Bangladesh Turning Refugee Camps into Open-Air Prisons

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  • Le #Bangladesh veut-il noyer ses #réfugiés_rohingyas ?

    Confronté à la présence sur son territoire d’un million de réfugiés musulmans chassés de Birmanie par les crimes massifs de l’armée et des milices bouddhistes, Dacca envisage d’en transférer 100 000 sur une île prison, dans le golfe du Bengale, menacée d’inondation par la mousson. Ce projet vient relancer les interrogations sur le rôle controversé de l’Organisation des Nations unies en #Birmanie.
    Dans les semaines qui viennent, le gouvernement du Bangladesh pourrait transférer plusieurs milliers de réfugiés rohingyas, chassés de Birmanie entre 2012 et 2017, dans une #île du #golfe_du_Bengale menacée de submersion et tenue pour « inhabitable » par les ONG locales. Préparé depuis des mois par le ministère de la gestion des catastrophes et des secours et par la Commission d’aide et de rapatriement des réfugiés, ce #transfert, qui devrait dans un premier temps concerner 350 familles – soit près de 1 500 personnes – puis s’étendre à 7 000 personnes, devrait par la suite être imposé à près de 100 000 réfugiés.

    Selon les agences des Nations unies – Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et Organisation internationale pour les migrations (OIM) –, plus de 950 000 s’entassent aujourd’hui au Bangladesh dans plusieurs camps de la région de #Cox’s_Bazar, près de la frontière birmane. Près de 710 000 membres de cette minorité musulmane de Birmanie, ostracisée par le gouvernement de #Naypidaw, sont arrivés depuis août 2017, victimes du #nettoyage_ethnique déclenché par l’armée avec l’appui des milices villageoises bouddhistes.

    Les #baraquements sur #pilotis déjà construits par le gouvernement bangladais sur l’#île de #Bhasan_Char, à une heure de bateau de la terre ferme la plus proche, dans le #delta_du_Meghna, sont destinés à héberger plus de 92 000 personnes. En principe, les réfugiés désignés pour ce premier transfert doivent être volontaires.

    C’est en tout cas ce que les autorités du Bangladesh ont indiqué aux agences des Nations unies en charge des réfugiés rohingyas. Mais l’ONG régionale Fortify Rights, qui a interrogé, dans trois camps de réfugiés différents, quatorze personnes dont les noms figurent sur la liste des premiers transférables, a constaté qu’en réalité, aucune d’entre elles n’avait été consultée.

    « Dans notre camp, a déclaré aux enquêteurs de Fortify Rights l’un des délégués non élus des réfugiés chargé des relations avec l’administration locale, aucune famille n’accepte d’être transférée dans cette île. Les gens ont peur d’aller vivre là-bas. Ils disent que c’est une île flottante. » « Île qui flotte », c’est d’ailleurs ce que signifie Bhasan Char dans la langue locale.

    Les réfractaires n’ont pas tort. Apparue seulement depuis une vingtaine d’années, cette île, constituée d’alluvions du #Meghna, qui réunit les eaux du Gange et du Brahmapoutre, émerge à peine des eaux. Partiellement couverte de forêt, elle est restée inhabitée depuis son apparition en raison de sa vulnérabilité à la mousson et aux cyclones, fréquents dans cette région de la mi-avril à début novembre. Cyclones d’autant plus redoutés et destructeurs que l’altitude moyenne du Bangladesh ne dépasse pas 12 mètres. Selon les travaux des hydrologues locaux, la moitié du pays serait d’ailleurs submergée si le niveau des eaux montait seulement d’un mètre.

    « Ce projet est inhumain, a confié aux journalistes du Bangla Tribune, un officier de la marine du Bangladesh stationné dans l’île, dont l’accès est interdit par l’armée. Même la marée haute submerge aujourd’hui une partie de l’île. En novembre1970, le cyclone Bhola n’a fait aucun survivant sur l’île voisine de Nijhum Dwip. Et Bhasan Char est encore plus bas sur l’eau que Nijhum Dwip. » « Un grand nombre de questions demeurent sans réponses, observait, après une visite sur place en janvier dernier, la psychologue coréenne Yanghee Lee, rapporteure spéciale de l’ONU pour la situation des droits de l’homme en Birmanie. Mais la question principale demeure de savoir si cette île est véritablement habitable. »

    « Chaque année, pendant la mousson, ont confié aux enquêteurs de Human Rights Watch les habitants de l’île voisine de Hatiya, une partie de Bhasan Char est érodée par l’eau. Nous n’osons même pas y mettre les pieds. Comment des milliers de Rohingyas pourraient-ils y vivre ? » Par ailleurs, la navigation dans les parages de l’île est jugée si dangereuse, par temps incertain, que les pêcheurs du delta hésitent à s’y aventurer. Les reporters d’un journal local ont dû attendre six jours avant que la météo devienne favorable et qu’un volontaire accepte de les embarquer.

