• ESCROQUERIE SUR UN FUTUR EN PERDITION

    L’arnaque est aujourd’hui générale et mondiale, c’est toute la société qui est escroquée par un petit groupe de multimilliardaires sans aucun scrupule.

    L’idéal pour les possédants est que le pauvre se croie riche tout en restant pauvre, c’est pourquoi l’usurpation des richesses disparaît du monde visible. Dans ce monde barbare, les truands de la fortune « à tout prix », ont tous les pouvoirs, et notamment celui de disparaître de la représentation spectaculaire du monde. Leurs larbins répandent la peur de la catastrophe pour maintenir le peuple dans la soumission et la servitude. Recroquevillé dans son quotidien, la trouille au ventre, il ne se rebelle pas. Et quand cette folie des accapareurs de richesse provoque de gros dégâts dans l’économie réelle, on demande aux populations appauvries de payer les réparations, afin d’éviter la banqueroute du casino mondial. Les gestionnaires d’État sèment la panique à tout vent pour mieux justifier la récession, conséquente au détournement des fonds publics, qui n’est qu’une escroquerie sociale de plus, mais une de taille démesurée.

    La domination mondiale de la haute finance américaine repose sur une inflation de crédits douteux réalisés sur un dollar à la valeur défaillante, mais dont les intérêts doivent absolument être payés par tous ces pays maintenant asservis. L’impérialisme financier se nourrit des dettes, des risques et même des faillites. Il réalisera ses plus gros coups à la limite de l’implosion générale du système.

    Pire est l’économie, meilleure est la finance. Il y a beaucoup trop de richesses qui circulent en permanence dans les réseaux financiers, beaucoup trop de fortunes à ramasser facilement, pour que ce pillage puisse s’arrêter. Les déréglementations de la spéculation, la mainmise sur les dettes des États, les paradis judiciaires et fiscaux, ainsi que l’informatisation des transactions ont fait qu’aucun retour en arrière n’est aujourd’hui envisageable.

    Les monstrueux profits spéculatifs ne sont que des emprunts à un futur incertain avec des délais de remboursement aléatoire. C’est un trafic sur le chaos, une arnaque sur un devenir virtuel qui est dans l’impossibilité de concevoir sa chute.
    Il n’y a pas de limites à la dégradation des conditions d’existence, sauf évidemment leur suppression.

    La peur de l’avenir n’est que l’expression de l’incertitude du devenir des capitalistes qui n’ont plus de futur. Tous ceux qui n’ont plus grand-chose à perdre ont tout à espérer d’un nouveau monde émergeant par nécessité. Ce qui nous arrive n’est pas un accident de parcours, mais bien l’aboutissement du capitalisme, l’achèvement d’un monde suicidaire.

    Les capitalos-trafiquants milliardaires ont instauré une situation d’urgence permanente qui justifie les décisions arbitraires antidémocratiques, une stratégie de choc, où tout s’accélère, répandant la culpabilité, la peur et l’insécurité pour faire passer de force leurs plans d’austérité et de récession sociale, au risque de détruire l’économie. Plus il y a de dettes plus leurs profits augmentent. C’est une fuite en avant qu’ils feront durer aussi longtemps qu’ils le pourront.

    Tout le monde peut aujourd’hui, se rendre compte que cette crise est devenue permanente pour la grande majorité, mais une aubaine pour une toute petite minorité qui en tire ses meilleurs profits.

    Le milieu financier apparaît comme un système mafieux qui se concentre et se préserve autour de la famille et d’un petit cercle d’amis. C’est une vision obtuse et puérile du monde où le cynisme des dominants cache leur fascination du pouvoir que leur procurent l’accumulation des richesses, l’absence de culpabilité, l’irresponsabilité narcissique, le goût du risque et du sang, le mépris et l’arrogance mégalomaniaque.

    Cette minuscule classe dominante qui s’impose à la société, devient aux yeux de la population, absolument intolérable dès qu’elle devient visible, provoquant sarcasme, dénigrement, haine et violence spontanée. La haute bourgeoisie ne lâchera rien si elle n’y est pas forcée, et elle se battra jusqu’au bout pour défendre ses privilèges illimités et son pouvoir absolu.
    Et « cela peut durer très longtemps, si l’on ne fait pas d’omelette avant. » Robert Desnos

    La dictature économique et financière n’est plus une fatalité, mais la tyrannie d’un petit groupe d’usurpateurs multimilliardaires qu’il s’agit de rendre inopérants pour sauver la société de la faillite de l’humanité, et la planète de sa destruction irréversible.

    « Pour contenir les populations plongées dans la pauvreté, la propagande de la peur peut être utilisée à propos du changement climatique, des catastrophes naturelles et des attaques terroristes à grande échelle, comme outil de contrôle des populations. »
    Rapport de la Fondation Rockefeller, 2010

    Les dettes se répandent comme des virus, l’épidémie envahit une société de crise qui s’est grippée. La fièvre monte dans un État fébrile, la lassitude gagne et les défenses immunitaires s’écroulent...

    L’économie ne pourra pas sauver la société de ce processus de dégradation mortifère, car elle a déjà fait la preuve de son ignominie. Son fonctionnement même est la conséquence de son essence barbare, la domination sans entraves de la haute bourgeoisie, l’exploitation sans limites de toutes les couches de la population, la réalisation spectaculaire de sa supercherie macabre, l’accomplissement de son auto-destruction programmée, la fin d’une société.

    Lukas Stella, L’invention de la crise, 2011 (extraits)

    http://inventin.lautre.net/livres/Lukas-Stella-Toxicomanie-marchande.pdf
    http://inventin.lautre.net/livres/Lukas-Stella-Toxicomanie-marchande.epub

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  • DÉCHÉANCE DU TRAVAIL

    Dans une société industrielle qui confond travail et productivité, la nécessité de produire a toujours été antagoniste au désir de créer. Que reste-t-il d’étincelle humaine, c’est-à-dire de créativité possible, chez un être tiré du sommeil à six heures chaque matin, cahoté dans les trains de banlieue, assourdi par le fracas des machines, lessivé, bué par les cadences, les gestes privés de sens, le contrôle statistique, et rejeté vers la fin du jour dans les halls de gares, cathédrales de départ pour l’enfer des semaines et l’infime paradis des week-ends, où la foule communie dans la fatigue et l’abrutissement ?

    De l’adolescence à l’âge de la retraite, les cycles de vingt-quatre heures font succéder leur uniforme émiettement de vitre brisée : fêlure du rythme figé, fêlure du temps -qui-est-de-l’argent, fêlure de la soumission aux chefs, fêlure de l’ennui, fêlure de la fatigue. De la force vive déchiquetée brutalement à la déchirure béante de la vieillesse, la vie craque de partout sous les coups du travail forcé. Jamais une civilisation n’atteignit à un tel mépris de la vie ; noyé dans le dégoût, jamais une génération n’éprouva à ce point le goût enragé de vivre. Ceux qu’on assassine lentement dans les abattoirs mécanisés du travail, les voici qui discutent, chantent, boivent, dansent, baisent, tiennent la rue, prennent les armes, inventent une poésie nouvelle. Déjà se constitue le front contre le travail forcé, déjà les gestes de refus modèlent la conscience future. Tout appel à la productivité est, dans les conditions voulues par le capitalisme et l’économie soviétisée, un appel à l’esclavage.

    La nécessité de produire trouve si aisément ses justifications que le premier Fourastié venu en farcit dix livres sans peine. Par malheur pour les néo-penseurs de l’économisme, ces justifications sont celles du XIX° siècle, d’une époque où la misère des classes laborieuses fit du droit au travail l’homologue du droit à l’esclavage, revendiqué à l’aube des temps par les prisonniers voués au massacre. Il s’agissait avant tout de ne pas disparaître physiquement, de survivre. Les impératifs de productivité sont des impératifs de survie ; or les gens veulent désormais vivre, non seulement survivre.

    Le tripalium est un instrument de torture. Labor signifie « peine ». Il y a quelque légèreté à oublier l’origine des mots « travail » et « labeur ». Les nobles avaient du moins la mémoire de leur dignité comme de l’indignité qui frappait leurs esclavages. Le mépris aristocratique du travail reflétait le mépris du maître pour les classes dominées ; le travail était l’expiation à laquelle les condamnait de toute éternité le décret divin qui les avait voulues, pour d’impénétrables raisons, inférieures. Le travail s’inscrivait, parmi les sanctions de la Providence, comme la punition du pauvre, et parce qu’elle régissait aussi le salut futur, une telle punition pourrait revêtir les attributs de la joie. Au fond, le travail importait moins que la soumission.

    La bourgeoisie ne domine pas, elle exploite. Elle soumet peu, elle préfère user. (...)
    Quelle est donc la fonction du travail forcé ? Le mythe du pouvoir exercé conjointement par le chef et par Dieu trouvait dans l’unité du système féodal sa force de coercition. En brisant le mythe unitaire, le pouvoir parcellaire de la bourgeoisie ouvre, sous le signe de la crise, le règne des idéologies qui jamais n’atteindront ni seules, ni ensemble, au quart de l’efficacité du mythe. La dictature du travail productif prend opportunément la relève. Il a pour mission d’affaiblir biologiquement le plus grand nombre des hommes de les châtrer collectivement et de les abrutir afin de les rendre réceptifs aux idéologies les moins prégnantes, les moins viriles, les plus séniles qui furent jamais dans l’histoire du mensonge.

    Raoul Vaneigem, 1967.

    http://inventin.lautre.net/livres/Vaneigem-Traite-de-savoir-vivre.pdf

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    Extrait du journal "Feignasse" N°1, octobre 2013

    http://inventin.lautre.net/livres/Feignasse-N1.pdf
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  • KRONSTADT
    Tentative de rupture avec l’État capitaliste en Russie

    Nous sommes à la fin de 1920, trois ans après les insurrections prolétariennes de Petrograd et Moscou. Après les défaites insurrectionnelles en Allemagne, en Ukraine, en Italie… la révolution mondiale bat de l’aile. L’État mondial du Capital a bandé ses forces pour empêcher la révolution de s’étendre, isoler et étouffer l’effervescence révolutionnaire. En Russie, les corps de choc de la bourgeoisie internationale isolent le prolétariat et lui portent des coups qui ne cessent de l’affaiblir. Le capitalisme mondial se sert des armées blanches pour accentuer les pressions militaires, terroriser les prolétaires. Mais le danger contre-révolutionnaire ne provient pas seulement des armées blanches, mais aussi de la reconstitution des forces de l’État bourgeois en Russie. De fait, le gouvernement de la République Soviétique de Russie a lui-même contribué activement à l’affaiblissement des avant-gardes révolutionnaires.

    Au fur et à mesure que le rapport social capitaliste reproduisait en Russie les forces de l’État, le capitalisme mondial abandonnait à leur sort les armées blanches et investissait de son rôle de gendarme de l’ordre bourgeois les corps répressifs « rouges ». A l’automne 1920, ce qui reste des armées blanches (de Kalédine, de Dénikine, de Wrangel) est forcé à la reddition, mais les prolétaires vont très rapidement mesurer le prix de cette « victoire ». Loin d’avoir été vaincu, l’État capitaliste repeint en rouge retrouve une stabilité, une classe bourgeoise à nouveau homogène et crédible. L’État bourgeois n’a pas été détruit par le Parti bolchevique et les soviets, ceux-ci y ont été intégrés complètement […]. Ce n’est pas le prolétariat insurgé qui a imposé sa dictature, mais l’État bourgeois en Russie, son Armée Rouge, son gouverne- ment des soviets (Conseil des Commissaires du Peuple), ses syndicats et leurs armées du travail [Troudarmii].

    C’était il y a 100 ans exactement. Le 18 mars 1921, la puissance sociale de l’État capitaliste repeint en rouge en Russie écrasait la révolte prolétarienne de Kronstadt. La voie était ainsi libre pour le Parti/État bolchevik de célébrer en grande pompe le 50ème anniversaire de la Commune de Paris. Le cynisme inhérent à ces sociaux-démocrates quelque peu « radicaux » (seulement dans la forme, jamais sur le fond) n’avait d’égal que leur prétendue rupture avec la société du Capital.

    Déjà en octobre 1917, ce même Parti bolchevik avait réussi à canaliser la haine du prolétariat envers la propriété privée et son État (et sa misère, et ses guerres, et le monde qui va avec !), et à s’approprier l’énergie insurrectionnelle développée par notre classe, pour finalement faire passer pour une révolution le simple remplacement d’un gouvernement provisoire par une nouvelle caste de ministres appelés « commissaires ». Le tout saupoudré de quelques mesures économiques, sociales et politiques qui avaient le goût et la couleur de la révolution (qui « sent terriblement la révolution » pour reprendre le mot attribué à Lénine par Trotski au moment de constituer le soviet des commissaires du peuple) mais qui devaient se révéler n’être qu’un ravalement de façade de l’ignoble dictature sociale du Capital au nom du socialisme et du communisme.

    L’« insurrection d’Octobre », ou plus prosaïquement les événements des
    24/25 octobre 1917 qui culmineront dans la « prise du Palais d’Hiver », siège du gouvernement provisoire, est un « coup » organisé par une fraction du Parti bolchevik, ladite « fraction Lénine/Trotski ». Non pas un « coup d’État », comme se plaisent à le dénoncer depuis une centaine d’années toutes les chapelles de la social-démocratie historique : des socialistes de la deuxième internationale aux partisans de l’anarchisme idéologique et aux tenants de la démocratie ouvrière et sa forme conseilliste. Mais bel et bien un coup d’arrêt (provisoire !) au véritable processus insurrectionnel du prolétariat qui court sur plusieurs mois durant cette année 1917 et qui n’arrêtait pas de se répandre comme une traînée de poudre à travers tout le pays, à travers les villes et les campagnes.

    Comme l’évoquait très justement en octobre 1927 le militant « anarchiste » Piotr Archinov dans un article qui devait tirer les leçons de ces événements pour leur dixième anniversaire, il y a deux Octobres qui s’opposent : d’une part « l’Octobre des ouvriers et des paysans » qui s’attaque à la propriété privée et qui exproprie la classe des capitalistes ; et d’autre part « l’Octobre du Parti bolchevik » qui renverse le gouvernement provisoire incapable de maîtriser le déchainement prolétarien, et qui impose une simple révolution
    d’ordre politique, donc bourgeoise.

    Mais qu’on nous comprenne bien : face à l’insurrection bolchevik d’octobre, nous n’opposons pas la démocratie, le processus graduel et pacifique, l’assembléisme des soviets, comme nos détracteurs pourraient nous en accuser, mais nous tenons au contraire à souligner le véritable processus insurrectionnel du prolétariat. Le problème, c’est que certains secteurs de notre classe, et parmi les plus radicaux, ceux que l’histoire retiendra sous l’appellation des « marins de Kronstadt », ont oscillé entre « l’octobre prolétarien » et « l’octobre bolchevik » pour être finalement coopté par ce dernier et se mettre au service du Parti bolchevik, fort de son prestige organisationnel, dans sa quête du pouvoir politique. Tout le hiatus, c’est que le 25 octobre 1917, et les mois qui suivront, les « marins de Kronstadt » se sont transformés de « fer de lance de la révolution » en bras armé de la contre-révolution bolchevik qui vient…

    La prise en main de notre classe, l’encadrement politique du processus de révolution sociale, telle est la mission fondamentale de toutes les fractions de la social-démocratie historique, avec laquelle le Parti bolchevik n’a jamais fondamentalement rompu, et en ce y compris la fraction Lénine malgré ses changements de cap qui ne s’attaquaient jamais à la base de la politique bourgeoise à destination des ouvriers.

    Se placer du côté des insurgés de Kronstadt n’a rien à voir avec l’élévation du culte de Kronstadt et des ouvriers qui firent payer chèrement leur peau au Capital ; ceux qui sont tombés dans ce piège ont tout juste réussi à consolider l’œuvre de la contre-révolution en érigeant un mausolée de plus devant le- quel faire s’agenouiller les prolétaires.

    Le caractère saillant des événements révolutionnaires de Kronstadt, comme […] [du processus insurrectionnel de 1917], ne réside pas dans leurs résultats immédiats (défaite ou victoire), mais dans l’impact qu’ils ont eu sur le mouvement révolutionnaire international, dans le rôle qu’ils ont joué par rapport à l’extension/résorption de la révolution mondiale.

    C’est la mondialité de l’État capitaliste, l’universalité de la marchandise et de ses métamorphoses incessantes qui déterminent les communistes à pousser cette critique du mouvement révolutionnaire jusqu’à la résolution universelle des contradictions de classes. Pour les communistes qui constituent l’avant-garde révolutionnaire, il n’existe donc pas de victoire qui ne puisse se transformer en défaites et vice versa. Il n’y a pas de lieu duquel le Capital ait été supprimé qui constituerait un asile « rouge », sans la destruction de l’État mondial du Capital grâce à la victoire de la révolution internationale ! Il n’y a pas d’antagonisme entre une lutte partielle et le but historique, car bien que le mouvement révolutionnaire apparaisse nécessairement comme partiel, chaque affirmation contient et pose réellement le développement de la centralisation internationale, les intérêts mondiaux de la classe prolétarienne. Le mouvement révolutionnaire, destructeur de la société, re- pose nécessairement sur des ruptures (rupture des prolétaires de Kronstadt avec le soi-disant « État ouvrier en Russie ») et celles-ci s’expriment par la critique de soi du mouvement révolutionnaire. La critique devient ainsi elle- même force matérielle, partie intégrante de l’action révolutionnaire du prolétariat.

    La critique radicale faite par les insurgés de Kronstadt du soi-disant « État prolétarien en Russie » rejoint, concorde et renforce toute l’action pra- tique/critique des « communistes de gauche » qui formaient, en dépit de leurs faiblesses, l’avant-garde du mouvement révolutionnaire de 1917-1921. Mais la défaite de la rébellion de Kronstadt comme celle des « communistes de gauche » dans l’I.C., n’est pas l’enterrement de la révolution ! La non- abdication des insurgés de Kronstadt, qui ne renièrent pas la révolution mondiale même quand la bourgeoisie parvint à lui porter un coup décisif, se rattache organiquement à une pratique de parti, au parti révolutionnaire dont les représentants se font presque au même moment (juin 1921) exclure de l’I.C. pour n’avoir pas également renié la révolution internationale et tenté de constituer une direction communiste […] [pour en doter le] mouvement de classe. Une organisation comme le K.A.P.D. s’est retrouvée […] [bien que tardivement]39 avec les insurgés de Kronstadt de par sa lutte de fraction au

    sein de l’I.C. contre les tendances sociale-démocrates majoritaires et les positions bourgeoises adoptées par les Partis « Communistes » en faveur du parlementarisme et du syndicalisme… et surtout par son rôle actif et dirigeant dans les luttes ouvrières de mars 1921 en Allemagne. De même, des groupes de la Gauche communiste internationaliste tels la Fraction italienne autour de la revue « Bilan » et la Fraction belge, s’appuyant sur un travail critique du mouvement révolutionnaire, défendirent les intérêts révolutionnaires des prolétaires en Espagne en 1936 et 1937 contre la répression effectuée par le
    « front républicain antifasciste et de ses ministres anarchistes », répression
    identique quant à la nature bourgeoise, à celle du gouvernement bolchevique contre Kronstadt. Ces communistes ne se sont pas accrochés au communisme comme à un dogme, en en faisant une nouvelle religion avec sa bible et ses saints ; leur attitude pratique/critique fidèle au mouvement révolutionnaire du prolétariat n’avait pas pour objectif d’acquérir une place en tant que gardien de « l’orthodoxie marxiste ». De même, les insurgés de Kronstadt n’ont pas fait d’Octobre 1917 un monument sacré. Partout, les uns et les autres
    élevèrent grâce à leur critique essentielle du mouvement, certes non entièrement élaborée, les fondations pour une clarification et un développement du programme historique de la révolution.

