On ne lui a jamais pardonné d’avoir été violée

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  • A priori, la plupart des gens seront d’accord pour dire que la pédocriminalité est une horreur, qu’ils sont résolument choqués par le viol et qu’ils condamnent avec la plus grande fermeté les violences sexuelles.

    En même temps, le film de Roman Polanski, J’accuse, fait le troisième meilleur démarrage de l’année pour un film français.


    On va arrêter de tourner autour du pot, de couper les cheveux en quatre, de se triturer les neurones. Ce succès signifie une chose toute simple : la plupart des gens s’en contrefoutent des violences sexuelles. Pour beaucoup de gens, la pédocriminalité, ou l’hébécriminalité, ce n’est pas grave. On peut violer une fille de 13 ans. Elle l’aura bien cherché d’une manière ou d’une autre.

    Bien sûr, ils ne le formulent pas comme ça. Ils sont sans doute nombreux à affirmer qu’on ne sait pas ce qu’il s’est vraiment passé. Qu’ils ne sont pas juges. Ils laissent la place au doute, et le doute bénéficie à l’accusé. Sauf que Polanski n’a jamais nié les rapports sexuels avec Samantha Geimer. Rappelons que, en l’occurrence, on parle non seulement d’un rapport vaginal mais également anal. On parle de sodomiser une fille de 13 ans. Je vois mal comment on peut soutenir qu’elle en avait vraiment envie. Quand les faits avérés sont : une pénétration anale sur une fille de 13 ans à qui l’on a filé des barbituriques et de l’alcool, j’ai un peu de mal à situer le doute.

    Ah oui, mais les gens, ils ne savent pas ça, ils ne sont pas au courant de ces détails.
    Bah non. Pour une raison toute simple : ça ne les intéresse pas. Ils ne veulent pas les connaître, ces détails. La vérité, c’est qu’ils veulent pouvoir aller voir un bon film tranquillou. Alors franchement, les violences sexuelles versus un bon film… Bah, c’est le bon film qui l’emporte. Et ça, ça veut dire qu’ils s’en foutent des viols perpétrés à l’encontre des jeunes filles. On peut leur expliquer que Polanski n’a pas nié les faits, on peut leur sortir une vieille interview vidéo dans laquelle il évoque son attirance pour les jeunes filles de 14 ans de manière totalement décomplexée. On peut leur donner la liste de celles qui se disent victimes, douze au total quand même.

    Ils s’en foutent.

    Dans le fond, je suis convaincue qu’ils s’en foutent même de la présomption d’innocence. Elle ne leur sert que de parapluie. Ils ont envie de voir ce très bon film qui a des très bonnes critiques. Pourquoi donc ils se priveraient de deux heures et douze minutes de plaisir cinématographique ? Tout le reste, ça ne les concerne pas.

    Il faut se regarder en face deux secondes et admettre la vérité : on s’en fout des viols. Enfin… ça devient très grave –à condition qu’il s’agisse d’un réalisateur moyen. En matière de pédocriminalité, on n’a pas le droit à la médiocrité. Faut pas déconner, ça se mérite le droit de violer. Mais un grand réalisateur, bah il a le droit. C’est tout. Le plaisir qu’on va tirer à regarder un film se situe bien au-dessus de nos soi-disant valeurs absolues selon lesquelles le viol, notamment sur mineure, c’est très mal.

    Ces gens me rappellent la réaction de certains catholiques face aux viols dans l’Église. Pour eux, la religion et l’Église sont des valeurs absolues, et ça leur est extrêmement difficile d’affronter les révélations des victimes. Le prêtre accusé est toujours décrit comme tellement gentil, serviable etc. Qu’est-ce qu’on peut se moquer de ces gens, les tourner en ridicule parce qu’ils sont obtus, aveugles, de mauvaise foi, qu’ils refusent de voir l’évidence, leur prêtre est pourri, leur Église est pourrie, c’est tout. Mais quand votre religion, c’est l’art, quand vos prêtres sont les artistes (et je n’écris rien de très neuf, le critique Paul Bénichou l’a analysé dans Le sacre de l’écrivain, et cela s’applique parfaitement aux cinéastes), eh bien là, brusquement, on a droit à des discussions quasi théologiques sur la suprématie de l’art, sur l’homme et l’artiste qu’il faudrait distinguer –soit, grosso modo, l’ancienne dichotomie entre l’âme et la chair. La chair est faible, mais l’âme est belle.

