Pourquoi avoir baptisé ce disque Amatssou (la peur) ?
La peur augmente chez nous, dans le désert, notamment au nord du Mali. C’est encore pire qu’il y a dix ans. La présence de Wagner, le nouveau pouvoir en place au Mali, les groupes terroristes, la situation générale des populations, tout s’aggrave.
Tu n’es pas très optimiste pour le futur…
Il faudrait pour cela que la population réagisse massivement. Les Touaregs sont très fragiles, de par le monde dans lequel on vit. Le désert n’est pas facile à vivre en pareille situation, avec une guerre qui s’éternise et qui a des conséquences tous les jours. Nous sommes en minorité, on ne peut pas résister longtemps à ce type de problèmes. C’est une menace sur notre culture qui risque de disparaître.
Cela a brisé l’unité de la communauté ?
En général, les problèmes provoquent une dispersion, d’autant que s’ajoute une dimension politique, et aussi des ambitions de business. La crise actuelle a aussi permis de souder certains, ceux qui pensent juste à leur dignité, à l’intégrité de leur territoire…
C’est le rôle de Tinariwen, qui représente quelque chose de plus fort que juste la musique…
On l’a déjà fait, mais on ne peut pas faire plus. Notre musique reste une mémoire, qui rappelle les souvenirs, un soutien moral qui préserve l’esprit de notre culture. Nous avons vieilli et nous ne sommes plus en mesure de faire plus. Nos chansons ont permis de souder la communauté de ceux qui aspirent à la dignité, et pour beaucoup les écouter rappelle la grandeur de la cause touareg. Des jeunes vont les reprendre et les améliorer, les faire vivre auprès d’autres. Qu’ils soient du Mali, du Niger ou d’Algérie, tous les jeunes Touaregs qui font de la musique jouent dans le même esprit : ils parlent de souffrance, d’exil, même s’ils n’ont pas connu les moments que l’on a traversés.
Vous continuez malgré tout comme dans ce nouvel album… Vous y croyez encore ?
Bien sûr. Mais je le répète : on ne peut pas faire plus ! 90% de nos problèmes, toujours pas réglés, sont liés à l’éducation. La plupart des jeunes de la génération 90 ne sont pas allés à l’école, et de fait ils évoquent tout ce que l’on stigmatisait déjà : la souffrance, la marginalisation… Même s’ils sont nés à Tamanrasset. Tant que l’on n’aura pas réglé cette question, on tournera en rond. Sachant qu’en plus, les problèmes se sont aggravés et multipliés avec la situation au Mali. J’ai l’impression qu’il est encore plus facile aujourd’hui de terroriser les populations que voici vingt ans.