour vivre ? », sâinterrogeait le jeune homme, dans un message postĂ© sur les rĂ©seaux sociaux pour expliquer son geste.
LâuniversitĂ© Lyon 2, oĂč est inscrit le jeune homme, a Ă©tĂ© de nouveau fermĂ©e pour la journĂ©e, mercredi 13 novembre, aprĂšs des blocages, menĂ©s dans toute la France pour protester contre la prĂ©caritĂ©. Trois Ă©tudiants racontent leurs difficultĂ©s Ă franceinfo.
Sophie*, 26 ans, une thĂšse et deux emplois
« Pour tenter de vivre dignement, je cumule deux emplois », explique Sophie*, 26 ans, Ă©tudiante en histoire de lâart Ă Pau (PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques). Comme la jeune femme ne souhaitait pas quâon lui impose un sujet de recherche, elle a dĂ» faire lâimpasse dâun contrat de doctorante, qui aurait pu lui permettre de financer une partie de ses Ă©tudes. Elle ne bĂ©nĂ©ficie pas non plus de bourse. En 2016, 22,7% des Ă©tudiants interrogĂ©s dĂ©claraient auprĂšs de lâObservatoire national de la vie Ă©tudiante (OVE), avoir Ă©tĂ© confrontĂ©s « Ă dâimportantes difficultĂ©s financiĂšres durant lâannĂ©e ».
Sophie, syndiquĂ©e depuis sept ans au sein de lâorganisation Solidaires Ă©tudiant-e-s, Ă lâorigine de lâappel national Ă manifester devant les Crous, travaille Ă la bibliothĂšque de son universitĂ© et effectue des remplacements dans un Ă©tablissement dâhĂ©bergement pour personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes (Ehpad). « Je peux faire jusquâĂ 40 heures par semaine, en plus de mes travaux de recherche, mais câest variable dâun mois Ă lâautre ». LâĂ©tudiante dit gagner entre 900 et 1 000 euros par mois. Difficile de demander de lâaide. Entre « honte » et « dignitĂ© », les Ă©tudiants veulent ĂȘtre ces « jeunes adultes responsables que la sociĂ©tĂ© attend dâeux », analyse Sophie.
Avec 680 euros de frais fixe (loyer, Ă©lectricitĂ© et tĂ©lĂ©phone), il lui reste souvent moins de 300 euros pour la nourriture, les livres et lâĂ©pargne, en prĂ©vision du second semestre. Sophie Ă©conomise afin de pouvoir se consacrer pleinement Ă ses Ă©tudes Ă partir de janvier. « En gĂ©nĂ©ral, les Ă©tudiants qui sâauto-financent tiennent six annĂ©es », confie la jeune femme. « Moi, je ne tiendrai pas plus de quatre ans. Si jâarrĂȘte avant dâavoir rendu ma thĂšse, jâaurai perdu toutes ces annĂ©es et dĂ©veloppĂ© des maladies chroniques pour rien. » A cause de son rythme de vie, la jeune femme souffre de fatigue et de troubles dĂ©pressifs chroniques. Selon lâObservatoire de la vie Ă©tudiante, environ 60% des Ă©tudiants interrogĂ©s en 2016 Ă©prouvaient de la fatigue, autant souffraient de stress quand 45% Ă©voquaient des troubles du sommeil et 32% parlaient de dĂ©prime.
Ugo, 19 ans, un euro par jour pour manger
« Je me suis fixĂ© cette somme de 1 euro par jour pour manger, pour tenir le mois », explique Ugo, 19 ans, Ă©tudiant en deuxiĂšme annĂ©e dâhistoire et sociologie Ă Rennes (Ille-et-Vilaine). Boursier « Ă©chelon zĂ©ro bis », le plus bas de lâĂ©chelle des bourses, le jeune homme touche environ 100 euros par mois. Ses parents, qui ont aussi ses deux petites sĆurs Ă charge, financent son appartement, car il nâest pas Ă©ligible pour une chambre au Centre rĂ©gional des Ćuvres universitaires et scolaires, le Crous. Ugo gĂšre le reste de ses frais fixes en alternant les pĂątes, le riz et les pommes de terre. « Je compte toutes mes sorties », ajoute-t-il.
AprĂšs avoir Ă©tĂ© livreur dans diverses enseignes, le jeune homme a trouvĂ© un emploi fixe comme agent dâescale Ă la gare de Rennes. PrĂšs dâun Ă©tudiant sur deux (46%) travaille en dehors de ses Ă©tudes, selon lâOVE. IntĂ©rimaire, son nombre dâheures est variable et il gagne entre 600 et 900 euros par mois.
Jâai peur de perdre mes aides, alors jâessaie de mettre un maximum de cĂŽtĂ© cette annĂ©e, pour ensuite faire un master Ă Paris.Ugo, Ă©tudiantĂ franceinfo
Pour pouvoir travailler, Ugo bĂ©nĂ©ficie dâune « dispense dâassiduitĂ© » qui lui permet de « rater » certains cours. En contrepartie, il ne bĂ©nĂ©ficie pas du contrĂŽle continu et joue « son annĂ©e » uniquement au moment des examens de fin de semestre. Une absence que toutes les facultĂ©s ne permettent pas.
Karine*, 22 ans, endettĂ©e, a arrĂȘtĂ© ses Ă©tudes
« JâĂ©tais tellement stressĂ©e et dĂ©pressive que je nâarrivais plus Ă aller en cours », lĂąche Karine, 22 ans. Prise dans un engrenage entre petits boulots, soins psychologiques et cours de sociologie Ă la facultĂ© de Poitiers (Vienne), la jeune femme a tout arrĂȘtĂ© en fin de deuxiĂšme annĂ©e, en 2018.
Elle a grandi avec peu, sa mĂšre touchant le revenu minimum dâinsertion (RSA), mais lâĂ©tudiante bouclait difficilement les fins de mois avec 350 euros pour vivre. Karine cumule encore les dettes. Ses petits emplois lui faisaient manquer certains enseignements. « Quand vous ĂȘtes boursier, vous avez une obligation dâaller en cours, sinon le Crous vous demande de rembourser », explique la jeune femme qui, un an aprĂšs, est toujours en litige avec lâorganisme. SollicitĂ© par franceinfo, le Crous nâa pas souhaitĂ© rĂ©pondre.