• Retour sur une expérience de logement des migrants. Le conventionnement du #squat des #Jardins_de_la_Poterie à #Rennes

    Entre décembre 2016 et l’été 2017, un squat occupé par des migrants avec l’aide d’associations locales a été l’objet d’un conventionnement avec la mairie de Rennes. Ce conventionnement des « Jardins de la Poterie », qui reste une modalité d’action éphémère, a donné lieu à des expériences et à des interactions inédites, tant pour les résidents du squat que pour les acteurs impliqués et les habitants du quartier.

    Cet article propose de revenir sur un terrain de recherche portant sur l’hébergement des migrants [1] en France, en particulier ceux qui sont confrontés à la précarité et à l’éphémère (Bergeon 2014) et contraints d’occuper des formes de logement « hors normes », ainsi que sur les actions et mobilisations observées dans les sphères militantes et de l’action publique locale (pour les références bibliographiques sur ce domaine, voir en fin d’article la rubrique « pour aller plus loin »).

    Le terrain se déroule à Rennes, entre juin 2016 et juillet 2017 [2], où un lieu est occupé par 160 personnes migrantes et sans-abri. Initialement « squat », le lieu a été conventionné sous un régime inédit à partir de décembre 2016, reprenant le nom de « Jardins de la Poterie » (Hoyez, Bergeon et Viellot-Tomic 2017). Nous retraçons ici cet épisode en interrogeant a posteriori l’enchaînement des étapes qui ont conduit des associations et une mairie à conventionner un « squat » pour en faire un lieu de vie « régulé » (pourquoi et comment un squat a-t-il pu être conventionné ? pourquoi l’a-t-il été pendant huit mois avant d’être évacué ?), tout en analysant les régimes d’occupation du lieu par les habitants et les habitantes et l’appui des associations. La question de la finitude de cette occupation restera le grand hiatus entre toutes les parties : si la fin de l’occupation était connue très tôt, elle n’a pourtant pas été anticipée par les institutions politiques locales et les personnes n’ont été réorientées qu’aux derniers instants de vie du lieu. Cette première expérience de légalisation de squat à grande capacité d’accueil ouvrira cependant, à l’échelle locale, vers de nouvelles possibilités de logement, toujours temporaires et changeantes, des populations migrantes.

    Les intérêts de chacun des acteurs (associatifs, institutionnels et privés) en ce qui concerne le logement des migrants étant souvent divergents, comment se sont déroulées les négociations autour des cadres de ce conventionnement ? Quels apprentissages théoriques et pratiques peut-on tirer de cette expérience ? Quels en sont les effets sur le quotidien des migrants qui y vivent et des associations qui sont impliquées ?
    Le conventionnement des Jardins de la Poterie : les étapes d’une « légalisation » inédite

    En juillet 2016, une association rennaise active dans le champ de la lutte contre le mal-logement des migrants (UTUD, Un toit c’est un droit) parvient à ouvrir un squat à grande capacité d’accueil : une ancienne maison de retraite. Le lieu investi se situe dans un quartier à la sortie sud-ouest de la ville de Rennes, marqué par un habitat pavillonnaire résidentiel, comptant plusieurs services de proximité (écoles, collèges, lycées ; commerces ; maison de quartier) et bien connecté aux infrastructures de transport le reliant au reste de la ville. Le squat est composé de chambres et studios qui permettent d’accueillir des individus et des familles dans des espaces privés et au sein de plusieurs espaces collectifs (cuisines, halls et pièces communes, couloirs, jardins). 160 personnes y sont logées immédiatement, dont presque la moitié sont des enfants. Rapidement, le promoteur immobilier (propriétaire des lieux) demande l’expulsion des habitants et souhaite la restitution de son bien. Le jugement lui est défavorable : le juge décide que l’hébergement des 160 personnes est prioritaire au regard d’un projet immobilier resté au point mort depuis plus de deux ans. Le promoteur est donc débouté de sa demande d’expulsion par le tribunal administratif, et le juge repousse l’examen de l’appel à fin janvier 2017. Cependant, la fin de la trêve hivernale intervenant fin mars, les habitants peuvent se projeter sur une occupation de plus de six mois de ce lieu. Devant cette situation inédite et inattendue, des échanges et pourparlers se sont mis en place dans le but d’organiser au mieux, et collectivement (habitants du squat et associations), le lieu de vie et sur tous les plans. C’est ainsi le cas sur le plan logistique, avec par exemple de fortes mobilisations de toutes les associations impliquées de septembre à décembre 2017 pour assurer l’accès du squat au chauffage, accès qui sera assuré à la mi-décembre 2016 ; sur le plan juridique : le lieu, une fois relié au réseau de chauffage urbain, doit être légalisé pour en bénéficier, mais sous quel type de contrat ? Ou encore sur le plan humain et social : comment organiser l’animation de la vie interne du squat comme sa vie « externe », c’est-à-dire sa connexion avec la vie du quartier, avec la ville ?