    À toutes ces objections des ONG, d’une partie de la presse locale et de plusieurs agences des Nations unies, le gouvernement bangladais répond que rien n’a été négligé. Une digue, haute de près de trois mètres et longue de 13 km, a été érigée autour de l’enclave de 6,7 km² affectée à l’hébergement des Rohingyas. Chacune des 120 unités de logement du complexe comprend douze bâtiments sur pilotis, une mare et un abri en béton destiné à héberger 23 familles en cas de cyclone et à recevoir les réserves de produits alimentaires. Conçus, selon les architectes, pour résister à des vents de 260 km/h, les abris pourront aussi être utilisés comme salles de classe, centres communautaires et dispensaires.

    Construit en parpaings, chaque bâtiment d’habitation contient, sous un toit de tôle métallique, seize chambres de 3,5 m sur 4 m, huit W.-C., deux douches et deux cuisines collectives. Destinées à héberger des familles de quatre personnes, les chambres s’ouvrent sur une coursive par une porte et une fenêtre à barreaux. Un réseau de collecte de l’eau de pluie, des panneaux solaires et des générateurs de biogaz sont également prévus. Des postes de police assureront la sécurité et 120 caméras de surveillance seront installées par la marine.

    Compte tenu des conditions de navigation très difficiles dans l’estuaire de la Meghna et du statut militarisé de l’île, la liberté de mouvement des réfugiés comme leur aptitude à assurer leur subsistance seront réduites à néant. « Bhasan Char sera l’équivalent d’une prison », estimait en mars dernier Brad Adams, directeur pour l’Asie de Human Rights Watch.
    Aung San Suu Kyi n’a pas soulevé un sourcil

    Aucun hôpital n’est prévu sur l’île. En cas d’urgence, les malades ou les blessés devront être transférés vers l’hôpital de l’île de Hatiya, à une heure de bateau lorsque le temps le permet. Faute de production locale, la quasi-totalité de l’alimentation devra être acheminée depuis le continent. La densité de population de ce complexe dont les blocs, disposés sur un plan orthogonal, sont séparés par d’étroites allées rectilignes, dépassera, lorsqu’il sera totalement occupé, 65 000 habitants au kilomètre carré, soit six fois celle du cœur de New York.

    On le voit, ce « paradis pour les Rohingyas », selon le principal architecte du projet, Ahmed Mukta, qui partage son activité entre Dacca et Londres, tient davantage du cauchemar concentrationnaire submersible que du tremplin vers une nouvelle vie pour les réfugiés birmans du Bangladesh. Ce n’est pourtant pas faute de temps et de réflexion sur la nature et la gestion du complexe. L’idée de transférer les réfugiés birmans sur Bhasan Char circulait depuis 2015 parmi les responsables birmans. À ce moment, leur nombre ne dépassait pas 250 000.

    Alimentés depuis 1990 par un chapelet de flambées de haine anti-musulmanes que le pouvoir birman tolérait quand il ne les allumait pas lui-même, plusieurs camps s’étaient créés dans la région de Cox’s Bazar pour accueillir les réfugiés chassés par la terreur ou contraints à l’exil par leur statut spécial. Musulmans dans un pays en écrasante majorité bouddhiste, les Rohingyas se sentent depuis toujours, selon l’ONU, « privés de leurs droits politiques, marginalisés économiquement et discriminés au motif de leur origine ethnique ».

    Le projet s’était apparemment endormi au fond d’un tiroir lorsqu’en août 2017, après la véritable campagne de nettoyage ethnique déclenchée par Tatmadaw (l’armée birmane) et ses milices, près de 740 000 Rohingyas ont fui précipitamment l’État de Rakhine, (autrefois appelé Arakan) où ils vivaient pour se réfugier de l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, auprès de leurs frères, exilés parfois depuis plus de vingt-cinq ans. En quelques jours, le nombre de Rohingyas dans le district de Cox’s Bazar a atteint un million de personnes et le camp de réfugiés de Kutupalong est devenu le plus peuplé de la planète.