    Seule l’action des communistes, tirant les leçons des expériences révolutionnaires du prolétariat, a permis que Kronstadt serve aujourd’hui pour le prolétariat mondial de référence avec Octobre 1917, Berlin 1918-1919, Barcelone 1937, etc. Sans ce travail militant opéré par des groupes de la Gauche communiste, nous pataugerions encore dans le marécage social-démocrate (y compris libertaire) qui confond Octobre 1917 avec n’importe quelle accession de la gauche au gouvernement et à qui l’insurrection de Kronstadt sert de leitmotiv à l’érection de ministères anarchistes, comme en 1936 en Es- pagne, ou encore de « syndicats libres » […] !

    Ce qu’illustre Kronstadt, c’est comment, grâce à la critique révolutionnaire (radicale) que l’abîme des contradictions de classe lui impose de mener incessamment, le mouvement communiste parvient à réémerger des défaites les plus cinglantes et à se revitaliser jusqu’au moment d’un nouvel affronte- ment décisif. Le mouvement révolutionnaire puise aussi sa force des défaites, desquelles les fractions communistes soustraient, à contre-courant, l’œuvre du mouvement révolutionnaire du prolétariat qui a besoin, tel un alambic, de parcourir un chemin long et difficile pour rejaillir plus compacte, plus vive et puissante.

    Que la prochaine vague révolutionnaire mette enfin un point final au cauchemar que constitue pour l’humanité un rapport social basé sur la propriété privée, l’argent et l’exploitation, et donc basé sur l’expropriation de l’immense majorité des êtres humains de leurs moyens d’existence... Exproprions les expropriateurs !

    Groupe communiste Guerre de Classe (extraits)
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    http://inventin.lautre.net/livres/Guerre-de-classe-Kronstadt.pdf

  • NOUS SOMMES EN GUERRE SOCIALE

    Leur ruissellement c’est notre sang qui coule

    Ces dernières années, il n’y a pas eu de « crise » économique mais une accélération de la guerre sociale. Un transfert massif d’argent public vers les poches des ultra-riches.
    Selon le classement du magazine économique Challenges, en un an les 500 plus grandes fortunes françaises ont augmenté leur patrimoine de 300 milliards. Une explosion de richesses en plein COVID

    Ces grandes fortunes détiennent 47 % du PIB contre 6% il y a 25 ans. La richesse d’un pays riche comme la France a été accaparée massivement par une infime poignée de personnes. Une contre-révolution.
    Il y avait 50 milliardaires français en 2011, 95 en 2020 et 109 cette année. Le nombre de milliardaires a doublé pendant que le nombre de pauvres explosait !
    La fortune d’individus comme Bernard Arnault ou Bolloré et autres milliardaires qui contrôlent les médias ne cesse d’augmenter.

    Ces sommes colossales pourraient largement couvrir les manques des hôpitaux, la sécurité sociales, les retraites, ou encore la précarité étudiante. Pourtant pendant ce temps, la santé, l’éducation et autres services publics vitaux sont dévastés, et le gouvernement veut continuer à nous dépouiller. Nous vivons donc bien une guerre sociale totale. On ne peut pas comprendre la brutalisation de la société et l’augmentation des violences policières sans observer cette augmentation des inégalités. La police nationale est la milice du capital. Elle fait régner un ordre de plus en plus injuste par une violence toujours plus terrible.

    https://twitter.com/Nantes_Revoltee/status/1414505900010885121

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    TOXICOMANIE MARCHANDE
    L’ACHÈVEMENT DE L’ÉCONOMIE TOTALITAIRE

    Lukas Stella
    http://inventin.lautre.net/livres/Lukas-Stella-Toxicomanie-marchande.pdf
    http://inventin.lautre.net/livres/Lukas-Stella-Toxicomanie-marchande.epub

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    Sans oublier tout ce qui est caché dans les réseaux informatiques de spéculations illégales, de gré à gré...

  • LA NOUVELLE MARCHANDISE DE LA CONTESTATION SPECTACLE

    "La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire."
    "Le spectacle est le discourt ininterrompu que l’ordre présent tient sur lui-même, son monologue élogieux. C’est l’auto-portrait du pouvoir à l’époque de sa gestion totalitaire des conditions d’existence."
    "L’origine du spectacle est la perte d’unité du monde."
    "Le spectacle n’est que le langage commun de cette séparation. Ce qui relie les spectateurs n’est qu’un rapport irréversible au centre même qui maintient leur isolement. Le spectacle réunit le séparé, mais il le réunit en tant que séparé."
    "L’aliénation du spectateur au profit de l’objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s’exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et
    son propre désir. L’extériorité du spectacle par rapport à l’homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représentent.
    C’est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout."
    "L’homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde."

    Guy Debord, La société du spectacle,1967 (extraits)
    http://inventin.lautre.net/livres/Debord-La-societe-du-spectacle.pdf

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    "Le culte de la marchandise disséminé par une publicité toute puissante a été intégré dans la culture."
    "Parce qu’elle n’a pas évolué par elle-même, lentement et naturellement, mais par pressions médiatiques continues, et aussi culturelles et éducatives (le soft Power), la culture marchande autoreprésentée dans une mise en spectacle de tous les instants se réalise effectivement comme une non-culture qui n’est l’expression que de l’asservissement généralisé, une aliénation nécessaire à la domination du monde par un groupuscule de privilégiés. C’est une non-culture qui désocialise les rapports humains et déstructure la société en détruisant les liens qui la composent."
    "Pour pouvoir imposer de partout sa non-culture marchande, le capitalisme a dû déposséder les individus de leurs subjectivités en les mettant en représentation dans le spectacle des objets de commerce. La vie en représentation est contemplée dans l’isolement, désagrégeant la vie sociale dont l’apparente unité n’est plus qu’affaire de spectacle et de propagandes publicitaires."
    "Nous sommes immergés dans une « société du spectacle » où les représentations ont remplacé l’expérience personnelle, directement vécue avec d’autres dans une situation particulière. Ces représentations abstraites et impersonnelles sont considérées comme la seule réalité objective."
    "Il n’y aura pas de libération ni de changement radical si l’on ne parvient pas à se dégager de l’emprise de la culture marchande inconsciente."
    "De nos jours, l’individu a constamment à composer avec l’incompréhensible, car ses projections ont à la fois augmenté son espace exploitable et rétréci son univers."

    Lukas Stella, Intoxication mentale, 2018
    http://inventin.lautre.net/linvecris.html#intoxment

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  • APPEL AUX ÉTUDIANTS & PROFESSEURS
POUR LA CRÉATION DE COLLECTIFS AUTONOMES
UNIVERSITAIRES

    « AMIS ! Quittez au plus vite ce monde condamné à la destruction. Quittez ces universités, ces académies, ces écoles dont on vous chasse maintenant, et dans lesquelles on n’a jamais cherché qu’à vous séparer du peuple. Allez dans le peuple. Là doit être votre carrière, votre vie, votre science. […] Et rappelez-vous bien, frères, que la jeunesse lettrée ne doit être ni le maître, ni le protecteur, ni le bienfaiteur, ni le dictateur du peuple, mais seulement l’accoucheur de son émancipation spontanée, l’unisseur et l’organisateur des efforts et de toutes les forces populaires. Ne vous souciez pas en ce moment de la science au nom de laquelle on voudrait vous lier, vous châtier. Cette science officielle doit périr avec le monde qu’elle exprime et qu’elle sert ; et à sa place, une science nouvelle, rationnelle et vivante, surgira, après la victoire du peuple, des profondeurs mêmes de la vie populaire déchaînée. »
    Mikhaïl Bakounine, « Quelques paroles à mes jeunes frères en Russie », (mai 1869 – in Le socialisme libertaire, Denoël, 1972, pp. 210-211)

    « Survivre, mouvement ouvert à tous, se veut un instrument pour la lutte en commun des scientifiques avec les masses, pour notre survie […] Il semble que Survivre soit le premier effort systématique fait pour rapprocher, dans un combat commun, les scientifiques des couches les plus variées de la population »
    Marc Atteia, Alexandre Grothendieck, Daniel Lautié, Jérôme Manuceau, Michel Mendès-France et Patrick Wucher. Extrait de « Pourquoi encore un autre mouvement » in Survivre n° 2/3 septembre-octobre 1970.

    
CONSIDÉRANT l’hégémonie prise par la techno-science dans l’ensemble de la société industrielle dans les domaines du savoir/pouvoir et sa fâcheuse tendance à développer des applications technologiques mortifères (modification du vivant, nanotechnologies, ville intelligente, smart-bidule, nucléaire, etc.) et des dispositifs politiques de contrôle/contrainte (reconnaissances faciales, drones, fichage généralisé, etc.)

    CONSIDÉRANT que c’est au sein de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), dans les universités, les écoles d’ingénieurs, les instituts de recherche comme le CEA et le CNRS, qu’est née et se développe actuellement cette techno-science.

    CONSIDÉRANT alors la responsabilité des chercheurs, professeurs et ingénieurs ainsi que des experts, techniciens et cadres administratifs dans cette avalanche de désastre techno-scientifique.

    CONSIDÉRANT que, depuis la fin des années 70 et la restructuration de l’économie capitaliste vers le « pouvoir dormant du savoir scientifique » (general intellect), la techno-science en tant que cadre de pensée et de production du savoir est intriquée de fait au capitalisme dans une structure triangulaire (science-industrie-armée), et qu’il convient alors de parler de « techno-capitalisme ».

    CONSIDÉRANT ce qu’il faut bien appeler à partir des années 90 une « révolution informatique » dans la production capitaliste, puis dans la production de la vie quotidienne réifiée. Et, CONSIDÉRANT que cette « révolution » est l’un des domaines-socles de la techno-science.

    CONSIDÉRANT le virage techno-totalitaire des États du capitalisme de sommet (Chine, USA, Europe) ces cinq dernières années comme matérialisation concrète et politique d’un des sous-domaines de la techno-science : la cybernétique.

    Et, CONSIDÉRANT que les « régimes d’exceptions » institutionnalisés et imposés successivement ne sont réalisables qu’à l’aide de cette science.

    CONSIDÉRANT la politique opportuniste médiatico-virale ou médiatico-terroriste de l’État pour imposer dans un laps de temps long, des privations de liberté, permettant de dissoudre les foyers de contestations des classes intermédiaires et pauvres tout en ayant le rôle du « sauveur ».

    ENFIN CONSIDÉRANT la fermeture totale des universités comme résultante de cette politique anti-subversive (les prépas, le Secondaire et les Grandes Écoles restant ouvertes).

    
Nous lançons un

    APPEL À LA FORMATION, DANS LES UNIVERSITÉS ET EN LEURS POURTOURS, DE COLLECTIFS COMBATIFS ET AUTONOMES DES INSTANCES UNIVERSITAIRES, à vocation d’émancipation, de critique sociale et d’organisation sur le long-terme.

    
PROPOSITIONS

    Croyez-vous que les nouveaux déserts silencieux et bétonnés, places fortes des « humanités numériques » et du suicide en vie digitale, nommés encore abusivement « Universités », puissent un jour redevenir des foyers de contestation, vivant et révolutionnaire ?

    Nous vivons paradoxalement une séquence historique à ne pas manquer pour qui souhaite revoir fleurir des foyers de contestations radicales et de pensées critiques chez la petite bourgeoisie universitaire. En effet, sans être nostalgiques du mai de l’année 1968 ou de la séquence de révolte étudiante entre 2006-2010, mais en envisageant froidement et structurellement ces espaces où la jeunesse-qui-a-le-temps-et-les-moyens réfléchit à sa condition et à la société qui la produit, les universités pourraient rapidement devenir des lieux remettant en cause l’ordre qu’elles génèrent.

    On pourrait penser que le gouvernement Macron a fait ce que tout bon anarchiste souhaiterait réaliser : fermer ce haut lieu de « la reproduction sociale des élites » qu’est l’Université. Cette vision, du reste assez périmée, relève d’une grande méprise : nonobstant son rôle mineur pour la formation des élites (prenez plutôt l’ENA, l’X, l’ENS, l’HEC… et Science Po Paris à la rigueur, si vous voulez voir des élites), la fermeture complète des facs en plein mouvement combo en mars 2020 (réforme des retraites & LPPR) n’est absolument pas la fin de l’Université. Cette période signe plutôt l’achèvement de sa mutation profonde. La stratégie gouvernementale française, suivant les processus néolibéraux européens amorcés en 2002 par la normalisation des diplômes (système LMD et ECTS), est la mise en place de l’Université-entreprise comme « grande marque », capable de vendre et de se faire vendre à l’export’. Une université concurrentielle pratiquant le toyotisme (pas de stockage d’étudiants), le numérique en plus.

    Le « processus de Bologne » permet à la France de finir le travail de sape de normalisation de « l’usine automatisée à cerveau » amorcé dans les années 60-70 par le pouvoir gaulliste-pompidouiste (notamment avec le principe d’autonomisation évoqué au colloque de Caen en 1966, la Loi Faure en 1968 et l’apparition du DEUG en 1973, ainsi que la création, à cette époque, des IUT, DUT, BTS). Cette refonte globale, basée sur le modèle des facs américaines, s’agrémente aujourd’hui d’un management tout bruxellois. Le modèle de l’Université Nouvelle ne doit plus s’embarrasser des étudiants « surnuméraires », de celles et ceux venus sur les vertes pelouses du Savoir pour goûter aux délices du questionnement philosophique ou pour s’initier aux rudes catégories de la sociologie politique avant de finir dans une fin de parcours de psycho (et potentiellement, le cas échéant, sur une ZAD ou dans un squat). Efficacité, sélection et transfert des cerveaux, pardon « recrutement sur le marché du travail », sont les maîtres mots, dans un flux tendu où il ne s’agit plus de passer son DEUG en 4 ans et sa thèse en 6 ! Pas besoin ici de retracer la séquence complète de la néolibéralisation de l’ESR, d’autres textes le font très bien (voir les matériaux en fin de texte).

    Ce qui est important de noter toutefois, c’est que cette dernière phase de modernisation que l’on observe depuis une décennie, est un double mouvement de digitalisation radicale (1) de l’Enseignement Supérieur (notamment avec le programme France Universités Numériques) permettant une précarisation immédiate des salariés et une future réduction drastique de la masse salariale (le confinement des universitaires est une fenêtre de tir inouïe pour parfaire cette stratégie). En même temps cette phase est la structuration finale de ce que les technocrates nomment le New Public Management (2) : un réaménagement total des instances universitaires, leurs rapprochements des marchés et des industrielles permettant de nouvelles sources de financements (fondations, partenariats-public-privé, masters privés) et une fluidité des capitaux, la fusion-concentration des directions, la formation de pôles spécifiques de recherche via les emprunts IDEX I et IDEX II, et leur mise en compétition. Cette phase de digitalisation/concentration (1) + (2), permet de diluer le nouveau « principe d’université » (si cher à Plínio Prado) fondamentalement technocratique dans sa forme et techno-scientifique dans son fond, dans tout le Réseau Technologique global (à la fois l’internet et le « market place ») : ainsi va de la « déterritorialisation » de l’enseignement via les annexes pauvres des facs, disséminées en villes moyennes mais sous tutorat des grands pôles, et du télétravail, pardon « distanciel », comme but ultime de l’apprentissage ; ainsi va de la fin annoncée des UFR ; ainsi va de la fin des livres et des BU ; ainsi va de la fin de ce service public remplacé comme tous les autres par des annexes du Grand Serveur qu’est « l’État-réseau » (Temps Critiques) avec ses terminaux de PC conviviaux… Il faut voir cette restructuration de l’ESR comme une guerre. Une guerre commerciale, rien à voir avec celle des tranchées, statique et déclarée mais plutôt comme une guerre froide où par exemple les nanotechnologies grenobloises de Minatec doivent battre les nanos de Palo Alto, avec l’aide de brevet indien ; où la robotique toulousaine du LAAS, alliée à tel géant de l’aéronautique doit surpasser la robotique de tel institut chinois, etc.

    Cette mutation des universités n’a rien d’étonnant à qui s’intéresse de près aux mutations à l’œuvre dans l’ensemble des pays du sommet capitaliste, ce que Temps Critiques nomme « société capitalisée » (État-réseaux, fluidité des infrastructures capitalistes grâce à l’outil informatique, globalisation des rapports de production…) Pour les séides de cette « révolution du capital », il était urgent de mettre les bouchées doubles sur les universités qui accusées un retard « réactionnaire » par rapport aux autres structures d’enseignement vues comme modèles de formation à la française (Grandes Écoles, Polytech, prépa). Il faut dire qu’il y reste encore des foyers de contestations en sociologie, en histoire et en philosophie, où la séparation n’est pas encore bien aboutie et où l’on a pu voir des étudiants mettre en pratique sur des barricades et dans des occup’, les leçons apprissent la veille. Gageons que le « distanciel », imposant de fait la séparation avec la vie réelle, finira le sale boulot.
    En éclaircissant ce que ce « libéralisme autoritaire » (Chamayou) produit sur les universités, il est à remarquer deux types de mutations complémentaires : une mutation économique issue des directives néolibérales européenne et un accroissement fulgurant du sécuritaire universitaire, c’est-à-dire une pensée politique de l’« anti-subversion ».
    Sans y voir un calque à une échelle plus petite, des modèles de contre-insurrection visant à imposer le « marché- libre » en Amérique latine, ce que Naomie Klein nomme « Stratégie du choc » mais que les militaires de l’époque nommaient « doctrine de la sécurité nationale », les doublets macronistes lois néolibérales/lois sécuritaires en période de guerre sanitaire en ont tout de même l’accent. L’augmentation de la puissance policière de notre « sécurité globale » et la judiciarisation à outrance des formes radicales de confrontation en plein état d’urgence, n’est pas fortuit (même si le cheval de Troie de la LPPR sur la criminalisation des perturbations de CA de fac et des occup’ n’est pas passé, l’intention est là, et ce type de mesures passera tôt ou tard si rien n’est fait). Un certain opportunisme guide nos dirigeants qui craignent de voir poindre un petit mouvement de derrière les fagots qui pourrait allier le Jaune des classes paupérisées au Noir de la petite bourgeoisie rageuse, qui sait ?

    Cette montée aiguë du sécuritaire fait suite, dans les facs, à une augmentation constante du sécuritaire universitaire depuis plus d’une dizaine d’années : annulation de la fameuse « franchise universitaire » et entrée massive des flics dans les facs, vigiles en nombre, caméra et sas de détection, biométrie, fermetures administratives préventives, judiciarisation des actions étudiantes, attaques des syndicats étudiants et des collectifs autonomes, etc.

