• « Une allocation d’autonomie pour les étudiants n’aurait rien d’une utopie budgétaire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/27/une-allocation-d-autonomie-pour-les-etudiants-n-aurait-rien-d-une-utopie-bud

    Dans une tribune au « Monde », Tom Chevalier, politiste et chercheur au CNRS, souligne que le « salaire étudiant », également appelé allocation d’autonomie, est un dispositif déjà présent dans les pays nordiques, où il joue un grand rôle au service de l’égalité des chances.

    « Au Danemark, chaque étudiant peut bénéficier d’une allocation mensuelle d’environ 700 euros pendant six ans » (Illustration : trouver un logement est une étape difficile pour un étudiant sur trois, selon une étude de l’Observatoire de la vie étudiante). Tribes of the city (CC BY-NC-SA 2.0)

    Tribune. La tentative de suicide d’un étudiant qui s’est immolé par le feu à Lyon (Rhône) le 8 novembre a mis à l’agenda l’enjeu de la précarité étudiante. Selon l’Observatoire national de la vie étudiante, 22,70 % des étudiants déclarent en effet avoir été confrontés à d’importantes difficultés financières durant l’année 2016, et moins de la moitié (45 %) déclare avoir assez d’argent pour couvrir ses besoins mensuels. L’événement dramatique de Lyon a réactivé, pour lutter contre cette précarité, la revendication d’un « salaire étudiant ».
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    Cette question est ancienne puisqu’elle provient de la charte de Grenoble de 1946, fondatrice du syndicalisme étudiant et qui reconnaissait l’étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel ». L’idée de « salaire étudiant » s’est ensuite progressivement confondue avec celle d’« allocation d’autonomie », même si les appellations diffèrent. Cette idée s’est largement diffusée hors des cercles syndicaux, notamment dans les années 2000, avec la publication de nombreux rapports sur le sujet.

    Mesure réalisable
    A cet égard, on peut notamment citer les rapports du Commissariat général du plan « Jeunesse, le devoir d’avenir », issu en 2001 d’une commission présidée par Dominique Charvet, et « Pour une autonomie responsable et solidaire », de Jean-Baptiste de Foucauld et Nicole Roth, en 2002. Il y eut aussi, en 2007, le rapport sur « Les dotations en capital pour les jeunes », du Centre d’analyse stratégique ; en 2009, le « Livre vert de la Commission sur la politique de la jeunesse », présidée par Martin Hirsch ; en 2017, « Arrêtons de les mettre dans des cases ! », rapport au premier ministre de Célia Vérot et Antoine Dulin.
    Plusieurs chercheurs ont aussi souligné l’effet positif de la mise en place d’un tel dispositif, qu’il s’agisse de sociologues, comme Camille Peugny, dans Le Destin au berceau (Seuil, 2013), ou d’économistes, comme Thomas Piketty, dans Capital et Idéologie (Seuil, 2019). Cette mesure est réalisable puisqu’elle existe déjà dans les pays nordiques, où elle accompagne le droit à la formation tout au long de la vie ainsi que l’individualisation de la citoyenneté sociale.

    Ces rapports et travaux proposent la mise en place d’une allocation d’autonomie sous la forme d’un « droit de tirage pour la formation » : chaque étudiant aurait le droit de bénéficier d’une allocation mensuelle lui permettant de poursuivre des études. Certains considèrent qu’une telle allocation relève de l’impossible, notamment en raison de son coût. Il n’en est rien : tous les pays nordiques l’ont mise en place, alors même que la poursuite d’études supérieures y est gratuite, afin de promouvoir l’égalité des chances. Au Danemark, chaque étudiant peut bénéficier d’une allocation mensuelle d’environ 700 euros pendant six ans.
    Le Haut Conseil de la famille (HCF) a publié en 2016 un rapport sur les jeunes de 18 à 24 ans où il présentait les enjeux de la mise en place d’une telle allocation d’autonomie en France. Pour une allocation d’un montant du revenu minimum (environ 462 euros mensuels en 2016), qui est aussi environ le montant de la bourse la plus élevée, lissé sur douze mois, le HCF nous dit que la mesure coûterait environ 12 milliards d’euros.