    Ce que dit de nous l’affaire Polanski, c’est qu’on s’en branle des violences sexuelles. Malgré tous nos beaux discours, la main sur le cœur, l’air dégoûté par ces monstres, en réalité, ça ne nous dérange pas tant que ça. Ça ne nous empêche ni de dormir, ni d’aller au cinoche. Tant qu’il ne s’agit pas de nos propres filles, évidemment.

    Les violences sexuelles sont partout dans notre société, à un degré sans doute largement sous-estimé, et quand on voit l’état actuel de l’affaire Polanski, on ne peut plus s’en étonner. Les violences sexuelles sont partout, parce qu’on les tolère, parce qu’on est complètement prêts à négocier avec elles, à négocier même une place de cinéma. Comme le faisait remarquer je ne sais plus qui sur Twitter, il faut peut-être différencier l’homme de l’artiste, mais ils ont tous les deux le même compte en banque. Eh bah, c’est pas grave.

    Dans notre société, on peut gagner le droit de violer. Il y aura toujours une pléthore de personnes pour vous trouver des excuses, pour minimiser, pour chipoter. On n’a qu’à dire qu’elles mentent toutes, qu’à 13 ans on peut parfaitement avoir très envie de se faire sodomiser par un homme de 43 ans, que de toute façon il a lui-même tellement souffert que ça lui donne bien le droit de s’autoriser quelques plaisirs, que c’était une autre époque (une époque où, malgré tout, le soir même, Samantha Geimer écrit dans son journal « il m’a violée, merde ! »), que ce qui compte vraiment, c’est l’art, ce sont les films, que tout ça, c’était il y a tellement longtemps, que ce sont de vieilles histoires.

    Ce qui n’est pas une vieille histoire, ce qui est extraordinairement d’actualité, c’est la culture du viol dans laquelle baigne notre société, cette culture que Valérie Rey-Robert a décryptée. Le présent, c’est notre infinie indulgence envers ces violences.

    Pourquoi pas ? Mais arrêtons d’être hypocrites. Assumons. Disons clairement les choses : dans notre culture, le viol est excusable. On ne demande pas aux hommes de ne pas violer. On leur demande de faire de belles œuvres. Pleines de sensibilité et d’intelligence. C’est notre valeur absolue à nous. On placera toujours la parole de l’accusé au-dessus de celle de la victime, tant pis pour elle, tant pis pour nous toutes et tous qui vivons dans cette société destructrice.

    Chez nous, mesdames et messieurs, l’art autorise tout. Amen.

    Titiou Lecoq pour Slate.fr
    #violophilie #culture_du_viol #déni

  • On ne lui a jamais pardonné d’avoir été violée - Crêpe Georgette
    http://www.crepegeorgette.com/2018/02/23/pardon-viol

    J’ai longtemps eu la naïveté de croire qu’on plaignait les victimes de violences sexuelles. Pas de plainte au sens de se lamenter sur leur sort en pleurnichant qu’elles ne vont jamais s’en remettre ; mais que les gens étaient aptes à comprendre qu’elles avaient vécu un acte grave (ce qui ne rime pas avec « traumatisant »), d’une injustice absolue et dont le seul et unique responsable était le violeur.

    Jusqu’à une date récente, le seul moyen de prouver qu’on avait réellement été victime de violences sexuelles était de mourir en se défendant contre l’agresseur. Il était acquis par beaucoup, des médecins aux philosophes en passant par les écrivains (Lacassagne, Tarde, Rousseau, Cervantes…), qu’une femme seule pouvait résister à un homme seul si elle le voulait bien. L’idée persiste encore aujourd’hui. En Italie, il y a quelques années, un violeur a été acquitté au prétexte qu’on ne pouvait violer une femme en jean. Au Canada en 2014, un juge expliquait qu’il suffisait à la victime de serrer les genoux pour éviter d’être violée. Alors, dans les siècles passés, les blessures faisaient office de preuve mais elles avaient intérêt à être impressionnantes, voire invalidantes. Le mieux était évidemment la mort de la victime qui prouvait de manière indubitable qu’en aucun cas elle n’avait voulu ce fameux viol. La littérature regorge de femmes glorifiées pour s’être défendues jusqu’à la mort et en 1950 la toute jeune Marie Goretti est canonisée après avoir été tuée par l’homme qui voulait la violer et à qui elle résistait. Je me suis toujours demandée ce que la papauté récompensait par cette canonisation ; et si ce n’était pas quand même un peu le fait d’être restée "pure", parce qu’on le sait bien, le viol souille, parait-il. Mieux vaut la mort que la souillure, dit-on.

