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  • « L’archive, c’est le témoignage d’actes de paroles qui marquent l’arrachement à une condition », une conversation en deux parties avec #Jacques_Rancière
    https://legrandcontinent.eu/fr/2024/02/09/jacques-ranciere-et-lhistoire-volume-1

    L’#archive, on en fait toujours quelque chose. Ce que font les #historiens la plupart du temps, c’est l’interpréter, c’est-à-dire la mettre dans une grille explicative. Ce peut être la grille Labrousse qui était encore très en vigueur à l’époque de La Nuit des prolétaires : on commence par l’économique et puis on traverse les différentes couches pour arriver au niveau idéologique. Ce peut être la grille « #histoire des mentalités », style Le Roy Ladurie ; Montaillou, c’était quand même à l’époque la grande référence pour l’usage de la parole « populaire ». On va penser un texte comme le produit d’une certaine terre, d’une certaine manière de vivre, de penser etc., une sorte de conjonction de géographie au sens large du terme et de psychologie. L’historien va se mettre un peu dans la peau du petit gars de Montaillou qui se débrouille pour concilier les subtilités théologiques de l’hérésie avec son mode de vie bon enfant. Ces deux grilles alors dominantes sont deux pratiques réductionnistes qui réinsèrent une parole, ou un mouvement déviant dans les cadres déjà existants. Moi, mon problème, c’est que j’avais affaire à un type d’archives qui montrait en gros le mouvement de gens pour sortir des cadres, pour sortir des grilles au sein desquelles ils étaient enfermés. Par conséquent, mon problème, c’était de faire le contraire : ne pas réduire, en ramenant à des catégories sociologiques déjà existantes, mais au contraire créer une forme d’amplification : dénuder l’événement de parole dans sa singularité, et ensuite l’amplifier par la paraphrase, c’est-à-dire que ce mouvement par lequel ces ouvriers essayaient de sortir de leur monde, pour aller vers le monde des poètes, des intellectuels, etc., je me suis efforcé d’en montrer la portée en l’isolant et en l’amplifiant.

    [...]

    Pour moi, je n’ai pas prétendu décrire en général le #mouvement_ouvrier, j’ai essayé de pointer le paradoxe d’où naît l’idée même de mouvement ouvrier. Bien sûr, ça ne va pas couvrir l’encyclopédie de toutes les formes de mouvements, de grèves, de révoltes, d’insurrections, d’organisations ouvrières depuis les années 1830 jusqu’aux années 2020. Ça n’a pas vocation à ça, ça a vocation à donner une orientation générale à la recherche et à la narration. On a affaire à une réalité hétérogène. La question, c’est de savoir si on respecte l’hétérogénéité, ou bien si on la réduit de différentes manières. Mon idée, c’est qu’il faut respecter l’hétérogénéité, et avoir en même temps certaines lignes directrices, certaines orientations qui ne sont pas des vérités tombées du ciel ! Il m’a semblé à un moment donné que je pouvais tirer de mon matériau un certain type d’orientation sur ce qu’avait pu vouloir dire la constitution d’une #identité_ouvrière. Mais c’est tout ! Ce qui est important, c’est d’essayer de montrer à chaque fois qu’il y a quelque chose de plus dans l’idée de mouvement ouvrier qu’une simple lutte des ouvriers contre leurs conditions, qu’il faut toujours inclure la dimension de création d’une autre forme de monde. Et deuxièmement, au sein de ces mouvements, il y a toujours la présence d’autre chose : la #République au XIXe siècle, le #communisme au XXe qui n’est pas une invention proprement ouvrière mais qui donne une force d’attraction au mouvement et dont celui-ci, en retour, invente une version ouvrière. Voilà ce que je pourrais dire. Non, bien sûr, ça ne couvre pas toutes les situations. De toute façon, si on veut couvrir toutes les situations, on ne dit rien que des généralités vides.

    « L’important, c’est l’effort pour briser l’ordre normal du temps », une conversation en deux parties avec Jacques Rancière
    https://legrandcontinent.eu/fr/2024/02/11/jacques-ranciere-et-lhistoire-volume-2

  • La Russie développe-t-elle une arme nucléaire spatiale ? | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2024/02/17/la-russie-developpe-t-elle-une-arme-nucleaire-spatiale

    Mercredi 14 février, l’élu américain Mike Turner mettait en garde contre le développement par la Russie d’une « arme nucléaire anti-satellite » dans l’espace. Le lendemain, un porte-parole de la Maison-Blanche tempérait la portée de cette menace. Que savons-nous de cette « arme nucléaire » spatiale russe ?

    Ce qui est assez cocasse, c’est que les services russes laissent filtrer ces informations qui ressemblent fort à la campagne d’intox initiée par Reagan dans les années 80, cette fameuse « guerre des étoiles » qui a contribué à l’affaiblissement économique de l’Union Soviétique.

    Ce programme de relance en matière de recherches en armement est considéré rétrospectivement comme étant l’un des éléments qui aurait pu amener à la chute de l’Union soviétique ; à tout le moins la stratégie reaganienne de confrontation avec le dit « Empire du mal », selon les discours présidentiels, consistait à mettre à genoux l’adversaire en l’amenant sur le terrain d’une compétition militaro-économique visant à l’étouffer financièrement, les crédits alloués par le politburo à cette course aux armements ne l’étant pas sur d’autres plans plus fondamentaux de l’économie de l’URSS.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_de_d%C3%A9fense_strat%C3%A9gique

  • Jean Vioulac, « Une spirale d’auto-destruction », 2022

    https://legrandcontinent.eu/fr/2022/06/25/une-spirale-dauto-destruction

    Pour être invisible et insensible, cette puissance de production se manifeste cependant : dans l’échange de ses produits. L’échange opère en effet la réduction des qualités particulières concrètes de produits différents à une quantité universelle abstraite et homogène, il met entre parenthèses l’utilité des produits, qui définit tel objet par son rapport à tel besoin de tel sujet, au profit d’une valeur qui vaut pour tous, il manifeste ainsi ce que Marx nomme « objectivité-de-valeur » (Wertgegenständlichkeit), précisant dès les premières pages du Capital que, « à l’opposé complet de l’épaisse objectivité sensible des denrées matérielles, il n’entre pas le moindre atome de matière naturelle dans leur objectivité-de-valeur ». (...)

    En tant qu’entité formelle et idéelle, en tant que pure abstraction, la valeur est évanescente et insaisissable, et même fantomatique : elle est, dit Marx, « l’objectivité spectrale » (gespenstige Gegenständlichkeit) de l’objet : elle ne devient tangible et disponible que dans la monnaie, qui matérialise son universalité abstraite dans un petit objet particulier et concret. Si donc la puissance d’abstraction se manifeste dans la valeur, elle s’autonomise dans la monnaie, qui cristallise ainsi l’essence de la communauté dans un objet aussitôt devenu fétiche.

    (...)

    Le marxisme a ainsi le plus souvent réduit le capitalisme à la domination de la bourgeoisie. Il suffit certes d’ouvrir les yeux pour constater que l’économie contemporaine est caractérisée par une exploitation massive et qu’elle instaure des inégalités sociales obscènes au sommet desquelles se reproduit une caste prédatrice irresponsable bénéficiant de tous les privilèges de l’impunité (...) Mais précisément : les rapports sociaux d’exploitation sont aussi anciens que l’Histoire elle-même : ils datent de la Révolution néolithique (...)
    La révolution théorique opérée par Marx découvre ainsi dans la monnaie un concept ontologique fondamental : c’est sur ces bases qu’il convient d’analyser la Révolution industrielle, caractérisée par un renversement total du statut de la monnaie, qui n’est plus moyen de l’échange mais son principe et sa fin. L’originalité de l’économie industrielle est en effet de produire directement pour le marché, c’est-à-dire pour vendre et pour l’argent qui sera retiré de la vente : le processus est initié par une quantité de valeur, cette quantité de valeur est investie, cet investissement n’est qu’un moyen destiné à accroître sa quantité. Quand la valeur est principe et fin du processus, quand elle « se prend comme point de départ en tant que sujet actif (als dem aktiven Subjekt) et se rapporte à elle-même comme valeur s’augmentant elle-même », elle est Capital, et c’est l’acquis décisif du travail de Marx, qui définit le Capital comme « valeur se valorisant elle-même ». La question « Qu’est-ce que le Capital ? » reçoit ainsi une réponse claire : le Capital est « l’autovalorisation de la valeur » (die Selbstverwertung des Werts), processus d’auto-accroissement d’une quantité abstraite, qui à ce titre ne connaît aucune limite et s’élargit constamment en spirale.

    Le marxisme a ainsi le plus souvent réduit le capitalisme à la domination de la bourgeoisie. Il suffit certes d’ouvrir les yeux pour constater que l’économie contemporaine est caractérisée par une exploitation massive et qu’elle instaure des inégalités sociales obscènes au sommet desquelles se reproduit une caste prédatrice irresponsable bénéficiant de tous les privilèges de l’impunité (...) Mais précisément : les rapports sociaux d’exploitation sont aussi anciens que l’Histoire elle-même : ils datent de la Révolution néolithique ; traiter les problèmes de l’exploitation ou des inégalités sociales aujourd’hui, c’est aborder des problèmes qui se posaient tel quels dans la France de Philippe Auguste et la Rome de Tibère, ou dans l’Égypte de Khéops quand la monnaie n’existait même pas, c’est n’aborder ni la question du Capital ni celle de la Révolution industrielle.

    Or si celle-ci est authentiquement révolutionnaire, c’est qu’elle inaugure un nouveau régime ontologique en instituant un nouveau fondement : non pas une classe sociale d’hommes en chair et en os, mais l’entité idéelle et abstraite, formelle et numérique de la valeur.

    (...)

    L’unité du capitalisme, du mathématisme et du machinisme est devenu manifeste à la fin du XXe siècle avec l’avènement de l’informatique par laquelle le code (abstrait) acquiert le pouvoir de piloter des dispositifs (concrets) en même temps qu’il fournit à ces dispositifs leur autonomie de fonctionnement : ce qui a conduit à la mise en place d’une Machinerie planétaire interconnectée et autorégulée entièrement déterminée par le numérique, à laquelle sont délégués sans cesse plus de tâche et de fonctions — de mémoire, de calcul, de surveillance, d’organisation, d’anticipation, de décision —, qui déploie une puissance toujours plus grande d’abstraction, de dématérialisation, de formalisation, d’informatisation et de numérisation, où la monnaie elle-même a rompu avec la matérialité pour devenir numérique, jeu d’écriture informatique qui procure à l’idéalité de la valeur le mode d’être qui lui est adéquat, et qui soumet les sociétés à une régulation algorithmique qui tend à disqualifier la juridiction politique.

    Notre époque est ainsi caractérisée par la domination de l’Universel-Abstrait sur les particularités concrètes, de l’idéalité formelle sur la réalité matérielle, de l’objectivité pure sur les sujets en chair et en os. C’est précisément en quoi il y a authentique Révolution, qui destitue la communauté des sujets de son statut de fondement pour l’assujettir à un système des objets lui-même fondé sur l’idéalité pure autofondée de la valeur : en régime capitaliste, constate Marx, « le rapport du sujet et de l’objet est inversé », le capitalisme se définit par « l’inversion du sujet et de l’objet », et c’est cette inversion qui définit la Révolution industrielle. Le capitalisme n’est plus fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme mais sur l’aliénation de la subjectivité dans l’objectivité, aliénation réelle qui transfère l’essence originairement subjective de l’homme dans le système des objets, et procure à l’objet le statut de sujet : le capitalisme se caractérise, conclut Marx, par « la subjectivisation des choses et la chosification des sujets. »

    Le problème du capitalisme n’est donc pas du tout celui de la domination de la bourgeoisie. Serait-ce le cas qu’il n’y aurait pas lieu de s’alarmer, il n’y aurait là rien de nouveau puisque la société de classes et les rapports sociaux d’exploitation apparaissent avec la Révolution néolithique et ont caractérisé toutes les sociétés historiques depuis lors. De ce point de vue, il y a même du progrès : la domination des bourgeois est largement préférable à celle des curés et des ayatollahs, l’actualité récente le montre tragiquement, elle montre aussi tout le prix qu’il faut accorder aux “libertés bourgeoises” et aux institutions qui nous les garantissent. Le problème du capitalisme est celui de l’avènement de « l’instance de domination » (das Übergreifende) qu’est l’unité numérique autonomisée, devenue seul gouvernail et principe universel de gouvernement : en grec κυϐέρνησις, mot à partir duquel Norbert Wiener a créé à la fin des années 1940 le concept de cybernétique. Il est possible de définir le régime ontologique inauguré par la Révolution industrielle par la cybernétique, compris comme hégémonie totalitaire du numérique, qui rompt avec l’objectivisme — où tout est objet pour un sujet — au profit d’un numérisme — où tout est data pour un calcul — : ainsi l’anthropogenèse caractéristique de la Préhistoire et l’anthropisation caractéristique de l’Histoire sont-elles dépassées par un processus de cybernétisation qui laisse pressentit l’avènement de celui que Henri Lefebvre dans les années 1960 avait nommé le cybernanthrope.

    Un tel événement reste inaccessible au grossier bon sens, inaccessible également aux sciences positives, il ne peut être saisi que par la philosophie. (...)

    (...) En tant qu’il a pour finalité l’abstraction, le capitalisme n’est pas un mode de production : c’est un mode de destruction, dans une spirale dont chaque nouvelle rotation élargit le champ de dévastation. Il ne produit qu’une chose : l’entité abstraite de la valeur, tout le reste est moyen, destiné à être englouti dans la cornue du marché pour en retirer le même sublimé identique ; tout produit concret est voué à l’obsolescence, toute marchandise est déchet en sursis. Dès 1867 Marx caractérisait le capitalisme par un « processus de destruction » (Zerstörungsprozeß), thèse alors inaudible dans un contexte dominé par l’idéologie bourgeoise du progrès qui ne fut jamais qu’une sécularisation de la doctrine théologique de la providence, mais l’Histoire depuis lors n’a fait que confirmer : inauguré par la Première Guerre mondiale, mobilisation totale pour la destruction totale qui a imposé à des millions d’hommes de se sacrifier pour rien et pour rien d’autre que ce rien, le XXe siècle a déchaîné une logique destructrice qui en ce début de XXIe siècle entame sa phase finale : le Global Assessment Report 2022 publié le 26 avril dernier par le Bureau des Nations Unies pour la Réduction des Risques de Catastrophe affirme que « l’humanité est entrée dans une spirale d’auto-destruction » (a spiral of self-destruction).

    (...)