    Nourrie par divers trafics, par le prosélytisme des émissaires islamistes, par la présence de gangs criminels et par l’activisme des agents de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA) à la recherche de recrues pour combattre l’armée birmane, une insécurité, rapidement jugée incontrôlable par les autorités locales, s’est installée dans la région. Insécurité qui a contribué à aggraver les tensions entre les réfugiés et la population locale qui reproche aux Rohingyas de voler les petits boulots – employés de restaurant, livreurs, conducteurs de pousse-pousse – en soudoyant les policiers et en acceptant des salaires inférieurs, alors qu’ils ne sont officiellement pas autorisés à travailler.

    Cette situation est d’autant plus inacceptable pour le gouvernement de Dacca que Cox’s Bazar et sa plage de 120 km constituent l’une des rares attractions touristiques du pays.

    Pour mettre un terme à ce chaos, le gouvernement de Dacca a d’abord compté sur une campagne de retours volontaires et ordonnés des Rohingyas en Birmanie. Il y a un an, 2 200 d’entre eux avaient ainsi été placés sur une liste de rapatriement. Tentative vaine : faute d’obtenir des garanties de sécurité et de liberté du gouvernement birman, aucun réfugié n’a accepté de rentrer. Le même refus a été opposé aux autorités en août dernier lorsqu’une deuxième liste de 3 500 réfugiés a été proposée. Selon les chiffres fournis par le gouvernement birman lui-même, 31 réfugiés seulement sont rentrés du Bangladesh entre mai 2018 et mai 2019.

    Les conditions, le plus souvent atroces, dans lesquelles les Rohingyas ont été contraints de fuir en août 2017 et ce qu’ils soupçonnent de ce qui les attendrait au retour expliquent largement ces refus. Selon le rapport de la Mission d’établissement des faits de l’ONU remis au Conseil des droits de l’homme le 8 août 2019 [on peut le lire ici], les Rohingyas ont été victimes, un an plus tôt, de multiples « crimes de droit international, y compris des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ».

    Selon ce document, « la responsabilité de l’État [birman – ndlr] est engagée au regard de l’interdiction des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, ainsi que d’autres violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire ».

    Le rapport précise que « la mission a établi une liste confidentielle de personnes soupçonnées d’avoir participé à des crimes de droit international, y compris des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, dans les États de Rakhine, kachin et shan depuis 2011. Cette liste […] contient plus d’une centaine de noms, parmi lesquels ceux de membres et de commandants de la Tatmadaw, de la police, de la police des frontières et des autres forces de sécurité, y compris de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, ainsi que les noms de représentants des autorités civiles, au niveau des districts, des États et du pays, de personnes privées et de membres de groupes armés non étatiques. […] La liste mentionne aussi un grand nombre d’entités avec lesquelles les auteurs présumés de violations étaient liés, notamment certaines unités des forces de sécurité, des groupes armés non étatiques et des entreprises ».

    On comprend dans ces conditions que, rien n’ayant changé depuis cet été sanglant en Birmanie où Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, n’a pas levé un sourcil devant ces crimes, les Rohingyas préfèrent l’incertain chaos de leur statut de réfugiés à la certitude d’un retour à la terreur. Et refusent le rapatriement. Ce qui a conduit, début 2018, la première ministre bangladaise Sheikh Hasina à sortir de son tiroir le projet de transfert, en sommeil depuis 2015, pour le mettre en œuvre « en priorité ».

    Près de 300 millions de dollars ont été investis par Dacca dans ce projet, destiné dans un premier temps à réduire la population des camps où la situation est la plus tendue. Selon le représentant du gouvernement à Cox’s Bazar, Kamal Hossain, les opérations de transfert pourraient commencer « fin novembre ou début décembre ».

    Au cours d’une récente réunion à Dacca entre des représentants du ministère des affaires étrangères du Bangladesh et des responsables des Nations unies, les officiels bangladais auraient « conseillé » à leurs interlocuteurs d’inclure Bhasan Char dans le plan de financement de l’ONU pour 2020, sans quoi le gouvernement de Dacca pourrait ne pas approuver ce plan. Les responsables des Nations unies à Dacca ont refusé de confirmer ou démentir, mais plusieurs d’entre eux, s’exprimant officieusement, ont indiqué qu’ils étaient soumis « à une forte pression pour endosser le projet de Bhasan Char ».

    Interrogé sur la possibilité d’organiser le transfert des réfugiés sans l’aval des Nations unies, le ministre bangladais des affaires étrangères Abul Kalam Abdul Momen a répondu : « Oui, c’est possible, nous pouvons le faire. » La première ministre, de son côté, a été plus prudente. En octobre, elle se contentait de répéter que son administration ne prendrait sa décision qu’après avoir consulté les Nations unies et les autres partenaires internationaux du Bangladesh.

