Violences sexuelles : « Il y a une impunité judiciaire et sociale »

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  • Violences sexuelles : « Il y a une impunité judiciaire et sociale »

    On estime qu’au moins la moitié des viols sont jugés en tant qu’agressions sexuelles. Il y a d’autres types de requalification : les viols sur mineur sont souvent correctionnalisés en atteintes sexuelles sur mineur, ce qui laisse entendre que le rapport était consenti. Avec l’apparition de la contravention d’outrage sexiste introduite par la loi Schiappa, des agressions sexuelles sont disqualifiées en outrages. Le problème de la disqualification, c’est l’échelle de gravité : ne pas considérer bon nombre de viols comme des crimes revient à les rendre moins graves et à les banaliser. Certains magistrats sont probablement soucieux, lors de la correctionnalisation, d’agir au mieux pour la victime, car un procès en cours d’assises peut être compliqué et destructeur. Mais d’autres font une différence entre les viols « vraiment graves » et les viols « moins graves », sur des critères très contestables. Symboliquement, le procédé minimise les violences sexuelles et renvoie l’idée que ce n’est pas une priorité.

    Pourtant, certains arguments évoquent des délais plus courts en correctionnelle et de meilleures chances que le prévenu soit condamné…

    Les études sur le sujet contredisent ces affirmations : le taux de relaxe en correctionnelle est plus élevé que le taux d’acquittement aux assises. Visiblement, certains magistrats bien intentionnés ont peur que les assises se passent mal pour les victimes et que les jurés acquittent le violeur. Je crois que cela nourrit un cycle infernal : les affaires jugées devant les assises se rapprocheront toujours du stéréotype du « vrai viol », auront plus de visibilité, et les croyances seront perpétuées. Peut-être qu’il faut briser ce cercle vicieux, en favorisant la formation sur la réalité des violences sexuelles, les réactions des victimes, les statistiques qui montrent que la plupart des viols sont commis par des proches. C’est une meilleure solution que la correctionnalisation systématique.

    https://www.liberation.fr/france/2019/11/23/violences-sexuelles-il-y-a-une-impunite-judiciaire-et-sociale_1761962

    • Super interview qui fait le point sur plein de sujets : #viol, #culture_du_viol, #correctionnalisation, #justice, #police. Je conseille pour lutter contre les relous qui propagent leurs idées fausses de merde.

      Dans cette expression, le terme « culture » désigne l’ensemble des caractéristiques d’une société : ses traditions, ses valeurs, ses croyances, son humour. Une culture du viol constitue un ensemble d’attitudes qui minimisent la gravité de ce crime. Dans une culture du viol, les violences sexuelles sont courantes et demeurent impunies. En France, chaque année, 84 000 femmes et 14 000 hommes de 18 à 75 ans sont victimes de viol ou de tentative de viol. Un chiffre en deçà de la réalité, car il ne tient pas compte des mineurs, fréquemment victimes. On estime qu’une victime sur dix porte plainte et il y a une impunité judiciaire : seule une plainte sur dix aboutit à une condamnation.

      A toutes les étapes de la chaîne judiciaire, de la dénonciation à la condamnation, plus un viol se rapproche du cliché du « vrai viol » [par un inconnu dans un parking], plus il sera traité favorablement : il fera l’objet d’une plainte, de poursuites, d’un procès et d’une condamnation. La sociologue Véronique Le Goaziou a analysé des cas qui ont été jugés aux assises, et montre les viols commis par des inconnus y sont surreprésentés. Quand les violeurs sont des conjoints, il est rarissime que l’affaire passe devant une cour d’assises. De manière générale, les viols commis par une personne connue de la victime sont deux à trois fois moins signalés. Les blessures favorisent également le traitement judiciaire, avec l’idée qu’un vrai agresseur utilise une arme, emploie sa force physique. Enfin, le profil du violeur joue : s’il est d’origine populaire, non blanc, l’enquête a plus de chances d’être approfondie.

      Le violeur, c’est l’autre : le « fou », le « mec en manque de sexe », le « jeune de banlieue ». Quand il s’agit de pédocriminalité et d’inceste, on va penser aux prolétaires du nord de la France. Dans l’imaginaire général, les violeurs ne sont pas des gens « normaux ». Pourtant toutes les études montrent qu’ils proviennent de classes sociales et de professions très variées, que ce sont souvent des hommes bien intégrés à la société, des pères de famille. Se dire que les violeurs sont des monstres, extérieurs à notre société, ne permet pas une remise en question de notre modèle de société et de son fonctionnement. Adèle Haenel le dit très bien : « Les monstres, ça n’existe pas. C’est notre société. C’est nous, nos amis, nos pères », et c’est plus dérangeant.

      On considère qu’entre 5% et 13% des victimes de viol portent plainte. Il faut tout d’abord qu’elles se perçoivent comme telles. A cause des stéréotypes, une femme qui a été violée par son petit copain ne va pas forcément l’identifier comme une violence sexuelle. Elle va en avoir honte et se murer dans le silence. Dans le cas des violences de proximité, la peur des conflits de loyauté, des conflits familiaux, complique la dénonciation.

      Parfois, elles ne sont pas crues, certains professionnels les culpabilisent, manquent de tact, voire se moquent ou les humilient. Ce n’est pas toujours le cas, mais cela nourrit un climat de méfiance des femmes face au système judiciaire.