    Mais si la spirale d’autodestruction qui menace aujourd’hui l’humanité n’est autre que le plein déploiement de la spirale d’autovalorisation qui définit le Capital, alors la Révolution destinée à nous en sauver est celle que Marx a voulu préparer. Le capitalisme est authentiquement révolutionnaire en ce qu’il inverse les rapports des sujets et des objets, du concret et de l’abstrait, et destitue la communauté de son statut de fondement pour la soumettre à l’objectivité dont il déchaîne la puissance d’abstraction : d’où la nécessité d’une autre Révolution destinée à destituer le Capital de son statut de sujet pour instituer la communauté humaine en fondement réel. Et conscient de l’être : avec la Révolution néolithique la communauté humaine s’institue en fondement, sans jamais se savoir comme telle puisqu’elle a d’emblée saisi sa propre puissance comme une entité étrangère qu’elle a nommé Dieu et à laquelle elle s’est soumise. Notre époque est alors crise en ce qu’elle nous place face à l’alternative : passer de l’aliénation formelle à l’Un (la religion) à l’aliénation réelle (la cybernétique), ou bien surmonter définitivement toute aliénation pour ouvrir au « vrai royaume de la liberté » (das wahre Reich der Freiheit).

    C’est ainsi que se définit la Révolution communiste, qui n’est autre que la réappropriation par la communauté des sujets de son essence aliénée dans l’objectivité. Elle ne saurait donc se réduire au remplacement de la bourgeoisie par le prolétariat comme classe dominante : le danger est inhérent à un dispositif machinique planétaire dont la logique est celle de la destruction, que ce dispositif soit géré par les uns ou par les autres ne changerait rien à sa destructivité, ce dispositif n’est de toute façon et par principe géré que par des technocrates qui ne sont pas ses maîtres mais ses servants. Marx répète ainsi que bourgeois et prolétaires sont pareillement aliénés, pareillement soumis au Capital qui est l’unique « sujet dominant » (übergreifende Subjekt) : l’enjeu de la Révolution n’est pas de libérer le prolétariat de la domination de la bourgoisie, mais de libérer la communauté humaine tout entière de son assujettissement cybernétique à la Machinerie capitaliste et sa spirale de destruction. La bourgeoisie n’occupe aucune position de maîtrise : tout au contraire, selon une formule frappante du Manifeste du parti communiste, elle « ressemble au sorcier qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu’il a invoquées », elle est « l’agent veule et sans résistance » du Capital. C’est alors précisément ce qui la distingue du prolétariat. Si bourgeois et prolétaires sont pareillement soumis au Capital, cette soumission prend en effet deux formes opposées : les bourgeois jouissent de leur aliénation, les prolétaires en souffrent, la prolétarisation crée alors une classe lucide sur les dangers du capitalisme qui a toutes les raisons de le renverser, alors que la condition des bourgeois les installe dans la suffisance et le déni, et la volonté de ne rien changer. La différence essentielle entre bourgeois et prolétaires n’est pas celle qui existe entre maîtres et serviteurs, mais celle qu’il y a entre collabos et résistants, deux rapports antagoniques à une même puissance de domination.

    D’où la légitimité et la nécessité des luttes sociales qui résistent pied à pied aux mesures collaborationnistes de ceux qui œuvrent à la croissance et ne sont en cela rien d’autres que les fonctionnaires de la destruction : mais la Résistance n’est pas la Révolution. Les stratégies qui en sont restées au niveau étroit des rapports de classes sans prendre en vue le fonctionnement du dispositif dont ces classes ne sont que des fonctions n’ont jamais déclenché aucune Révolution : elles ont déclenché des guerres civiles et mis en œuvre des politiques d’Épuration, et ce sans rien changer en quoi que ce soit à la logique destructive d’un dispositif industriel dont elles n’ont fait que déchaîner la puissance — caractéristique du bolchevisme dans tous ses avatars, qui tout au long du XXe siècle a fait de la Révolution une force supplétive de la destruction. Tragédie du destin de Marx, et tragédie inévitable : le niveau d’analyse du Capital, comparable à celui du Sophiste, de la Critique de la raison pure et de la Phénoménologie de l’Esprit, le destine à des universitaires, à ceux qu’Antonio Gramsci nommait les « fonctionnaires de la superstructure », qui ne peuvent qu’y opposer une fin de non recevoir, son propos, la critique radicale et le renversement de cette superstructure, le destine à des exploités que leur exploitation a dépossédé des moyens de le lire. Aporie de la philosophie aujourd’hui : l’événement en cours est d’une complexité inouïe, la philosophie est nécessaire pour le penser, mais elle ne peut alors que proposer des analyses âpres, difficiles et complexes, qui, réduites à des idées simples, ne peuvent que conduire à des catastrophes.

    Il faut alors — à l’heure où l’on écrit ces lignes — prendre acte de l’échec de la Révolution. Marx au XIXe siècle avait vu au cœur du capitalisme une spirale de paupérisation et de prolétarisation dont la logique devait produire une masse toujours plus grande de résistants, menant ainsi le système au point de bascule où se produit le « renversement historique » (die geschichtliche Umkehr) qui définit la Révolution : le prolétariat avait ainsi pour mission de se constituer en communauté et de s’instituer en sujet en lieu et place du Capital. Mais le XXe siècle s’est inauguré en juillet 1914 par le renoncement de l’Internationale à imposer la paix par l’union européenne des travailleurs qui les a réduit au rang de matière première d’un processus de destruction caractérisé par la production d’une masse toujours plus grande de cadavres, de mutilés et de traumatisés, il s’est continué avec la société de consommation qui a permis d’éradiquer toute opposition au capitalisme par la production d’une masse toujours plus grande de consommateurs, lesquels, bien loin d’être résistants, se font militants du consumérisme, il s’est poursuivi avec la société du spectacle, production d’une masse toujours plus grande de spectateurs captivés et ainsi maintenus en captivité. Marx fondait son espoir révolutionnaire sur une spirale de désaliénation : c’est l’inverse qui s’est produit ; la puissance d’aliénation que le dispositif déploie par l’intermédiaire de ses écrans est même parvenu à numériser la socialité même et remodèle sous nos yeux des générations sur laquelle les institutions éducatives n’ont plus aucune prise. Bien loin d’être révolutionnaire, l’antagonisme au dispositif capitaliste prend alors aujourd’hui dans les populations exploitées la forme réactionnaire d’un retour à la théologie politique médiévale : refuge dans la fantasmagorie religieuse par quoi l’aliénation réelle à l’Un est catastrophiquement redoublée par l’aliénation formelle, volonté fanatique d’illusion et de soumission qui est pure et simple capitulation. La « spirale d’auto-destruction » tourne à plein régime cependant, il fait chaud et de plus en plus chaud, le désert croît, l’air est irrespirable, les forêts sont en flammes et les vivants agonisent : le point de bascule imminent aujourd’hui n’est pas celui qui enclencherait la Révolution, c’est le tipping point par lequel les climatologues désignent l’emballement irrémédiable du système climatique mondial. Mais il y a bien là auto-destruction, et c’est ce que le concept d’Anthropocène nous impose d’assumer : cette puissance du négatif, c’est la nôtre, à nous, les néguanthropes, la catastrophe en cours n’est pas hétérogène, elle est le déchaînement illimité d’une négativité qui nous définit en notre essence, négativité que l’alchimie de la Révolution aurait eu pour mission de transmuer en liberté. La lucidité conduit ainsi en dernière instance à concevoir l’apparition même de l’homme au sein de la nature comme déferlement anarchique d’une puissance de négation, un accident, un déraillement, une aberration : une catastrophe. Une telle lucidité paraît monstrueuse, impossible, insoutenable, elle fut celle de Paul Valéry, qui dans une conférence intitulée Le Bilan de l’intelligence avait envisagé cette hypothèse dès 1935 : « Toute l’histoire humaine, en tant qu’elle manifeste la pensée, n’aura peut-être été que l’effet d’une sorte de crise, d’une poussée aberrante, comparable à quelqu’une de ces brusques variations qui s’observent dans la nature et qui disparaissent aussi bizarrement qu’elles sont venues. Il y a eu des espèces instables, et des monstruosités de dimensions, de puissances, de complication, qui n’ont pas duré. Qui sait si toute notre culture n’est pas une hypertrophie, un écart, un développement insoutenable, qu’une ou deux centaines de siècles auront suffit pour épuiser ? »

    #révolution #monnaie

    • Un texte plus court de Vioulac vient de paraître sur lundimatin, abordant la question de la révolution fasciste à la fin (mais ne fait que l’effleurer, dommage)

      https://lundi.am/Revolution-et-Destruction-l-obstacle-fasciste

      Voilà la partie concernant le fascisme :

      Pasolini définit alors le capitalisme comme un totalitarisme, et le consumérisme comme un fascisme.

      Le fascisme se caractérise par la fusion des hommes dans une masse indifférenciée, leur réduction à leurs instincts et à leur pulsionnalité, pour ensuite mobiliser et utiliser cette puissance. Les fascismes militaristes des années 1920-1930 définissaient la masse sur des bases nationales, ethniques ou raciales, la fanatisaient par le culte du chef, et mobilisaient sa puissance dans un cadre militaire. Mais il y a aussi un fascisme consumériste qui consiste à fondre les hommes dans une masse de consommateurs, à les réduire à leurs pulsions d’achat et à leur convoitise, à les fanatiser par le fétichisme des marques, ou d’équipes sportives, puis à mobiliser cette masse par la propagande publicitaire pour écluser la surproduction. Le consommariat est l’armée des fantassins de la consommation.

      Parler de fascisme aujourd’hui, c’est donc d’abord constater que le fascisme domine, sous la forme d’un fascisme bovin, ou porcin (« vivre et penser comme des porcs », disait Gilles Châtelet), celui des troupeaux de consommateurs, de spectateurs, de cybernautes et de touristes, fascisme certes pacifique, mais qui supprime la ressource révolutionnaire qu’était pour Marx la croissance du prolétariat : le consommariat est caractérisé par la servitude volontaire et l’aliénation volontaire, et par la passivité du spectateur connecté H24 au dispositif cybernétique.

      La question serait alors d’identifier des processus révolutionnaires au sein de ces sociétés massifiées. Mais, parmi ceux qui s’opposent à la domination du capitalisme, les mouvements dominants à l’échelle mondiale prennent eux-mêmes aujourd’hui des formes fascisantes, caractérisées par la volonté de refonder les peuples sur des bases nationales ou ethniques, dans le fantasme d’un retour à l’État-nation moderne, voire de les refonder sur des bases religieuses, dans le fantasme d’un retour à la théologie politique médiévale. Le fascisme est ainsi le principal obstacle à la révolution qu’appelle notre temps.

      Le fascisme n’est pas un simple phénomène historique daté. Il est lié à la révolution industrielle, définie par la mobilisation totale des hommes et des peuples au service du dispositif de production, et leur massification, qui les réduit au rang de ressource au même titre que n’importe quel cheptel bovin. Le nazisme a mené à son terme cette biologisation des peuples, constitués en masse organique dont il s’agissait de déchaîner la puissance, mais la généralisation de ce que Foucault a appelé le « bio-pouvoir » montre que cette grégarisation des peuples est un mouvement de fond.

      La révolution capitaliste est inversion, l’humanité n’est plus « maître et possesseur de la nature », elle n’est plus que matière première d’un dispositif qui la naturalise et finalement la réduit au rang de ressource naturelle parmi d’autres. Le concept d’Anthropocène qui s’est imposé depuis une vingtaine d’années est la reconnaissance de ce nouveau statut : l’Anthropocène désigne l’époque en laquelle l’humanité est elle-même devenue une force géologique. La révolution est urgente, mais elle ne relève en rien de ce qui s’est appelé ou prétendu tel dans les siècles passés, parce qu’elle ne relève plus, ou en tout cas plus seulement, d’une politique : il ne s’agit plus d’assumer, à l’échelle des temps historiques, la responsabilité de la vie collective d’un peuple, mais, à l’échelle des temps géologiques, d’assumer le devenir du système-terre, et d’être ainsi « chargé de l’humanité, des animaux même » (Rimbaud).

      Personne ne peut prétendre aujourd’hui savoir exactement comment une telle révolution peut advenir. Il y a néanmoins une certitude : ça urge.

      #révolution #fascisme

  • Crise diplomatique entre Israël et l’Espagne | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/24/crise-diplomatique-entre-israel-et-lespagne

    Le déplacement de Sánchez s’est terminé ce vendredi 24 novembre en Egypte. C’est depuis Rafah qu’il s’est exprimé et que ses propos ont entraîné une réaction israélienne immédiate.

    En prenant la parole pour faire un bilan de sa tournée diplomatique dans la région, le Premier ministre espagnol a notamment déclaré : « Je réaffirme le droit d’Israël à se défendre, mais dans le cadre des paramètres et des limites imposés par le droit humanitaire international. Ce n’est pas le cas. La tuerie sans distinction de civils innocents, dont des milliers d’enfants, est tout à fait inacceptable . La violence ne fera qu’engendrer plus de violence. Nous devons remplacer la violence par l’espoir et la paix ».
    Ces propos — finalement assez semblables à ceux tenus durant la réunion de la veille entre Sánchez et Netanyahou — ont entraîné une réaction des autorités israéliennes qui considèrent que l’Espagne « soutient le terrorisme ».

    Le ministère des Affaires étrangères israélien a par la suite publié un communiqué annonçant la convocation de l’ambassadrice espagnole en Israël pour consultations afin de tenir une « ferme #conversation de réprimande ».

    Le ministre des Affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares, a rétorqué en fin de journée que les accusations faites par Israël étaient « fausses et inacceptables ».

    Pedro Sánchez avait annoncé dans son discours d’investiture que la reconnaissance de l’État palestinien faisait partie de son programme.

    C’était en réalité l’un des points de négociations que défendait — et qu’a donc obtenu — #Sumar pour accepter de former un gouvernement de coalition avec le PSOE.

    La deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol et cheffe de Sumar, Yolanda Díaz, a salué la prise de position et les propos de Sánchez.

    Dans le même temps, la maire de Barcelone a annoncé aujourd’hui une « interruption » des relations institutionnelles de la ville avec le gouvernement d’Israël jusqu’à ce qu’un « cessez-le-feu définitif » soit décrété.

    #respect

  • Bon, d’accord, le nouveau taré argentin a l’air sévèrement taré. Mais est-ce quelqu’un aurait des articles avec un peu de fond qui analysent pourquoi ce nouvel étron bolsonaro-trumpiste est parvenu à se faire élire ? (Culture-war réactionnaire ? Nullité du camp d’en face ? Gauche qui aurait abandonné les pauvres ? Classes moyennes barbarisées ?)

    • Notamment cette partie je pense :
      "Le discours de M. Milei touche surtout les jeunes, particulièrement exposés aux réseaux sociaux et aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. « Jamais, depuis la fin de la dictature, la droite radicale n’a eu une résonance aussi puissante auprès des jeunes », constate Ariel Goldstein, chercheur au Conseil national de la recherche scientifique et technique (Conicet) à Buenos Aires. Selon un sondage du cabinet de conseil Synopis (9), la moitié des militants de M. Milei, majoritairement des hommes issus des classes moyenne et populaire urbaines, ont moins de 29 ans. Pendant la pandémie, « l’État est devenu leur ennemi », explique Sergio Morresi, politiste de l’université nationale du Littoral. « À leurs yeux, le discours progressiste selon lequel l’État est celui qui prend soin de nous, nous protège, nous aide, n’a pas de sens. Leur seule expérience est celle d’un État qui ne fonctionne pas. »"

    • taux de participation de 76 %

      Ils veulent apparemment le changement, quel qu’il soit.