    L’un de ces partenaires, dont l’aide en matière d’assistance humanitaire est précieuse pour Dacca, vient de donner son avis. Lors d’une intervention fin octobre à la Chambre des représentants, Alice G. Wells, secrétaire adjointe du bureau de l’Asie du Sud et du Centre au Département d’État, a demandé au gouvernement du Bangladesh d’ajourner tout transfert de réfugiés vers Bhasan Char jusqu’à ce qu’un groupe d’experts indépendants détermine si c’est un lieu approprié. Washington ayant versé depuis août 2017 669 millions de dollars d’aide à Dacca, on peut imaginer que cette suggestion sera entendue.
    Les « défaillances systémiques » de l’ONU

    Les Nations unies sont pour l’instant discrètes sur ce dossier. On sait seulement qu’une délégation doit se rendre sur l’île les jours prochains. Il est vrai que face à ce qui s’est passé ces dernières années en Birmanie, et surtout face à la question des Rohingyas, la position de l’ONU n’a pas toujours été claire et son action a longtemps manqué de lucidité et d’efficacité. C’est le moins qu’on puisse dire.

    Certes l’actuel secrétaire général, António Guterres, a réagi rapidement et vigoureusement au sanglant nettoyage ethnique qui venait de commencer en Birmanie en adressant dès le 2 septembre 2017 une lettre au Conseil de sécurité dans laquelle il demandait un « effort concerté » pour empêcher l’escalade de la crise dans l’État de Rakhine, d’où 400 000 Rohingyas avaient déjà fui pour échapper aux atrocités.

    Mais il n’a pu obtenir de réaction rapide et efficace du Conseil. Il a fallu discuter deux semaines pour obtenir une réunion et 38 jours de plus pour obtenir une déclaration officielle de pure forme. Quant à obtenir l’envoi sur place d’une équipe d’observateurs de l’ONU en mesure de constater et dénoncer l’usage de la violence, il en était moins question que jamais : la Birmanie s’y opposait et son allié et protecteur chinois, membre du Conseil et détenteur du droit de veto, soutenait la position du gouvernement birman. Et personne, pour des raisons diverses, ne voulait s’en prendre à Pékin sur ce terrain.

    En l’occurrence, l’indifférence des États membres, peu mobilisés par le massacre de Rohingyas, venait s’ajouter aux divisions et différences de vues qui caractérisaient la bureaucratie de l’ONU dans cette affaire. Divergences qui expliquaient largement l’indifférence et la passivité de l’organisation depuis la campagne anti-Rohingyas de 2012 jusqu’au nettoyage ethnique sanglant de 2017.

    Incarnation de cette indifférence et de cette passivité, c’est-à-dire de la priorité que le système des Nations unies en Birmanie accordait aux considérations politiques et économiques sur la sécurité et les besoins humanitaires des Rohingyas, Renata Lok-Dessallien, la représentante de l’ONU en Birmanie depuis 2014, a quitté ses fonctions en octobre 2017, discrètement appelée par New York à d’autres fonctions, en dépit des réticences du gouvernement birman. Mais il était clair, à l’intérieur de l’organisation, qu’elle n’était pas la seule responsable de cette dérive désastreuse.

    Dans un rapport de 36 pages, commandé début 2018 par le secrétaire général et remis en mai dernier, l’économiste et diplomate guatémaltèque Gert Rosenthal, chargé de réaliser un diagnostic de l’action de l’ONU en Birmanie entre 2010 et 2018, constate qu’en effet, l’organisation n’a pas été à son meilleur pendant les années qui ont précédé le nettoyage ethnique d’août 2017 au cours duquel 7 000 Rohingyas au moins ont été tués, plus de 700 000 contraints à l’exil, des centaines de milliers d’autres chassés de leurs villages incendiés et enfermés dans des camps, le tout dans un climat de violence et de haine extrême [le rapport – en anglais – peut être lu ici].

    Selon Gert Rosenthal, qui constate des « défaillances systémiques » au sein de l’ONU, nombre d’agents des Nations unies ont été influencés ou déroutés par l’attitude de Aung San Suu Kyi, icône du combat pour la démocratie devenue, après les élections de 2015, l’alliée, l’otage et la caution des militaires et du clergé bouddhiste. C’est-à-dire la complice, par son silence, des crimes commis en 2017. Mais l’auteur du rapport pointe surtout la difficulté, pour les agences de l’ONU sur place, à choisir entre deux stratégies.