    Ces mesures sont à mettre en parallèle de la complète ouverture des universités aux marchés : loi d’homogénéisation européenne (LMD, 2004), mise en place des appels à projets pour la recherche publique (ANR, 2005), loi de concentration et de concurrence des pôles universitaires (LRU, examinée « à la hussarde » à l’été 2008 et c’est une première à l’époque), loi de dérégulation du marché du travail (loi Travail 2016, resucée du CPE), loi de sélection, vieux rêve gaulliste (Parcours Sup, 2018) et loi managériale (LPPR, 2020). Ce double volet, maintenant assez classique en politique capitaliste, permet d’enserrer de plus en plus la jeunesse qui y étudie dans des nœuds économico-répressifs ultra tenues, sans possibilité de sortie du cadre, ni de se rebeller, la précarisation en plus.

    Se surajoute à la solution « chocale » (état d’urgence) et brutale (sécurité globale), la tactique rampante de l’école néolibérale britannique des « micropolitics ». Pas celles des intellos deuleuzien, non, l’expression est reprise aux philosophes français par l’économiste écossais Madsen Pirie et son groupe de Saint Andrews, comme une série de méthodes « douces » visant à « […] générer des circonstances dans lesquelles les individus seront motivés à préférer et à embrasser l’alternative de l’offre privée, et dans laquelle les gens prendront individuellement et volontairement des décisions dont l’effet cumulatif sera de faire advenir l’état de chose désirée. » (Dismanting the State : The Theory and Practice of Privatisation, traduit par Grégoire Chamayou dans La société ingouvernable, 2019).

    On se doute bien qu’ici, le but recherché, n’est pas la Commune Libre, mais plutôt une sorte de dystopie orwellienne libérale où dans celle-ci, a contrario des dictatures classiques, ce n’est pas la liberté et l’autonomie politique en tant que telles qui sont attaquées et dissoutes, mais les cadres de légitimité et de mise en place où celles-ci s’exercent. Par un jeu de grignotage de certains verrous législatifs, coutumiers, et moraux, grignotages vus comme « bataille-cliquet » (école autrichienne ultra-libérale Hayek, Higgs) subrepticement gagnés et propres à chaque « secteur » de l’activité humaine, se réalise le remplissage des énergies dissolvantes du capital dans toutes les stances de la vie quotidienne. Toute remise en question a posteriori est jugée vaine puisque « irréaliste » et « plus d’actualité ». De plus en plus de nouveaux choix, dans le monde de l’entreprise ou de la vie quotidienne sont plébiscités comme « nouvelles libertés » alors qu’ils sont la dissolution parfaite du choix politique dans le régime de la consommation-citoyenneté. Pour exemple de cette « technologie politique », on peut citer les nouveaux régimes de retraites où le choix est laissé individuellement au travailleur de partir avant le nouvel âge légal et de cotiser dans des fonds de pension s’il souhaite toucher plus d’argent. À l’université, les micropolitics se traduisent par exemple dans le faux choix entre « des formations d’excellences favorisant l’interdisciplinarité et les pédagogies innovantes » (Pub de l’UGA) et les filières massacrées des anciennes humanités non récupérables pour le capital (Latin, Grecs…). Où bien encore on peut citer la promotion de « l’autonomie » des facultés (LRU) alors que, depuis 20 ans, le processus de Bologne pousse à l’inverse.

    Cet achèvement époquale est aussi, comme toute mutation structurelle, un moment de fragilité du statu quo démocratique et donc, un moment délicat pour les structures politico-économiques. En reprenant la métaphore de l’insecte chère à l’économiste libéral Walter Rostow évoquant les mutations économico-politiques d’ampleur des sociétés capitalisées, c’est au moment des « mues », quand toute l’énergie est dirigée vers le changement de forme, que l’organisme est le plus vulnérable.

    En ce qui concerne le monde universitaire, la jeunesse-qui-s’oublie dans ces clapiers de 9m2 ou rentrée chez papa-maman pour télétravailler, en tout cas seule devant un écran, peut maintenant prendre le temps de se poser les questions métaphysiques du sens de la vie et des études. Elle bouillonne ! Elle fulmine ! Cette jeunesse, à tourner en rond dans sa cage écranique en attendant que ses lieux d’étude – nonobstant qu’ils sont aussi ses lieux de socialisation – ne réouvrent. Et si ça tarde trop le gouvernement sera content de leur trouver d’autres occupations forcément « éthiques » et « solidaires » en « servant la France » par exemple dans des travaux forcés dit « d’intérêt général » (aller nettoyer notre merde sur les plages ou ailleurs, ça vous passera l’envie de vous rebeller !) Ou alors le gouvernement tente le coup en traître de l’endormissement à peu de frais. Le genre de promesses mesquines des quelques miettes pécuniaires de la « revalorisation du pouvoir d’achat » des bourses etc., et dont cette saloperie condescendante du 1 € la soupe au RU en est le summum… espérons juste, qu’après tout cela, la petite pilule bleu (#Youtube,#Netflix) n’achève pas l’élan vital.

    « Lasciate ogni autonomia voi che entrate ! »

    Mais la Puissance, prise de cours et mettant toute l’énergie dans sa « mue » (les câbles et les antennes à relier, les programmes à formater, les failles du consensus à reboucher, etc.), la jeunesse dispose encore de quelques marges de manœuvre avant que son énergie soit pokeballisée de nouveau : voyez, les manifs qui reprennent de plus belle, avec les soirées interlopes et les free party, ces mouvements se mélangeant allègrement dans des lieux impromptus − parcs, hangars, terrains vagues −, sortes de « trous positifs » (Bureau d’urbanisme unitaire) où la négativité d’un rejet total de la société (se terminant souvent par de la confrontation avec les forces de l’ordre) voisine avec des pratiques créatrices : cantines populaires et vins chauds, spectacles de feu, pantomimes & clowneries, tracts, affiches, banderoles. Et là aussi les questionnements et les débats vont bon train concernant le sens à donner à cette vie qui reste confinée aux exigences économiques. La vitalité ensauvagée de la jeunesse ne peut se laisser cloisonner, et les failles sont encore nombreuses où, face à ce mur sanitaire, les élans des lycéens, étudiants et précaires débordent les assommantes punitions de papa-État.

    Les technocrates n’ont bien sûr pas que ça a faire ! Rivés devant les courbes et les paroles d’experts (le pouvoir décomposé qui se fige dans ses propres prérogatives économiques et électoralistes), ils mènent le combat historique face aux virus et surtout face à l’opinion publique. Et pendant que les flics désespèrent dans leur rôle de pervenches sanitaires (en attendant la création de « brigade sanitaires citoyenne » sur le modèle des voisins vigilants), il y a tout un monde en ébullition qui trépigne sous le masque civique du « sanitairement correct ». La société virale a beau être devant nous, les convulsions historiques ne sont pas prêtes (encore) de s’arrêter.

    Et c’est là que la question de la reprise en main des vies cloisonnées croise la critique acerbe de notre monde hautement technifié. Cela fait des années que certains collectifs crient au loup à tout-va à chaque saut technologique et sécuritaire. Sur ce, la mise en branle de collectifs et associations comme la Quadrature du Net ou Écran Total et la mise en mouvement d’idées technocritiques dans des manifs et des actions aussi diverses que contre les compteurs communicants ou le puçage des animaux, l’informatisation des bibliothèques et des CAF, permet un changement de paradigme dans la contestation vieillie portant sur « les moyens de production ».
    L’art de la critique reprend de la vigueur dans de nombreux collectifs se permettant au passage d’éditer textes, brochures, tribunes et livres. Sans compter la critique en acte, sabotages populaires de symboles de la technocratie (antennes, transformateurs, véhicules…) qui ponctue, çà et là, le quotidien morose du citoyen propre & connectée, de quelques « coupures » salutaires lui rappelant ainsi la fragilité du Progrès dignement acquit.

    C’est au croisement de toutes ces énergies aux potentialités révolutionnaires nouvelles, dans un vide tellurique, qu’il est opportun de créer des contre-lieux à l’université et ailleurs, où puissent s’y retrouver (et s’y perdre) cette vitalité.
    Dans cette période bascule, qui projette l’entièreté des relations humaines vers les fils canoniques du réseau technologique, l’ouverture de lieux pirates, où le lien réel peut se faire librement, devient la plus haute des subversions.

    Qu’ils restent cachés à l’abri des regards ou magistralement exposés comme acte d’autonomie politique (voyez cette prof de philo à Rennes qui donne des cours magistraux « interdits »), ces espaces-temps hors des temporalités virales du negotium contemporain (confinement/couvre- feux/état d’urgence/boulot/métro/chimio) sont des bases où les énergies subversives peuvent se rallier et se choyer. C’est avant tout ce genre d’initiative qu’il s’agit maintenant de renforcer ou de recréer de toute pièce, à l’intérieur des facs et sur leurs pourtours. Maintenant qu’il n’y a plus rien, c’est le moment opportun de tout faire !

    Un local associatif moribond ?, un amphi sinistre ?, une salle de TD dont on détient la clé ? un hangar désaffecté ? Même un banc abrité… De la plus petite faille dans les murs du consensus, où l’on puisse se nicher à plusieurs, quelque chose de neuf, quelque chose de l’ordre de la décence humaine, peut reprendre vie et s’expandre. Sans mensonge ni tactique partisane, il y sera salutaire d’y faire naître quelques idées nobles, ici exposées sous forme de mots-clés, aux champs interprétatifs ouverts, afin que ni les puissants, ni la propagande, ni la scélératesse vision-du-monde-actuelle (Weltanschauung), n’y puissent dominer et ceci faisant, à l’occasion de rencontre, y faire mûrir des luttes, dans de multiples, divers et non-linéaire direction. Et sache, fantôme étudiant, qu’il existe tout un Inter-monde, entre la froidure de tes amphis serviles et la chaleur bientôt suffocante des data centers qui remplissent en ce moment les écrans de ta vie, maintenant si souvent connectée.

    CRITIQUE RADICALE : La pensée critique n’est pas une sorte de posture de l’esprit, de méfiance et d’arrogance qu’il s’agirait de faire advenir dans la tête de l’étudiant et celles de ses cotumes. C’est avant tout des méthodes et techniques théoriques et pratiques qu’il faut transmettre et (ré)apprendre à se servir (enquêtes critiques, dialectique, historicisation, curiosité & précisions dans la théorie, matérialisme radical, démystification, irrévérence envers les lieux communs, les doxas et le politiquement correct, retour incessant entre la théorie et la pratique, critique en acte, confrontation, dialogue véritable et langage nouveau) « Et critiquer (avant de connoter quelque chose de négatif, le reproche ou le blâme), c’est d’abord cela : examiner, trier, nuancer (gr. tekhnè diakritikè : l’art de distinguer), passer au crible fin, en toute indépendance, telle ou telle opinion ou proposition ; rechercher les présuppositions qui s’y trouvent impliquées, y discerner ce qu’elle a de nécessaire ou légitime et ce qu’elle a d’arbitraire ». (Plínio Prado, Le principe d’université, pp. 14-15)

    OUVERTURE : Ce genre de lieu, pour ne pas péricliter, doit faire preuve de la plus grande ouverture possible. Dans un double mouvement d’enrichissement d’énergies les plus diverses possibles et de reflux vers d’autres sphères non-universitaires, cette respiration est un gage que la critique se surpasse en permanence. Cependant que l’ouverture ne signifie pas naïveté politique, à bon entendeur…

    COMMUNICATION : « La question de la communication d’une théorie en formation aux courants radicaux eux-mêmes en formation (communication qui ne saurait être unilatérale) tient à la fois de “l’expérience politique” (l’organisation, la répression) et de l’expression formelle du langage (de la critique du dictionnaire à l’emploi du livre, du tract, d’une revue, du cinéma, et de la parole dans la vie quotidienne) » (extrait du « Rapport de Guy Debord à la VIIe Conférence de l’I.S. à Paris », juillet 1966.)

    ACTION : Il est peut-être d’une évidence toute folle aujourd’hui, dans cette ère de la passivité généralisée et de la mise en avant du « symbolique », de souligner que la critique n’est pas seulement la distinction des choses et le dévoilement de leur inter-relation, mais bien plus leur combat dans ce qui paraît être la mise en acte d’une théorie, sa concrétion. Ainsi toute critique véritable contient en elle le sens de la négation.

    ACRATIE : Critiquer le pouvoir comme sujet abstrait ne suffit pas. Il est nécessaire pour que ces lieux ne dépérissent pas en groupuscules ultra-gauchistes ou en vitrine subversive de l’institution (cf. Vincennes), qu’ils s’inscrivent dans le dénuement de puissance. En se mettant dans une optique de ne pas chercher les rapports de pouvoir (pas de hiérarchie, pas d’individualisation des tâches, pas de grosses structures et de financements conséquents), une attention particulière de tous les instants sera portée sur les savoirs/pouvoirs, concentrés et diffus, présents en ces lieux. Sur cette base, tout ce qui s’organise doit le plus possible négliger les fonctions et le fonctionnalisme, les spécialités, les rôles d’experts et dynamiser les formes tournantes de pratiques organisationnelles et politiques en intégrant de manière simple (cf. OUVERTURE) les personnes qui ne sont pas du milieu universitaire.

    AUTONOMIE : Il peut être important de souligner que c’est dans ce haut lieu aliénant, tant pour ses travailleurs que pour ces clients-usagers, qu’est l’Université moderne (et nonobstant sa production des moyens de l’aliénation), qu’il est primordial de développer l’autonomie comme le sens aigu d’auto-formation de ses propres bases politiques et matérielles. Là est le socle de ce qui peut renverser radicalement, le rapport d’exploitation et de domination. Et cela ne peut advenir que par des mouvements réels et combatifs de personnes se sentant en lien et formant des fronts de lutte ouverts. Ceci rejoint les points sus-cités.
    AMITIÉ : Si les sociologues ont inventé le « lien social » afin de l’étudier, il convient de ne rien inventer du tout et d’imaginer nos rencontres futures comme de potentielles amitiés fécondes.

    Au point où nous en sommes, il convient de ne pas oublier une chose importante : si la techno-science et ses thuriféraires sont nos ennemis déclarés, le but final de ces énergies que nous appelons à voir revenir dans les universités, ne peut être voué à retomber dans les mêmes travers d’efficacité et de réification de l’homme que la techno-science propose. Bien au contraire, l’absence de visée, c’est-à-dire l’absence d’efficacité gestionnaire et technique pour une supposée délirante « augmentation de la puissance » (qui signifierait un surcroît dans la gouvernance autoritaire) ou encore pire d’ « empouvoirement » (qui signifierait au final, qu’on le veuille ou non, un surcroît de pouvoir, c’est-à-dire dans le monde technifié, une amplification de la domination par des machines et des « technologies politiques »), doivent être au centre des attentions. Sans parler de récupération (aborder dans la proposition suivante), il faut se méfier des opportunistes et de la pensée mesquine entrepreneuriale, pressante aux encolures dans le milieu universitaire : aérosol macroniste imbibant l’air de notre temps, d’acquisition de « compétences », de « skills », et de « plan de carrière ».

    Cette pensée ne date pas de Jupiter et est l’une des marques de fabrique de la petite-bourgeoisie intellectuelle, cette couche sociale des petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces « services » dont le système productif actuel a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement et pseudo-critique. Au sein de la machine, cette classe a pour fonction la « reproduction » du capital via la maintenance et l’amélioration de la technostructure. Et ce sont pendant les moments de « flottements » de la machine, quand le programme central reboot et où les élans de jeunes étudiantes et étudiants encore non totalement encadrées, encastrées dans cette couche, parviennent à s’unir collectivement, qu’il peut se passer des choses intéressantes.

    Et en même temps, il faudra en permanence se méfier de nous-même (autocritique) dans la tendance à l’utilisation du savoir dans la société technique et gestionnaire qu’est la nôtre, c’est-à-dire sa transformation consubstantielle en pouvoir. L’hubris nous mène par le bout du nez et, il serait alors facile, pour une institution universitaire, de nous tendre la perche au moment opportun, nous proposant une petite place dans l’ascenseur social universitaire (start-up, place administrative, business plan, subvention, salaires, BDE, CA, CVU, etc.)

    Car la récupération est une pratique vivace à l’université, en recherche constante d’innovation et de trouvaille humaine. C’est sa fonction principale d’ailleurs, elle qui doit alimenter en chair humaine, brevets, et savoirs frais le ventre jamais repu du Moloch, il ne faudrait pas l’oublier. Tout le monde « récupère » à la fac : d’un chercheur récupérant les travaux d’un collègue sans citer sa source, d’un startuppers piquant une découverte non-breveté, d’un techno essayant de faire fortune en fouillant dans les arrières-cours des découvertes passées, d’une administration pompant librement l’énergie de ses jeunes vacataires, tout ça est le commerce normal d’une « communauté du crime » qui ne dit mot.

    Les syndicats et partis politiques eux aussi en sont de la partie ! toujours aux aguets pour renflouer les caisses et enrégimenter – en jouant sur la corde sensible de la « solidarité » et en agrémentant leur tract de terme à la mode apprit hier de leurs aïeux sociologues pompeux et bien en chaire – quelques étudiants de bonne volonté voulant mettre leur rage, leur énergie et leur dégoût de la société dans une organisation qu’il juge libératrice. Et puis c’est comme chez papa-maman, on nous apprend des choses, on nous donne des ordres, il y a un cadre, des règles, des punitions et des récompenses, on nous donne un nouveau corpus de légitimité et en avant la troupe, drapeau et pancarte au vent !

    Et force est de constater que, depuis 2016, le désert politique croît sur les campus, malgré quelques actes téméraires relevant de la bravoure, la pensée de l’autonomie politique a pratiquement disparue des débats en AG. Ce désert est tout encadré et propagé d’un côté par la gauche réformiste issue en grande part des syndicats d’enseignants, aux méthodes corpo et paternalistes, qui ne se bougent les fesses qu’une fois l’an, quand une loi vient chatouiller d’un peu de trop près leur bagne climatisé pour en modifier la température de quelques degrés Celsius ; et de l’autre par ce communisme de caserne, à l’autoritarisme à peine caché, qui prend vraiment les étudiants pour de la piétaille, qu’il faudrait abêtir par des slogans simples et redondants afin de provoquer mécaniquement ce qui s’appelle dans le jargon de l’« agitation » (mais pourquoi au fait ?) Bien entendu, les deux tendances faisant semblant de se haïr, tout en chérissant de tout leur effort et par pur intérêt ce consensus démocratique, qui permet un recrutement constant d’adhérents, des postes dans les conseils, un droit de parole illimité dans les AG et une mainmise en général sur les affaires universitaires. Les stratèges sont là, en position sur les parvis des BU, distribuant leur tract saupoudré d’un verbiage adaptable aux clients potentiels. Il est dur dans ces conditions, même pour un esprit sain, d’y voir clair dans leur jeu de dupe. Au moins, à l’époque du GUD, il était plus facile de passer de la critique des mots à la barre de fer, maintenant cela passerait pour de « l’anti-démocratisme ».