      De mon côté, suivi de loin, je me souviens :
      – accusations de corruption contre les dirigeants de gauche
      – arrivée au pouvoir de la droite corrompue, marasme économique
      – retour d’une certaine gauche, mais sans retour à la normale
      – tensions sur la monnaie, historique lourd de ce point de vue, marchés internationaux peu amicaux
      – inflation incontrôlable

    • une salve de « vive la liberté, bordel ! », son slogan préféré, crié d’une voix rocailleuse de rockeur.

      « On peut s’attendre à un scénario de grande conflictualité sociale », estime Lara Goyburu, politiste à l’université de Buenos Aires, avec la probable mobilisation des syndicats et des organisations sociales. A moins, ajoute-t-elle, que Javier Milei n’opte pour la répression afin d’imposer ses réformes.
      Le président élu ne dispose pas de majorité au Congrès, ni de gouverneur provincial ou de maire appartenant à sa coalition : les doutes sur sa capacité à gouverner restent entiers. « Cela peut provoquer une paralysie institutionnelle. Car même en comptant sur les députés d’une partie de la droite, il n’aura pas de majorité qualifiée, observe la politiste. Aussi, il ne pourra peut-être pas retirer l’avortement légal ou dollariser l’économie, mais il va pouvoir couper de nombreuses dépenses publiques en gouvernant par décret. »

      dans Le Monde
      https://archive.ph/YfWEQ

      edit vu l’ampleur de la #pauvreté et le taux d’#inflation, on voit mal comme un ministre de l’économie aurait pu contrer ce sale type

      #Argentine

    • à propos de Milei un seen de @deun, " extrême droite et misère de position"
      https://seenthis.net/messages/1019616

      cite DES INSURRECTIONS SANS LUMIÈRES
      https://lundi.am/Des-insurrections-sans-lumieres

      à quoi ont ajouter la parution aujourd’hui de
      QUI EST JAVIER MILEI LE NOUVEAU PRÉSIDENT ARGENTIN LIBERTARIEN ? (D’après Pablo Stefanoni, La rébellion est-elle passée à droite ?)
      https://lundi.am/Qui-est-Javier-Milei-le-nouveau-president-argentin-libertarien

      une ode punk a icelui

      https://www.youtube.com/watch?v=6-g2OjuuNCs

      « Allez vous faire foutre, salauds d’empresaurios[empresario (entrepreneur) et dinosaurio (dinosaure) ] / Allez vous faire foutre, sodomites du capital / On en a marre des ordures keynésiennes / Le moment libéral est arrivé / Nous avons un leader, et c’est un référent majeur / Qui arrive toujours à incommoder l’État / Javier Milei, notre futur président / Javier Milei le dernier des punks / Toujours mobilisé contre la pression fiscale / Toujours mobilisé contre l’étatisme prédateur / Luttant pour une Argentine libertarienne / Et pour la liberté du peuple travailleur. »

      un résumé vidéo du Monde via @sandburg
      https://www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/11/19/qu-est-ce-que-la-figure-de-javier-milei-nous-dit-des-crises-que-traverse-l-a

      #extrême_droite #paléolibertarianisme #libertariens

    • Argentine : Javier Milei n’est ni Trump ni Bolsonaro, il est pire,
      Ludovic Lamant
      https://www.mediapart.fr/journal/international/201123/argentine-javier-milei-n-est-ni-trump-ni-bolsonaro-il-est-pire

      L’Argentin Javier Milei est le dernier avatar d’un mouvement de fond des droites extrêmes « anti-système » qui s’épanouissent dans les failles et insuffisances des démocraties actuelles. Mais les rapprochements avec Donald Trump ou Jair Bolsonaro échouent à saisir la spécificité du phénomène.
      Le « saut dans le vide » tant redouté par les gauches argentines s’est produit : le #libertarien Javier Milei a été élu dimanche 19 novembre, avec un score sans appel et bien supérieur à ce qu’annonçaient des instituts de sondage décidément très peu fiables pour prendre le pouls du malaise qui traverse ce pays.
      Milei a devancé de plus de onze points son adversaire péroniste, le ministre de l’économie sortant, Sergio Massa, rassemblant pas moins de 14,5 millions de voix (sur 36 millions d’inscrit·es) . Sa formation, La liberté avance, s’est imposée dans 21 des 24 provinces du pays. Il a profité d’un report massif des voix des candidat·es arrivé·es en troisième et quatrième places au premier tour.

      Sans surprise, Donald Trump est l’un des premiers à avoir félicité sur X le vainqueur : « Je suis très fier de toi. Tu transformeras ton pays et lui redonneras de nouveau sa grandeur ! » Lors du premier tour, le 22 octobre, le fils de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, Eduardo Bolsonaro, député à Brasilia, avait fait le déplacement à Buenos Aires pour soutenir Milei : « Javier incarne l’espoir que les choses changent », avait-il dit, alors qu’il arborait ce jour-là une pince à cravate en forme de pistolet devenue virale sur les réseaux.
      Dès le mois d’août dernier, à l’approche des primaires dont Milei était déjà sorti vainqueur, Jair Bolsonaro en personne s’était fendu d’une vidéo de soutien : « [Milei et moi] partageons beaucoup de choses en commun. [...] Nous défendons la famille, la #propriété_privée, le #libre_marché, la liberté d’expression, le droit à se défendre. »

      Le énième avatar d’une « internationale national-populiste » ?

      Le triomphe de l’outsider Milei s’inscrit dans ce mouvement de montée en puissance des #droites les plus extrêmes, engagées dans une #guerre_culturelle contre les gauches progressistes. Milei tempête contre « la caste » comme Trump l’a fait contre « l’establishment » de Washington. Milei s’est fait connaître en tant qu’expert des plateaux de télévision à partir de 2015, comme Trump est passé par la télé-réalité dans les années 2000 pour accroître sa notoriété.
      En plus de leur style agressif, extravagant et télégénique, les trois – avec Jair Bolsonaro – tonnent contre « le communisme » et/ou « le socialisme » et défendent - sur des registres à peine différents - le droit de chaque citoyen à porter une arme pour se défendre. Trump, Milei ou encore Boris Johnson du temps du Brexit se sont nourris d’une explosion des inégalités dans leur pays, capitalisant sur le mal-être d’une classe moyenne appauvrie.

      « Des petits commerçants, des indépendants, qui gagnent peu, sont très remontés contre le #péronisme, et voient qu’ils gagnent quasiment la même chose que des chômeurs qui bénéficient de plans sociaux, expliquait à Mediapart le sociologue Gabriel Vommaro, du centre de recherche argentin Conicet et de l’EHESS à Paris. C’est une vieille histoire en sociologie politique, qui se répète : celle du jeune Blanc aux États-Unis, ou du Brexiter en Angleterre. »
      Interrogé par le site en espagnol de CNN, le patron de la version argentine du Monde diplomatique, José Natanson, identifie un autre point commun : tous ont profité, avant leur victoire, d’une « sous-estimation » : « Il y a l’idée qu’ici, cela ne peut pas arriver, qu’un personnage pareil ne peut pas devenir président de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay... Jusqu’à ce que cela arrive. »
      Mais le jeu des échos et comparaisons s’arrête là, au sein de cette « internationale national-populiste ». Les raccourcis qui présentent Milei comme un « Trump argentin » ne suffisent pas à comprendre ce qui se joue à Buenos Aires. L’ascension de Milei s’inscrit d’abord dans un contexte de dégradation du système politique argentin. Et beaucoup de ses caractéristiques sont très spécifiques.

      Un homme sans parti

      Aux États-Unis, Donald Trump s’est imposé aux primaires du parti républicain. Au Royaume-Uni, les partisans du Brexit ont pris d’assaut le parti conservateur (Tories). À Buenos Aires, Milei a construit son ascension sans ancrage national. Son pseudo-parti, La liberté avance, a enchaîné les mauvais scores aux différentes élections régionales qui ont ponctué l’année 2023, preuve que cette entité peine à exister si Milei ne se présente pas.
      Cela signifie d’abord que Milei a les mains libres pour fixer sa ligne radicale, en toute indépendance, avec quelques personnes clés de son entourage. À commencer par son énigmatique sœur cadette, Karina, qu’il surnomme, au masculin, « El jefe » (le chef), ou encore « Le messie », et qui fut la stratège en chef de sa campagne victorieuse.
      Revers de la médaille : à ce stade, son parti est loin de détenir les clés de la Chambre des député·es. Milei ne détiendra que 38 élu·es à la chambre basse (contre trois sur le mandat précédent). La majorité absolue est à 129. Il devra donc convaincre des député·es de la droite plus traditionnelle, par exemple au sein du PRO de Patricia Bullrich et Mauricio Macri.
      D’où les analyses de certains observateurs, qui font déjà de l’ancien président #Mauricio_Macri (2015-2019), le premier à avoir soutenu Milei durant l’entre-deux-tours, le « parrain » de la présidence Milei à venir.

      Une ascension éclair

      Au Chili, le candidat néo-pinochetiste José Antonio Kast, qui a failli l’emporter face à Gabriel Boric en 2021, est élu pour la première fois député en 2002. Au Salvador, Nayib Bukele, devenu l’une des figures les plus inquiétantes de l’extrême droite au pouvoir dans les Amériques après son élection à la présidence en 2019, a démarré sa carrière politique en 2012, depuis la gauche.
      Là encore, Milei tranche avec ce type de parcours. Il a été élu député national pour la première fois en décembre 2021. L’ascension éclair de ce novice en politique, dénué a priori de toute capacité de négociation politique, s’explique en grande partie par un contexte très local : le bilan calamiteux de la présidence péroniste d’Alberto Fernández depuis 2019. En particulier sur le front économique : une inflation de 648 % sur la période, des dévaluations du peso à répétition, et un taux de pauvreté en hausse, à 40,1 % de la population (18,5 millions d’Argentin·es).

      Un candidat « mono-thématique »

      Milei a longtemps été le candidat d’une seule proposition, la dollarisation de l’économie argentine face à l’inflation galopante (et son pendant, la fermeture de la Banque centrale), qu’il a martelée sur les plateaux télé. « Trump parlait d’économie mais de beaucoup d’autres choses, notamment d’international. Milei est davantage mono-thématique : il critique la caste et parle d’économie », relève le sociologue Gabriel Vommaro.
      Carlos Pagni, l’éditorialiste du quotidien La Nación l’explique autrement à Mediapart : « Milei n’est pas Bolsonaro, il serait plutôt comme la fusion de Bolsonaro et [Paulo] Guedes dans la même personne », en référence au conseiller économique ultralibéral de la présidence Bolsonaro.
      Si l’attention des médias, surtout à l’étranger, s’est fixée sur la personne extravagante de Milei, le triomphe électoral de dimanche est bien le fruit d’un binôme. Son choix de s’entourer de Victoria Villaruel comme candidate à la vice-présidence, a été un coup de maître.
      Il lui a permis de se faire entendre sur d’autres sujets que l’économie (critique des féminismes, opposition au droit à l’#avortement, dénonciation de la politique mémorielle sur la dictature menée par les Kirchner, etc.). Villaruel a permis à Milei à se relier à cette internationale ultra-conservatrice, de Giorgia Meloni en Italie à Santiago Abascal en Espagne, pour laquelle le libertarien n’avait jusqu’alors montré que peu d’intérêt.

      Un programme encore plus extrême

      Milei se dit « libéral libertarien » ou encore « anarcho-capitaliste ». Au-delà du vertige des étiquettes, son programme semble aller encore plus loin que ceux de Bolsonaro, Trump ou Kast. L’économiste portègne veut tout à la fois supprimer les ministères de l’environnement et de l’éducation, privatiser les médias publics et les compagnies énergétiques. « Tout ce qui peut se retrouver aux mains du secteur privé, sera remis aux mains du secteur privé », a-t-il déclaré lundi 20 novembre, lors de son premier entretien post-élection.
      Il veut encore libéraliser les ventes d’organes, faciliter le port d’armes et abroger le #droit_à_l’avortement. Il est revenu en fin de campagne sur ses promesses de privatiser l’école et l’éducation, reconnaissant lundi qu’il s’agit d’une compétence des provinces... Victoria Villaruel a de son côté encore électrisé la fin de campagne en promettant de fermer le musée ouvert depuis 2015 dans l’un des principaux centres de torture de la dictature argentine (1976-1983) à Buenos Aires, l’ESMA.
      À ce stade, celles et ceux qui pariaient sur un assouplissement de Milei une fois élu, contraint à des compromis avec des partis traditionnels pour former des majorités au sein de la Chambre, comme l’anticipait durant la campagne Guillermo Francos, annoncé comme son futur ministre de l’intérieur, en sont pour leurs frais. L’économiste de 53 ans, qui préfère « la mafia à l’État », a prévenu dès dimanche soir : « Il n’y a pas de place pour le gradualisme, la tiédeur ou les demi-mesures. »

      Un autre rapport à la religion ?

      Donald Trump et surtout Jair Bolsonaro ont pu compter sur le soutien des évangéliques. Milei confère lui aussi une place centrale au religieux, mais cela s’est surtout traduit, durant sa campagne, par une série de vives critiques à l’encontre du pape argentin François, accusé par des pans de la droite d’être trop progressiste (et de soutenir la campagne des péronistes). Bousculé sur le sujet par Sergio Massa durant le premier débat télévisé début octobre, Milei avait dû faire en partie marche arrière.
      Surtout, Milei assume une forme de mysticisme, qui transparaît dans les entretiens qu’il a donnés sur un registre plus personnel. Lorsqu’il était un peu moins connu, Milei a par exemple expliqué que la Banque centrale était « le malin », et que le socialisme avait été inventé par « le diable ». Son biographe, le journaliste Juan Luis González, auteur d’El Loco (Le fou, Planeta, 2023), décrit un « leader messianique », qui compare ses actions à des passages des textes sacrés, mais se compare aussi lui-même à des figures de la Bible, comme Moïse.
      Milei est persuadé que Dieu, non seulement existe et qu’il est libertarien, mais aussi qu’il lui est arrivé d’échanger avec lui. Il a déjà expliqué très sérieusement qu’il parlait à Dieu à travers son chien, Conan, mort en 2017, et dont il avait fait réaliser, peu de temps avant sa mort, six clones aux États-Unis.
      L’économiste reprend aussi souvent à son compte une citation de l’Ancien Testament, devenue très populaire sur les réseaux : « À la guerre, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. » L’un de ses autres slogans durant les meetings – « Je suis venu pour réveiller les lions », en référence à ses électeurs –, porte aussi cette couleur messianique, dont on peine à savoir, à ce stade, comment elle jouera sur sa manière de présider l’Argentine.