    C’est une idée que je n’ai jamais comprise (même si évidemment je ne juge ici pas un seul instant les victimes qui se sentent salies). La comparaison va faire hurler mais imaginez que vous marchez dans une crotte de chien. Votre chaussure sera souillée parce que dans notre société, un excrément est culturellement considéré comme quelque chose de sale, de puant et qui nous salit si on le touche. Dans le cas du viol c’est beaucoup plus compliqué. Le viol est généralement pratiqué avec un pénis (ou quelque chose en faisant substitut), organe hautement valorisé dans nos sociétés et ne peut donc jamais être considéré comme quelque chose de salissant, qui souille celle ou celui qui le subit. Alors le viol est considéré comme une souillure pour la victime mais sans jamais nommer le pénis comme le responsable de cette souillure. Les victimes s’auto-souilleraient on ne sait pas trop comment mais certainement pas avec le sacrosaint pénis qui les a violés. Profitons-en quand même pour également souligner que c’est quand même formidable cette capacité qu’ont les femmes à se souiller. On baise ("trop") ? On se souille. On est violé ? on se souille. Constatons d’ailleurs que viol ou sexe consenti, cela ne fait pas trop de différence, les femmes sont considérées autant souillées par l’un que par l’autre. On met des vêtements sexy ? On se souille. (et on souille l’ensemble des autres femmes tant qu’on y est par une sorte de capillarité féminine de la souillure). On pose nue ? On se souille. Les hommes (hétérosexuels n’exagérons pas non plus) échappent à tout cela avec une capacité d’autowash qu’aucune femme ne possédera jamais. Un homme peut baiser la terre entière ; son pénis sera considéré aussi frais qu’au premier jour. Il peut avoir violé des dizaines de femmes c’est encore elles qu’on considérera comme souillées sans jamais admettre que donc c’est bien lui la salissure. Les hommes restent propres, nets et frais alors que les femmes, fragiles comme des morceaux de coton, sont salies à la moindre occasion. C’est bien pour cela qu’il faut les préserver, les enfermer dans des boîtes comme les plus vieux mettaient le service d’argenterie offert au mariage dans de l’alu pour éviter qu’il ne noircisse.

    J’ai longtemps pensé que nous avions dépassé ce stade, qu’une victime de viol était davantage vue comme une victime que comme une fautive, une coupable, une salissure, une faute. J’ai croisé des victimes de tout âge, tout genre, toute couleur, toute religion, toute condition sociale. Je ne crois pas en avoir rencontré une seule qui n’a pas rencontré une réprobation quelconque à un moment donné. Le fait est que nous en voulons aux victimes de viol qui dérangent nos vies ordonnées. Nous avons fini par à peu près admettre qu’il y a quand même beaucoup de viols. Cela fait désordre parce que logiquement, sauf à considérer que les violeurs possèdent une endurance peu commune, s’il y a beaucoup de violé-es, il y a beaucoup de violeurs. Nous aimons à croire à un monde ordonné. Les choses bonnes arrivent aux gens bons et les mauvaises choses aux mauvaises personnes. Alors on se rassure comme on peut. Une victime de viol a du forcément faire quelque chose pour être violée parce que si ca n’était pas le cas, cela pourrait arriver à tout le monde, moi compris. Qu’est ce que cela serait ce monde où les gens qui se comportent bien ne sont pas récompensés ? Qu’est ce que cela serait ce monde où il arrive des saloperies y compris aux gens qui se tiennent bien ? C’est difficile d’en vouloir aux violeurs parce qu’on les connait peu au fond. On en a une très vague image - une sorte de Francis Heaulme décliné à l’infini – et lorsque le violeur sort de ce cadre (dans environ 99.99% des cas), alors notre monde s’écroule et il faut bien trouver une justification pour conserver un monde qui tourne à peu près rond, à peu près juste où les gens sympas ne vivent que des choses sympas et où seuls les salauds sont punis.