    L’une est la « diplomatie tranquille » qui vise à préserver dans la durée la présence et l’action, même limitée, de l’organisation au prix d’une certaine discrétion sur les obligations humanitaires et les droits de l’homme. L’autre est le « plaidoyer sans concession » qui entend faire respecter les obligations internationales par le pays hôte et implique éventuellement l’usage de mesures « intrusives », telles que des sanctions ou la menace de fermer l’accès du pays aux marchés internationaux, aux investissements et au tourisme.

    À première vue, entre ces deux options, le secrétaire général de l’ONU a fait son choix. Après une visite à Cox’s Bazar, en juillet 2018, il affirmait qu’à ses yeux, « les Rohingyas ont toujours été l’un des peuples, sinon le peuple le plus discriminé du monde, sans la moindre reconnaissance de ses droits les plus élémentaires, à commencer par le droit à la citoyenneté dans son propre pays, le Myanmar [la Birmanie] ».

    Il reste à vérifier aujourd’hui si, face à la menace brandie par Dacca de transférer jusqu’à 100 000 réfugiés rohingyas sur une île concentrationnaire et submersible, les Nations unies, c’est-à-dire le système onusien, mais aussi les États membres, choisiront le « plaidoyer sans concession » ou la « diplomatie tranquille ».

    https://www.mediapart.fr/journal/international/131119/le-bangladesh-veut-il-noyer-ses-refugies-rohingyas?onglet=full

    #réfugiés #asile #migrations #rohingyas #Bangladesh #camps_de_réfugiés

    ping @reka

    • Bangladesh Turning Refugee Camps into Open-Air Prisons

      Bangladesh Army Chief Gen. Aziz Ahmed said this week that a plan to surround the Rohingya refugee camps in #Cox’s_Bazar with barbed wire fences and guard towers was “in full swing.” The plan is the latest in a series of policies effectively cutting off more than 900,000 Rohingya refugees from the outside world. The refugees have been living under an internet blackout for more than 75 days.

      Bangladesh is struggling to manage the massive refugee influx and the challenges of handling grievances from the local community, yet there is no end in sight because Myanmar has refused to create conditions for the refugees’ safe and voluntary return. But fencing in refugees in what will essentially be open-air prisons and cutting off communication services are neither necessary nor proportional measures to maintain camp security and are contrary to international human rights law.

      Humanitarian aid workers reported the internet shutdown has seriously hampered their ability to provide assistance, particularly in responding to emergencies. The fencing will place refugees at further risk should they urgently need to evacuate or obtain medical and other humanitarian services.

      Refugees told Human Rights Watch the fencing will hinder their ability to contact relatives spread throughout the camps and brings back memories of restrictions on movement and the abuses they fled in Myanmar.

      The internet shutdown has already hampered refugees’ efforts to communicate with relatives and friends still in Myanmar, which is critical for gaining reliable information about conditions in Rakhine State to determine whether it is safe to return home.

      The Bangladesh government should immediately stop its plans to curtail refugees’ basic rights or risk squandering the international goodwill it earned when it opened its borders to a desperate people fleeing the Myanmar military’s brutal campaign of ethnic cleansing.

      https://www.hrw.org/news/2019/11/26/bangladesh-turning-refugee-camps-open-air-prisons
      #internet #barbelés #liberté_de_mouvement

    • Le Bangladesh invoque le Covid-19 pour interner des réfugiés rohingyas sur une île inondable

      La protection des camps de réfugiés birmans contre la pandémie a servi de prétexte au gouvernement de Dacca pour mettre en quarantaine plus de 300 Rohingyas sur une île prison du golfe du Bengale menacée de submersion par la mousson et où il veut transférer 100 000 exilés.

      La lutte contre le coronavirus peut-elle être invoquée par un État pour justifier l’internement de réfugiés sur une île submersible, à la veille du début de la mousson ? Oui. Le gouvernement du Bangladesh vient de le prouver. Le dimanche 3 mai, puis le jeudi 7 mai, deux groupes de 29 puis 280 réfugiés rohingyas dont les embarcations erraient depuis des semaines en mer d’Andaman ont été transférés de force par les garde-côtes sur l’île de #Bhasan_Char – « l’île qui flotte » en bengali, à trois heures de bateau de la côte la plus proche, dans le golfe du Bengale.

      Selon les autorités bangladaises, les réfugiés internés à Bhasan Char avaient fui la Birmanie pour rejoindre la Malaisie, qui les avait refoulés et le chalutier à bord duquel ils se trouvaient était en difficulté dans les eaux du Bangladesh où les garde-côtes locaux les avaient secourus. Mais Human Rights Watch a une autre version. Après avoir visité plusieurs camps de réfugiés rohingyas de la région, les enquêteurs de HRW ont découvert que sept au moins des réfugiés transférés à Bhasan Char avaient déjà été enregistrés comme réfugiés au Bangladesh.