      #messianisme (de bazar)

    • #Milei_fou_furieux Après le #narco_capitalisme, l’#anarcho_capitalisme (en tant que dernier avatar du #capitalisme_de_désastre)

      L’économiste reprend aussi souvent à son compte une citation de l’Ancien Testament, devenue très populaire sur les réseaux : « À la guerre, la victoire ne dépend pas du nombre de soldats, mais des forces du ciel. » L’un de ses autres slogans durant les meetings – « Je suis venu pour réveiller les lions », en référence à ses électeurs –, porte aussi cette couleur messianique, dont on peine à savoir, à ce stade, comment elle jouera sur sa manière de présider l’Argentine.

      Pour ce dernier point, c’est pourtant assez facile à imaginer ...

    • En Argentine, la naissance du fascisme religieux de marché
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/21/en-argentine-la-naissance-du-fascisme-religieux-de-marche

      On pourrait nommer « fascisme religieux de marché » ou « autoritarisme technocratique » le type de régime que les libertariens et les nationalistes conservateurs entendent fonder en Argentine. Une pareille formule a déjà existé dans l’histoire de l’Amérique latine : dans le Chili de Pinochet, dans l’Argentine de Videla, dans le Pérou de Fujimori et dans le Brésil de Bolsonaro. Elle combine des réformes néolibérales avec l’autoritarisme politique, qui s’est exprimé dans les régimes dictatoriaux des années 1970 en Amérique latine et au Brésil ces dernières années. Une différence avec le phénomène Bolsonaro pourrait être que ce dernier bénéficiait d’un fort soutien de la part des militaires et des évangélistes, ce qui ne serait pas si évident à réaliser pour Milei.

      " La victoire de Milei aux primaires montre qu’une partie importante de la société considère que la voie de la recomposition sociale par le biais d’une proposition conflictuelle et autoritaire est plus appropriée. "
      Ariel Goldstein

      Le libéralisme de Milei et la démocratie libérale ne sont pas compatibles. Aucune société démocratique ne peut supporter ces réformes d’ajustement sans autoritarisme. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont son langage combine les appels religieux avec la doctrine économique néolibérale. Il utilise des versets bibliques pour justifier ses positions économiques de réduction des dépenses publiques, telles que « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Genèse 3 : 19).

      Une phrase revient souvent dans La révolution libérale, un documentaire de Santiago Oría qui défend l’héritage de Milei, ainsi que dans sa campagne : « la guerre la victoire ne va pas aux plus nombreux, car c’est du Ciel que vient la force » (Maccabées 3 : 19).

      Milei est l’instrument de la revanche d’une partie de la société contre une classe politique perçue comme inutile, parasitaire et uniquement tournée vers ses propres intérêts. L’adhésion à un leader désigné comme celui qui punira un ennemi explique la montée en puissance de Milei, comme tous les phénomènes de droite radicale16.

      « Ceux qui jettent des pierres, je vais les mettre en prison et s’ils encerclent la Casa Rosada, ils devront me sortir mort » a-t-il déclaré lors de l’une de ses dernières apparitions télévisées. Milei mise ainsi sur une violence rédemptrice qui le montre, dans cette vision guerrière et religieuse, comme le grand illuminé. Il semble, en ce sens, avoir un profil plus fondamentaliste que Trump et Bolsonaro, qui dérive peut-être du fait qu’il a moins d’expérience politique que ces derniers.

      Ce que nous vivons est une nouvelle destruction de la composante rationaliste du libéralisme par un autoritarisme et un fondamentalisme religieux qui se l’approprient. Il appartient à la gauche, aux sociaux-démocrates, aux progressistes et aux libéraux de s’unir pour défendre cet ensemble d’idées et de valeurs afin de préserver la démocratie. En effet, le processus de normalisation, sous Milei, a été extraordinairement rapide. Aucun cordon sanitaire n’a été formé comme en Europe.

      Milei semble avoir un profil plus fondamentaliste que Trump et Bolsonaro, en raison de sa moindre expérience politique.

      Il a une vision fanatique de la réalité dans laquelle il fait une distinction entre les personnes « pures » et « impures ». Par exemple, cette réflexion adressée à la dirigeante de l’opposition, Elisa Carrió : « Chacun est gouverné par la morale et l’éthique, les gris disparaissent et les tièdes deviennent de parfaits complices des criminels (ils ne diffèrent que par les formes) ». Dans ce type de réflexion, il défend une croisade morale contre les « impurs », qui est évidemment dangereuse pour la pérennité du système démocratique. Dans cette vision complotiste, ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont transformés en ennemis qui représentent un danger pour son existence.

    • L’ouragan Milei. Les sept clés de l’élection argentine
      https://www.contretemps.eu/argentine-milei-libertarien-extreme-droite-macri

      Cette victoire d‘un économiste qui se définit comme « anarcho-capitaliste » – et qui appartient plus précisément au courant « paléolibertarien » analysé notamment par Pablo Stefanoni – ouvre en tout cas un scénario inédit et imprévisible. Comment comprendre ce basculement politique qui a porté au pouvoir un homme sans expérience politique ni véritable mouvement structuré derrière lui, mais appartenant à une nouvelle extrême droite globale ?

    • « La victoire de Javier Milei en Argentine s’inscrit dans un contexte mondial de consolidation des droites radicales », Olivier Compagnon, Historien, David Copello, Politiste
      https://archive.ph/p1Uu3

      Une fois que l’on s’est accoutumé au spectacle de foules saccageant le Capitole à Washington, comme cela s’est produit le 6 janvier 2021, ou le palais du Planalto à Brasilia, le 8 janvier 2023, on se formalise moins qu’un nouveau venu, étranger à la scène politique il y a encore trois ans, fasse campagne, tronçonneuse à la main et insultes aux lèvres, en promettant de libéraliser le port d’armes et le commerce d’organes.
      La victoire de Milei s’inscrit donc dans un contexte régional – mais aussi global – de consolidation de droites radicales qui ne cherchent plus à masquer les aspects les plus extrêmes de leur programme, mais les mettent en scène pour en faire des produits d’appel. (...) l’essentiel réside désormais dans l’hubris, la démesure, la provocation, voire la bouffonnerie.

      Ces droites ont des phobies communes, du nord au sud de l’Amérique et de part et d’autre de l’Atlantique – l’avortement, la « théorie du genre » [terme employé pour marquer un rejet des études de genre], les communautés LGBTQIA+, le « marxisme culturel » [une théorie conspirationniste mettant en cause les élites intellectuelles], les migrants, etc. Elles désignent à la vindicte populaire leurs nouveaux ennemis de l’intérieur, qui se sont substitués aux communistes depuis la fin de la guerre froide. Se présentant sous les atours de la nouveauté, leur discours de rejet de la « caste » politique ne s’en accommode pas moins du recyclage de barons de la politique locale, changeant d’étiquettes partisanes au gré des occasions, ou de vieilles gloires des années passées.

      (...) Seize années de kirchnérisme (2003-2015 et 2019-2023), entrecoupées par le mandat du libéral Mauricio Macri (qui n’a pas hésité une seconde avant d’apporter son soutien à Milei), n’ont pas permis de réenchanter durablement le politique, de stabiliser une économie minée par la dette et les crises cycliques ni de mettre en place des politiques de redistribution pérennes.
      Epuisés par l’un des confinements les plus stricts du monde au plus fort de la pandémie de Covid-19, asphyxiés par une inflation qui pourrait atteindre, selon la Banque centrale du pays, plus de 180 % fin 2023, lassés des scandales de corruption, les Argentins ont voté en majorité pour une altérité radicale, bien que celle-ci ne présage pas vraiment de jours meilleurs.
      Le suffrage des plus jeunes, particulièrement prononcé en faveur de Milei, attire l’attention. Celles et ceux qui, nés en 2007, ont voté pour la première fois lors de ces élections n’ont connu, leur vie durant, que des taux d’inflation et des indices de pauvreté supérieurs à 20 %. Face à la misère, la relativisation des crimes passés de la dictature par Milei et sa vice-présidente, Victoria Villarruel, ainsi que leur dénigrement du travail de mémoire ne suscitent guère que l’indifférence.

    • Bon, je ne vois pas beaucoup de réponses à ta question dans les commentaires, donc en voici une réponse largement pompé de cet article :
      https://www.humanite.fr/monde/argentine/argentine-javier-milei-la-victoire-du-fmi

      1ere raison : le fond de crise

      C’est bien la droite de Mauricio Macri, président de 2015 à 2019, qui a créé les conditions de l’arrivée de Milei à la Casa Rosada (maison rose), avec l’aide de l’organisme financier siégeant à Washington.

      En doublant le poids de la dette publique extérieure (69 % du PIB) et en signant, fin 2018, le prêt le plus important jamais accordé par le FMI à un pays (56 milliards de dollars), le gouvernement Macri s’est plié aux recettes du FMI et a plongé l’économie dans une spirale récessionniste. En effet, la stratégie de « l’austérité expansionniste » promue par le programme de réajustement du FMI n’a en rien fonctionné.

      Ce que prédisaient déjà à l’époque nombre de détracteurs de l’accord. « Si le gouvernement s’en tient aux objectifs de ce programme, des millions d’Argentins connaîtront des souffrances et des difficultés accrues à mesure que le chômage et la pauvreté augmenteront avec la récession », prévenaient, fin 2018, les économistes Mark Weisbrot et Lara Merling.

      Ainsi, avec son couteau placé sous la gorge de la banque centrale argentine, le FMI n’a fait qu’accentuer ses difficultés macroéconomiques. Fuite de capitaux, dépréciation du peso, hausse du poids des devises étrangères dans la dette, croissance du déficit de la balance courante…

      L’« assainissement budgétaire » et le resserrement monétaire, appliqué à la lettre par le gouvernement de droite, ont piégé le pays dans le bourbier d’une dette ingérable, alimentée par une spirale inflationniste et dépréciative au coût humain catastrophique.

      Au terme du mandat de Macri, la pauvreté a augmenté de 50 % et l’inflation atteint les 54 %. Seuls vrais gagnants de ce désastre économique : les fonds vautours états-uniens, véritables charognards des marchés financiers, n’hésitant pas à traîner le pays devant les tribunaux américains pour empocher des milliards de dollars, après avoir racheté pour une bouchée de pain des parts de la dette extérieure de Buenos Aires.

      2eme raison : une gauche pas à la hauteur

      Fin 2019, la gauche péroniste reprend les rênes du pays. Mais, dans ces conditions, il est bien difficile pour le président Alberto Fernandez (centre gauche) de redresser la barre. Avec son ministre de l’Économie, Sergio Massa, il hérite d’une situation exécrable et la renégociation d’une partie du prêt du FMI, ramené à « seulement » 44 milliards, n’y changera rien, bien au contraire.

      Contrairement à Néstor Kirchner (2003-2007) et à Cristina Fernandez de Kirchner (2007-1015), qui avaient réussi à relever le pays après la terrible crise de 1998-2002 qui avait poussé 65 % des Argentins en dessous du seuil de pauvreté, lui est pieds et poings liés par un FMI qui se retrouve en position de force, accentuée par un défaut de paiement dès mai 2020.

      Le Fonds continue ainsi d’imposer des coupes à la hache dans les dépenses publiques et sociales. Le contexte mondial ne joue pas en la faveur de l’Argentine, avec d’abord les conséquences économiques de la pandémie de Covid, puis une sécheresse exceptionnelle qui a diminué de 20 % les recettes du secteur des exportations agro-industrielles, pilier de l’économie nationale.

      4,9 milliards d’euros d’« aide » ont été de nouveau débloqués, en avril dernier. En échange de ces crédits, le FMI impose baisse du déficit budgétaire et politique de contrôle des dépenses, avec, par exemple, une suspension des subventions sur l’énergie. « Ce sont des usuriers, ils nous asphyxient avec les intérêts de l’argent qu’ils nous ont prêté », dénoncera plus tard le président Fernandez, conspuant des positions aussi inflexibles qu’« idéologiques ». Le pays est alors traversé par des mouvements sociaux contre l’austérité et l’inflation qui conspuent autant le FMI et sa dette « illégitime » que le gouvernement qui met en place ses exigences.

      Finalement, avec des taux d’inflation frôlant tous les records, les classes populaires subissent une précarisation accélérée et le bilan des années Fernandez est – forcément – mauvais. C’est dans ce contexte que surgit Javier Milei. Quoi de plus simple pour lui que de s’en prendre à l’« establishment », de surfer sur le mécontentement populaire et, au final, de remporter la mise, avec le soutien de la droite qui lui aura préparé le terrain.

      3eme raison : le soutien de la droite traditionnelle entre les 2 tours

      Avec des mesures d’austérité que la gauche n’a pas été en mesure de résilier, la droite a en effet ouvert la porte à l’arrivée de l’extrême droite, ce qui s’est d’ailleurs confirmé après le premier tour. En effet, entre le maintien au pouvoir du centre gauche et l’arrivée d’un néofasciste, celle-ci n’a pas longtemps hésité à se prononcer en faveur de Milei.

      Après sa qualification pour le second tour, celui-ci a en effet reçu le soutien de Patricia Bullrich (22 % au premier tour), candidate malheureuse de la droite traditionnelle, ainsi que de l’ancien président Mauricio Macri en personne.

      4eme raison, en finir avec le Péronisme

      Particularité de ce tribun facho : Il avait en face de lui les héritiers du péronisme, (donc de la dictature, des escadrons de la mort, etc.) . Il ne pouvait donc pas se réclamer du soutien de l’armée comme Bolonaro. Voilà pourquoi son camp a communiqué sur son pseudo « anarchisme de droite » (avec plein de guillemets, hein ? parce que l’anarchie, ça ne peut pas être de droite). Parce qu’il a connoté dans sa campagne, le dépassement de toute forme d’autoritarisme (c’est un comble, mais ça a fonctionné).

      C’est bien résumé ici :
      https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/peron-peronismo-argentine-election-politique-javier-milei

  • Le climat, la gauche et l’histoire | #Jean-Baptiste_Fressoz
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/03/le-climat-la-gauche-et-lhistoire

    Plusieurs auteurs, cités par Paul Magnette ont cru discerner dans l’histoire de l’énergie le capitalisme dans ses basses œuvres : la machine à vapeur aurait simplement servi à échapper à la contrainte de localisation et à exploiter une main d’oeuvre urbaine et abondante (Andreas Malm) ; le pétrole aurait eu pour effet, voire fonction, de contourner les mineurs et leurs syndicats grâce à sa fluidité (Timothy Mitchell). Ces récits séduisants ne résistent pas à l’analyse : le charbon sert surtout à produire de la chaleur. En Angleterre son extraction commence quand le prix du bois de feu augmente, tirée par la croissance urbaine — la machine à vapeur est davantage un symbole que la cause de l’Anthropocène. Quant au pétrole, il ne contourne pas les mineurs, tout simplement parce qu’il ne remplace pas le charbon ; il sert avant tout à faire avancer des voitures qui pour leur fabrication consomment énormément de charbon ; en outre, la baisse du nombre des mineurs n’est pas causée par le pétrole mais par le progrès technologique dans les mines. L’attrait de l’histoire « politique » de l’énergie qui est aussi son défaut, est qu’elle tend à présenter le changement climatique comme l’effet secondaire d’une entreprise de domination capitaliste. Cette historiographie, apparemment radicale mais rassurante pour la gauche anti-capitaliste, sous-estime l’énormité du défi climatique : sortir du carbone sera autrement plus difficile que sortir du capitalisme, une condition tout aussi nécessaire qu’insuffisante.