    Au bout de longues négociations, lors de différentes assemblées générales et réunions officielles à la mairie, les différentes parties, sans conflictualités politiques notables à ce moment-là, signent un conventionnement en trois actes en janvier 2017 :

    1. un commodat [3] est rédigé et signé devant un notaire entre l’association UTUD et le propriétaire pour la mise à disposition du bâtiment dans un cadre légal ;
    2. une convention financière est signée entre l’association UTUD, la Fondation Abbé Pierre (FAP), le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la Ville de Rennes s’engageant à prendre en charge les frais d’assurance et les fluides pour la remise en route du chauffage ;
    3. un protocole de partenariat entre le CCAS de la Ville de Rennes, le Secours catholique, la FAP, le Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire (CCFD-Terre solidaire) et UTUD est conclu pour le suivi des habitants du squat par l’État en prévision de la fin de l’occupation.

    Ces trois actes du conventionnement forment donc le cadre des règles, usages et engagements des différentes parties impliquées dans la « stabilisation temporaire » de ce squat. La date de fin d’occupation des Jardins de la Poterie a été inscrite de façon arbitraire dans le commodat pour le 17 juillet 2017, ce qu’associations et habitants se sont engagés à respecter. Cependant, le troisième volet du conventionnement a connu un destin plus mitigé. En effet, les premières réunions et visites de terrain par les élus et les services sociaux de la Mairie pour traiter des situations administratives des habitants ne sont intervenues qu’en avril 2017. La préfecture n’a pour sa part jamais effectué de visite, ni assisté à aucune réunion avec la Mairie, malgré les invitations qui leur ont été adressées par les élus. L’image de la « patate chaude » que se renvoyaient les services préfectoraux a souvent été mentionnée par les associations et les services sociaux de la Ville. Plusieurs raisons ont présidé à cette inaction : d’une part, la préfecture, centrée sur son rôle de régulation des titres de séjours, a préféré renvoyer les compétences sociales de la prise en charge de l’hébergement des migrants aux services de la ville. Mais elle s’explique d’autre part par un bras de fer politique entre la préfecture et la Mairie lié au contexte préélectoral des élections présidentielles de mai 2017, comme nous le verrons infra.
    Le reflet des mobilisations associatives locales

    Sur toute la période, 42 associations se sont déclarées solidaires des Jardins de la Poterie et signataires d’un tract de solidarité « perpétuel » avec ceux-ci et la cause des migrants en général. Ces associations recouvrent une diversité substantielle : représentations de partis politiques, syndicats, diverses associations de soutien aux migrants, associations étudiantes ou lycéennes. Une dizaine d’associations était constamment sur le terrain et menait des actions concrètes à destination des habitants. Quatre d’entre elles ont été déclarées « gestionnaires » du squat (UTUD, CCFD-Terre solidaire, FAP, Secours catholique). Mais, dans les faits, nous avons pu constater des implications inégales au cours de la période, le travail de terrain reposant principalement sur l’association UTUD. Cette association a un rôle de premier plan sur le terrain pour plusieurs raisons : elle est connue localement pour être à l’initiative d’ouvertures de squats, notamment celui de la Poterie ; ses membres dialoguent régulièrement avec les instances municipales ; elle a pris en mains la négociation avec la Mairie ; et, enfin, elle est une ressource identifiée par les migrants à Rennes.

    Ces associations formaient un réseau militant local et organisé au sein d’un collectif interorganisations mis en place de façon ad hoc autour de ce squat. La mobilisation pour la Poterie a représenté de ce point de vue une opportunité pour ce tissu associatif de mettre en place des cultures de fonctionnement collectif dans le paysage politique rennais. Ce réseau mobilisait de nombreux savoir-faire techniques, culturels ou intellectuels, auxquels s’ajoutaient les mobilisations des habitants du quartier qui ont accueilli positivement l’occupation de ce lieu de vie : par exemple, participation aux manifestations de soutien, campagne d’information bienveillante par affichettes.