    Au principe d’amélioration des conditions présentes dont la communauté universitaire se targue de porter comme une de ces valeurs première, il convient donc de substituer celui de négation et ses variantes sur la base du NON : non-compromission, non-construction, non-amélioration, non-légifération, non-travail. Dans les conditions présentes, la loi de Gabor jusque-là jamais démentie, il n’est en aucun cas possible de croire que la posture aristo du « savoir pour le savoir » peut viser à un quelconque débordement des institutions universitaires.

    Dans le techno-capitalisme tout part du pouvoir et tout lui revient (en droit). La prétention à l’élévation humaniste et encyclopédiste a doublement failli tout simplement parce que ses bases sont fausses : en séparant le savoir (gr. épistémê) vu comme universel, de la société particulière qui le produit, le chercheur à l’ère industrielle (gr. technê mekhanê) a toujours substitué la question du « Pourquoi » philosophique à celle du « Comment » ingénieuriale, poussé de toute part pour trouver « les moyens de… ». L’ « intellect général » est un des maillons essentiels au développement acharné des forces techno-capitalistes, et le « savoir » jamais neutre, se fructifiera tôt ou tard en pouvoir et puissance. La société qui produit en même temps les conditions d’un savoir hautement aboutit techniquement et complexe, est aussi celle qui permettra son utilisation de manière mortifère. Ou dit autrement, le savoir produit dans le cadre scientifique moderne, contient déjà en lui la propension à son utilisation, capitaliste et technologique. La recherche scientifique est un Janus mortifère qu’il faut maintenant regarder en face !

    Et donc, il ne s’agira pas ici, d’inculquer du savoir mais seulement de retrouver le goût de vivre librement et de pratiquer la vie, la critique en acte, c’est-à-dire de trouver et retrouver ce qui actuellement et par le passé, permet et a permis a tant de gens de sortir de l’ornière et de comment ils se sont organisés (ou pas) pour le faire.
La mise en pratique effective de ces « universités autonomes » est la vie collective qui se développe dans ce genre de lieu, ce que l’on a envie de voir pousser et effectivement, ça pousse de toutes parts ! Il est à parier que si ce genre de lieu arrive à vivre, les âmes re-ennoblies par les nouveaux liens amicaux et la poussée collective, se sentent vite à l’étroit dans les murs qui les enserres et que se propagent – au moment où les regards se tournent ailleurs – des négativités fécondes sur les bancs (démontés) des amphis et les bureaux bordélisés des chercheurs.

    Que cela soit clair, il n’est pas question de recréer ici des « techniques politiques » de management, de formation ou de direction de « lutte émancipatrice », ou bien encore de viser à un quelconque résultat en termes de « gain de puissance » ou de « bataille à gagner ». Le but de cet appel est de faire sortir de
ses gonds la sinistrose universitaire sans en passer par le pouvoir ; d’arriver à proposer des pistes hors normes permettant des dépassements internes. Parce qu’on ne peut rester sur les acquis d’une supposée force motrice universitaire issue des mouvements passés, qu’elle s’appelle « université alternative », « fac autonome », « cours alternatifs », « espace autogérée » ou tout autres vocables de l’altérité.
    Culturellement, cela passe par la démolition, une bonne fois pour toutes, de la culture élitiste, fille du mythe des « humanités libératrices » et de cet intellectualisme, un brin pédant, un Foucault dans une main et un iPod X dans l’autre, érigeant leur misère comme « style de vie ».

    Et structurellement, contrairement à la ghettoïsation maintes fois opérées par les technocrates (c.f. « le ghetto expérimental » de la fac de Vincennes), il est impérieux de ne jamais se faire déborder par la gauche par les institutions de la marchandise intellectuelle. Si « ça marche », si l’appétit de l’alternative botte les colporteurs de l’Université moderne, c’est que la critique s’est essoufflée et ne produit plus que le reflet d’elle-même, sa représentation comme traduction du vivant en « concept » alors maintenant « mastrerisable » et pouvant se vendre comme bonne came dans des séminaires de sociologie ou de linguistique créative. « On reconnaît la théorie critique exacte en ce qu’elle fait apparaître ridicule toutes les autres » disait un jour un alcoolique notoire.

    Au plus proche des réalités merdiques du monde, l’acte de la critique pour être vivant, doit faire coïncider dans un même mouvement, l’observation précise et sans compromission des mécanismes de la société, à la critique en acte, réelle et communicative, de ces mêmes mécanismes. Tâchons de ridiculiser ces universitaires ès luttes sociales en luttant dans leur cours, à la place de leur cours. Et s’ils ne font plus que du distanciel ? no matter, la lutte est de toute façon dans la vie réelle.

    « Les résidus de la vieille idéologie de l’Université libérale bourgeoise se banalisent au moment où sa base sociale disparaît. L’Université a pu se prendre pour une puissance autonome à l’époque du capitalisme de libre-échange et de son État libéral qui lui laissait une certaine liberté marginale. Elle dépendait en fait étroitement des besoins de ce type de société : donner à la minorité privilégiée, qui faisait des études, la culture générale adéquate avant qu’elle ne rejoigne les rangs de la classe dirigeante dont elle était à peine sortie. D’où le ridicule de ces professeurs nostalgiques, aigris d’avoir perdu leur ancienne fonction de chiens de garde des futurs maîtres pour celle, beaucoup moins noble, de chien de berger conduisant, suivant les besoins planifiés du système économique, les fournées de “cols blancs” vers leurs usines et bureaux respectifs. Ce sont eux qui opposent leurs archaïsmes à la technocratisation de l’Université, et continuent imperturbablement à débiter les bribes d’une culture dite générale à de futurs spécialistes que ne sauront qu’en faire. » (De la Misère en milieu étudiant…)

    QUELQUES MATÉRIAUX POUR UNE SUBVERSION DE L’UNIVERSITÉ

    – L’Université désintégrée, la recherche grenobloise au service du complexe militaro-industriel, groupe Grothendieck, Le Monde à l’envers, 2021.

    – « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? » Alexandre Grothendieck, 1972. Disponible sur https://sniadecki.wordpress.com (Retranscription de la conférence-débat donnée à l’amphithéâtre du CERN, le 27 janvier 1972.)

    – Survivre et Vivre, Critique de la science, naissance de l’écologie, coordonnée par Céline Pessis, l’Échappée, 2014. Compilation de texte de la revue subversive d’écologie radicale dont Alexandre Grothendieck fut un membre très actif. L’introduction de Céline Pessis (qui reprend le texte de son mémoire : Les années 1968 et la science, Survivre… et Vivre, des mathématiciens critiques à l’origine de l’écologisme) est très bien documenté sur le contexte historique et politique du milieu scientifique des années 70.

    – Toulouse nécropole, spécialités locales pour un désastre global, La commune des mortel-le-s, 2014, disponible sur www.IATAA.info/toulouse-necropole et toulouse.necropole@riseup.net.

    – « La politique universitaire depuis 1968 », Patrick Fridenson, 2010, https://www.cairn.info/revue-le- mouvement-social-2010-4-page-47.htm Article universitaire très détaillé sur les différentes réformes des universités. Tableau clinique rigoureux et politique des gouvernements avec l’ESR.

    – « A quoi bon l’université », Antonia Birnbaum, Lundi matin n° 57. Un témoignage sincère et brut de décoffrage sur une prof de philo à la fac et sur la question de la persistance de l’Université.

    – « Université : la changer ou l’achever ? », Anne Steiner, 2014 sur https://sniadecki.wordpress.com (très bon concernant les rapports de classe et lien entre l’université et l’économie capitaliste).

    – « Étudiez, y’a rien à voir ! » brochure, Éditions Autonomes de Nanterre, 2010.

    – Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Raoul Vanegeim, 1967. Pour sentir toute la fraîcheur de la révolte de Mai 68 et en même temps pour mieux comprendre la société du spectacle.

    http://inventin.lautre.net/livres/Vaneigem-Traite-de-savoir-vivre.pdf
    http://inventin.lautre.net/livres/Vaneigem-Traite-de-savoir-vivre.epub

    – De la Misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier, Association Fédérative Générale des Étudiants de Strasbourg, 1966.

    https://infokiosques.net/spip.php?article14
    http://inventin.lautre.net/livres/De-la-misere-en-milieu-etudiant.pdf
    http://inventin.lautre.net/livres/De-la-misere-en-milieu-etudiant.epub

    – Révolution dans l’université, quelques leçons théoriques et lignes tactiques tirées de l’échec du printemps 2009, éditions La ville brûle, 2010.

    – Le principe d’université, comme droit inconditionnel à la critique ; Plínio Prado, Éditions lignes, 2009. Disponible gratuitement en ligne. Quelques passages intéressants même si c’est à chaque fois pareil avec les faqueux, dès qu’ils veulent contester l’université, ils retombent dans cette espèce d’archaïsme bourgeois et ne voient pas que leur « principe d’université » émancipateur et libéral (Humbolt et tutti quanti) est le paravent qui cache le principe d’université moderne à savoir : la technoscience.

    GROUPE GROTHENDIECK, HIVER 2020-2021.

    Vous pouvez nous contacter et nous demander la version brochure sur :

    groupe-grothendieck@riseup.net


    https://lundi.am/Appels-aux-etudiants-et-professeurs

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  • Plein F.H.A.R. sur nos révolutions
    https://www.youtube.com/watch?v=Dhnpsd-9Bko&feature=youtu.be

    Nous sommes en France, en 1971. Alors que l’administration publique est interdite aux homosexuel.le.s, qu’être homosexuel.le est synonyme de marginalité et de clandestinité, s’exposer et militer, c’est avant tout prendre des risques. Pourtant, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire se structure en rompant avec la discrétion et la respectabilité prônées par Arcadie, le seul mouvement « homophile » de France (créé en 1954 par André Baudry). C’est à ce moment-là que le journal TOUT (dont le directeur est Jean-Paul Sartre) offre 4 pages aux camarades du F.H.A.R. qui participent habituellement à sa rédaction, afin qu’ils et elles puissent s’exprimer sans tabou sur la libre disposition de son corps. Suite à cela, le FHAR recevra de nombreuses lettres... Source : Radio Chez Moi / Creative Queer (...)

  • CRITIQUE DU SYNDICALISME

    L’heure du syndicalisme révolutionnaire est passée depuis longtemps, parce que, sous le capitalisme modernisé, tout syndicalisme tient sa place reconnue, petite ou grande, dans le spectacle de la discussion démocratique sur les aménagements du statut du salariat, c’est-à-dire en tant qu’interlocuteur et complice de la dictature du salariat.
    À partir du moment où le syndicalisme et l’organisation du travail aliéné se reconnaissent réciproquement, comme deux puissances qui établissent entre elles des relations diplomatiques, n’importe quel syndicat développe en lui-même une autre sorte de division du travail, pour conduire son activité réformiste toujours plus dérisoire.

    Guy Debord, Critique du syndicalisme, 1980 (extraits)
    http://inventin.lautre.net/livres/Debord-Critique-du-syndicalisme.pdf

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    Jusqu’ici, les syndicats ont envisagé trop exclusivement les luttes locales et immédiates contre le capital. Ils n’ont pas encore compris parfaitement leur force offensive contre le système d’esclavage du salariat et contre le mode de production actuel.

    Résolution écrite par Karl Marx, adopté au 1er Congrès de l’Association internationale des travailleurs à Genève en 1866

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    Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Elles manquent en partie leur but dès qu’elles font un emploi peu judicieux de leur puissance. Elles manquent entièrement leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat.

    Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865 (extrait)

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    Les syndicats et les partis politiques forgés par la classe ouvrière pour sa propre émancipation sont devenus de simples régulateurs du système, propriété privée de dirigeants qui travaillent à leur émancipation particulière et trouvent un statut dans la classe dirigeante d’une société qu’ils ne pensent jamais mettre en question. Le programme réel de ces syndicats et partis ne fait que reprendre platement la phraséologie « révolutionnaire » et appliquer en fait les mots d’ordre du réformisme le plus édulcoré, puisque le capitalisme lui-même se fait officiellement réformiste.

    La critique unitaire du monde est la garantie de la cohérence et de la vérité de l’organisation révolutionnaire. Tolérer l’existence des systèmes d’oppression (parce qu’ils portent la défroque « révolutionnaire », par exemple), dans un point du monde, c’est reconnaître la légitimité de l’oppression. De même, si elle tolère l’aliénation dans un domaine de la vie sociale, elle reconnaît la fatalité de toutes les réifications.

    La mise en spectacle de la réification sous le capitalisme moderne impose à chacun un rôle dans la passivité généralisée.
    La réification marchande est l’obstacle essentiel à une émancipation totale, à la construction libre de la vie.

    Des membres de l’internationale Situationniste et des étudiants de Strasbourg, De la misère en milieu étudiant, 1966 (extraits)
    http://inventin.lautre.net/livres/De-la-misere-en-milieu-etudiant.pdf

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    • Autonomie ouvrière & syndicat

      https://vosstanie.blogspot.com/2019/12/autonomie-ouvriere-syndicat.html

      Le syndicat, tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’est plus l’organisation des travailleurs en lutte contre l’exploitation. Dans le monde contemporain, il est devenu la grande institution de l’encadrement des travailleurs dans la dynamique du capitalisme.

      Il s’agit d’une fonction structurelle qui ne peut être confondue avec le fait que certaines directions syndicales soient plus ou moins combatives, ou plus ou moins #pelegas [1].

      Quand le capitalisme est entré dans sa phase monopoliste, la planification de l’économie est devenue une exigence pratique.

      Les capitalistes ont créé leurs organes de planification des aspects de la production et de la circulation des produits. Vint ensuite la nécessité de planifier la répartition de la main-d’œuvre, et son niveau de salaire. Ces organismes sont les syndicats d’aujourd’hui.

      Le syndicat est souvent compris comme l’organisation des travailleurs pour la défense de leurs salaires. Alors que les classes capitalistes cherchent à augmenter le taux d’exploitation des travailleurs, les syndicats cherchent souvent à le réduire avec des augmentations de salaire.

      Lorsque cela se produit, nous pouvons dire qu’en terme de plus-value absolue (augmentation des heures de travail, réduction des salaires) le syndicat est en train de défendre les travailleurs.

      Mais en termes de plus-value relative (modernisation des machines, augmentation de l’intensité du travail), les syndicats finissent toujours par céder aux intérêts du capital. Si la reproduction du capital est basée sur l’augmentation permanente de la productivité, sur le passage constant de la plus-value absolue vers la plus-value relative, nous avons que les buts ultimes des syndicats coïncident avec ceux du capitalisme.

      Note

      [1] Vient de Pelego : Le terme a été popularisé dans les années 1930 au Brésil . Dirigeant syndical - corporatiste proche du gouvernement Getúlio Vargas - est passé dans le langage courant comme traître et allié du gouvernement et des patrons. Un « jaune ».
      #vosstanie

  • APPEL DE "GILETS JAUNES" DE L’EST PARISIEN

    Nos gilets ne sont plus des tenues de sécurité routière ; ils sont devenus le signal du ralliement de la contestation globale de l’ordre en place. S’ils scintillent, ce n’est pas pour alerter les autorités sur une quelconque urgence ou détresse sociale. Nous ne les avons pas mis en réclamation de quelque chose au Pouvoir. Le jaune de nos gilets n’est pas celui coutumièrement accolé à la traîtrise par le mouvement ouvrier. La couleur de cet habit, c’est celle de la lave de colère que le volcan de la révolution sociale, en sommeil depuis trop longtemps, commence à recracher. Il n’est jaune que parce qu’il embrasse le rouge.

    Sous cette appellation « gilets jaunes », un titan se réveille à peine, encore groggy par le coma dans lequel il fut plongé durant plus de quarante ans. Ce colosse ne sait plus comment il s’appelle, ne se souvient plus de son histoire glorieuse, ne connaît pas le monde où il ouvre les yeux. Pourtant, il découvre, à mesure qu’elle se réactive, l’ampleur de sa propre puissance. Des mots lui sont soufflés par de faux amis, geôliers de ses songes. Il les répète : « français », « peuple », « citoyen » ! Mais en les prononçant, les images qui reviennent confusément du fond de sa mémoire jettent un trouble. Ces mots se sont usés dans les caniveaux de la misère, sur les barricades, les champs de bataille, lors des grèves, au sein des prisons. C’est qu’ils sont du langage d’un adversaire redoutable, l’ennemi de l’humanité qui, depuis deux siècles, manie magistralement la peur, la force et la propagande. Ce parasite mortel, ce vampire social, c’est le capitalisme !

    Nous ne sommes pas cette « communauté de destin », fière de son « identité », pleine de mythes nationaux, qui n’a pas su résister à l’histoire sociale.
    NOUS NE SOMMES PAS FRANÇAIS.

    Nous ne sommes pas cette masse faite de « petites gens » prête à s’allier avec ses maîtres pourvu qu’elle soit « bien gouvernée ».
    NOUS NE SOMMES PAS LE PEUPLE.

    Nous ne sommes pas cet agrégat d’individus qui ne doivent leur existence que par la reconnaissance de l’État et pour sa perpétuation.
    NOUS NE SOMMES PAS DES CITOYENS.

    Nous sommes ceux qui sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre, ceux dont la bourgeoisie tire ses profit en les dominant et en les exploitant. Nous sommes ceux que le capital, dans sa stratégie de survie, piétine, sacrifie, condamne. Nous sommes cette force collective qui va abolir toutes les classes sociales.
    NOUS SOMMES LE PROLÉTARIAT.

    Conscients de nos intérêts historiques, nous avertissons que :

    • Le mouvement des gilets jaunes sera vaincu s’il s’obstine à croire que les intérêts des travailleurs sont conciliables avec ceux des patrons. Cette illusion produit d’ores et déjà des dégâts car Macron se sert d’elle afin de retourner la contestation contre les exploités. Les pauvres capitalistes – dépeints opportunément sous les traits des capitalistes pauvres : les petits entrepreneurs, artisans et autres autoentrepreneurs – victimes des « charges » sociales, partageraient le même sort que leurs employés. Il faudrait donc globalement les épargner et se borner à demander l’aumône aux plus gros d’entre eux. Cela permet au Pouvoir de nous injurier tout en feignant de répondre aux revendications. La prétendue hausse du SMIC ne sera payée que par les salariés. L’annulation de la hausse de la CSG masque le maintien de la réduction des pensions de retraites des plus pauvres.

    • À partir de cette approche biaisée, une fraction des gilets jaunes affirme qu’un État moins dispendieux permettrait d’alléger la charge fiscale qui écrase les entreprises ; l’activité serait ainsi relancée et chacun y trouverait son compte… Cela est un mauvais conte de fée. Car ce n’est pas l’État qui étouffe les petits capitalistes mais d’abord la loi de la concurrence qui les fait exister et grâce à laquelle ils peuvent prendre des parts de marché, c’est- à- dire se développer. Le problème social étant ainsi mal posé par le mouvement de sorte que « l’État mal gouverné » est ciblé en lieu et place du système capitaliste, le programme gouvernemental de démantèlement de « l’État social », au nom de « l’optimisation de l’action publique », s’en trouve consolidé. Les politiques de prédation sociale qui consistent à supprimer la redistribution des riches aux pauvres, jusque là effectuée par le biais de la sécurité sociale et des services publics, sont ironiquement confortées. De même, les mesures de réduction du salaire global, en comprimant le salaire différé (retraite, allocations chômage… ) sont dès lors justifiées. On donne le bâton pour se faire battre.