      Ce qui signifie qu’ils ne cherchaient pas à entrer dans le pays, mais à en sortir. Sans doute pour éviter un rapatriement en Birmanie, dont ils ne voulaient à aucun prix, comme l’écrasante majorité des Rohingyas, poussés à l’exil par les persécutions dont ils étaient victimes dans leur pays d’origine. Deux semaines plus tôt, un autre chalutier à bord duquel se trouvaient près de 400 Rohingyas, fuyant la Birmanie, avait été secouru par les garde-côtes après une longue dérive en mer au cours de laquelle une centaine de passagers avaient trouvé la mort.

      Le camp de réfugiés de Kutupalong à Ukhia, au Bangladesh, le 15 mai 2020. © Suzauddin Rubel/AFP

      Sans s’attarder sur ces détails tragiques, le ministre des affaires étrangères du Bangladesh, Abul Kalam Abdul Momen, a avancé une explication strictement sanitaire à la décision de son gouvernement. « Nous avons décidé d’envoyer les rescapés rohingyas sur Bhasan Char pour des raisons de sécurité, a-t-il affirmé le 2 mai. Nous ne savions pas s’ils étaient positifs ou non au Covid-19. S’ils étaient entrés dans le camp de réfugiés de Kutupalong, la totalité de la population aurait été mise en danger. »

      Kutupalong, où s’entassent aujourd’hui, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), 602 000 Rohingyas, est le plus vaste des 12 principaux camps de réfugiés de la région de Cox Bazar. C’est aussi, actuellement, le camp de réfugiés le plus peuplé de la planète. Depuis les années 1990, cette région frontalière a recueilli la majorité des membres de la minorité ethnique musulmane de Birmanie, historiquement ostracisée et contrainte à l’exil dans le pays voisin par la majorité bouddhiste et le pouvoir birman. Elle en abrite aujourd’hui plus d’un million.

      Aux yeux du gouvernement de Dacca, cette population de réfugiés concentrés sur son sol dans une misère et une promiscuité explosives constitue une véritable bombe à retardement sanitaire. Surtout si on accepte les données officielles – très discutées par les experts en santé publique – selon lesquelles le Bangladesh qui compte 165 millions d’habitants recenserait seulement près de 21 000 cas de Covid-19 et 300 morts, après deux mois de confinement. Jeudi dernier, les deux premiers cas de coronavirus dans les camps de réfugiés de la région de Cox Bazar ont été confirmés. Selon le HCR, l’un est un réfugié, l’autre un citoyen bangladais. Le lendemain, deux autres réfugiés contaminés étaient identifiés. D’après l’un des responsables communautaires des réfugiés près de 5 000 personnes qui auraient été en contact avec les malades testés positifs dans le camp no 5, auraient été mises en quarantaine.

      Mais ces informations n’étaient pas connues du gouvernement de Dacca lorsqu’il a décidé de placer les 309 rescapés en isolement à Bhasan Char. Et, de toutes façons, l’argument sanitaire avancé par les autorités locales n’avait pas été jugé recevable par les responsables locaux du HCR. « Nous disposons à Cox Bazar des installations nécessaires pour assurer la mise en quarantaine éventuelle de ces réfugiés, avait expliqué aux représentants du gouvernement Louise Donovan, au nom de l’agence de l’ONU. Des procédures rigoureuses sont en place. Elles prévoient notamment, pendant la période requise de 14 jours, un examen médical complet dans chacun de nos centres de quarantaine. Nous avons tout l’espace nécessaire et nous pouvons offrir toute l’assistance dont ils ont besoin, dans ces centres où ils bénéficient en plus du soutien de leurs familles et des réseaux communautaires indispensables à leur rétablissement après l’expérience traumatisante qu’ils viennent de vivre. »

      En d’autres termes, pourquoi ajouter au traumatisme de l’exil et d’une traversée maritime dangereuse, à la merci de passeurs cupides, l’isolement sur un îlot perdu, menacé de submersion par gros temps ? À cette question la réponse est cruellement simple : parce que le gouvernement du Bangladesh a trouvé dans cet argument sanitaire un prétexte inespéré pour commencer enfin à mettre en œuvre, sans bruit, un vieux projet contesté du premier ministre Sheikh Hasina qui a déjà investi 276 millions de dollars dans cette opération.