    En rien une utopie budgétaire
    Il faut toutefois également prendre en compte tous les autres dispositifs d’aides aux étudiants dont les budgets seraient réalloués à cette nouvelle allocation, comme les bourses, les exonérations actuelles qui leur sont liées, les dépenses fiscales aux familles, et les prestations familiales allouées aux parents des étudiants de 18 à 20-21 ans – ce qui revient à environ 7,7 milliards d’euros. Le besoin de financement s’élève donc en fin de compte à 5,3 milliards d’euros.
    A titre de comparaison, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont l’efficacité en termes de créations d’emplois a été fortement critiquée, a coûté 21 milliards d’euros en 2018, tandis que la suppression de la taxe d’habitation coûterait environ 17,6 milliards : la mise en place d’une allocation d’autonomie n’a donc rien d’une utopie budgétaire.

    Si la mise en place d’une allocation d’autonomie est possible pour lutter contre la précarité étudiante et promouvoir l’égalité des chances, elle s’insère dans un contexte spécifique. D’abord, elle accompagne le droit à la formation tout au long de la vie promu dans les pays nordiques, se traduisant par deux caractéristiques de leur enseignement supérieur.
    D’un côté, le système éducatif en général y est faiblement inégalitaire, tandis que le système éducatif français, très élitiste, produit au contraire de fortes inégalités, avec un enseignement supérieur très segmenté, notamment en raison de la dualité historique entre universités et grandes écoles.

    Des étudiants vus comme des adultes
    D’un autre côté, les études supérieures n’y sont pas considérées comme un seul prolongement du secondaire. Autrement dit, non seulement le cumul emploi-études y est plus aisé, mais les allers-retours entre emploi et études sont possibles et encouragés tout au long de la vie : le destin scolaire et professionnel n’est ainsi pas fixé à 23 ans sans possibilité de réflexion ou de seconde chance pour les jeunes, comme c’est le cas en France.
    Une allocation d’autonomie suppose par ailleurs de reconnaître le statut d’adulte des jeunes, et en l’occurrence des jeunes adultes scolarisés, en individualisant la citoyenneté sociale. En France, la citoyenneté sociale est familialisée dans la mesure où les jeunes adultes sont considéré·es comme de « grands enfants » : il revient aux parents de s’occuper de leurs enfants, même majeurs, a fortiori lorsqu’ils ou elles sont scolarisé·es, comme l’a bien montré le film d’Etienne Chatiliez Tanguy (2001).

    D’où l’importance de la politique familiale dans les aides aux étudiants et le fait que les bourses dépendent du revenu des parents. Or, dans les pays nordiques, les jeunes peuvent bénéficier en leur nom propre des prestations sociales en général, et de l’allocation d’autonomie en particulier, puisqu’ils sont vus comme des adultes qui ne dépendent plus nécessairement de leurs parents sur le plan financier.
    Cette reconnaissance du statut d’adulte des jeunes que permet une telle individualisation renforce en retour leur niveau de confiance dans les institutions. A l’opposé, ces niveaux sont particulièrement bas dans le cas français, la familialisation étant perçue comme une infantilisation, et donc comme une forme de défiance de la part de l’Etat vis-à-vis de sa jeunesse.

    #étudiants #allocation-d’autonomie #revenu

    • Je mets en exergue cet extrait qui montre bien qu’on saurait où trouver de l’argent.

      Il faut toutefois également prendre en compte tous les autres dispositifs d’aides aux étudiants dont les budgets seraient réalloués à cette nouvelle allocation, comme les bourses, les exonérations actuelles qui leur sont liées, les dépenses fiscales aux familles, et les prestations familiales allouées aux parents des étudiants de 18 à 20-21 ans – ce qui revient à environ 7,7 milliards d’euros. Le besoin de financement s’élève donc en fin de compte à 5,3 milliards d’euros.
      A titre de comparaison, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, dont l’efficacité en termes de créations d’emplois a été fortement critiquée, a coûté 21 milliards d’euros en 2018, tandis que la suppression de la taxe d’habitation coûterait environ 17,6 milliards : la mise en place d’une allocation d’autonomie n’a donc rien d’une utopie budgétaire.