    • Dans cette optique, qui fait la part belle à l’équilibre économique pourvu qu’il soit bien géré, ce qu’il y a de mauvais dans l’économie ne peut être apporté que de l’extérieur : l’État fiscal, l’Union européenne, la « Finance » « cosmopolite » (et derrière sont parfois désignés les « juifs » et les « illuminatis ») , les immigrés. La mécompréhension ou le refus d’admettre cette criante vérité que c’est le capitalisme – comme système de production de la richesse à partir de l’exploitation du travail humain – qui est en crise, ouvre grand la porte aux formes réactionnaires de sauvegarde de l’ordre en place. Dix ans d’activisme d’extrême droite sur internet pèsent lourdement sur ce suicidaire état de confusion dans lequel nombre de gilets jaunes croient discerner une solution à leurs maux.

    • Parmi ces « solutions », le Référendum d’Initiative Citoyenne, promu depuis longtemps par la fachosphère et qui a fini par rallier les suivistes mélenchoniste, est une fumisterie permettant d’étouffer la question sociale sous une tambouille institutionnelle. Cet aménagement démocratique ne réglerait rien, quand bien même il serait adopté. Il étirerait juste l’élastique électoral tout en maintenant le rapport entre les classes sociales – ses conditions ainsi que ses enjeux – avec en sus la fortification du réformisme juridique, ce parent pauvre du déjà illusoire réformisme économique. Cela reviendrait à cautionner un peu plus directement l’asservissement ordinaire.

    Conscients de nos tâches, nous constatons que :

    • Le mouvement des gilets jaunes s’arrête aux portes des entreprises, c’est-à-dire là où commence le règne totalitaire du patronat. Ce phénomène résulte de différents facteurs. Retenons- en trois : 1 ) L’atomisation de la production, qui voit un grand nombre de salariés travailler dans des (très) petites entreprises où la proximité avec l’employeur rend très difficile la possibilité de faire grève. 2) La précarité d’une grande partie des salariés, qui détériore gravement leur capacité à assumer une conflictualité dans les boîtes. 3) L’exclusion et le chômage, qui placent en dehors de la production bon nombre de prolétaires. Une grande partie des gilets jaunes est directement concernée par au moins l’une de ces trois déterminations.

    • L’autre composante du salariat, celle qui bosse dans les grandes sociétés et qui dispose d’une meilleure sécurité de l’emploi (CDI et statut) paraît être sous cloche, sur laquelle la puissante force du mouvement se rompt comme la vague sur le rocher. Un traitement particulier, composé d’efficience managériale et de honteuse collaboration syndicale, est réservée à cette frange de la population travailleuse. La bourgeoisie a bien compris que cette catégorie des travailleurs a le pouvoir de frapper la production capitaliste en son cœur, par la grève générale illimitée. C’est pour cela qu’elle consolide la pacification en donnant des sussucres en formes de « primes de fin d’année exceptionnelles ».

    Conscients de notre but, nous affirmons :

    • Nous reconnaître dans les appels des gilets jaunes de Alès, de Commercy et de Saint Nazaire, dont le souci de refuser toute organisation hiérarchique, toute représentation, et de cibler les capitalistes, est pour nous le signe de la voie à emprunter.

    • Vouloir briser les verrous idéologiques, managériaux et syndicaux, qui maintiennent le mouvement des gilets jaunes en dehors de la production. Nous devons employer l’extraordinaire force doublée de détermination que ce mouvement développe pour réaliser ce que des millions d’exploités souhaitent depuis tant d’ années, sans jamais y être parvenus : paralyser la production de l’intérieur, décider des grèves et de leur coordination en assemblées générales, unir toutes les catégories de salariés, dans une même optique de renversement du système capitaliste et de réappropriation de l’appareil de production. Mettons fin à l’oppression hiérarchique, capitaliste et étatique.

    • Vouloir discuter dès maintenant de la grève, de son déclenchement, de son extension, de sa coordination.
    Contactez-nous, Rejoignez-nous !

    gilets-jaunes-revolutionnaires@protonmail.com

  • LA SORTIE, C’EST PAR OÙ ?
    À propos de la sortie de l’économie et du capitalisme.

    Dans Snowpiercer, le Transperceneige réalisé par Bong Joon-ho, sorti en 2013, et inspiré de la bande dessinée de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, il est question d’un train lancé autour de la terre à très vive allure.
    Aucune existence n’est possible hors du train, et son arrêt est impossible, car le niveau de température extérieure n’autorise que la mort immédiate. Les conditions climatiques terrestres sont la conséquence du délire humain et les survivants sont confrontés à l’intérieur du train, à une gestion totalitaire de la division sociale.

    Ce train qui roule sur de vétustes rails, manque à chaque boucle de terminer sa course folle dans le prochain précipice. Tous sont tôt ou tard finalement condamnés.
    S’en suivra le souhait de ceux de l’arrière (c’est-à-dire d’en bas) de rejoindre la tête du train et ses wagons luxueux pour peut-être prendre le contrôle de ce dernier. Cela est-il possible ? Le train ne risque-t-il pas de dérailler, et finalement d’aboutir à la mort de tous ? Est-ce que cette initiative de ceux de l’arrière pour la conquête de la tête du train changera fondamentalement quelque chose à la vitesse du train à son économie interne ?
    Et « dehors » ? Peut-être que le froid n’est pas si mortel ?

    Il est tout à fait possible d’établir des comparaisons entre le train de ce film et le capitalisme, et d’y voir peut-être une forme de dénonciation ou les classes sont explicitement présentées et mises en « scène ».
    La critique écologiste n’est pas très loin ainsi qu’une « vision » idéologique que l’on a eu pour habitude de qualifier de « décroissantiste » [1] ceci selon notre interprétation et qui nous semble presque évidente.

    Au-delà de la problématique dramatique et donc de la chute possible du train / capital, qu’est-il possible d’entrevoir ? Quel « possible » peut-on projeter dans des conditions de catastrophe ?
    De ces premières interrogations s’en dégagent alors d’autres - peut-on ou doit-on « sortir » du capitalisme. Mais comment peut-on / doit-on sortir de ce train ? et la méthode utilisée pour « sortir » du train dans le film est-elle à proprement parler quelque chose qui relève du « sortir » ?

    Mais, finalement, notre véritable questionnement ne tourne-t-il pas autour de la notion de la « sortie » où du « sortir » ? C’est à dire de la « sortie du capitalisme » ou de « sortie de l’économie » mais est-ce simplement concevable ? Ou possible ? Car enfin est-il possible de sortir du capitalisme et du monde marchand ? Ceci dans l’acception littérale de la proposition.

    On ne fera pas de grande démonstration pour expliquer ici que, finalement, il est plus aisé de sortir d’un train que de sortir du capitalisme. Bien sûr le Transperceneige n’est pas n’importe quel train, il est le seul qui roule dans le film, et pour s’en rendre compte, il suffit de le regarder et de suivre notre propos ou d’accepter nos présupposés.

    PAR ICI LA SORTIE ! DANS LE TRAIN.

    Le train file, non comme une métaphore mais comme une comparaison, celle du capitalisme. [2] Sa logique interne est celle du capital. Monter dans un train a priori est une chose facile, on y entre en fonction du départ, et peut-être que finalement tout se joue au moment de l’arrivée, où le train s’arrête, car parfois la sortie de la gare est à l’avant. On aura peut-être préféré le milieu du train au cas où, quelquefois, on ne sait jamais...

    S’il est très aisé d’identifier la population qui se trouve en queue de train comme le prolétariat, il en est tout autant de comprendre la traversée de toutes les rames pour rejoindre l’avant. La tête, devant, forcément.
    Ce qui s’impose à cette population sans espoir, c’est ce combat vain et orchestré [3] ceci jusque dans sa quête de l’avant. Elle se révèle encore plus effroyable pour ceux qui sont parés de cette si fine et belle critique du capitalisme. Car enfin quelle idée de vouloir prendre la tête d’un engin incontrôlable ou rien n’est possible pas même son arrêt ?

    L’espoir du but probablement. Mais cet objectif n’est pas sans un chemin, construit de solidarité de trahisons et de combats. Il s’agit de quelque chose qui nous indique que nous ne sommes pas morts à « l’arrière » sans rien faire à attendre de crever de toute façon. Il est question aussi d’exister peut-être encore un peu.
    Dans ce faux fléchage sur la nécessité (vaine) de prendre les leviers d’une machine folle qui finira d’ailleurs tôt ou tard par dérailler, se dégagent d’autres pistes. Sont-elles tout aussi fausses ?

    Regarder par la fenêtre d’un train.

    Dehors c’est de l’autre côté de la vitre. Peut-être n’est-il pas moins compliqué de le faire que dans la cage d’acier de Max Weber ? Bien qu’il n’ait jamais clairement spécifié si celle-ci comportait quelques ouvertures.
    Dans cet éternel retour de boucle glaciale, impossible de mettre son nez dehors c’est la mort immédiate, certaine.
    Que faire alors ? Si la quête de l’avant est vaine que reste-t-il comme solution ? Peut-on avoir une initiative ?

    UNE « VOIE » POUR DE LA SORTIE ?

    Pendant leur traversé du train et les différents affrontements avec des hordes lourdement armées au service de l’avant, le héros du film et ses complices font la connaissance d’un personnage ne parlant pas la même langue que la leur. Drogué à une substance tout aussi étrange qu’il est étranger, il est l’un de ceux qui a compris que peut-être, dehors le froid n’est pas si neptunien. Mais contrairement aux autres, il ne pense pas que la sortie se trouve devant, tout droit ou dans le contrôle d’un train qui finalement se trouve être sans véritable pilote, sinon un superviseur qui se charge d’alimenter la « bête » à vapeur.

    Ce personnage aussi lucide que suicidaire n’entrevoit pas de « sortie » à proprement parler sinon de faire exploser la porte avant du train au risque de le faire dérailler, et que tous périssent. On ne peut dénier à ce personnage d’entrevoir un peu cet espoir nihiliste pour les autres. À quoi bon continuer à bord ? Et pour quel monde clos ? Fût-il finalement à demi respirable.

    Peut-on faire un parallèle politico-philosophique sur cette « sortie » dans le film, même si elle est un peu plus « suicidaire » dans la démarche et plus heureuse au final, avec ce que nous propose l’idéologie de la Décroissance, du pas de côté [4] de la « sortie de l’économie » ou du capitalisme ?
    S’il s’agit de regarder « dehors », et d’interpréter les signes du/des possible(s) en dehors du train / capital qui fonce, et de rechercher la voie possible de cette « sortie », c’est qu’il faut comprendre alors qu’il y a là un « dehors » qui d’une certaine manière ne serait pas impacté par le « dedans », ou que le dedans ne serait pas lié au dehors.

    C’est bien la notion de « sortie » qui pose un problème. Ce dehors, cette sortie n’est pas sans avoir de relation avec ce qui nous semble être un Au-delà. Une sorte d’arrière-monde.
    Que cette option soit une sorte de « religion » qui permette à des individus de faire communautés nous semble assez simple. Elle est l’opium ou de cette étrange drogue qui permet d’imaginer peut-être.

    Mais que nie-t-elle en dernière instance ? Une forme d’objectivité du capitalisme peut-être. Comme totalité concrète (un tout) qui va jusqu’à générer les notions de « dehors » et de « dedans » de « l’entrée » et de « sortie ». Il s’agit plus exactement d’un anti-monisme ou d’une conception dualiste du réel.

    La « sortie » est-elle alors une nouvelle porte d’un paradis sur terre ?
    La possibilité de la « sortie » dans ces circonstances, mobilise plutôt un « travail » sur les représentations qu’il faudrait déconstruire.
    Le capitalisme n’est-il qu’une représentation ? C’est ce que sous-tend la notion de « sortie ».

    À moins que cette démarche cognitive ne soit qu’un nouvel avatar d’un subjectivisme plutôt paradoxal, notamment pour certains courants qui se réclament de la « sortie », car ils entretiennent pour s’en convaincre une sorte de marotte performative et théorique par une forme de gnose des écritures marxiennes ou proudhoniennes en y cherchant les signes d’une parousie légitimant la « sortie », et qui peut très bien se transformer finalement et voilà le retournement en « retrait ».

    Ne « sort-on » d’un endroit que par un acte de volonté ? Ne nous arrive-t-il pas quelquefois d’en être même éjecté ? Pour être mis « en dehors » et de quoi finalement ?
    Comme si le « dehors » n’était pas lié au dedans. Est-ce à dire que l’on en vient à nier la réalité objective ?
    Que nous dit la notion de « sortie du capitalisme » de ceux qui l’utilisent ? Au-delà du fait que pour eux un autre monde est possible à côté de celui que nous vivons, où qu’une voie d’accès (issue de ces rails) à un monde est possible par une forme de retrait [5].

    Que des îlots, des communautés tranquilles et joyeuses et où il fera bon rentrer en enjambant les cadavres sont possibles, souhaitables ?
    Il s’agit bien d’une forme de négation ou « d’oubli » du réel existant. S’il s’agit d’éviter le monde (on y reviendra) c’est qu’il s’agit finalement à notre avis d’éviter un type d’affrontement. [6]
    Peut-être est-ce d’une étude psychosociologique dont on aurait besoin également ici pour démontrer plus longuement la forme de confort idéologique qu’entretient cette dénégation dont il est question dans ce type de parti pris.

    Mais politiquement c’est finalement la conflictualité et la perspective des classes et de leurs affrontements qui sont niées voire même combattues au profit d’un séparatisme radical et inter-classiste. La négation des classes est bien la matrice politique de cette démarche qui s’ornemente attributs hérités d’un prétendu marxisme hétérodoxe mais aussi d’un néo-anarchisme, dont l’ontologie pessimiste s’inspire de doctrines antiprogressistes [7] et élitaires de par leur fascination pour l’esthétique de la theôría contre la praxis de la classe en lutte. La lutte des classes y est vue comme fantasme, et est systématiquement refoulée du corpus de ce marxisme indéterministe. Il en va de même de l’histoire de l’anarchisme « ouvrier » qui est littéralement passée à la trappe au profit d’une conception radicalement idéaliste, celui la « servitude » qui ne serait que « volontaire ».[8]
    Mais que faut-il vivre pour en arriver à nier la polarisation posée par l’exploitation [9] et donc ses conséquences, c’est-à-dire les luttes ?

    L’histoire du réformisme radical est trop long pour que nous en fassions sa fastidieuse et fatigante chronologie. Quant à sa généalogie, elle doit d’abord questionner le luxe des positions de classe de ses contempteurs, sectateurs, pour aboutir à un constat plutôt banal en ce qui concerne l’option politique :

    – Elle peut se qualifier « d’alternativisme » et n’est pas bien nouvelle, car il a toujours été question d’une certainement manière d’aménager à la marge le capitalisme. Il s’agit bien souvent mais pas que, des pourfendeurs du « libéralisme » qui s’accommodent du « bon côté » du marché, trop souvent pour la défense d’intérêts de classe. Quand ils ne vont pas jusqu’à penser comme certains Décroissants, qu’il suffit de nier la loi de la valeur pour qu’elle n’existe pas, ou qu’il suffit d’en avoir une juste compréhension pour la faire disparaître, ou bien encore de construire un autre paradigme en attendant qu’elle ne s’effondre d’elle-même dans la prochaine crise des crises, vous savez la prochaine, celle qui permettra la grande « explication » des textes de Marx sur le fétichisme de la marchandise.

    Ce que certains nomment Utopie concrète [10] n’est rien d’autre qu’un avatar du socialisme utopique, sans poésie, qui n’a même plus le charme de la nouveauté tant l’appel à l’imaginaire ou à l’érotisme, a épuisé le stock d’impératifs au renouvellement sensuel, pour virer à un pragmatisme névrotique.
    « Pourquoi et comment sortir du capitalisme ? Quelles sont les alternatives d’ores et déjà présentes ? Peut-on, doit-on réinventer les socialismes par des réalisations concrètes ? Avec quels outils, quelles formes d’action, quelles institutions ? Telles sont les vastes questions, solidaires les unes des autres, auxquelles répond ce livre original et magistral, synthèse d’une enquête internationale et collective de plusieurs années sur les théories les plus actuelles de l’émancipation ainsi que sur de nombreux projets vivants de transformation radicale, ou plus graduelle, déjà observables dans les domaines sociaux, économiques et politiques. » [11]

    L’émancipation se fait-elle en « sortant du capitalisme » ou en détruisant ce qui en fait sa matrice : la loi de la valeur. ? Quelle marge de manœuvre nous autorise sa dynamique ? Le socialisme « s’invente » -t-il ? n’est-il qu’invention ? Existe-t-il vraiment des projets « vivants » de transformation radicale ? Ne sont-ils pas condamnés aussi longtemps qu’ils s’inscrivent dans le cadre du « réel » marchand ? Ne reste-t-il pas dans ce genre d’inventaire qu’un triste appel au réformisme et au vieux débat, toujours hélas d’actualité entre réforme et révolution ? Et finalement cette injonction tyrannique du concret n’est-elle pas le dernier déguisement d’un nouvel arrière-monde ? Qui nous invite comme toujours à renoncer à la radicalité par l’épuisement ou le retrait, la fragmentation, et à ajourner la problématique Révolutionnaire ?

    DÉPASSEMENT ET TOTALITÉ

    Si certains veulent « sortir » du capitalisme et le proposent par le « dépassement », on se demande alors s’il s’agit de se véhiculer. On sait déjà qu’il s’agit de ne plus utiliser le train, de là à utiliser un vélo sans pédale ! Surtout si l’on doit l’entendre comme une course contre la montre ou un effondrement...

    Le dépassement « marxien » des contradictions dialectiques n’a rien à voir avec le retrait politico-communautaire, ou il s’agit d’inventer son localisme et un entre-soi puritain, ou l’éthique devient morale, par L’Appel au retrait ou la « sortie » comme prescription « médicale ».
    La « réalisation » de la philosophie chez Marx n’est pas une affaire de petits groupes en retrait, ou une affaire de « virus dans le système » ou d’exemplarité (même s’il bon d’être cohérent avec soi-même) mais d’une nécessité consciente de la majorité du prolétariat organisé.

    Il ne s’agit pas de « rentrer en relation » avec le réel par un retour aux « sources » d’un communisme imaginaire et primitif ou s’inspirant des sociétés traditionnelles où la « terre » se voit parée de toutes les vertus « authentiques » du travail (manuel) réconcilié avec lui-même. Où il s’agirait d’exhumer sous le travail l’activité, et de jouer la carte de l’artisanat de proximité contre l’industrie. De nier l’historicité pour le mythe, un âge d’or, ou un retour aux « communaux » par exemple.