    [...]

    Le réchauffement est un phénomène historique, mais comme il fait la somme de l’ensemble de l’agir humain sur la planète il échappe largement à l’histoire. S’il est assez facile pour un historien d’expliquer le réchauffement, identifier ce qui pourrait l’arrêter dépasse l’imagination historique.

    Face au titan climatique, les sciences sociales proposent souvent des « solutions » sans avoir jaugé la profondeur du problème. Les verrous techniques sont écartés, laissés à l’expertise du groupe III du GIEC. On fait comme si la décarbonation était un simple problème d’investissements, un problème d’ingénierie sociale, un problème de volonté politique. [...]

    Dans les années 1990-2000, beaucoup d’énergie a été dépensée pour débattre des avantages respectifs de la taxe carbone ou des droits à polluer, alors qu’il aurait fallu expliquer qu’on ne saurait décarboner l’acier, le ciment, l’aviation etc. et donc convenir des moyens démocratiques et équitables d’en réduire drastiquement la consommation. Il en découlerait une redéfinition du débat climatique centré sur la répartition juste et efficace des biens matériels à l’échelle mondiale : la grande question de la gauche depuis son origine et le trait d’union qui relie le socialisme à l’éco-socialisme.

    • Contrairement à l’expression de « crise environnementale » qui sous-entendait une épreuve brève dont l’issue serait imminente, l’Anthropocène désigne un point de non-retour. Ce que nous vivons n’est pas une simple crise mais une bifurcation à l’échelle de l’histoire géologique de la Terre. Le développement économique des derniers siècles modifiera l’environnement de ceux à avenir. Nous ne nous sortirons pas de l’Anthropocène et nous ne connaîtrons plus les climats de l’Holocène. Ce qui a été moins compris — et la faute en revient à une vision aberrante de l’histoire matérielle — est que cette irréversibilité s’appliquait presque autant à l’anthropos qu’à la planète. L’Anthropocène désigne une double irréversibilité, une double accumulation, un cumul de cumuls : non seulement les flux de matière s’empilent dans les différents compartiments du système-terre, mais les flux matériels anthropogéniques suivent eux-aussi une logique additive.

      Toute discussion sérieuse sur les questions environnementales devrait partir du constat historique quelque peu inquiétant que les innovations technologiques n’ont, jusqu’à présent, jamais fait disparaître un flux de consommation matérielle. Au cours du XXe siècle, dans le monde, l’éventail des matières premières s’est élargi et chacune a été consommée en quantité croissante [3]. Les processus de substitution technologiques ont donc pour l’instant toujours été compensés par l’élargissement des marchés, par les effets rebonds et par les réorientations d’usage.

      [3] Sur les soixante-dix matières premières principales, Christopher L. Magee et Tessaleno C. Devezas ne recensent que six qui ont décru depuis 1960 : l’amiante, le mercure, le beryllium, le tellurium, le thallium et la laine de mouton, auxquels on pourrait ajouter l’huile de baleine.

  • Grèce : un virage autoritaire aux répercussions continentales | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/02/grece-un-virage-autoritaire-aux-repercussions-continentales

    La Grèce a pris un virage autoritaire. Son gouvernement reprend certaines des théories d’extrême droite les plus brutales. Et l’Europe ne s’en soucie pas. Dans cette étude riche et informée, Pavlos Roufos réfléchit à cet aveuglement, qui pourrait aboutir à une altération profonde du consensus libéral-démocratique.

    L’Europe suit, avec application.

  • Guerre à Gaza : Israël inondera les tunnels du Hamas de gaz neurotoxiques sous la supervision de la marine américaine
    Par David Hearst | Published date : Jeudi 26 octobre 2023 | Middle East Eye édition française
    https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/guerre-palestine-gaza-israel-tunnels-hamas-gaz-neurotoxiques-marine-a

    Les groupes de la résistance palestinienne à Gaza s’attendent à ce qu’Israël inonde les tunnels du Hamas de gaz neurotoxiques et d’armes chimiques sous la surveillance des commandos américains de la Delta Force dans le cadre d’une attaque surprise contre la bande côtière, a déclaré à Middle East Eye une source arabe de haut niveau proche de ces groupes.

    Israël et les États-Unis espèrent obtenir un effet de surprise afin de pénétrer dans les tunnels du Hamas, sauver environ 220 otages et tuer des milliers de combattants des Brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas, a indiqué la source dans un communiqué, notant que l’information provenait d’une fuite aux États-Unis.

    Middle East Eye n’est pas en mesure de vérifier de manière indépendante les informations contenues dans la fuite.

    « Le plan repose sur l’élément de surprise afin de gagner la bataille de manière décisive, en utilisant des gaz interdits sur le plan international, en particulier des gaz neurotoxiques, et des armes chimiques. De grandes quantités de gaz neurotoxiques seraient pompées dans les tunnels », a indiqué la source.

    La Delta Force américaine supervisera « le pompage de grandes quantités de gaz neurotoxiques dans les tunnels du Hamas, capables de paralyser les mouvements corporels pendant une période comprise entre six et douze heures ».

    « Pendant cette période, les tunnels seraient infiltrés, les otages sauvés et des milliers de soldats d’al-Qassam tués », a-t-elle ajouté.

    Middle East Eye a contacté la Maison-Blanche et le Département américain de la Défense mais n’a obtenu aucun commentaire.

    Les États-Unis collaborent avec Israël au sujet de son invasion prévue de Gaza. (...)

    #7oct23

    • « Inonder les tunnels de gaz », comme c’est joliment euphémisé. Ça avance comme la guerre de Corée. A la fin, y-a un général qui va proposer d’envoyer une bombe atomique. Mais ils se contenteront de tout aplatir à coup de bombes traditionnelles, au point que les survivants seront ceux qui auront réussi à se terrer dans les grottes et les sous-sols. Et après, on ne comprendra pas pourquoi le territoire est dirigé par des paranoïaques notoires.

      (on écrit Mélenchon ;-) )

    • c’était un grand progrès pour les nazis que d’avoir inventé les chambres à gaz pour mettre en oeuvre une tuerie de masse, quotidienne, décentralisée et sur le long terme de personnes prisonnières dans leurs camps, conjointement au flux continu de crémations que cela exigeait.
      utiliser pour tenter de préserver des otages des gaz incapacitants pour ensuite flinguer un par un des combattants est aussi une toute autre scène, de guerre, de combat, que l’extermination industrielle à quoi aboutira(it) une prolongation des bombardements sur Gaza (un Hiroschima-Nagasaki au ralenti et sans emploi du nucléaire).
      on nous promet une guerre toujours plus technique, enfin ciblée, humanitaire et utopique. ça a tout d’une diversion destinée à afficher une attention aux vies des civils.

    • « Prochaines étapes » des combats en préparation : l’armée israélienne face aux tunnels de la bande de Gaza | Le Grand Continent
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/27/prochaines-etapes-des-combats-en-preparation-larmee-israelienne-fac

      L’armée israélienne a annoncé au matin du 26 octobre avoir mené un raid « ciblé » au sol dans la bande de Gaza, « en préparation des prochaines étapes du combat ». La forme que pourrait prendre une offensive terrestre de l’armée israélienne reste encore incertaine. L’armée fait face au défi stratégique posé par le réseau de tunnels traversant la bande de Gaza.

    • A Jabaliya a eu lieu une forme de résumé du conflit en cours. L’armée israélienne a privilégié les notions opérationnelles. (...) Le coût humain et politique d’opérations similaires risque de devenir difficilement acceptable aux yeux des soutiens d’Israël. L’ancien conseiller national à la sécurité, Eyal Hulata, désormais à l’Institut national du contre-terrorisme de l’université Reichman, à Tel-Aviv, en est convaincu : « Nous sommes face à un compte à rebours, en termes diplomatiques. Le temps nous est compté. »

      Pour autant, la situation de piège dans laquelle se trouve l’armée israélienne n’est peut-être pas complètement gelée. D’une part, le réseau des tunnels, s’il est en partie endommagé, peut empêcher la coordination entre les différents groupes du Hamas. Les conduits sont équipés de moyens de #communication, mais la section des câbles qui courent sur leurs parois aurait pour effet d’isoler les combattants, cassant leur #coordination. De plus, dans un réseau en profondeur, l’alimentation en #oxygène est vitale. Sans renouvellement de l’air, les combattants terrés dans les conduits seraient peu à peu asphyxiés. A mesure que le réseau s’est étendu, les besoins pour y renouveler l’#air se sont accrus. Techniquement, il faut des moteurs pour opérer cette circulation, et donc du carburant pour les faire fonctionner. Le Hamas a stocké des quantités importantes de carburant en prévision de cette confrontation, mais cette capacité n’est pas infinie. Selon plusieurs sources, elle accorde au groupe armé et à ses alliés une autonomie qui se compterait en semaines. Ensuite, si le carburant devait faire défaut et le système d’aération s’arrêter, le résultat serait simple : « Les combattants seraient obligés de sortir comme des lapins, et nous, nous les attendrons  », assure une source militaire israélienne.

      [...]

      « Il n’y a aucune technique miracle pour venir à bout de ce réseau [de tunnels]. Il faudra sans doute procéder par quadrillages, et utiliser toute une gamme de techniques pour détruire ses différents tronçons, en fonction des conditions », avertit Daphné Richemond-Barak.

      https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/02/frapper-le-hamas-parmi-la-population-civile-l-impossible-strategie-de-l-arme

      https://archive.ph/qAgzz

      #tunnels

    • Personne n’arrêtera l’état sioniste et ce dernier n’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas subi de très lourdes pertes.

      A ce moment là et à ce moment là seulement il prétendra que c’est sous la pression de ses alliés qu’il s’est arrêté, ces derniers se hâtant de confirmer en fumistes sans vergogne qu’ils sont.

  • La Commission dévoile le nom des entreprises clés dans le cadre de la régulation numérique | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/09/06/la-commission-devoile-le-nom-des-entreprises-cles-dans-le-cadre-de-

    Le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton a désigné aujourd’hui les six entreprises du numérique Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft comme contrôleurs d’accès (gatekeepers) dans le cadre du Digital Market Act1.

    Evidemment, il n’y a pas SeenThis dans cette liste, ni Mastodon. L’UE jamais à court d’argument pour ne pas inclure les fleurons des réseaux sociaux européens !

  • Mario Tronti : I am defeated | communists in situ
    https://cominsitu.wordpress.com/2015/03/08/mario-tronti-i-am-defeated

    Nostalgia for revolutions?
    No, if anything the twentieth century was the century of revolutions. But not only that. Where are the grand ideas, the great literature, the grand politics or the great art? I don’t seen anything like what the first half of the twentieth century produced.

    When did the explosion of creativity end ?
    In the 60s.

    Your golden years ?
    That’s the irony of history. There was a great twentieth century, and a small twentieth century built out of an awareness that it is no longer able to reflect on itself.

    Is this a farewell to the idea of progress ?
    These days Progressivism is the thing furthest from myself. I reject the idea that whatever is new is always better and more advanced than what was there before.

    It was one of the inviolable creeds of Marxism .
    It was the false security of thinking that the defeat was only an episode. Because meanwhile, we thought, history was on our side.

    And now ?
    We saw how it went, didn’t we ?

    Do you feel like you’ve been defeated, or you’ve failed ?
    I am defeated, not a victor. The victories are never final. But we have lost – not a battle – but the war of the twentieth century.

    And who has triumphed ?
    Capitalism. But without class struggle, without an adversary, it has lost its vitality. It has become something of a monstrosity.

    Do you recognise in yourself a certain amount of intellectual pride ?
    I recognise it, but it’s not such a bad thing. Pride offers clarity, distance, it gives you the force to intervene in things. Better anyway than the renunciation of thought. In all this chaos I would like to protect the ‘point of view’.

    The ‘point of view’ ?
    Yes, I cannot position myself on the level of general interest. I was and remain a partisan thinker.

    When did you discover your party ?
    I was very young. Some people attribute to my Operaismo in the 60s. I think it was during my time as a student that my path was fixed.

    In a book about you by Franco Milanesi – unsurprisingly titled In the Twentieth Century – he describes your thought. When was it born ?
    Even before Operaismo I was a communist. A Stalinist father, a large family, the wealthier suburbs of the city. These are my roots.

    In what area of Rome were you born ?
    Ostiense, which was a bit of Testaccio. I remember the market. The cassisti who worked there. They weren’t working class, but common [popolo]. I was part of that story. Then came intellectual reflection.

    What were the points of references? What opened your eyes ?
    I say it often: we are a generation without masters [maestri].

    #Mario_Tronti #marxisme #opéraïsme

    • You’re alluding to the 70s?

      They started the small twentieth century. This is where the drift started.

      It was a great misinterpretation?

      Let’s face it: it was a generational thing, anti-patriarchal and libertarian. I’ve never been a libertarian.

      Ça fait partie des grands malentendus. Un peu comme Lou Reed qui conchie les punks anglais.

    • je savais pas pour Lou Reed (que j’aime beaucoup, dont j’ignorais qu’il avait cette position et dont je ne sais rien des arguments)

      pour Tronti, c’est là because il est mort
      https://seenthis.net/messages/1012583

      Et lui, c’est tout autre chose !
      Tronti a longtemps exalté une figure ouvrière distincte du prolétariat et de ses révoltes, une figure productive centrale qui depuis ce rôle productif était mise en avant comme plus apte à en finir avec la production et non plus à se la réapproprier (≠ socialisme). Comme chez SouB, la critique du socialisme réel est passée par l’opéraïsme.
      C’était avant de devenir le « révolutionnaire conservateur », mémoriel, ce mélancolique du « grand siècle » (≠Hosbawm, non pas depuis sa durée sur laquelle il aurait pu être d’accord mais sur sa radicalité quant aux enjeux communistes), de la « grande politique ». Lui philosophait à coup de marteau, loin de la mélasse des nietzschéens actuels.

      c’était vrai là, et diablement puissant ( c’est un pdf, zapper la préface des 2 marxologues, et lâcher les a priori sur le Moulier d’hier, ou pire, d’aujourd’hui), dans Ouvriers et capital
      https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf

      ce livre, dont La ligne de conduite et L’usine et la société [ou Lutte contre le travail https://www.cip-idf.org/spip.php?article8094 ], pour ma part, oui, ça a été décisif, sans que la suite y soit subordonnée, du moins en fut-elle informée.

      et, bien plus tard, là
      http://www.lyber-eclat.net/auteurs/mario-tronti

      florilège de citations au hasard du net
      https://www.babelio.com/auteur/Mario-Tronti/442068/citations

      il est par ailleurs revenu régulièrement sur sa manière de parler (mal) de l’après cadlo autunno, en particulier à propos du mouvement des femmes. pas de l’autonomie ou des autonomes en revanche, ne rechignant pourtant pas ces dernières années à intervenir devant ce qui aujourd’hui en tient lieu à France ( fortement teinté d’appellisme).

      bref, à propos de Tronti, la question, malgré le « retour » au PCI de la fin des 60’s, elle est pas vite répondue.