      Projet qui prévoyait le transfert de 100 000 réfugiés – un sur dix – sur Bhasan Char et qui avait été rejeté, jusque-là, par les principaux intéressés – les réfugiés rohingyas – mais aussi par la majorité des ONG actives dans les camps. Avant de faire l’objet de réserves très explicites de plusieurs agences des Nations unies. Au point que trois dates arrêtées pour le début du transfert des réfugiés – mars 2019, octobre 2019 et novembre 2019 – n’ont pas été respectées. Et qu’avant l’arrivée, il y a deux semaines, du premier groupe de 29 rescapés, seuls des militaires de la marine du Bangladesh, qui contrôle l’île, étaient présents sur les lieux.

      Et pour cause. Apparue seulement depuis une vingtaine d’années, cette île, constituée d’alluvions du Meghna qui réunit les eaux du Gange et du Brahmapoutre, émerge à peine des eaux. Partiellement couverte de forêt, elle est restée inhabitée depuis son apparition en raison de sa vulnérabilité à la mousson et aux cyclones, fréquents dans cette région, de la mi-avril à début novembre. Cyclones d’autant plus redoutés et destructeurs que même par beau temps l’île n’offre aucune résistance aux flots. Entre la marée basse et la marée haute, la superficie de Bhasan Char passe de 6 000 hectares à 4 000 hectares.
      « Bhasan Char sera l’équivalent d’une prison »

      « Ce projet est inhumain, a confié aux journalistes du Bangla Tribune un officier de la marine du Bangladesh stationné dans l’île, dont l’accès est interdit par l’armée. En novembre 1970, le cyclone de Bhola n’a fait aucun survivant sur l’île voisine de Nijhum Dwip. Et Bhasan Char est encore plus basse sur l’eau que Nijhum Dwip. » « Un grand nombre de questions demeurent sans réponses, observait après une visite sur place en janvier 2019 la psychologue coréenne Yanghee Lee, rapporteure spéciale de l’ONU pour la situation des droits de l’homme en Birmanie. Mais la question principale demeure de savoir si cette île est véritablement habitable. »

      « Chaque année, pendant la mousson, ont déclaré aux enquêteurs de Human Rights Watch les habitants de l’île voisine de Hatiya, une partie de Bhasan Char est érodée par l’eau. Nous n’osons même pas y mettre les pieds. Comment des milliers de Rohingyas pourraient-ils y vivre ? » Par ailleurs, la navigation dans les parages de l’île est jugée si dangereuse, par temps incertain, que les pêcheurs du delta hésitent à s’y aventurer. Les reporters d’un journal local ont dû attendre six jours avant que la météo devienne favorable et qu’un volontaire accepte de les embarquer.

      À toutes ces objections des ONG, d’une partie de la presse locale, et de plusieurs agences des Nations unies, le gouvernement bangladais répond que rien n’a été négligé. Une digue, haute de près de trois mètres et longue de 13 km a été érigée autour de l’enclave affectée à l’hébergement des Rohingyas. Chacune des 120 unités de logement du complexe comprend 12 bâtiments sur pilotis, une mare, et un abri en béton destiné à héberger 23 familles en cas de cyclone et à recevoir les réserves de produits alimentaires. Conçus, selon les architectes pour résister à des vents de 260 km/h, les abris pourront aussi être utilisés comme salles de classes, centres communautaires et dispensaires.

      Compte tenu des conditions de navigation très difficiles dans l’estuaire du Meghna et du statut militarisé de l’île, la liberté de mouvement des réfugiés, comme leur aptitude à assurer leur subsistance, seront réduites à néant. « Bhasan Char sera l’équivalent d’une prison », estimait, il y a un an Brad Adams, directeur pour l’Asie de Human Rights Watch. Aucun hôpital n’est prévu sur l’île. En cas d’urgence, les malades ou les blessés devront être transférés vers l’hôpital de l’île de Hatiya, à une heure de bateau – lorsque le temps le permet.

      Faute de production locale, la quasi-totalité de l’alimentation devra être acheminée depuis le continent. La densité de population de ce complexe dont les blocs, disposés sur un plan orthogonal, sont séparés par d’étroites allées rectilignes dépassera, lorsqu’il sera totalement occupé, 65 000 habitants au km² : soit six fois celle du cœur de New York. On le voit, ce « paradis pour les Rohingyas » selon le principal architecte du projet, Ahmed Mukta, tient davantage du cauchemar concentrationnaire submersible que du tremplin vers une nouvelle vie pour les réfugiés birmans du Bangladesh.