    Le dépassement ne sera pas plus urbain. Il en finira avec le « dehors » et le « dedans ». Il n’y aura plus à « sortir » où à « rentrer » ou à faire rentrer. Il est la négation et la liquidation des « espaces séparés » et des catégories du monde marchand comme du prolétariat.
    La compréhension, du fait qu’il n’y pas à « sortir de » ou à se « retirer vers », car la chose est impossible, nous impose de renouer alors avec la notion de totalité. Notre monde est total, il forme un tout indivisible. La chose s’affirme encore plus chaque jour, car il n’existe pas un lieu un espace qui ne soit annexé par la nécessité de vendre sa force de travail pour survivre, même s’il ne nous est pas interdit de lutter contre ce que certains peuvent définir comme son « esprit » et que nous définissons comme son ordre concret.

    Notre propos n’est pas de dissuader un certain type d’initiatives, car enfin on a les illusions que l’on a envie, ou que l’on peut avoir selon son extraction sociale, son lieu de vie, son histoire.
    Mais pour prendre l’assaut du ciel, il y a des fondamentaux comme le fait de comprendre la loi de la gravitation sous peine de se fracasser et de se ramasser éternellement sur le premier nid-de- poule alors qu’il s’agit au moins dans un premier temps de franchir ne serait-ce que la première colline du jardin bio-autogéré.[12]

    Penser la « sortie », c’est se condamner à une sortie sans fin ; parce qu’il n’y pas de « sortie » puisqu’il n’y a pas d’Au-delà, même si l’on peut théoriquement concevoir un monde débarrassé de la nécessité d’être une marchandise, un esclave salarié ou de se faire auto-exploiter.

    Si renouer avec l’esprit utopique reste une nécessité psychique peut-être n’y a-t-il rien de pire que les utopies dites « réalistes » qui se terminent bien souvent comme le lit de Procuste [13]. Il va sans dire qu’il y a même une forme de paradoxe à parler d’Utopies réalisables. C’est un peu comme si l’on se proposait de réaliser un fantasme. Or l’on sait ce qu’il en est de la réalisation de son fantasme.
    Est-ce à dire que le « désir » du communisme est un fantasme ? C’est fort possible. Il en va de même de la « nécessité historique » d’une certaine manière, si cela est compris comme obligation. Car il n’y a rien d’inscrit, d’inéluctable dans la perspective communiste.

    Elle ne pourra se nourrir du désespoir, de la peur ou d’une réconciliation, sinon d’une forme de raison. Et même si l’analyse objective du capital peut nous permettre de comprendre que tant que le capitalisme existera il y aura des résistances, des luttes, cela n’implique pas l’inscription obligatoire de l’optique communiste révolutionnaire à l’agenda du prolétariat organisé ou pas.

    Notre démarche première consiste surtout à refuser les mythologies, l’esprit religieux pour nous permettre de retrouver le chemin de l’historique et de la conscience nécessaire qu’implique de vouloir transformer nos conditions d’existence.

    Dans le calendrier du prolétaire lambda qui n’est pas fait que de jours fériés, et qui n’est pas payé à être un fonctionnaire de la révolution ou de vivre pour la « cause » aussi libertaire soit-elle, il reste tout à fait concevable d’entrevoir le « retrait ». Sous des formes qui peuvent paraître totalement dépolitisées au premier abord. Qu’il soit « volontaire », parce que lié à une fatigue du monde, cela est bien compréhensible, ou qu’il soit lié à l’atomisation dans nos sociétés contemporaines nous le comprenons véritablement. Du défaitisme au dégoût jusqu’à la désillusion quoi de plus normal ? Mais que celui-ci se fasse apologétique nous paraît alors d’une autre teneur, une autre démarche. Elle est quant à elle bien politique.

    Que certains retraits soient imposés et non idéologiques, c’est peut-être l’objet qui nous intéresse le plus, car il nous touche le plus souvent parce qu’il est lié à une forme de précarité et de pauvreté. La “nécessité” n’est pas joyeuse, l’aigreur et la frustration y sont plutôt présentes. La vertu y est obligatoire et moins festive que les poses intellectualistes de pseudo-anachorètes.

    Il existe un tas de nouveaux pères du désert en milieu radical qui pensent avoir inventé l’eau chaude en milieu thermal. Qu’ils s’arrosent sans fin de vieilles eaux théoriques, usées et tièdes au milieu des ruines pourraient ne pas nous poser de problèmes.
    Mais que d’autres viennent recueillir sur les murs décrépis de l’obéissance, la triste condensation d’un nouvel avant-gardisme, c’est peut-être qu’il faut fuir impérativement ceux qui nous proposent encore et toujours la direction vers LA « sortie ».

    À ce compte-là, il est certain que comme prolétaires nous lutterons toujours pour une forme de « retrait » et un certain éloge de la fuite de tous les univers néo-avant-gardistes, il en va de même de la toxicité des impératifs catégoriques.
    Il est possible que cette affaire soit quantique, que l’aventure du combat de classe contre le capital n’ait pas de direction aussi tracée que cela, sinon celle que nous lui imprimerons collectivement. Ce qui est certain, c’est que tant que nous ne mènerons pas cette lutte totale, aucune ligne d’horizon ne se dégagera, et elle renverra systématiquement alors la perspective communiste au niveau du débat scolastique. Ce qui semble en arranger beaucoup puisque le métier de gourou, de prophète semble avoir un bel avenir.
    Que nous ouvre comme perspectives Snowpiercer, le Transperceneige [14] ? Même si le film se termine sur une tonalité plutôt convenue et ouverte.

    Qu’il ne sert à rien de prendre le contrôle de quelque chose qui ne peut être contrôlé. Car la logique est vampirique ou cannibale. Que la « sortie » ne se trouve pas devant, à l’avant ou au niveau d’une porte latérale.
    L’espoir n’ouvre aucune porte de sortie de train. Il se révèle même aussi fort ambiguë, car que n’est-on pas prêt à faire pour gagner le « dehors » par la « sortie » ce nouvel Au-Delà. Se sacrifier et sacrifier les Autres peut-être ? Quant au désespoir quand il est lié à la catastrophe, à la chute, à l’effondrement, il ne donne accès qu’à des désillusions et à de fausses solutions fussent-elles collectives, quand elles ne proposent pas uniquement de se « révolutionner » intérieurement par la pensée magique.

    Il n’y a que la vie et les rencontres, les échanges, qui nous permettent de rompre avec les notions de dehors et de dedans, d’espoir et de désespoir, d’optimisme et de pessimisme. Si le chemin n’est pas tout, il n’est pas rien. Les chemins explosent les frontières et décloisonnent. Mais faire d’un chemin le but, et faire passer une éthique pour une praxis révolutionnaire, c’est liquider la dimension historique du capital et des forces mobilisées par sa logique. Cela n’impose aucune obligation bien évidemment quant à l’activité des acteurs de la transformation ou du statu quo social. Mais l’auto-activité reste la base du combat pour la transformation du monde unitaire contre des mondes séparés, fétichisés, et qu’on nous vend comme impérativement divisés jusque dans ces utopies progressistes ou réactionnaires.

    Vosstanie - Août 2017
     
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    NOTES

    [1] C’est à dire l’idéologie de la décroissance. Subir la simplicité forcée (Pastiche d’une parution) http://vosstanie.blogspot.com/2014/12/subir-la-simplicite-forcee-pastiche.html
    [2] Voir aussi Train to Busan de Yeon Sang-ho. https://www.youtube.com/watch?v=pyWuHv2-Abk


    [3] Entre l’avant et l’arrière, ou le haut et le bas selon son référentiel. On y verra aussi comment on achète la paix par la guerre grâce au chef de « l’arrière » ou simplement en se faisant acheter. Toutes les comparaisons avec les partis et les syndicats ou toutes les officines de la générosité organisée militairement sont bien sûr à faire. 
    [4] Voir aussi ce sympathique film de Gébé, L’An 01. Que l’on doit critiquer et contextualiser pour éviter de faire balbutier l’histoire. 
    [5] Des ordres religieux aux communautés anarchistes ou hippies, il n’y a pas grand-chose d’original. [6] Le pédagogisme évangélisateur reste une méthode très utilisée dans ces sphères. Il s’agit d’aller propager la « bonne nouvelle » jusqu’aux sociaux-démocrates et même les mouvements les plus conservateurs.
    [7] Si nous avons une critique de la technique et à l’industrie nous n’en faisons pas le deus ex machina de la critique du capital car nous ne prenons pas la partie pour le tout. Pensée réifiée et commerce de la pensée s’articulent se nourrissent, elles sont désastreuses. Voir les dérives possibles de l’anti-progressisme qui vire par sa critique de la modernité à des visions réactionnaires du monde : Conversation sur les spécialistes radicaux des penseurs radicaux https://vosstanie.blogspot.fr/2014/02/conversation-sur-les-specialistes.html 
    [8] Voir Claude Morilhat, Pouvoir, servitude et idéologie, Le temps des cerises, 2013.
    [9] Tout en cherchant bizarrement un panel « d’oppressions » toutes plus ou moins spécifiques à articuler
    [10] Voir par exemple l’ouvrage : Erik Olin WRIGHT Utopies réelles, La Découverte, 2017. Un paroxysme dans le genre de catalogue. Mais aussi Utopies réalistes de Rutger Bregman Seuil 2017.
    [11] Idem.
    [12] Voir La société communiste se passera-t-elle d’ascenseurs et de motocyclettes ? http://vosstanie.blogspot.com/2017/06/la-societe-communiste-se-passera-t-elle.html
    [13] Voir Diodore de Sicile, La bibliothèque historique.
    [14] Voir aussi notre émission : Séries, cinéma, idéologies et luttes des classes Autour du cinéma populaire, des blockbusters, des séries et du cinéma dit militant et politique. https://vosstanie.blogspot.fr/2014/12/emission-de-la-web-radio-vosstanie-du.html
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    https://vosstanie.blogspot.fr/2017/08/la-sortie-cest-par-ou-propos-de-la_31.html
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    Stratagèmes du changement, de l’illusion de l’invraisemblable à l’invention des possibles, Lukas Stella.
    http://inventin.lautre.net/livres/Lukas-Stella-Stratagemes-du-changement.pdf

  • VIVRE, OU RIEN
    IL FAUT POUSSER CE QUI TOMBE

    Le monde, ou rien. Voilà quelques semaines que nous sommes plongés dans l’ébullition de la lutte, ses coups de folies et son euphorie. Qu’importe qu’elle triomphe de cette loi. Elle n’est qu’un déclencheur, qu’une occasion, rien de plus. Le statu quo est tout aussi immonde. Ce qui se passe un peu partout est plutôt une manifestation d’une rage diffuse, d’une colère montante, d’un dégoût qui se généralise vis-à-vis de ce monde et ses avocats qui nous martèlent sans cesse, que non, vraiment, il n’y a pas d’alternative.
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    Lois sécuritaires, renforcement du pouvoir (et de l’armement) de la police, arrestations arbitraires et matraquage aveugle, la vieille logique du gouvernement par la peur est reprise avec un certain brio par ce gouvernement « socialiste ». Et les médias jouent parfaitement leur rôle, faisant planer une menace diffuse, pluridirectionnelle et omniprésente, implantant jour après jour la peur dans chaque conscience, avec une abnégation remarquable.
    L’État s’appuie en effet sur un arsenal législatif dit « antiterroriste » toujours plus important, toujours plus total, censé nous « protéger » de la « menace djihadiste ». Mais qui peut se faire des illusions sur l’efficacité de mesures judiciaires sur un individu déterminé à mourir pour mener son action à terme ? En tout cas ceux qui nous gouvernent ne s’en font pas. L’antiterrorisme est un voile. La constitutionnalisation de mesures d’exception comme l’État d’urgence ou le renforcement des pouvoirs de la police a un but tout autre. Il s’agit bien, en réalité, de contenir, de contrôler, de maîtriser ceux qui refusent cet état de fait et font de ce refus un principe d’action en vue de faire émerger un autre monde. Ce sont bien ceux qui ont choisi de lutter contre le travail et contre l’État, contre le capitalisme et la pauvreté des existences qu’il génère qui sont in fine visés par ces dispositifs.
    Si nous ne sommes pas organisés, si nos volontés ne se rejoignent pas toujours, ou pas au même moment, ce qui les terrifie est que la convergence se fasse soudainement, à la suite d’un évènement quelconque. Non pas la convergence des luttes comme on peut l’entendre dans les cortèges syndicaux qui n’est qu’un simple agrégat de composantes disparates et conservatrices et qui est vouée à s’effondrer avec le mouvement, mais la convergence des désirs. Du désir de vivre un monde que l’on construira, que nous construisons déjà. Que dans ces moments de lutte se tissent des liens, naissent des amours, émergent des projets communs, se créent des communautés de résistance. Que ces désirs diffus, éparpillés, divers, se rencontrent au gré d’une assemblée étudiante un peu laborieuse, d’une occupation, d’une garde-à-vue ou d’un repas partagé et que ce désir d’être ensemble, d’imaginer ensemble, de faire ensemble devienne de plus en plus pressant. Voilà ce qu’ils craignent.
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    Nous qui désirons sans fin, nous voulons vivre pleinement, nous voulons vivre érotiquement. Nous sommes Eros, parce qu’il est comme nous pulsion de vie en même temps qu’amour, parce qu’il est comme nous révolte contre un monde de mort.
    Nous voulons être amour, vivre l’amour, faire l’amour. Nous voulons jouir d’être la vie : fêter, imaginer, créer, rêver, voir, faire, être ensemble, vivre ensemble.
    La vie est un flux, celui de se sentir soi-même, de sentir l’Autre et de sentir notre monde, s’éprouvant, s’épanouissant, s’accomplissant dans cette sensualité. Ce monde actuel, lui, pétrifie ce flux sous forme de marchandise-travail, il nous en dépossède au profit de choses mortes (marchandises, argent, capital) et d’une vie fausse, il réprime ce flux avec l’État, il manipule médiatiquement celui-ci, il est une réification, une aliénation, une mortification, une répression, une manipulation, une négation de la vie.
    Nous n’en voulons plus, de ce monde, de son travail, de ses relations, de ses destructions, de sa misère existentielle. La vie aujourd’hui n’est rien dans ce monde de mort, demain elle sera tout - et ce monde, mort.
    Nous voulons construire autre chose qu’une cage. Nous voulons faire autre chose que travailler. Nous voulons vivre autre chose que cette survie, cette sous-vie. Nous voulons habiter autre chose que ce taudis. Nous voulons aimer autrement que dans l’industrie pornographique. Nous voulons nous imaginer autrement qu’au travers de l’idéologie. Nous voulons être ensemble plutôt qu’être en guerre. Nous voulons créer autre chose que cette destruction. Nous voulons rêver d’autre chose que de ce cauchemar. Nous voulons échanger autre chose que de l’argent et des marchandises. Nous voulons faire croître autre chose que l’économie. Nous voulons faire société autrement qu’au travers du capitalisme. Nous voulons autre chose que ce monde, c’est-à-dire que de ce monde, d’aucune chose, nous voulons.
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    L’économie c’est la guerre, la guerre de tous contre tous. Dès tout petit, on nous pousse à suivre nos propres intérêts, dans le cadre posé par la société de marché, on nous fait croire que l’égoïsme est une catégorie ontologique, que la « nature humaine » est ainsi et que pour ne pas perdre il faut donc gagner. Dominer, écraser, maximiser, voilà les maîtres mots de l’entrepreneur de soi, de l’individu d’aujourd’hui qui veut survivre dans cette jungle concurrentielle. À travers le capitalisme, véritable société de l’économie, nos subjectivités se formatent dans un devenir-marchandise de la vie. Le capitalisme façonne des subjectivités à son image et selon sa logique : prédatrices, impitoyables, séparées-isolées l’une de l’autre, égoïstes, machiniques, calculatrices. Même si notre subjectivité vivante résiste tendanciellement à ce formatage, il n’en reste pas moins que notre subjectivité est un champ de bataille – et son résultat – entre une rationalité capitaliste et notre pulsion de vie. Pour que celle-ci triomphe, et elle est une condition préalable à une société vivante-émancipée, sachons que c’est uniquement dans une révolte de la vie qu’une telle subjectivité peut advenir. Les révoltes de la vie ont transformé, transforment, transformeront nos subjectivités, avant même que dans une société nouvelle, de nouvelles vies émergent de nouvelles subjectivités.
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    Notre vie ne tolère d’autre limite que celle de sa perpétuation comme Jouir personnel et collectif, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de limite au Jouir de nos vies que celle où notre pulsion de vie se transforme en pulsion de mort, et où notre Jouir se renverse en Souffrir. La vie n’est pas une débauche, une barbarie, une folie ; c’est au contraire un équilibre entre une vie sur-réprimée, donc mortifiée, et une vie déchaînée, donc (auto) destructrice. La société dans laquelle nous vivons, au contraire, est une barbarie au sens où elle nous sur-réprime d’un côté tandis qu’elle nous pousse de l’autre à un déchaînement destructeur de soi et des Autres. Or notre société est justement une immense accumulation de surrépressions, souvent présentées de manière mensongère comme « naturelles » (travail), voire comme des « libérations » (guerre sportive, pornographie, Spectacle médiatique). La révolte de la vie, sans mortification ni pulsion de mort, est donc une révolte de l’énergie érotique, de la pulsion de vie, trop longtemps sur-réprimée, contre cette sur-répression, et sans devenir pulsion de mort.