    • Marx avait prévu une prolétarisation croissante. Nous avons connu une bourgeoisification croissante. Ce ne fut pas une erreur scientifique, ce fut une erreur politique. Marx cherchait une force, non pas pour contester le capitalisme, encore moins pour l’améliorer, mais pour l’abattre. Il la voyait dans la multitude prolétaire, dont l’industrialisation aurait fait grossir les rangs, la transformant, après avoir neutralisé l’armée de réserve, en une classe organisée, hégémonique/dominante. La Révolution industrielle – l’industrialisation accélérée – crée l’illusion d’optique de conditions toujours plus proches de la révolution politique. Dans les années soixante du vingtième siècle, notre opéraïsme a commis la même erreur politique. Mais ce sont des erreurs bénéfiques, parce qu’elles mobilisent l’intelligence des événements pour comprendre politiquement les processus structurels. Ensuite, l’analyse scientifique peut repartir, non pas comme froide analyse de cas, mais comme découverte des nouvelles conditions du conflit.

      Il nous a été donné de vivre le passage de l’ouvrier-masse au bourgeois-masse. J’insiste sur ce point, au risque de répéter ce que j’ai déjà dit. Nous sommes face à une composition sociale formée de petits, moyens et grands bourgeois, avec une tendance, venant du haut et du bas, vers le milieu, avec des zones de marginalisation et d’exclusion, minoritaires en Occident, majoritaires dans le reste du monde. Mais avec une forte propension, de masse, à s’inclure plutôt qu’à se disloquer contre le dehors. Voilà ce que nous dit l’approche réaliste, non idéologique. Le processus trouve encore ici devant lui le chemin tout tracé de l’absence d’opposition politique, qui dénonce l’état de choses, décrit la situation réelle, identifie l’ennemi à combattre et élabore les moyens, les formes pour le vaincre. Exactement ce que faisait Marx. En l’absence de cela, la condition domine la personne.

      Voyons alors ce qui s’est passé. Ce qui s’est passé, c’est que le bourgeois a dévoré le citoyen, le privé a dévoré le public, l’économie a dévoré la politique, la finance a dévoré l’économie, et donc l’argent a dévoré l’État, la monnaie a dévoré l’Europe, la mondialisation dévore le monde. Je propose la formule suivante, et j’invite quiconque à la démentir : les démocraties occidentales sont aujourd’hui les plus parfaites dictatures de l’argent. Tel est le point, délicat et stratégique, où la bataille des idées devient – peut devenir – une lutte politique.
      L’esprit libre, Mario Tronti

      [aux couleurs d’une imaginaire gauche du parti démocrate, ex PCI]

      edit

      Le tout dernier Tronti n’a pas toujours échappé au risque de ces conjurations consolatrices, notamment dans un ouvrage comme De l’esprit libre[3], où le recours à des figures mythologiques et à des expressions chiffrées devient parfois vertigineux. Mais il a su éviter de réduire son discours au pur ésotérisme grâce à son sens aigu des réalités politiques et sociales, qui a chez lui des racines à la fois marxistes et chrétiennes. L’esprit libre trontien ne saurait faire l’économie de toute incarnation.
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

    • La politique au crépuscule, Mario Tronti (pdf en ligne)
      http://www.lyber-eclat.net/lyber/tronti/politique_au_crepuscule.html

      On ne veut pas clarifier, « illuminer », on veut comprendre, « saisir ». Ce temps est un temps politique sans connaissance de soi : une stèle posée sur la tombe du passé, et comme futur, celui, seulement, que le présent t’accorde. Impossible pour nous.

      Si, depuis la fin du vingtième siècle, tu regardes le temps de la politique que tu as traversé, il t’apparaît comme une faillite historique. Les prétentions n’étaient pas trop élevées, mais c’étaient les instruments qui étaient inadéquats, comme étaient pauvres les idées, les sujets faibles, médiocres les protagonistes. Et à un certain moment l’histoire n’était plus là : ne restait plus qu’une chronique. Pas d’époque : des jours, et puis encore des jours. Le misérabilisme de l’adversaire a refermé le cercle. Il n’y a pas de grande politique sans grandeur de ton adversaire.

      Aujourd’hui le critère du politique fait peur. Mais l’ami/ennemi ne doit pas être supprimé, il doit être civilisé. Civilisation/culture dans le conflit. Lutte politique sans la guerre : noblesse de l’esprit humain. Il y a donc un message. Dans la bouteille de cette allusive symphonie de psaumes.

      7 octobre 1998.

    • La politique et le destin
      https://legrandcontinent.eu/fr/2022/04/11/la-politique-et-le-destin
      #politique

      Nous publions les bonnes feuilles de l’essai séminal de Mario Tronti « Politique et destin » traduit en français dans l’ouvrage consacré à ce fondateur de l’opéraïsme aux éditions Amsterdam : Le démon de la politique.

      Politique et destin deviennent ici la même chose que liberté et destin. D’où une déclinaison de la politique comme liberté à l’égard de l’histoire, politique qui est certes conditionnée, déterminée, soumise à la nécessité par l’histoire, mais qui ne se remet pas, ne se rend pas, ni à cette déterminité4 ni à ces conditionnements. La politique ne reflète rien, mais produit, elle ne décrit rien, mais crée, et elle produit et crée depuis la cage d’acier de l’histoire, de ce qui est et de ce qui a été. C’est cela, la grandeur, dirais-je, la beauté de la politique, quand elle s’élève, quand elle est contrainte de s’élever, jusqu’à la grande histoire.

      edit

      il faudra arracher Tronti non seulement à la frivolité des salons mondains et des colloques universitaires, mais aussi à la fausse profondeur des chapelles gnostiques cultivant en serre les mythes de la révolte ou de la contemplation, de l’« autonomie » ou de la « destitution », en évitant ainsi le supplément d’âme « radical » que peut toujours fournir le recours à des symboles évocateurs et à des terminologies allusives. [...]

      Un bon exemple de cet usage du dernier Tronti est l’article de Gerardo Muñoz « Un aventurier révolutionnaire dans l’interrègne. Mario Tronti (1931-2023) » de paru sur le site Le Grand Continent le 8 août 2023, qui mobilise presque toutes les catégories de la #droite « gnostique » : l’élite, la communauté, l’aventurier, le salut intérieur par le retrait contemplatif. Ce vocabulaire allusif, qui rappelle le kitsch ineffable dont Ernst Jünger est le maître absolu, a circulé en Italie dans les années 1980, lorsque des anciens proches de Tronti, tels que Massimo Cacciari, ont entrepris une légitimation de la « haute » culture de droite afin de l’incorporer à l’aggiornamento de la vision du monde du PCI.
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

    • introduction

      la ligne de conduite

      Prévenons le lecteur : avec ce livre nous n’en sommes qu’à un « prologue dans les nuages ». Il ne s’agit pas de présenter une recherche achevée. Laissons les systèmes aux grands improvisateurs et les analyses fignolées et aveugles aux pédants.
      Ne nous intéresse nous que ce qui possède en soi la force de grandir et de se développer, et par conséquent d’affirmer qu’aujourd’hui cette force est presque exclusivement l’apanage de la pensée ouvrière. Presque exclusivement, car la décadence actuelle du point de vue des capitalistes sur leur propre société ne signifie pas encore la mort de la pensée bourgeoise. Des lueurs de sagesse pratique nous arrivent, nous arriveront encore de ce long coucher de soleil auquel est condamnée la science des patrons. Plus le point de vue ouvrier progressera, et pour son propre compte, plus cette condamnation historique sera rapidement réalisée. L’une de nos tâches politiques aujourd’hui c’est donc de partir des traces ouvertes par les expériences et les découvertes de la recherche pour frayer une nouvelle direction et une nouvelle forme de chemin. Et de donner à ce chemin l’allure d’un processus. Ce n’est pas le concept de science, mais celui du développement de la science que l’adversaire capitaliste doit bientôt ne plus être capable de maîtriser. Du seul fait qu’elle déclenche son propre mécanisme de croissance, la pensée de l’un des partenaires, c’est-à-dire d’une seule classe, ne laisse plus de place au développement d’un autre point de vue scientifique, quel qu’il soit ; elle le condamne à se répéter lui-même et ne lui laisse pour seule perspective que de contempler les dogmes de sa propre tradition.

      C’est ce qui s’est produit historiquement quand, après Marx, les théories du capital ont repris le dessus : les marges offertes au développement de la pensée ouvrière se sont réduites au minimum et ont presque disparu. Il a fallu l’initiative léniniste de rupture pratique en un point, pour remettre aux mains des révolutionnaires la maîtrise théorique du monde contemporain. Cela n’a duré qu’un moment. Tout le monde sait que, par la suite, seul le capital a été à même de recueillir la portée scientifique de la révolution d’Octobre. D’où la longue léthargie dans laquelle est tombée notre pensée. Le rapport entre les deux classes est tel que le vainqueur est celui qui a l’initiative. Sur le terrain de la science comme sur celui de la pratique, la force des deux parties est inversement proportionnelle : si l’une croît et se développe, l’autre stagne et donc recule. La renaissance théorique du point de vue ouvrier, ce sont les nécessités mêmes de la lutte qui l’imposent aujourd’hui. Recommencer à marcher, cela veut dire immobiliser l’adversaire pour mieux le frapper. Désormais la classe ouvrière est arrivée à un tel degré de maturité que, sur le terrain de l’affrontement matériel, elle n’accepte pas l’aventure politique ; cela par principe et dans les faits. En revanche sur le terrain de la lutte théorique, toutes les conditions semblent opportunément réunies pour lui insuffler un esprit nouveau, aventureux et avide de décou- vertes. Face à la vieillesse de la pensée bourgeoise émoussée, le point de vue ouvrier peut, sans doute, vivre maintenant l’époque féconde de sa robuste jeunesse. Pour cela, il lui faut rompre violemment avec son propre passé immédiat, refuser le rôle traditionnel qui lui est attribué officiellement, surprendre l’ennemi de classe par l’initiative d’un développement théorique improvisé, imprévu et non contrôlé. Cela vaut la peine de contribuer personnellement à ce nouveau genre et à cette forme moderne de travail politique.

      Si l’on nous demande à juste titre : par quel biais ? avec quels moyens ? nous refuserons cependant un discours méthodologique. Essayons de ne donner à personne l’occasion d’éviter les durs contenus pratiques de la recherche ouvrière, pour se tourner vers les belles formes de la méthodologie des sciences sociales. Le rapport à établir avec ces dernières n’est pas différent de celui qu’on peut entretenir avec le monde unitaire du savoir humain accumulé jusqu’ici, et qui se résume pour nous à la somme des connaissances techniquement nécessaires pour posséder le fonctionnement objectif de la société actuelle. Nous le faisons déjà, chacun pour notre compte ; mais c’est tous ensemble que nous devons parvenir à utiliser ce qu’on appelle la culture, comme on se sert d’un clou et d’un marteau pour fixer un tableau au mur. Certes les grandes choses se font par sauts brusques. Et les découvertes qui comptent coupent toujours le fil de la continuité. Et on les reconnaît à ce trait : idées d’hommes simples, elles semblent folies pour les savants. En ce sens, la place de Marx n’a pas été pleinement évaluée, même dans le domaine où cela était le plus facile, c’est-à-dire sur le simple terrain de la pensée théorique. Aujourd’hui, on entend parler de révolution copernicienne à propos de gens qui se sont contentés de déplacer leur table de travail d’un angle à l’autre d’une même pièce. Mais de Marx, qui a bouleversé un savoir social qui durait depuis des millénaires, on s’est borné à dire : il a renversé la dialectique hégélienne. Pourtant, à son époque, ce ne sont pas les exemples qui manquaient d’un retournement analogue, purement critique, du point de vue d’une science millénaire. Est-il possible que tout doive se réduire à l’addition banale du niveau d’un cours élémentaire, entre le matérialisme de Feuerbach et l’histoire de Hegel ? Et la découverte de la géométrie non euclidienne, par Gauss, Lobatchevsky, Bolyai et Riemann, qui fait de l’unicité de l’axiome rien moins qu’une pluralité d’hypothèses ? Et celle du concept de champ dans l’électromagnétique, qui, à partir de Faraday, Maxwell et Hertz, envoie promener toute la physique mécaniste ? Tout cela ne semble-t-il pas plus proche du sens, de l’esprit et de la portée de la découverte de Marx ? Le nouveau cadre de l’espace et du temps introduit par la relativité ne naît-il pas de cette théorie révolutionnaire, de la même façon que l’Octobre léniniste fraye sa route à partir des pages du Capital ? D’ailleurs vous le savez bien. Tout intellectuel qui a lu plus d’une dizaine de livres, outre ceux qu’on lui a fait acheter à l’école, est prêt à considérer Lénine comme un chien crevé dans le domaine de la science. Pourtant quiconque veut prêter attention à la société et comprendre ses lois ne peut pas plus le faire sans Lénine, que qui- conque veut étudier la nature et comprendre ses processus, ne peut le faire sans Einstein. En cela, il n’y a rien d’étonnant. Il ne s’agit pas de l’unicité de l’esprit humain qui progresserait de la même façon dans tous les domaines, mais d’une affaire plus sérieuse. Il s’agit du pouvoir unifiant qui donne aux structures du capital la maîtrise du monde entier, et qui peut être, à son tour, maîtrisé par le seul travail ouvrier. Marx attribuait à Benjamin Franklin, cet homme du nouveau monde, la première analyse consciente de la valeur d’échange comme temps de travail, et donc la première réduction délibérée de la valeur au travail. Et c’est ce même homme qui avait conçu les phénomènes électriques comme provoqués par une seule substance très subtile qui animerait l’univers entier. Avant que son camp ne se soit transformé en classe sous la pression ouvrière, le cerveau bourgeois a plus d’une fois trouvé en lui-même la force d’unifier sous un seul concept la multiplicité des données de l’expérience. Ensuite, les besoins immédiats de la lutte se sont mis précisément à commander la production même des idées. L’époque de l’analyse, l’âge de la division sociale du travail intellectuel avaient commencé. Et personne ne sait plus rien sur la totalité. Demandons-nous si une nouvelle synthèse est possible, et si elle est nécessaire.
      La science bourgeoise porte en son sein l’idéologie, comme le rapport de production capitaliste porte en lui la lutte de classe. Du point de vue de l’intérêt du capital c’est l’idéologie qui a fondé la science : c’est pour cette raison qu’il l’a fondée comme science sociale générale. Ce qui n’était d’abord que discours sur l’homme, sur le monde humain, c’est-à-dire sur la société et l’État, avec la croissance des niveaux de lutte, est devenu de plus en plus mécanisme de fonctionnement objectif de la machine économique. La science sociale d’aujourd’hui est semblable à l’appareil productif de la société moderne : tous y sont impliqués et en font usage, mais seuls les patrons en tirent profit.