    Et on ne pardonne pas aux victimes de détruire l’ordonnance de ce monde. On ne leur pardonne pas de dire, on ne leur pardonne pas de ne pas avoir été violée par un monstre, on ne leur pardonne pas de n’être pas parfaite, on ne leur pardonne pas d’être en vie. Une victime de viol morte en se défendant c’est parfait. Béatification assurée par la vox populi. Si vous étiez une sainte avant, vous serez élevée au rang de Vierge. Si vous étiez une putain (oui il n’y a pas beaucoup d’options pour les femmes je sais bien), vous redeviendrez une sainte. Votre mort vous lavera de vos péchés antérieurs et le monde redeviendra cette flaque lisse où les victimes de viol ne parlent pas.

    J’aimerais dire qu’il y a des bons viols. Des viols où la victime ne va pas être rendue coupable de ce qu’elle a vécu. Des viols où on lui offrira du soutien si elle en demande et en tout cas, jamais aucune culpabilisation. Et puis Lydia Gouardo, violée par son père pendant des années dont une partie des voisins disait qu’elle « devait aimer ca ». Et puis Natasha Kampush. Enlevée, torturée, violée, affamée pendant dix ans et dont beaucoup ont dit qu’elle devait aimer ca, elle aussi. C’est fou la capacité qu’ont les gens à penser que les femmes adorent les actes de torture et de barbarie. Et puis Shawn Hornbeck, enlevé et violé pendant des années et dont un présentateur américain vedette (depuis viré pour harcèlement sexuel, la vie n’est-elle pas merveilleuse), a dit qu’il avait quand même une vie plutôt sympa avec son agresseur parce qu’il n’allait pas à l’école. Je prends ces trois exemples qui touchent des enfants parce qu’ils sont extrêmement caractéristiques de notre rapport aux victimes de viol, y compris les plus fragiles. La vision d’un monde où on viole ce qui représente, à nos yeux, l’innocence, est si insupportable que nous cherchons à la salir (on y revient) pour se dire, encore une fois, qu’il doit y avoir quelque chose de logique là dedans. Que ces victimes devaient avoir fait quelque chose pour être violées, sinon ca serait vraiment trop insupportable. Nous en sommes encore au stade où la personne victime de violences sexuelles provoque davantage de colère que le violeur. Sa parole, parce qu’elle défait le merveilleux monde que nous avions construit, reste insupportable. On a beaucoup parlé de la libération de la parole, ce qui est une nouvelle fois faire porter la charge du changement aux victimes. Passons, peut-être à la libération de l’écoute.

    • Une partie du texte de Crèpe Georgette raisonne avec la lecture de celui ci : https://seenthis.net/messages/667926
      qui parle de l’éducation sexuelle dans les ecoles catholique. Pour les cathos le consentement dans la sexualité n’a pas réellement d’importance, il est secondaire voire hors sujet.
      Le sexe dans le dogme catholique est un péché dés qu’il est pratiqué hors mariage et même hors fécondation.
      Dans le mariage la notion de viol conjugale s’oppose a celle du devoir conjugale. Le sexe hors mariage lui est toujours un pécher mortel qui te voue aux flammes éternelles de l’enfer. Que la ou les personnes soient consentantes ou pas le dieu des cathos s’en fiche pas mal, la seule chose qui interesse ce dieu c’est qu’on soit marié et qu’il y ai fécondation. Du coup la mentalité que décrit Crèpe Georgette semble être une version proche de la sexualité catho.

    • L’enquête diffusée sur Arte sur les viols et abus sexuels dans l’église catholique montre les particularités de cette #culture_du_viol et les systèmes de protection mis en place pour disculper les agresseurs. Par exemple le fait que les évêques n’ont pas obligation de dénoncer un #prêtre_pédophile sous prétexte que ce serait rompre le secret de la confession et qu’il perdrait leur place au paradis. C’est une raison pas très raisonnable, mais le pouvoir n’a pas à se justifier. https://seenthis.net/messages/671796