    NE TRAVAILLEZ JAMAIS

    L’aggravation continuelle de la crise structurelle du capitalisme (en plus de sa financiarisation et sa gestion en faveur des actionnaires et du patronat), entraîne depuis plus de 40 ans une intensification et une précarisation continue du travail, avec d’un côté une masse croissante de chômeurs brisés par une société du travail sans travail, et de l’autre une organisation néocapitaliste du travail continuellement restructurée, exerçant une pression énorme sur ses salariés (jusqu’au harcèlement), organisant une guerre de tous contre tous au sein même de l’entreprise, et démultipliant ainsi isolement, haines, humiliations, stress, déformations physiques, accidents de travail, licenciements brutaux, dépression, burn-out, suicides. Le travail est d’ores et déjà une souffrance intolérable – mais ne l’est-il pas structurellement ? Nous souffrons de devoir quotidiennement nous vendre comme marchandise pour survivre, ou d’être dépréciés de ne pas être un esclave « rentable » du capitalisme. Nous souffrons de devoir obéir à des impératifs absurdes, avilissants, destructeurs. Nous souffrons de devoir exécuter ces impératifs dans des conditions éprouvantes, voire dangereuses. Nous souffrons de cette activité indifférenciée, absurde, destructrice. Nous souffrons d’être réduits à des robots, des machines, des esclaves. Nous souffrons d’être humiliés faute d’être des esclaves suffisamment « performants ». Nous souffrons de rentrer vidés, de ne pas pouvoir vivre. Nous souffrons d’être en guerre de tous contre tous avec nos semblables, d’être objet d’une haine envieuse ou d’envier haineusement quelqu’un d’autre. Nous souffrons d’être menacés d’élimination économique chaque seconde. Nous souffrons d’être dans une précarité permanente. Nous souffrons d’être traités de « capital humain », de « mauvaise graisse », de « facteur humain », de « bras cassés », d’« assistés », de « fainéants ». Nous souffrons d’être des soldats d’une guerre économique permanente, sacrifiés sur l’autel de la compétitivité, de la productivité et de la croissance, bref du capitalisme. Nous souffrons de souffrir seul, de devoir nous cacher notre souffrance, de nous mentir, de ne pas pouvoir parler de notre souffrance, de devoir cacher celle-ci aux autres. Nous souffrons qu’on nous mente, et qu’on se propose d’approfondir encore notre souffrance et notre servitude avec cette nouvelle réforme du travail. Nous souffrons de travailler, il n’y a pas de « souffrance au travail », travailler au sein du capitalisme c’est souffrir, il n’y a pas « le travail et ses souffrances », le travail, c’est souffrance. Cette loi n’est donc qu’un ultime approfondissement du travail comme souffrance et comme servitude.
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    Ne travaillez jamais signifie : ne vendez jamais votre vie, votre temps, votre activité, votre faire, comme marchandise, comme marchandise produisant d’autres marchandises et de l’argent, comme marchandise produisant un monde de mort.
    Le travail est en effet, de par son essence même, l’activité non-libre, inhumaine, asociale. Le travail, c’est une dépossession de sa vie au profit d’une fonction machinique de production de marchandises et de valeur, c’est une vente de soi, de son existence, de son temps de vie, de son activité, de son faire, comme marchandise. C’est un esclavage libre, libre au sens où on l’on peut refuser de travailler contrairement aux esclaves, mais comme on a été dépossédé de toute possibilité d’existence en-dehors du Marché, pour survivre, on doit travailler. Comme des esclaves, nous avons une compensation, eux en nature, nous en argent. Comme des esclaves, on nous envoie des forces de répression lorsqu’on se révolte. Qu’on vende des heures d’activité ou notre production soi-disant autonome, qu’on soit salarié.e ou ubérisé.e, nous sommes réduits à des marchandises productrices de marchandises (qu’importe quelles marchandises, qu’importe comment, tant qu’elles rapportent). Notre labeur n’est pas une réponse qualitative à nos besoins particuliers (y compris collectifs), mais une production machinique de marchandises et d’argent, ou (auparavant) une acquisition machinique de savoirs formatés que l’on soit lycéen.ne ou étudiant.e. Avec ou sans proxénète, nous sommes tous des prostitué.e.s, nous vendons notre cerveau, nos muscles, notre sexe, qu’importe. Nous sommes des robots (travailleurs, en tchèque), des individus réduits à des machines productrices. Nous sommes soumis au capitalisme, ce Moloch insatiable, ce train aveugle écrasant tout sur son passage. La pulsion de vie doit se défaire du travail, du capitalisme et de l’État, c’est d’une abolition et non d’une réforme qu’il s’agit.
    Nous n’avons pas peur de cette société de travail sans travail, c’est cette société de travail sans travail qui a peur de nous.
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    Nous n’avons de toute façon pas d’autre choix que d’en finir avec le capitalisme et son travail, en raison même de la dynamique du capitalisme en crise. Chaque entreprise doit, en raison d’une saturation tendancielle des marchés et d’une compétition généralisée pour vendre ses marchandises, réduire ses coûts, donc substituer du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots. Cette élimination de « travail vivant » fait qu’il y a, par conséquent, une baisse tendancielle de la demande (hors-crédit) puisque ceux qui ne travaillent plus ont moins de revenus (comme ceux qui restent d’ailleurs). Depuis 40 ans de troisième révolution industrielle, avec l’introduction de l’informatique, de l’automatisation et de la robotique dans le processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du « travail vivant » (des travailleurs) par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d’une substitution complète de certains pans du « travail vivant » par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées...) provoque ainsi l’explosion du chômage technologique. Et ce chômage technologique, alimentant une baisse de demande solvable, donc une baisse tendancielle de la consommation, entraîne une saturation d’autant plus rapide des marchés, des crises de surproduction toujours plus fréquentes donc de nouvelles substitutions de « travail vivant » par des machines/robots, entraînant une nouvelle baisse de demande solvable, une nouvelle phase de crise, etc., et cela ad nauseam. La dynamique du capitalisme conduit donc à une éviction progressive du « travail vivant » du procès capitaliste : 10-15% de chômage aujourd’hui, plus de 47% en 2030 selon certaines projections. Et cette augmentation structurelle du « chômage technologique » s’effectue en parallèle, comme on le voit depuis plus de 50 ans, d’une intensification et d’une précarisation du « travail vivant » restant. Le devenir structurel du capitalisme, c’est donc une multiplication des phases de crise, une augmentation progressive du chômage technologique et une intensification-précarisation du travail restant, jusqu’au chômage quasi-total, l’esclavage des derniers travailleurs et l’effondrement du capitalisme.
    L’économie ne veut plus de nous, nous ne voulons plus d’elle. L’économie veut se débarrasser de nous, débarrassons-nous d’elle !

    LA VIE LIBÉRÉE

    Le mouvement actuel d’opposition au projet de loi-travail a réveillé nos vies et nos rêves au nom d’un mauvais rêve de certains, il faut maintenant qu’elle s’attaque au cauchemar réalisé du travail et de sa crise. Il ne s’agit plus de lutter défensivement contre une loi en attendant qu’une prochaine phase de crise nous l’impose au nom du « réalisme économique », il faut combattre offensivement cette réalité économique de crise et en crise. Il ne faut plus mendier l’ajournement de l’inévitable au sein du capitalisme en crise, mais abolir celui-ci aujourd’hui. Le réformisme « progressiste » est mort, il n’y a plus qu’un sous-réformisme de cogestion de crise, seule une optique résolument révolutionnaire est désormais réaliste.
    Nous savons toutes et tous que nos « mouvements sont faits pour mourir », et ce n’est pas grave. Si c’est en général un projet de loi rétrograde ou un évènement particulier comme une immolation ou une « bavure » policière qui vont servir de déclencheur à un mouvement de protestation et créer des communautés d’acteurs près à se battre contre un objet commun, le mouvement dépasse toujours son objet et c’est ce dépassement qu’il nous faut chercher.
    Nous nous intéressons peu à la massification, les pétitions sont signées puis oubliées, les cortèges défilent et rentrent chez eux, les vitrines sont brisées puis réparées, les murs tagués puis nettoyés. Si la manifestation peut faire infléchir, si les grèves peuvent faire peur, si les émeutes peuvent être salutaires il nous faut nous saisir de ces moments particuliers que sont les situations insurrectionnelles pour nous rencontrer, nous constituer en communautés, en communautés de lutte, en communautés d’ami.e.s. Il nous faut créer. Il nous faut nous créer.
    Un mouvement ouvre une brèche, crée une coupure temporelle, une rupture dans le déroulement linéaire de nos vies. Ces moments de « pause » nous conduisent à reconsidérer nos vies, à les saisir telles qu’elles sont et à les imaginer telles qu’on voudrait qu’elles soient. Ces brèches sont souvent l’occasion de rencontres, de densification des liens, de création de relations qui dépassent le seul intérêt stratégique. C’est sur la durabilité et la qualité de ces relations qu’il nous faut nous appuyer maintenant pour qu’émergent des communes, partout, tout le temps. Plus que des simples communautés de lutte ou de résistance qui, par définition n’existent que le temps de la lutte, bâtissons de véritables foyers d’insoumission, des points de fixation des colères et des désirs. Saisissons-nous d’appartements, de friches, de bocages, saisissons-nous d’entrepôts, d’universités, de châteaux, transformons des sols bétonnés en jardins d’approvisionnement des luttes. Etablissons-nous sur les territoires et habitons-les et vivons-y le monde que l’on veut vivre.
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    Omnia sunt communia. Nous formerons ensemble des communes, comme celle de Paris de 1871, d’Aragon de 1936 et de Notre-Dame-des-Landes, des communes associées entre elles, des communes où nous ferons ensemble ce que nous voulons et personnellement ce que nous voulons, des communes où il y aura de commun ce qui aura été décidé comme tel et ce qu’il y aura de personnel aura été décidé comme tel, des communes où nous pourrons faire autre chose de nos vies que nous vendre comme marchandise, produire des marchandises et consommer des marchandises. Les habitant.e.s des communes plutôt communisantes feront ensemble ce qu’ils auront librement choisi de faire - en accord avec les possibilités du monde-de-la-vie - et partagerons en fonction des besoins de leurs membres leurs activités comme leurs produits (avec, en cas d’abondance insuffisante, une auto-régulation collective). Les communes plutôt personnalisantes seront peuplées de personnes faisant séparément ce qu’ils ont envie-besoin de faire, et partageront après coup sous forme d’une chaîne de dons libres. Désormais, dans l’une comme dans l’autre, nul.le ne sera obligé de vendre son cerveau, ses muscles ou son sexe. Les communes formeront entre elles une chaîne de dons, permettant une satisfaction de l’ensemble de leurs besoins tout en entretenant des relations d’amitié.
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    La vie s’épanouira dans une vita contemplativa, mais aussi dans une vita activa, où, au lieu de s’asservir au travail et au capitalisme, nous cultiverons des légumes et des fruits, nous construirons des maisons, tracerons des chemins, écrirons des histoires et des chansons, nous ferons ce qu’il nous plaira en même temps que ce qu’il nous faudra dans l’optique d’une poursuite de notre vie s’épanouissant, et non ce qu’une demande abstraite de marchandises exige. De nouvelles subjectivités émergeront de ces nouvelles vies, épanouies dans une diversité non-finie du faire.
    Il n’y aura plus de gens seulement artistes au détriment de l’épanouissement artistique des autres et de leur propre épanouissement dans d’autres domaines, mais des gens qui, entre autres choses, feront de l’art. Nous ne voulons pas simplement rendre l’art commun à tous mais intégrer l’art à notre faire, à nos vies. Il n’y aura plus de sphère séparée du travail, mais une vie mêlant vita activa et vita contemplativa. Le temps sera celui de notre vie et de ses activités, non celui des montres et du travail. Il n’y aura pas de comptabilité, de mesure, de pointage, de productivité, de rendement, d’évaluation individuelle des performances.
    Nous ré-apprendrons des savoirs-faire dont nous avons été dépossédés (et ce, à chaque génération, avec l’école comme enseignement de l’ignorance), nous saurons tout faire nous-mêmes (collectivement), après des siècles de prolétarisation réduisant l’activité productive à un nombre limités de gestes répétés ad nauseam.
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    Les communes formeront leurs propres institutions, lesquelles seront instituées selon notre volonté collective et désinstituées lorsqu’elles ne nous conviendront plus. Les habitants des communes décideront collectivement, en assemblée, ce qu’il faut faire s’agissant des affaires de tous. Et s’il y a des décisions qu’il faut prendre au niveau d’une fédération (plus ou moins grande) de communes, c’est du bas que devra venir toute décision finale. Les communes aboliront donc immédiatement l’État, ce frère jumeau du capitalisme, cette structure de domination bureaucratico-militaro-policière, ce système d’extorsion. Il ne s’agit pas de réhabiliter la politique comme sphère séparée du reste de la société, puisque l’auto-organisation et l’auto-détermination sont le contraire même de l’État et de la politique. Il s’agit plutôt de redonner au politique sa temporalité originaire, celle de la quotidienneté.
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    Il est évident que nos communes devront être au-delà des genres et des races constituées capitalistiquement. Les communes seront, ainsi, sans masculinité viriliste, celle du sujet capitaliste, insensible, impitoyable, suprémaciste, et sans féminité soumise, subordonnée, dissociée. Elles seront, de même, sans sujet colonial, raciste, dominateur, exploiteur, et sans sujet indigène, racisé, dominé, exploité. Les communes abolissent d’une seule traite prolétaires et capitalistes, sujet masculins et sujets féminins, (post) coloniaux et indigènes, loin de se contenter de l’affirmation du pôle dominé, lequel fut constitué au moment de l’émergence du capitalisme comme système d’exploitation, patriarcal et colonial.
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    Le monde, oui, mais pas ce monde de mort. Au niveau des infrastructures, nous détournerons ce qui est détournable pour en faire ce que nous aurons décidé d’en faire, nous détruirons ce qui n’est pas détournable (gigantesques usines, systèmes aéroportuaires et autres infrastructures de mort) dans une logique non-capitaliste (puisqu’une infrastructure résulte d’une logique matérielle découlant elle-même d’une logique sociale - et lorsque cette logique sociale est capitaliste, il en résulte une logique matérielle et donc une infrastructure intrinsèquement capitaliste). Au niveau des techniques, nous détournerons des techniques détournables, nous détruirons des techniques indétournables (bombes nucléaires, centrales nucléaires, etc.), nous re-découvrirons des techniques et des savoirs-faire, nous développerons des techniques et des savoirs-faire développés aux marges du capitalisme (permaculture), nous inventerons des techniques nouvelles découlant d’une forme de vie et de société nouvelles. Nous établirons un équilibre entre de gigantesques villes invivables, bétonnées et polluées, et des déserts ruraux, en transformant celles-ci en communes urbaines de taille humaine sans rupture avec une campagne environnante, et celles-là en communes rurales de centaines ou de milliers d’habitants. Il en résultera un univers matériel de techniques et d’infrastructures conviviales, autonomisantes, non-destructrices, et de communes de taille humaine. On ne s’en remettra donc pas à des méga-usines automatisées, où ce qu’on avait voulu abolir (travail, hiérarchie, spécialisation des activités, pollutions) se reconstituera.
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    Il est temps d’en finir avec le travail, avec l’économie, avec l’État, avant qu’ils en finissent avec nous. Ce sera notre monde, ou rien. Ce ne sera pas ce monde de mort, mais la mort de ce monde. Crevons cette société morbide, moderne, capitaliste, colonialiste-raciste, patriarcale, étatiste, hétéronome, hiérarchique, totalitaire. Créons une société vivante, nouvelle, non-marchande, égalitaire, libertaire, autonome, horizontale, plurielle. Créons une vie de désir, cette vie que nous désirons, que nous décidons. Créons des espaces-temps d’intersubjectivité, d’auto-organisation, d’insoumission.

    Soyons résolus à ne pas mourir, et nous voilà vivre. L’histoire ne se fera pas sans nous, une fois encore. Ce sera notre histoire, cette fois.

    Comité érotique révolutionnaire
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    http://www.palim-psao.fr/2016/04/vivre-ou-rien-il-faut-pousser-ce-qui-tombe-par-le-comite-erotique-revolut
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    http://inventin.lautre.net/livres.html#comiterotique

    L’autonomie ou rien
    http://inventin.lautre.net/livres/CER-L-autonomie-ou-rien.pdf

    Vivre la commune
    http://inventin.lautre.net/livres/CER-Vivre-la-commune.pdf

    Libérons-nous du travail
    http://www.palim-psao.fr/2016/12/parution-de-liberons-nous-du-travail-le-manifeste-du-comite-erotique-revo

  • Devant la désolation du monde réel, il s’agit pour le système de coloniser l’ensemble de la conscience des esclaves. C’est ainsi que dans le système dominant, les forces de répression sont précédées par la dissuasion qui, dès la plus petite enfance, accomplit son oeuvre de formation des esclaves. Ils doivent oublier leur condition servile, leur prison et leur vie misérable. Il suffit de voir cette foule hypnotique connectée devant tous les écrans qui accompagnent leur vie quotidienne. Ils trompent leur insatisfaction permanente dans le reflet manipulé d’une vie rêvée, faite d’argent, de gloire et d’aventure.
    Mais leurs rêves sont tout aussi affligeants que leur vie misérable.

    L’oppression se modernise en étendant partout les formes de mystification qui permettent d’occulter notre condition d’esclaves.

    Jean-François Brient, ‪De la servitude moderne‬, 2007.
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    https://www.youtube.com/watch?v=S9KU2FcM_aA


    http://inventin.lautre.net/livres/De-la-servitude-moderne.pdf

  • Philippe Val est un raciste - Les mots sont importants (lmsi.net)
    http://lmsi.net/Philippe-Val-est-un-raciste

    « [Les otages français, Christian Chesnot et George Malbrunot] ont été enlevés par des terroristes islamiques qui adorent égorger les Occidentaux, sauf les Français, parce que la politique arabe de la France a des racines profondes qui s’enfoncent jusqu’au régime de Vichy, dont la politique antijuive était déjà, par défaut, une politique arabe. »

    Cette phrase de Philippe Val n’a évidemment aucun sens. Qualifier la politique antijuive de Vichy de politique « arabe » n’a aucun sens puisque aucune influence arabe n’a joué un quelconque rôle dans cette entreprise criminelle. Tout s’est passé entre l’Allemagne nazie et la France de Vichy, point barre.

    Pour que cette phrase insensée signifie quelque chose, il faut admettre un postulat raciste : le postulat selon lequel les Arabes, en bloc, sont antisémites par nature. Dans cette hypothèse, même si aucun Arabe n’est ni auteur, ni incitateur ni demandeur d’une politique antijuive, ladite politique n’en est pas moins une « politique arabe » dans la mesure où elle ne peut que remplir de joie cette masse assoiffée de sang juif qu’est « le monde arabe »
    .
    En résumé : « politique arabe » ne signifie, chez Philippe Val, rien d’autre que « politique antisémite ».

    « Arabe » et « antisémite » sont donc synonymes.

    En d’autres termes : Philippe Val essentialise « les Arabes », en fait une entité homogène, pour ensuite attribuer à cette essence (« les Arabes ») un caractère infâmant (« antisémite »). Cette manière de penser, conjuguant l’essentialisation l’homogénéisation et le dénigrement, porte un nom : le racisme.

    Philippe Val a donc écrit un texte purement et simplement raciste. Et comme il assume ce texte plusieurs années après sa publication, comme il ne l’a pas renié, on peut donc affirmer, de manière plus concise, qu’il est avéré et démontré que

    Philippe Val est raciste.