      Ouvriers et capital, recueil de textes paru en 1966.

      Reppublica, RIP, etc
      https://seenthis.net/messages/1012583

    • Superbe compilation !

      L‘association entre Lou Reed et Tronti s’est imposée à moi quand j’ai lu son commentaire désabusé sur le mouvement autonome des années 70 (dont j’ai été contemporain).

      Dans les deux cas, on affaire à de fortes personnalités qui ont chacune inspiré une forme de continuité ou de filiation dans lesquelles elles ne se reconnaissaient pas en totalité, voir pas du tout, pour des raisons différentes, bien entendu.

      Là s’arrête la comparaison, totalement anecdotique.

    • La trajectoire théorique et politique de Mario Tronti, Davide Gallo Lassere (2018)
      http://revueperiode.net/la-trajectoire-theorique-et-politique-de-mario-tronti

      Pour Mario Tronti en guerre avec le monde, Gigi Roggero (2023)
      https://tousdehors.net/Pour-Mario-Tronti-en-guerre-avec-le-monde

      Et, quelqu’un disait, les chemins politiques ne se déroulent jamais dans la régularité de la perspective Nevski. Il y a des courbes mystérieuses et des lignes droites à suivre. Nous le savons. Nous pouvons discuter de ses virages et différents cheminements, notamment dans certains passages tragiques et cruciaux. Dans une certaine mesure, nous devons en discuter, bien sûr. Ajoutons que ce n’est pas que cela n’ait pas été fait. Ce qui, pour nous, ne peut être discuté, c’est la fermeté de son point de vue, de sa volonté de marcher sur cette foutue ligne droite. Ceux qui regardent de l’extérieur, c’est-à-dire du tribunal de l’idéologie (qui est toujours un tribunal bourgeois), verront beaucoup de contradictions, des contradictions retentissantes, cinglantes. Ceux qui replacent ces contradictions dans son histoire seront en mesure de les comprendre non pas pour justifier, mais aussi pour évaluer les égarements politiques. Là-dessus, Mario ne s’est jamais caché ni dérobé. Il a revendiqué chaque pas et chaque erreur, il ne s’est repenti de rien.

      Mario Tronti, itinéraire d’un intellectuel organique, Julien Allavena (2023)
      https://laviedesidees.fr/Mario-Tronti-itineraire-d-un-intellectuel-organique

      Au début des années 1970, cette réflexion, enrichie par un travail plus classique sur l’histoire de la philosophie, aboutit à un nouveau paradigme qui ne cesse de modeler les propositions trontiennes futures : celui de l’« autonomie du politique ». Au fond, comme le relève Jamila Mascat, ce paradigme constitue une forme de retour aux sources, à ceci près que Tronti se place cette fois du côté opposé à celui qu’il occupait quand il formulait pour la première fois le principe fondateur de l’opéraïsme : le parti est assurément autonome vis-à-vis de la classe, mais cela équivaut à une chance quand la classe n’est pas parvenue à prendre le pouvoir – car peut-être alors le parti le peut-il encore.

      Ce qui a tout d’un pacte faustien dans le domaine de la théorie va de pair avec une incarnation pratique. En parallèle de ces développements théoriques, le communiste en exil a en effet été admis à retourner en sa terre natale : Tronti peut reprendre la carte du PCI en 1972. Il y évolue dès lors entre l’aile gauche historique de Pietro Ingrao et la majorité menée par Berlinguer, pouvant accéder au comité central du parti à partir de 1983 et au secrétariat de la fédération romaine en 1985. Autrement dit, trente ans après ses débuts en politique, Tronti est enfin devenu ce qu’il était (...).

      Après la chute des formations épigones du #PCI, contraintes (Tronti avec) de s’associer au centre pour gouverner (et à terme de voter le « Jobs Act » de Matteo Renzi), c’est cette « ligne de conduite » quelque peu brisée qui pousse enfin le Tronti le plus tardif dans les bras des horizons théologico-politiques, de saint Paul à Ratzinger en passant par les Pères du désert, à la recherche de derniers éclairages sur ce qu’il analysait alors comme sa propre défaite autant que celle de tout un camp, voire de la politique même.

      #autonomie_du_politique

    • Mario Tronti, un intellectuel et sa conjoncture, Andrea Cavazzini
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-italie-marxisme-trajectoire-politique

      La trajectoire de Mario Tronti, que la mort vient arrêter au terme d’une longue vie le 7 juillet dernier, n’est pas facile à interpréter de manière univoque. Le goût douteux de l’époque pour les appréciations émotionnelles et hâtives rend d’autant plus nécessaire de dresser un bilan d’une œuvre et d’une activité qui ont rencontré certains des moments politiques les plus incandescents de la deuxième moitié du 20e siècle. Non pas pour noyer les prises de position dans l’océan de la « complexité ». Mais, bien au contraire, parce que, comme Mario Tronti l’aurait rappelé, la prise de position, la « décision », pour parler comme Carl Schmitt, ou la confrontation au « cas décisif » (Ernstfall, qui veut dire littéralement « le cas sérieux »), pour parler comme le théologien catholique Hans Urs von Balthasar, sont des gestes difficiles, qui demandent une rigueur et une discipline rares, refusant toute complaisance à l’égard des approximations vagues et des jugements précipités.

      De ce bilan, nous ne pourrons pas nous acquitter ici ; il s’agira uniquement de rappeler certains jalons d’un trajet singulier qui pourraient marquer autant de points critiques, sur lesquels donc des questionnements devraient être ouverts ou réouverts. Dans une intervention qui a suivi la mort de Tronti, Sergio Bologna, un autre vétéran de l’opéraïsme, dont le parcours a été assez éloigné de celui de l’auteur d’Ouvriers et capital, a rappelé que le risque principal pour un mort aujourd’hui est de recevoir des applaudissements lors de son enterrement, comme un chanteur pop ou une vedette de la télévision[1], et que Tronti a eu le chance d’être salué dans le silence.

      [...]

      il convient d’accueillir l’invitation de Sergio Bologna https://centroriformastato.it/strappiamo-tronti-dalle-grinfie-dei-salotti-buoni à ne pas oublier la « scène originaire » de l’activité de Tronti, celle des #luttes_ouvrières du début des années 1960, dans le « triangle industriel » de l’Italie du Nord, à Milan, à Turin, à Gênes. Tronti ne devient pas Tronti en étudiant les classiques de la pensée politique, ni en auscultant les signes des temps ou les Nouvelles Révélations de l’Être et ce, bien qu’il ait pu céder lui-même à la tentation d’effacer sa propre généalogie, en rattachant fréquemment l’essor et le développement de sa réflexion à la seule irruption tellurique de l’insubordination ouvrière.

      edit

      Le différend ne porte pas uniquement sur les « outils » au sens organisationnel du terme, Panzieri et son groupe refusant de définir une seule forme idéale d’expression politique des luttes et donc une seule ligne à adopter vis-à-vis des organisations politiques et syndicales historiques ; l’enjeu de la rupture touche aussi à la vision des luttes ouvrières et de la classe. Pour Panzieri, en effet, la radicalisation de la conflictualité ouvrière à Fiat « n’autorise guère à croire que la lutte de classe telle qu’elle se développe chez Fiat est généralisable de manière immédiate »[13]. Comme les rapports aux organisations ne peuvent être unifiés immédiatement par un modèle dominant, les expériences de la lutte ouvrière restent plurielles et à apprécier chacune dans son contexte, ses limites et ses possibilités concrètes de généralisation. En revanche, malgré le primat affiché de l’expérience des luttes, la démarche de classe operaia et notamment de Tronti procède de manière axiomatique, en faisant de la description d’une dynamique locale la garantie immédiate d’une nécessité théorique :

      Cette classe ouvrière est déjà un fait social, une masse sociale ; lorsque nous parlons de son caractère politique, nous visons d’emblée cette socialisation, ce fait global au niveau social de la classe, de cette absence totale de divisions au sein de la classe, par laquelle les ouvriers naissent tous avec les mêmes intérêts[14].

      Panzieri et son groupe semblent plus sensibles aux surdéterminations et aux sous-déterminations tant des formes d’organisation que de la composition sociologique et politique des ouvriers. Ils sont conscients du fait que les processus politiquement féconds, ainsi que les synthèses théoriques, ne surgissent pas comme des fulgurations événementielles, mais présupposent un travail long et patient de construction, déconstruction et reconstruction, dans lequel il s’agit de recommencer à chaque fois le travail de dépassement de la passivité ouvrière, de blocage de la reproduction de l’idéologie, de mise à l’épreuve des mots d’ordre et des analyses toujours situés et partiels, de tissage de liens et de contacts entre expériences, langages et histoires profondément hétérogènes… C’est le travail de l’intervention comme analyse interminable, plutôt que comme irruption et comme rupture immédiatement décisives.

      #Raniero_Panzieri (mort en 1964)

      edit
      « L’histoire, c’est eux. Nous, c’est la politique ». Entretien avec Mario Tronti
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-marxisme-operaisme

      Mario Tronti, Michel Valensi
      https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-2-page-143.htm

      L’AUTONOMIE DU POLITIQUE CHEZ TRONTI, Toni Negri
      http://www.euronomade.info/?p=11938

      addendum le texte de Sergio Bologna dont l’url est cité plus haut par Cavazzini a été traduit en français

      Arrachons Tronti des griffes des salons mondains !
      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-operaisme-bologna-classe-ouvriere

      ... quand on parle d’opéraïsme, donc forcément de lui, ce ne sont pas les chaires universitaires, les séminaires, les colloques, les tables rondes, les auditeurs sagement assis ou les revues qui viennent à l’esprit, mais les assemblées ouvrières, les piquets de grève, les bousculades même entre camarades, les chants de joie, les inculpations, les emprisonnements, les veillées nocturnes devant des feux improvisés, les discussions passionnées, la production d’idées. Il me vient à l’esprit que quelqu’un veut toujours nous mettre à genoux pour qu’on fasse et qu’on vive comme qu’il le dit. On pense au désir de liberté, au refus de baisser la tête.

    • MARIO TRONTI, IN MEMORIAM
      La politique au crépuscule
      https://lundi.am/Mario-Tronti-In-Memoriam

      Le 7 août dernier disparaissait Mario Tronti (Rome, 1931), dont il a quelquefois été question dans ces pages et qui fut, avec quelques autres, l’inventeur de l’opéraïsme italien, tout en restant toutefois et malgré tout pour la gauche italienne une ‘énigme’ (Negri) qu’il faudra encore bien des années pour la pouvoir résoudre. N’est-ce pas lui qui, en 2017, prononça au Sénat italien (dont il était membre) un discours sur la révolution d’octobre, qui commençait en évoquant un mot de Chou En Lai à qui l’on demandait ce qu’il pensait de la révolution française de 1789 et qui répondit : « il est encore trop tôt pour se prononcer ».

      Espérons toutefois que le temps viendra plus vite où l’on pourra se prononcer sur les apports théoriques de Tronti dans leur globalité et complexité, depuis Ouvriers et capital (1966) jusqu’à la Sagesse de la lutte (2021), que nous avions fait paraître en français l’année dernière « dans le silence le plus tendu ». Nous avons appris la mort de Tronti, alors que nous devions envoyer à l’imprimeur la réédition dans L’éclat/poche de La politique au crépuscule, paru une première fois dans la collection « Premier secours », en septembre 2000. La traduction était de Michel Valensi. Tronti avait été ravi de cette réédition « vingt ans après » et l’attendait d’autant que l’édition italienne chez Einaudi était épuisée et que l’éditeur n’avait pas l’intention de la republier. Elle paraîtra augmentée d’une Note de l’éditeur, que nous avions envoyée à Tronti et sur laquelle il n’a pas pu nous répondre, mais des amis communs nous ont confirmé son nihil obstat. Lundimatin a bien voulu la publier ici en "bonnes feuilles" d’un livre à paraître à la toute fin du mois de septembre. La couverture fleurie de Patricia Farazzi s’était imposée aussi pour donner à ce titre tous ses sens possibles.

      à mario tronti, in memoriam

      Dans un récent entretien accordé à un magazine italien, Mario Tronti (1931-2023) évoque « une extraordinaire page de Lukács dans la préface de 1962 à sa Théorie du roman, écrite en 1914-1915 : La voici : “Dans la mesure où, à cette époque, je tentais de porter à un plus haut niveau de conscience mes prises de position émotionnelles, j’en étais arrivé à la conclusion suivante : les empires du centre l’emporteront probablement sur la Russie, ce qui devrait conduire à l’écroulement du tsarisme et cela me convient parfaitement. Reste aussi la possibilité que l’Occident l’emporte sur l’Allemagne, ce qui entraînera la chute des Hohenzollern et des Habsbourg, et cela me convient tout aussi parfaitement. Mais, parvenu à ce point, demeure la question : Qui nous sauvera de la civilisation occidentale ?” ».

      Et Tronti poursuit : « À y repenser, je ne peux ajouter à cela que cette seule observation : cette question impertinente que l’on pouvait encore poser librement aux débuts de l’obscur vingtième siècle, peut-on encore la poser tout aussi librement aux débuts de ce brillant vingt et unième siècle sans se faire crucifier ? »

      edit Mario Tronti et l’opéraïsme politique des années soixante, Michele Filippini
      https://journals.openedition.org/grm/227

      .... noyau dur dans la pensée comme dans l’action du groupe né dans les Quaderni Rossi et passé ensuite dans classe operaia (...) la tentative de concevoir un radicalisme qui serait à l’opposé de tout velléitarisme...

    • La sagesse de la lutte suivi de «Peuple», Mario Tronti
      http://www.lyber-eclat.net/livres/la-sagesse-de-la-lutte

      À l’occasion de son quatre-vingt-dixième anniversaire, Mario Tronti livre ici, avec son style “scandé, ciselé, combatif, constant, agressif et lucide”, un profil auto­biographique, dans lequel il reparcourt les étapes les plus importantes de sa formation politique et théorique. À travers l’évocation de tant de camarades qui ont partagé avec lui ces années de combat, Tronti donne sa propre interprétation du vingtième siècle et des conditions de la politique et de l’histoire qui l’ont traversé. En s’appuyant sur les auteurs qui ont été ses maîtres de vie et de pensée, Tronti s’interroge sur cette sagesse de la lutte, les aventures de son surgissement, les formes de son déclin, la possibilité de sa résurgence.

