La géopolitique de la cour d’école #2 – La vie cachée de la Géographie

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  • La #géopolitique de la #cour d’#école

    Une inégale répartition de l’espace

    « Le problème c’est qu’ils ont beaucoup de terrain et des fois ils vont en dehors du terrain et du coup on a encore moins de place. » C’est ainsi qu’une petite fille présente le souci de la répartition de l’espace dans la cour de son école. Le problème est simple : les garçons ne veulent pas laisser les filles jouer au foot avec eux. En soi, cela ne la dérange pas tant que ça, puisque, comme elle le dit elle même, elle n’a pas toujours envie de jouer au foot. Mais les terrains de sport occupent une bonne partie de la cour ; terrains entièrement monopolisés par les garçons et leurs jeux de ballon. Reléguant ainsi les filles aux bordures, aux espaces annexes, bien moindre que le leur. Cette criante injustice et cette inégale répartition, même une enfant est capable de la voir. Néanmoins, rien ne bouge, rien ne semble être mis en place pour améliorer la situation.

    Dans ce court-métrage d’Eléonor Gilbert, une petite fille se tient, durant 15 minutes, face à la caméra. Elle développe son rapport à l’espace qui lui est laissé dans la cour de son école. Armée d’un crayon et d’une feuille blanche, elle dessine. Elle représente l’école, la cantine et, bien évidemment, la cour, occupée aux trois quarts par trois terrains de sport. À mesure de son explication, elle colorie de son crayon les zones où elles ne peuvent pas jouer. Les toilettes, puis le préau parce que les grands ne veulent pas des petits.

    « Bon, bien sûr, les filles, parce que les garçons ont le droit de jouer au foot donc… » ajoute-t-elle. Puis elle hachure les zones où elles peuvent jouer. Un petit espace entre les buissons et le terrain de foot, en bordure de la cour (mais ce n’est pas très pratique quand même à cause des buissons).

    « Bon là on peut et encore. Souvent ils dépassent », dit-elle, une pointe d’exaspération et de résignation dans la voix.

    Finalement, entre les terrains de sport et leurs abords sur lesquels les garçons sont susceptibles de déborder, il ne reste aux filles que deux petits espaces sur lesquels jouer. Tandis que presque l’entièreté de la cour est occupée par leurs collègues masculins. Elle utilisera même le terme de « coloniser » pour décrire le phénomène.

    Les garçons colonisent les terrains de sport et donc la cour.


    https://laviecacheedelageographie.com/2019/10/07/la-geopolitique-de-la-cour-decole-1

    #cour_d'école #géographie #espace #inégalités #cour_de_récréation

    • Des #stéréotypes de #genre qui imprègnent les #jeux et mènent à des rapports inégaux.

      Mais pourquoi donc ces #terrains posent-ils autant problème ? Il n’est pas écrit « réservé à la gent masculine » pourtant !

      À mesure qu’elle parle, la jeune #enfant pose le doigt sur le fond du problème, qui ne tient pas tant aux terrains en eux-mêmes mais plutôt à l’utilisation que nous en faisons, laquelle est conduite par des stéréotypes de genre bien ancrés.

      Une fille faire du #foot ? Mais quelle idée !

      C’est déjà ce qu’elle décrit au début lorsqu’elle évoque le fait que les garçons leur interdisent de jouer avec eux. Au-delà de la #non-mixité, assez courante à cet âge, c’est surtout l’association garçons-foot qu’elle met en lumière (car on aurait très bien pu imaginer l’inverse, des #filles investissant le terrain et interdisant aux garçons de se mêler à leurs parties de sport).

      Plus loin, elle donne un autre exemple : les animateur-rices posent un sac rempli de jouets. Parfois, certaines filles font chasse gardée, autorisant les garçons à prendre les ballons ou bien les raquettes mais pas les cordes à sauter. Car, évidemment, ce jeu n’est pas pour les garçons !

      Le problème n’est donc peut-être pas tant découper l’espace en terrains de sport mais plutôt la valeur qui leur est attribuée et les stéréotypes qui les accompagnent : les #activités_sportives, c’est pour les garçons. Les filles font des activités plus calme, nécessitant moins d’espace ; il apparaît donc normal qu’elles occupent moins la cour.

      Néanmoins, les stéréotypes sont tout sauf le reflet d’une réalité diversifiée. Si certaines filles préfèrent des activités calmes, ce n’est pas le cas de toutes. De même que tous les garçons ne jouent pas au foot.

      La jeune élève le fait très justement remarquer, lorsqu’elle dit qu’elle aimerait bien jouer au foot et qu’elle n’est sans doute pas la seule à le vouloir.

      À mesure qu’on avance dans le #court-métrage, on sent sa #rage lorsqu’elle explique qu’elle a besoin de plus d’espace, qu’elle en a marre de devoir se contenter de ce si peu. Mais comment faire lorsque personne ne nous écoute ? Car ce n’est pas faute de ne pas avoir essayé. Elle raconte en effet comment elle a expliqué à un de ses amis qu’elle aimerait qu’ils ne débordent pas du terrain pour qu’elle puisse avoir son espace. Il la comprend ; mais ce sont les autres qui ne l’écoutent pas. Alors comment faire lorsque la majorité fait la sourde oreille et ferme les yeux ? Lorsque les autres ne veulent pas voir parce que ce n’est soit disant pas leur problème.

      « Mais le problème, c’est à cause d’eux » fait-elle si justement remarquer.

      La feuille de papier se couvre peu à peu de nouveaux traits rageurs. La cour est à tout le monde. « Les garçons prennent tout ça, et nous on doit prendre ça. Ce n’est pas parce qu’on est des filles qu’on n’a pas l’droit ! ». Un grand rectangle contenant un petit rectangle vient illustrer son propos et résument, en un seul dessin, la #terrible inégale répartition de l’espace.

      https://laviecacheedelageographie.com/2019/10/18/la-geopolitique-de-la-cour-decole-2

    • "Espace", d’#Eléonor_Gilbert

      Croquis à l’appui, une petite fille explique la répartition des espaces de jeu entre filles et garçons dans la cour de son école, qui lui semble problématique.

      Confinée dans un cadre fixe, la petite fille qui s’exprime ici démontre les puissances et les limites de la parole. Les mots lui permettent d’analyser l’occupation majoritairement masculine de l’espace, de décrypter les raisons pour lesquelles les filles peinent à s’en emparer. Mais les traits de crayon par lesquels elle schématise cette géographie saturent bientôt sa feuille de papier, et cèdent la place à des gribouillis rageurs. L’inégalité de fait entre les genres se présente ici comme une évidence connue dès le plus jeune âge. La seule question qui subsiste alors est : comment se faire entendre ?

      http://upopi.ciclic.fr/voir/les-courts-du-moment/espace-d-eleonor-gilbert

    • A mettre en lien avec ce billet sur @visionscarto :
      L’école, lieu(x) de vie : une exploration cartographique du quotidien scolaire

      Comment représenter l’intensité du lien que nous tissons chaque jour avec les espaces que nous traversons ? Comment exprimer le bien-être et le mal-être à l’école ? Telles sont les questions qui ont été au centre d’un projet cartographique d’exploration du quotidien scolaire, qui a réunit trois enseignantes d’arts visuels et la géographe Muriel Monnard dans les « lieux de l’école ».

      https://visionscarto.net/ecole-lieux-de-vie