    #racisme #essentialisme

  • A ROADMAP TO A JUST WORLD
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    Extrait du discours de Noam Chomsky au DW Global Media Forum, Bonn, Allemagne, le 17 juin 2013
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    (…) Selon la doctrine reçue, nous vivons dans des démocraties capitalistes, qui sont le meilleur système possible, malgré quelques imperfections. Il y a eu un débat intéressant au fil des ans sur la relation entre le capitalisme et la démocratie, par exemple, sont-ils même compatibles ? Je ne vais pas poursuivre là-dessus parce que je souhaite parler d’un système différent – ce que nous pourrions appeler la « démocratie capitaliste qui existe vraiment », RECD en abrégé, prononcé « wrecked » par accident (jeu de mots : « really existing capitalist democracy », RECD, ou « wrecked », qui veut dire « brisée », « démolie », « naufragée », ndt). Pour commencer, comment comparer RECD à la démocratie ? Et bien cela dépend de ce que nous entendons par « démocratie ». Il y a plusieurs versions de cela. D’une part, il y a une sorte de version retenue. C’est de la rhétorique emphatique du même genre que celle d’Obama, des discours patriotiques, ce qu’apprennent les enfants à l’école, &c. Dans la version US, c’est le gouvernement « du peuple, pour et avec le peuple ». Et c’est plutôt facile de comparer cela à RECD.
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    Aux USA, l’un des sujets principaux de la science politique académique est l’étude des attitudes et des politiques et de leur corrélation. L’étude des attitudes est relativement facile aux USA : une société lourdement sondée, des sondages plutôt sérieux et précis, et des politiques que vous pouvez voir, et comparer. Et les résultats sont intéressants. Dans le travail qui représente essentiellement l’étalon-or du domaine, il a été conclu qu’à peu près 70% de la population – les 70% du bas de l’échelle des richesses/revenus – ils n’ont aucune influence du tout sur la politique. Ils sont véritablement laissés pour compte. Comme vous montez dans l’échelle des richesses/revenus, vous obtenez un peu plus d’influence sur la politique. Quand vous arrivez en haut, ce qui représente peut-être le dixième d’un pour cent, les gens obtiennent à peu près tout ce qu’ils veulent, c’est-à-dire qu’ils décident de la politique. Donc le terme correct pour çà n’est pas la démocratie ; c’est la ploutocratie.
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    Des enquêtes de ce genre s’avèrent être du matériel dangereux parce qu’elles peuvent en dire trop aux gens sur la nature de la société dans laquelle nous vivons. Et donc malheureusement, le Congrès a interdit leur financement, et nous n’avons donc pas à nous en soucier à l’avenir.
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    Ces caractéristiques de RECD se révèlent tout le temps. Le thème central aux USA est donc celui des emplois. Les sondages le démontrent très clairement. Pour les très riches et les institutions financières, le thème principal, c’est le déficit. Et qu’en est-il de la politique ? Il y a à présent une séquestration aux USA, une grande réduction des financements. Est-ce à cause des emplois ou du déficit ? Et bien, du déficit.
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    En Europe, incidemment, c’est bien pire – tant et si bien que même le Wall Street Journal était horrifié par la disparition de la démocratie en Europe. Ils avaient un article il y a une quinzaine de jours qui concluait que « les Français, les Espagnols, les Irlandais, les Néerlandais, les Portugais, les Grecs, les Slovènes, les Slovaques et les Chypriotes ont voté contre le modèle économique de la monnaie unique à des degrés différents depuis que la crise a commencé il y a trois ans. Pourtant les politiques économiques ont peu changé en réponse à chaque défaite électorale subie à la suite de l’autre. La gauche a remplacé la droite ; la droite a sorti la gauche. Même le centre-droite a dérouillé les communistes (à Chypre) – mais les politiques économiques sont essentiellement restées les mêmes : les gouvernements vont continuer à couper dans les dépenses et augmenter les impôts. » Ce que pensent les gens importe peu et « les gouvernements nationaux doivent suivre les directives macro-économiques édictées par la Commission Européenne ». Les élections sont presque insignifiantes, presque comme dans les pays du Tiers-Monde qui sont dirigés par les institutions financières internationales. C’est ce qu’a décidé de devenir l’Europe. Elle n’y est pas obligée.
    --
    Revenant aux USA, où la situation n’est pas tout à fait aussi mauvaise, il y a la même disparité entre l’opinion publique et la politique sur une gamme très large de sujets. Prenez par exemple le sujet du salaire minimum. Une opinion est que le salaire minimum devrait être indexé sur le coût de la vie et assez haut pour empêcher de tomber sous le seuil de pauvreté. 80% du public soutient cela et 40% des riches. Quel est le salaire minimum ? En train de descendre, bien en-deçà de ces niveaux. C’est la même chose avec les lois qui facilitent l’action des syndicats ; fortement soutenues par le public ; recevant l’opposition des très riches – et disparaissant. C’est aussi vrai pour le système de santé national. Les USA, comme vous le savez sans doute, ont un système de santé qui est un scandale international, ils en sont au double du coût par personne en comparaison aux autres pays de l’OCDE et avec des résultats relativement pauvres. Le seul système de santé privatisé, et grosso modo dérégulé. Le public ne l’aime pas. Ils ont réclamé un système national intégré, des options publiques, pendant des années, mais les institutions financières pensent qu’il est très bien, alors il reste : stagnation. En fait, si les USA avaient un système de santé comme d’autres pays développés comparables il n’y aurait pas de déficit. Le fameux déficit serait effacé, ce qui ne compte pas tant que çà de toute façon.
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    L’un des cas les plus intéressants concerne les impôts. Pendant 35 ans il y a eu des sondages sur ‘que pensez-vous que devraient être les impôts ?’ De larges majorités ont soutenu que les corporations et les riches devraient payer plus d’impôts. Ils se sont constamment réduits pendant cette période.
Encore et encore, la politique est toujours l’inverse presque exact de l’opinion publique, ce qui est une propriété typique de RECD.
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    Dans le passé, les USA ont parfois, un peu sardoniquement, été décrits comme un état à un parti unique : le parti des affaires avec deux factions appelées Démocrates et Républicains. Ceci n’est plus vrai. C’est toujours un pays à parti unique, le parti des affaires. Mais il n’a qu’une seule faction. C’est la faction des Républicains modérés, qui s’appellent aujourd’hui Démocrates. Il n’y a presque pas de Républicains modérés dans ce qui s’appelle le Parti Républicain et presque pas de Démocrates libéraux (note : dans le monde anglophone, les libéraux sont de gauche, ndt) dans ce qui s’appelle le Parti Démocrate [sic]. C’est en gros ce que seraient des Républicains modérés et par analogie, Richard Nixon serait loin à gauche de l’éventail politique aujourd’hui. Eisenhower serait hors de l’orbite terrestre.
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    Il y a toujours quelque chose qui s’appelle le Parti Républicain, mais il a depuis longtemps abandonné toute prétention à être un parti parlementaire normal. Il est au service, au doigt et à l’œil, des très riches et du secteur corporatiste et a un catéchisme que tout le monde doit chanter à l’unisson, un peu comme l’ancien Parti Communiste. Le fameux commentateur conservateur, l’un des plus respectés – Norman Ornstein – décrit le Parti Républicain d’aujourd’hui comme, en ses termes, « une insurrection radicale – idéologiquement extrême, dédaigneuse des faits et du compromis, rejetant son opposition politique » – une sérieuse menace à la société, comme il le souligne.
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    Bref, RECD est très éloignée de la rhétorique emphatique à propos de la démocratie. Mais il existe une autre version de la démocratie. En réalité il s’agit de la doctrine de base de la théorie démocratique libérale contemporaine. Je vais donc vous donner des citations illustratives de la part de personnages éminents – incidemment pas des personnages de la droite. Ce sont tous des libéraux à la Woodrow Wilson-FDR-Kenndy, des figures consensuelles, en fait. Donc selon cette version de la démocratie, « le public est fait d’étrangers ignorants et importuns. Ils doivent être mis à leur place. Les décisions doivent être entre les mains d’une minorité intelligente d’hommes responsables, qui doivent être protégés du piétinement et de la clameur du troupeau abruti ». Le troupeau a une fonction, il se trouve. Il est attendu d’eux qu’ils portent leur poids une fois toutes les quelques années, à un choix entre les hommes responsables. Mais à part cela, leur fonction est d’être des « spectateurs, pas des participants à l’action » – et c’est pour leur propre bien. Parce que comme l’avait souligné le fondateur de la science politique progressiste, nous ne devrions pas succomber à des « dogmatismes démocratiques sur les gens étant les meilleurs juges de leurs propres intérêts ». Ils ne le sont pas. Nous sommes les meilleurs juges, et il serait donc irresponsable de les laisser prendre des décisions tout comme il serait irresponsable de laisser un enfant de trois ans courir en pleine rue. Les attitudes et les opinions ont donc besoin d’être contrôlées pour le bénéfice de ceux que vous contrôlez. Il est nécessaire de « régenter leurs esprits ». Il est aussi nécessaire de discipliner les institutions responsables de « l’endoctrinement de la jeunesse. » Toutes des citations, au fait. Et si nous pouvons accomplir cela, nous pourrions revenir aux bons vieux jours où « Truman avait été capable de gouverner le pays avec la collaboration d’un nombre assez réduit d’avocats et de banquiers de Wall Street. » Tout ceci provient d’icônes de l’establishment libéral, les théoriciens en pointe de la démocratie progressiste. Certains d’entre vous reconnaîtront peut-être certaines des citations.
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    Les racines de ces attitudes remontent plutôt loin. Elles remontent aux premiers soubresauts de la démocratie moderne. Les premiers survinrent en Angleterre au 17è siècle. Comme vous savez, plus tard aux USA. Et elles persistent de façon fondamentale. La première révolution démocratique fut l’Angleterre des années 1640. Il y a eu une guerre civile entre le roi et le parlement. Mais la noblesse, les gens qui s’appelaient eux-mêmes « les hommes de meilleure qualité », étaient horrifiés par les forces populaires en plein essor qui commençaient à faire leur apparition dans l’arène publique. Ils ne voulaient soutenir ni le roi ni le parlement. Citez leurs pamphlets, ils ne voulaient pas être dirigés par des « chevaliers et des gentilshommes, qui ne font que nous oppresser, mais nous voulons être gouvernés par des compatriotes tels que nous-mêmes, qui connaissons les maux du peuple ». Voilà une chose assez terrifiante à considérer. Maintenant, la populace a été une chose assez terrifiante à voir depuis. En réalité elle l’était déjà depuis longtemps auparavant. Elle l’est restée un siècle après la révolution démocratique britannique. Les fondateurs de la la république états-unienne avaient à peu près la même opinion de la populace. Ils ont donc déterminé que « le pouvoir doit être entre les mains de la richesse de la nation, le lot d’hommes plus responsables. Ceux qui ont de la sympathie pour les propriétaires et pour leurs droits », et bien sûr pour les propriétaires d’esclaves à l’époque. En général, les hommes qui comprennent qu’une tâche fondamentale du gouvernement est « de protéger la minorité opulente de la majorité ». Ce sont des citations de James Madison, l’encadrant principal – ceci était dans la Convention Constitutionnelle, qui est beaucoup plus révélatrice que les Papiers Fédéralistes que lisent les gens. Les Papiers Fédéralistes étaient tout simplement un effort de propagande pour tenter de faire que le public soit d’accord avec le système. Mais les débats dans la Convention Constitutionnelle sont beaucoup plus révélateurs. Et en fait le système constitutionnel a été créé sur ces bases. Je n’ai pas le temps d’entrer dans le détail, mais il adhérait globalement au principe qui a été énoncé simplement par John Jay, le président du Congrès Continental, puis tout premier Premier Président de la Cour Suprême, et comme il le disait, « ceux à qui appartiennent le pays devraient le gouverner ». Ceci est la doctrine centrale de RECD jusqu’à aujourd’hui.
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    Il y a eu beaucoup de combats populaires depuis – et ils ont gagné beaucoup de victoires. Les maîtres, par contre, ne relâchent rien. Le plus il y a de liberté qui est gagnée, plus intenses deviennent les efforts pour réorienter la société vers une trajectoire plus appropriée. Et la théorie démocratique progressiste du 20è siècle que je viens d’échantillonner n’est pas très différente de la RECD qui a été accomplie, hormis pour la question de : quels hommes responsables devraient régner ? Cela devrait-il être les banquiers ou les élites intellectuelles ? Ou à ce propos cela devrait-il être le Comité Central dans une version différente de doctrines similaires ?
    --
    Et bien, un autre aspect important de RECD est que le public doit être maintenu dans l’ignorance de ce qui est en train de lui arriver. Le « troupeau » doit rester « abruti ». Les raisons en ont été expliquées de façon lucide par le professeur en science des gouvernements de Harvard – c’est le titre officiel – une autre figure libérale respectée, Samuel Huntington. Comme il l’a souligné, « le pouvoir reste fort tant qu’il reste dans l’ombre. Exposé à la lumière, il commence à s’évaporer ». (…)
    --
    Une feuille de route vers un monde juste, le peuple ranimant la démocratie —
    http://inventin.lautre.net/livres/Chomsky-Feuille-de-route.pdf
    -- (Le texte complet en PDF)

  • [BBS] Internet et le lave-vaisselle (lettre à Michel Serres)- Ecrans
    http://www.ecrans.fr/BBS-Internet-et-le-lave-vaisselle,16803.html

    Je sais pas toi, mais moi je n’ai pas pour habitude de rester devant la machine, en l’ouvrant de temps en temps pour voir où elle en est dans la vaisselle : je mets les assiettes et le produit dedans, j’appuie sur le bouton, et je vaque. Visiblement j’ai faux.

    Donc je lui dis « je ne sais pas », et la dame m’explique que si je ne réponds pas à ses questions elle ne va pas pouvoir m’aider.

    Texto.

    Le #SAV dans le vrai monde vs le SAV sur internet. Comme toujours, Laurent Chemla est pédago et rigolo.

  • NIQUE LE PAPE

    Monsieur Joseph Ratzinger, ci-devant chef d’une association de malfaisants qui diffuse depuis des siècles le poison de la soumission aux pouvoirs, vient de rappeler urbi et orbi l’obligation imposée aux moutons de se reproduire pour fournir à leurs maîtres la main d’œuvre dont ils ont besoin. Autrement dit : les petits hommes asservis ont le devoir de s’accoupler pour faire des gosses à l’économie, c’est-à-dire à l’État. Dans ce but, les prêtres ont institué un permis de niquer appelé «   mariage   », dont l’obtention est nécessaire pour ne pas être poursuivi, embastillé, voire torturé, exécuté, pour toute relation dite « sexuelle ». Les petits d’hommes sont ainsi assimilés par leurs bergers à n’importe quelle espèce domestiquée - bovins, ovins, gallinacées - et tenus de respecter la « loi naturelle » de la saillie contrôlée en vue du renouvellement du cheptel. Autrement dit encore : chaque mâle est habilité à niquer une femelle identifiée pour l’engrosser.

    N’oublions pas que le même Ratzinger, avant de se cacher sous le pseudo de Benoît numéro 16 à la tête de l’église dite catholique, dirigeait la Congrégation de la Foi, c’est-à-dire en fait la Sainte Inquisition, organisation de malfaiteurs internationaux en soutanes qui, plusieurs siècles durant, a fait torturer des milliers, voire des millions de gens dont la conduite s’écartait des règles imposées par le pouvoir de droit divin. Ce vieillard souffreteux est l’héritier d’une horde de prêtres assassins qui n’aimaient rien tant qu’envoyer les sodomites sur le bûcher.

    Pour ce grimaçant prélat, l’autonomie individuelle, la liberté de conscience et de conduite, le plaisir de vivre, la jouissance sans entraves, sont autant d’inventions du diable qu’il s’agit d’éradiquer par tous les moyens. Eh quoi, l’État français voudrait accorder aux sodomites le même permis de niquer qu’aux bons et loyaux serviteurs de la «   morale naturelle    »    ? Certes, cela permettrait de redonner au «   mariage   » un peu de l’attrait qu’il a perdu. Mais prendre pour normale l’inversion   ? Accepter des couples se livrant à l’abomination des abominations   ? Ce serait installer le démon sur le trône de Saint-Pierre.

    Pourtant les bonnes âmes qui ont concocté le projet du «    mariage pour tous    » ne visent d’autre but que relooker à la sauce moderne la vieille institution matrimoniale. En accordant aux « gays » le droit de se passer la bague au doigt, ils déplacent seulement d’un cran la limite au delà de laquelle les conduites sexuelles cessent d’être acceptables. OK pour «   papa-papa    » ou pour «   maman-maman   », mais pas question de liberté tout azimut. Comme pour les hétéros, il y aura les homos convenables – et les autres. L’Inquisition laïque saura trouver moyen de poursuivre les hérétiques.

    Des humoristes irrévérencieux ont relevé qu’il n’y aurait bientôt que les pédés et les curés pour vouloir se «   marier    ». N’oublions pas les bourgeois bien-pensant, qui ont toujours aimé s’afficher à la messe avant de rejoindre leurs maîtresses ou leurs gitons dans des alcôves secrètes. En cela, ils prenaient la suite des prêtres qui, chacun le sait, ont grâce à la confession la possibilité de se constituer un fichier de toutes les perversions de leur paroisse et d’y puiser pour leurs petites manies personnelles. Quitte à s’en repentir à chaudes larmes pour remettre le couvert à la première occasion. Car plus sévère est l’inquisition, plus grande est l’hypocrisie. Il y a peu, chacun savait que les religieux chargés de l’éducation des enfants abritaient dans leurs ordres de vicieux tartuffes qui profitaient de leur position pour repérer parmi leurs protégés ceux qui seraient les plus enclins à céder aux tentations de leurs fantasmes. Le pire n’était pas qu’ils fussent «   pédophiles    », mais en même temps curés, frères, ou autres masques grâce auxquels ils soufflaient en même temps sur le feu qu’ils étaient chargés d’étouffer. En somme, des pompiers pyromanes de la pire espèce, puisqu’usant de l’autorité pour soumettre les faibles à leur pouvoir de séduction. Mais au fond, de leur point de vue, n’était-ce pas le meilleur moyen d’éliminer les pulsions dangereuses que leur montrer la pourriture comme seul objectif   ? D’ailleurs ne dit-on pas «   je te nique    » à celui ou celle qu’on humilie    ? Et l’humilité est la vertu du serviteur soumis. La femme à son mari ou le giton à son curé. Du moment que la nuque est pliée, peu importe la méthode. C’est dire qu’il n’y a pas tant de contradiction pour un prêtre à pouvoir à la fois consacrer des époux et séduire des enfants de chœur.

    En notre époque de tsunamis sociaux et d’apocalypses écologiques, alors que l’économie mondiale ne sait plus comment empêcher de s’écrouler tout l’édifice grâce auquel une poignée de nantis imbéciles asservit une multitude domestiquée, alors que les conditions mêmes de la vie sont menacées d’extinction par le développement de la production des marchandises, alors que des conflits moyenâgeux conduisent à des massacres de masse grâce à l’emploi de technologies de guerre moderne, il est réjouissant de constater qu’il existe un pays où le combat politique consiste à mobiliser dans la rue les partisans et les ennemis d’un permis de niquer nouvelle formule. Comme disait Einstein, la bêtise n’a pas de limite.

    Même quand on menaçait de les pendre, écarteler, brûler vifs, les jouisseurs et jouisseuses de toutes tendances ont continué de satisfaire leurs penchants particuliers. Gageons qu’en ces temps de désordre et de tumulte, ils ou elles sauront tirer profit des vaines querelles de leurs mentors pour s’en payer en douce de bonnes et juteuses tranches. La morale, disait Rimbaud, est une faiblesse de la cervelle. Laissons-en donc l’usage aux mous du cerveau   : les benêts et leurs bouffons de maîtres. Comme aurait dit Claudel, s’il n’avait trempé sa queue dans un bénitier pour écrire des fadaises   : rira toujours bien mieux, qui rira le dernier.

    Paul, janvier 2013

    • Au nom de l’égalité des droits, des millions de personnes célibataires vivants en unions libres, exigent l’abolition des privilèges octroyés aux couples mariés.
      L’égalité est pour tous ou bien pas du tout.
      Il s’agit aujourd’hui de critiquer la normalité conformiste d’où quelle vienne.
      --
      Le premier mai 1971, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire gueulait dans la rue :
      A bas la famille !
      A bas la dictature des « nornaux » !
      --
      FHAR, Rapport contre la normalité
      http://inventin.lautre.net/livres/FHAR.pdf