    Enfin, cet élan collectif associatif et citoyen, en organisant des actions dans l’espace public (manifestations, événements festifs), a permis à la Mairie de mesurer l’importance des solidarités en faveur des habitants de la Poterie. Cela a conduit les services de l’action publique locale à s’engager en actes : en plus du conventionnement déjà mentionné, la ville de Rennes, via ses services sociaux, et Rennes métropole ont débloqué des financements supplémentaires pour subvenir aux besoins quotidiens des habitants (distribution d’eau et de chauffage, entre autres).
    Les habitants de la Poterie, entre appartenances de groupe et trajectoires individuelles

    Sur le terrain, nous nous sommes régulièrement demandé si ces personnes migrantes formaient une communauté (au sens utilisé dans la littérature scientifique anglophone, c’est-à-dire un groupe autodésigné autour d’une identité commune et reconnu comme tel), quand bien même les origines nationales, les appartenances linguistiques, et les situations administratives étaient contrastées.

    L’examen des situations administratives révélait une pluralité de situations : on trouvait des personnes demandeuses d’asile, des réfugiés statutaires, des personnes en procédure Dublin, des déboutés du droit d’asile, des personnes en attente de rendez-vous ou sous OQTF (obligation à quitter le territoire français), des personnes sans existence administrative, d’autres ayant déposé un dossier « étranger malade ». L’un des grands enjeux politiques, pour les associations et les habitants des Jardins de la Poterie, fut l’accompagnement administratif et social des personnes relevant des cinq dernières catégories citées, qui sont considérées comme « sans papiers ». Cette liste n’est pas exhaustive, les situations des résidents de la Poterie se caractérisant par une grande diversité de statuts administratifs, de situations familiales et d’états de santé. Par ailleurs, au sein des habitants des Jardins de la Poterie, nous avons pu noter de fortes volontés de différenciation entre groupes et entre individus, qui se manifestent souvent autour des modalités de partage des espaces collectifs et individuels, la plupart des habitants n’ayant pas choisi un mode de vie collectif. Au quotidien, les habitants ont surtout évoqué des situations plus ou moins conflictuelles. Ces situations conflictuelles s’exprimaient notamment entre habitants aux statuts familiaux différents, avec une difficile conciliation des agendas et modes d’occupation des lieux collectifs entre familles et célibataires, par exemple quand le silence est requis aux heures nocturnes pour les enfants, qui sont cependant des heures d’activité pour les célibataires sans enfants, ou encore quand les enfants courent, crient et jouent dans les espaces communs, entraînant des dissensions autour du niveau sonore. Elles se manifestaient aussi du fait d’origines différentes, avec des difficultés de communication au quotidien entre francophones et non-francophones, ou encore résultaient de difficultés classiques liées à la cohabitation. Par ailleurs, une même nationalité d’origine ou des convergences linguistiques conduisent à produire des regroupements affinitaires dans le squat. L’organisation sociale de celui-ci et sa microgéographie sont pensées par les associations et les habitants en fonction de ces deux variables afin de faciliter la vie au quotidien.

    Au-delà de l’hétérogénéité des situations individuelles et des aspirations de différenciations, les habitants des Jardins de la Poterie se sont à plusieurs reprises identifiés comme unis par la circonstance de la précarité résidentielle et la quête d’obtenir un titre de séjour. Cette prise de conscience nous a notamment été rapportée par les associations lors des moments marquants de la vie du lieu : lors des réunions avec la Mairie ou lors des visites par les services sociaux pendant lesquelles les habitants se présentaient en tant que groupe, lors des événements culturels et festifs qui amenaient du public et les mettaient en position d’accueillants, lors de manifestations dans l’espace public sous les mêmes banderoles et slogans, le jour de la sortie où « ceux de la Poterie » se retrouvaient sans solution d’hébergement. En effet, l’évocation d’une appartenance collective aux Jardins de la Poterie a surtout émergé en point d’orgue, en fin d’occupation, lors de la résurgence du sentiment collectif de vulnérabilité et de précarité résidentielle à venir pour l’« après-17 juillet 2017 ». À l’échelle des trajectoires migratoires des personnes, la solution de logement bricolée aux Jardins de la Poterie pendant une année entière a été vécue comme une respiration, une trêve, dans des trajectoires résidentielles découpées, sans cesse recomposées, et dont les effets s’avèrent délétères pour la vie quotidienne.