      Formulée pour la première fois, sans suite, en 2015 par les responsables bangladais, alors que le nombre de réfugiés birmans dans la région de Cox Bazar ne dépassait pas 250 000, l’idée de les transférer sur Bhasan Char est revenue en discussion deux ans plus tard, en août 2017, lorsque la campagne de nettoyage ethnique déclenchée par l’armée birmane et ses milices a chassé près de 740 000 Rohingyas de leurs villages dans l’État de Rakhine et les a contraints à se réfugier de l’autre côté de la frontière, au Bangladesh, auprès de leurs frères, exilés parfois depuis plus de 25 ans.

      Nourrie par divers trafics, par le prosélytisme des émissaires islamistes, par la présence de gangs criminels et par l’activisme des agents de l’Arakan Rohingya Salvation Army (ARSA), à la recherche de recrues pour combattre l’armée birmane, une insécurité, rapidement jugée incontrôlable par les autorités locales, s’est installée dans la région. Insécurité qui a contribué à aggraver les tensions entre les réfugiés et la population locale qui reproche aux Rohingyas de voler les petits boulots – employés de restaurants, livreurs, conducteurs de pousse-pousse – en soudoyant les policiers et en acceptant des salaires inférieurs, alors qu’ils ne sont officiellement pas autorisés à travailler. Cette situation est d’autant plus inacceptable pour le gouvernement de Dacca que Cox Bazar et sa plage de 120 km constituent l’une des rares attractions touristiques du pays.

      Pour mettre un terme à cette tension, le gouvernement de Dacca a d’abord compté sur une campagne de retours volontaires des Rohingyas en Birmanie. En vain. Faute d’obtenir des garanties de sécurité et de liberté du gouvernement birman, aucun réfugié n’a accepté de rentrer. Le même refus a été opposé aux autorités d’année en année chaque fois qu’une liste de volontaires pour le rapatriement a été proposée. Selon les chiffres fournis par le gouvernement birman lui-même, 31 réfugiés seulement sont rentrés du Bangladesh entre mai 2018 et mai 2019.

      Les conditions, le plus souvent atroces, dans lesquelles les Rohingyas ont été contraints de fuir en août 2017 et ce qu’ils soupçonnent de ce qui les attendrait au retour expliquent largement ces refus. Les ONG humanitaires estiment que depuis 2017, 24 000 Rohingyas ont été tués par l’armée birmane et ses milices, et 18 000 femmes et jeunes filles violées. En outre, 115 000 maisons auraient été brûlées et 113 000 autres vandalisées. Selon le rapport de la « Mission d’établissement des faits » de l’ONU remis au Conseil des droits de l’homme en août 2019, les Rohingyas ont été victimes de multiples « crimes de droit international, y compris des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre ».
      On comprend dans ces conditions que, rien n’ayant changé depuis cet été sanglant en Birmanie où Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991, n’a pas soulevé un sourcil devant ces crimes, les Rohingyas se résignent à un destin de réfugiés plutôt que de risquer un retour à la terreur. Mais ils ne sont pas disposés pour autant à risquer leur vie dès le premier cyclone dans un centre de rétention insulaire coupé de tout où ils n’auront aucune chance d’espérer un autre avenir. Les responsables du HCR l’ont compris et, sans affronter ouvertement les autorités locales, ne cessent de répéter depuis un an, comme ils viennent de le faire encore la semaine dernière, qu’il n’est pas possible de transférer qui que ce soit sur Bhasan Char sans procéder à une « évaluation complète et détaillée » de la situation.

      Depuis deux ans, les « plans stratégiques conjoints » proposés par le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour résoudre la « crise humanitaire » des Rohingyas estiment que sur les trois scénarios possibles – rapatriement, réinstallation et présence de longue durée – le dernier est le plus réaliste. À condition d’être accompagné d’une certaine « décongestion » des camps et d’une plus grande liberté de mouvements accordée aux réfugiés. L’aménagement de Bhasan Char et la volonté obstinée d’y transférer une partie des Rohingyas montrent que le gouvernement de Dacca a une conception particulière de la « décongestion ».

      Sans doute compte-t-il sur le temps – et le soutien de ses alliés étrangers – pour l’imposer aux agences de l’ONU. « Le Bangladesh affronte le double défi de devoir porter assistance aux Rohingyas tout en combattant la propagation du Covid-19, constatait la semaine dernière Brad Adams de Human Rights Watch. Mais envoyer les réfugiés sur une île dangereusement inondable, sans soins médicaux, n’est certainement pas la solution. »

      https://www.mediapart.fr/journal/international/160520/le-bangladesh-invoque-le-covid-19-pour-interner-des-refugies-rohingyas-sur