    Or, si le conventionnement a permis de lever l’insécurité domiciliaire du squat, celle-ci a resurgi à la fin du conventionnement, au moment de la sortie du lieu, car elle n’avait pas été anticipée par les pouvoirs publics. L’impensé, voire l’absence de réflexion concernant l’issue du conventionnement s’inscrit dans un contexte électoral national (élections présidentielles de 2017) qui a contribué à de longues phases de statu quo, entre décembre 2016 et juillet 2017. D’une part, les services de la Préfecture, en attente des renouvellements des nominations (Préfet, chefs de service), n’ont pas engagé de processus de régularisation des situations administratives des personnes. D’autre part, les élus de la Ville de Rennes sont restés en retrait, freinant les prises de décision des services sociaux par crainte des répercussions que celles-ci, médiatisées, pourraient avoir sur l’électorat local.

    Malgré tout, plusieurs mois après la fin de l’occupation, le sentiment d’appartenance à une communauté habitante semble perdurer pour certains individus et familles encore présents sur le territoire rennais, grâce aux sociabilités habitantes induites par les actions militantes et par la vie commune qu’il a fallu négocier et aménager.
    Enjeux locaux et devenirs de l’action associative et politique

    Localement, l’arrivée de ces populations de migrants, leur stabilisation et la visibilité prise par ce lieu de vie à l’échelle de la ville et d’un quartier ont conduit à l’élaboration de plusieurs partenariats, débats, prises de responsabilités dans la sphère publique et/ou privée.

    La recherche de terrain a permis de révéler la gamme des acteurs institutionnels avec lesquels les migrants sont en dialogue autour des questions de leur logement : associations, ville, Samu social, préfecture, initiatives citoyennes. Un hiatus apparaît cependant. Les Jardins de la Poterie s’est avéré être un lieu qui déchargeait les dispositifs d’hébergement d’urgence en offrant un logement stable et habitable. Il est donc vite devenu un lieu à fort enjeu politique dont la survie tenait au maintien du dialogue entre toutes les parties concernées. Il a donné lieu à une forme d’urbanisme négocié, la Ville de Rennes ayant enjoint au promoteur immobilier, propriétaire du lieu, de mettre à disposition son bien dans le cadre d’une convention en attendant de faire avancer son projet initial. Enfin, il est apparu comme un haut lieu des mouvements de soutien et de solidarité organisés autour d’associations, riverains, citoyens agissant à titre individuel.

    Aussi, les enjeux forts qui ont émergé autour des Jardins de la Poterie ont été source de conflictualité entre les différentes parties, soulevant des questions importantes sur la nature de ce conventionnement : s’agit-il de réels partenariats ou de simples transferts de compétences ? Cette prise en charge des populations migrantes à l’échelle locale n’est-elle pas une délégation indirecte de l’accueil vers les associations et les actions citoyennes ? La question de la déresponsabilisation des collectivités locales se pose ici, car elle engage des moyens financiers (qui paie ?) et des moyens humains (qui va y consacrer énergie et temps ?).

    Quand la Ville met en évidence que l’État se décharge sur elle de son devoir d’hébergement des migrants sur le territoire métropolitain, quand les associations font valoir que la Ville se décharge sur elles de l’accompagnement social des habitants des Jardins de la Poterie, nous pouvons prendre la mesure des enjeux collectifs et de la responsabilité sociale et politique qui incombent à toutes les parties engagées.

    L’expérience du conventionnement du squat des Jardins de la Poterie ouvrait en 2017 une perspective nouvelle sur les possibilités d’accueil des populations migrantes et plus largement des personnes touchées par des problématiques de logement. Cet exemple d’urbanisme négocié montre aussi les tensions importantes autour de l’accueil de l’autre et de la prise en charge de la précarité dans l’espace local quand les enjeux économiques (promoteurs), politiques (Ville de Rennes) et humains (associations) se jouent sur un même terrain.

    Aujourd’hui, la modalité de conventionnement pour le logement des migrants est rentrée dans les pratiques d’occupation des lieux dans les luttes à Rennes comme dans d’autres villes, non seulement dans le cadre de la légalisation de squats, mais aussi en ce qui concerne la construction de partenariats entre mairies, bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers. Elle s’inscrit également à l’échelle nationale au travers des nouvelles orientations prescrites par la loi ELAN pour le développement de conventions de protection de bâtiments vides par l’occupation à destination d’un public vulnérable. Mais elle reste une modalité éphémère, utilisée de façon cyclique, qui s’essouffle et montre ses limites à l’heure actuelle, où les renouvellements de conventions sont suspendus au profit de l’ouverture de… gymnases.

    https://www.metropolitiques.eu/Retour-sur-une-experience-de-logement-des-migrants.html
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