      Le texte est suivi d’un essai sur la notion de ‘peuple’ et sur le populisme actuel qui hante la politique européenne, depuis — c’est son analyse — “qu’il n’y a plus de peuple”.

      #politique #théorie #lutte #populisme #peuple #livre

  • RIP Mario Tronti
    https://www.repubblica.it/politica/2023/08/07/news/mario_tronti_morto_politico_92_anni-410335343

    È morto a 92 anni Mario Tronti, politico e filosofo, una vita a sinistra. Già militante del Partito comunista italiano, Tronti è stato anche parlamentare. Eletto la prima volta al Senato nel 1992 con il Pds e, successivamente, nel 2013 con il Partito democratico. È scomparso questa mattina intorno alle 10 e 30 a Ferentillo, in provincia di Terni, conferma il dem umbro Pierluigi Spinelli.

    Si definiva un “rivoluzionario conservatore”, ma da alcuni anni si era allontanato dai riflettori della politica: «Sono in ritiro spirituale, nel monastero di Poppi, nel Casentino, retto dalle monache camaldolesi. Mercoledì compio 90 anni e questo passaggio bisogna farlo bene, sentirlo interiormente», disse a Repubblica in occasione del suo novantesimo compleanno. “La morte? L’attendo con serenità”, aggiunse. “Ho vissuto abbastanza. Spero tuttavia che sia un passaggio facile. Per dirla con Montaigne confido che la fine mi colga mentre sto coltivando le mie rape nell’orto".

    • Connaît vraiment celui qui hait vraiment. L’usine et la société, Mario Tronti, 1962.

      Mario Tronti, Michel Valensi
      https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-2-page-143.htm

      La question du « populisme » hante la politique italienne (et européenne) depuis – et c’est l’analyse de Mario Tronti – « qu’il n’y a plus de peuple ». À quel moment ce concept-réalité s’est-il désagrégé et se peut-il qu’il se réagrège dans une société où la classe est devenue une catégorie sociologique ? « Je n’ai jamais plus oublié la leçon de vie apprise aux grilles des usines, quand nous débarquions avec nos tracts prétentieux qui invitaient à la lutte générale anticapitaliste, et la réponse, toujours la même, des mains de ceux qui prenaient ces bouts de papier et disaient en riant : “c’est quoi ? c’est du pognon ?” Telle était la “rude race païenne” », écrit Mario Tronti dans Nous opéraïstes. Le “roman de formation” des années soixante en Italie, Paris, Éditions de l’éclat, 2013, p. 24. « Peuple », parce qu’il y eut un « peuple communiste », dont l’Italie a témoigné, peut-être plus durablement qu’ailleurs en Europe, et dont la voix de Mario Tronti témoigne à son tour. Issu des milieux populaires romains, il sera l’une des figures les plus importantes de l’opéraïsme italien, au sein duquel s’est forgé ce style « scandé, ciselé, combatif, constant, agressif et lucide » (ibid., p. 19) dont il est l’héritier et qui donne à ses écrits une dimension quasi unique dans la prose politique du xx-xxi e siècle. Ce texte est une contribution à une discussion sur la question du « populisme » organisée par le Centro per la Riforma dello Stato. L’original italien a été publié dans la revue Democrazia e diritto, n° 3-4/2010.

      #Mario_Tronti #operaïsme

    • L’AUTONOMIE DU POLITIQUE CHEZ TRONTI, Toni Negri
      http://www.euronomade.info/?p=11938

      C’est à cette figure-là de l’histoire moderne, bien différente de la sienne, que j’étais, moi, profondément lié ; et je l’avais précisément appris d’Ouvriers et capital : il fallait suivre « l’histoire interne de la classe ouvrière », c’est-à-dire l’histoire de sa subjectivation progressive. Ce que je tentais de mettre en pratique, c’était le développement de l’intuition trontienne qui insistait sur la nécessité d’évaluer le degré de maturité auquel était arrivée la subjectivation de la force de travail, au point de – je cite Ouvriers et capital« compter vraiment deux fois dans le système de capital : une fois comme force qui produit le capital, et une autre fois comme force qui refuse de le produire ; une fois dans le capital, une fois contre le capital ».

      Ouvriers et capital, Mario Tronti (pdf)
      https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf

      #refus_du_travail #subjectivation #classe_ouvrière

    • "History has become small"
      Mario Tronti: I am defeated
      https://cominsitu.wordpress.com/2015/03/08/mario-tronti-i-am-defeated

      Under the soles of his shoes, you can still recognise the dirt of history. “This is all that remains. A mix of straw and shit by which we delude ourselves into erecting cathedrals to the worker’s dream.” Here’s a man, I say to myself, imbued with a consistency that bursts through in a total melancholy. It’s Mario Tronti, the most celebrated of the theorists of Operaismo. He has only recently finished writing a book on this subject: the origins of his thought, how it has changed and what it is today. I don’t know who will publish it (I would guess a decent publisher). I read a profound sense of despair. Like a chronicle of defeat articulated through the long agony of a past that has not yet passed at all, that refuses to die, but is no longer wanted.

      [...]

      How did your interest in Tai Chi start?

      Thanks to my daughter who loves and practices oriental culture. She would have wanted to become a nun, so she chose the same profound consistency in this world that I’ve only touched.

      Is there an element of unpredictability with children?
      Always: with individuals, just like with history.

      Did you expect that the story – I mean yours – would end this way?
      I always expect the best. Then come the knocks. Coming up against facts without an airbag can do you damage. I was a communist, marxist, operaista. Some things end. Some things last. I have learnt and applied the lesson of political realism: you can’t ignore the facts.

      And the facts today are indicative of a great crisis?

      Great and long. It concerns all of us a little, at many diverse levels. It’s lasted at least seven years and still nobody is able to tell us how to get out of it. We’re living in a time without epoch.

      What does it mean?
      It is our time, however it lacks an epoch: this period that has arisen and will continue into the future. History has become small, the daily report has prevalence: gossip, complaints, platitudes.

      #défaite #mélancolie_théorique (≠rien) #histoire #communisme

    • Partialité, initiative, organisation : les usages de Lénine par Tronti
      https://www.contretemps.eu/lenine-tronti

      Dans cette intervention, nous voudrons tenter un examen critique des usages de Lénine dans l’œuvre de Mario Tronti, en nous focalisant essentiellement sur les textes réunis dans Ouvriers et capital (1966), ouvrage central de l’expérience opéraïste classique telle qu’elle a été définie et délimitée par Tronti lui-même. Nous partons de l’idée que l’un des aspects les plus intéressants, sinon l’originalité principale de ce marxisme, a consisté dans l’affirmation de la centralité politique du travail. Affirmation théorique, mais qui est ancrée dans une situation sociale concrète : c’est au contact des jeunes générations ouvrières des années 60 et de leurs pratiques spécifiques d’insubordination que la pensée opéraïste découvre une subjectivité politique radicale à même le rapport social de production.

    • Un aventurier révolutionnaire dans l’interrègne. Mario Tronti (1931-2023)
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/08/un-aventurier-revolutionnaire-dans-linterregne-mario-tronti-1931-20

      Il est difficile de penser à une autre intelligence européenne qui soit passée de la culture du parti communiste et de l’horizon de la politique révolutionnaire — il était le cofondateur de l’influente revue Classe Operaia — à la participation parlementaire — en tant que sénateur du Partito Democratico — pour finir par un engagement profond dans la grammaire théologico-politique du christianisme occidental — allant jusqu’à professer une admiration univoque pour le pontificat de Benoît XVI, attitude théologique d’une gauche qu’on a pu qualifier de « marxiste ratzingerienne ». La pensée et l’activité politique de Tronti pourraient très bien être placées sous le signe de la figure de l’aventurier, c’est-à-dire de quelqu’un qui s’engage à prendre des risques, envers et contre toutes les mains tendues par le sens commun. Tronti gravitait en fait à cheval entre l’ethos de deux figures distinctes : l’aventurier preneur de risques et l’homme politique par vocation. Mais au fond de lui-même, il était convaincu que seule la première pouvait permettre à un homme politique passionné de s’acquitter véritablement de sa tâche.

      « Chez le Tronti tardif, la passion révolutionnaire devient une révocation de la politique moderne, sans pour autant renoncer au schisme contre la vie sociale comme condition préalable à la sérénité existentielle. » Gerardo Muñoz

    • « L’histoire, c’est eux, nous, c’est la politique ». Entretien avec Mario Tronti

      Mario Tronti (1931-2023), figure centrale de la culture marxiste de la seconde moitié du 20e siècle, est décédé le 7 août dernier. Dans cet entretien de 2016, inédit en français, il revient sur sa trajectoire militante et intellectuelle 👇

      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-marxisme-operaisme

      Cet entretien a été conduit par Martin Cortes à Rome en février 2016 et fait partie de l’édition espagnole de La autonomía de lo político [L’autonomie du politique] (Buenos Aires, Prometeo, 2018). Il a été repris dans Jacobin America Latina le 8 août 2023. La traduction et les intertitres sont de Contretemps.

      https://twitter.com/SRContretemps/status/1690273066092244992

  • La défaite du modèle Tsipras et la victoire de la stratégie Mitsotakis : 10 points pour comprendre les résultats en Grèce | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/05/22/la-defaite-du-modele-tsipras-et-la-victoire-de-la-strategie-mitsota

    Dimanche soir, les urnes grecques sont venues contredire une idée reçue tenace : le temps des partis de masse serait derrière nous, l’avenir appartiendrait aux mouvements centrés sur une seule figure. La victoire de Mitsotakis — qui ne lui garantit pas une majorité et se rejouera lors d’un prochain scrutin pour éviter la crise politique — illustre exactement le contraire. C’est l’une des nombreuses leçons de ce vote.

    Les gauchistes n’ont que ce qu’ils méritent. Ils sont tous tellement nuls que même les vrais gauchistes les conchient à longueur de temps. (bis)

    • Parler de « gauchistes » à propos de politiciens de la gauche gouvernementale, ça n’a pas de sens (si les mots ont encore un sens). Pas plus que d’appeler, en France, « extrême gauche » la gauche gestionnaire (genre LFI) comme le font la droite (Renaissance, Modem et LR) et l’extrême-droite (RN)…

    • C’est pas les « vrais gauchistes » qui conchient Tsipras, c’est la soumission de cette gauche aux dures lois de l’économie qui l’a discrédité parmi les grecs qui n’ont pas voté pour elle. C’est le trajet du socialisme français, en accéléré. Et la sanction électorale qui s’en suit.

  • L’IA Potemkine et le futur du travail, une conversation avec Antonio Casilli | Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/07/lia-potemkine-et-le-futur-du-travail-une-conversation-avec-antonio-

    D’abord, il faudrait rappeler comment on arrive à faire ce micro-travail. Si une personne voulait commencer aujourd’hui à faire du micro-travail, elle devrait d’abord savoir vers où se tourner. Il y a plusieurs manières, la plus simple étant de passer par des plateformes sur Internet. Elles ressemblent à des sites classiques d’annonces d’emplois sauf qu’il ne s’agit pas d’emplois formels. C’est du freelancing extrême parce qu’on vous recrute pendant une minute pour regarder 15 photos ou pour laisser un commentaire sur un moteur de recherche. Vous êtes payés quelques centimes, voire quelques dollars. L’inflation monte, impactant ces micro-tâches. Il y a quinze ans, elles étaient payées quelques centimes ; aujourd’hui elles commencent à être payées autour d’un dollar. Quand on fait des estimations, on voit que la médiane tourne autour de deux dollars de l’heure. Ces personnes-là ne sont pas embauchées pour travailler sous contrat, elles n’ont pas d’horaires à proprement parler, elles sont payées pendant les quelques minutes où elles travaillent.

    Quelques mois après le lancement de ChatGPT, le magazine Time a découvert qu’il y avait des personnes au Kenya qui faisaient ce type de micro-tâches, et qui étaient payées entre 1,34 et 2 dollars de l’heure. Ces micro-tâches montrent un changement dans notre manière de fonctionner ; une partie de ces activités se situe en dehors de la civilisation salariale, en dehors de la protection du Code du travail.

    Certaines inégalités se manifestent de manière plus forte chez les populations déjà fragilisées et marginalisées, et qui ont déjà des difficultés d’accès au marché du travail. Dans les pays plus riches du Nord, les femmes sont légèrement majoritaires parmi ceux qui travaillent sur ce type de plateforme. En France, dans notre dernière enquête de 2019, 56 % des micro-travailleurs sont des femmes. Or elles sont systématiquement celles qui gagnent le moins ; celles qui se tournent vers ce type d’activité ont besoin de compléter leur salaire principal, parce qu’elles travaillent à mi-temps. Dans notre enquête, ce sont surtout des femmes vivant seules avec un enfant. Elles doivent jongler entre leur activité principale, le micro-travail, le travail domestique et le soin des enfants. Dans ce contexte-là, elles n’ont pas de temps pour consacrer du temps à chercher les meilleures micro-tâches ou à s’entraîner ; c’est pourquoi elles sont les micro-travailleurs les moins bien payés.

    #IA #travail #micro_travail

  • Écologie et géopolitique de la réforme des retraites, Patrice Maniglier - Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2023/03/07/ecologie-et-geopolitique-de-la-reforme-des-retraites

    Une chronique de la journaliste Françoise Fressoz publiée le 24 janvier 2023 pose les bases de ce recadrage2. Elle y propose une analyse du raisonnement qui a conduit Emmanuel Macron à persévérer dans sa réforme des retraites, contre l’avis de certains de ses alliés les plus proches, alors même que l’équilibre du système n’est pas vraiment menacé et que les risques sociaux et politiques d’une telle réforme sont considérables. Françoise Fressoz part du déplacement d’Emmanuel Macron à Barcelone le jour de la première grande journée de mobilisation pour signer un traité entre la France et l’Espagne, qui s’inscrit dans le cadre de l’agenda européen du président français. Elle assure qu’il ne s’agit ni d’une coïncidence anecdotique ni d’une manœuvre maladroite, mais bien d’un message de la part du Président : la réforme des retraites s’inscrirait dans la volonté d’Emmanuel Macron de reconstruire une « souveraineté européenne en matière de défense et d’industrie ». Quel rapport y a-t-il donc entre la protection sociale française et les ambitions de puissance de l’Europe ? 

    Pour l’autrice, la réponse est simple et s’inscrit dans une tradition biopolitique : travailler plus permettrait aux nations de gagner plus de puissance. Elle écrit : « le recul de l’âge de départ à la retraite (…) ne vise pas seulement à équilibrer le régime de retraite par répartition en tentant de dégager 12 milliards d’euros à l’horizon 2030. Il doit permettre d’augmenter durablement le volume de travail en France, au moment où le pays et ses alliés européens sont confrontés au retour de la guerre à leur porte et à l’affrontement sino-américain ».

    il faut aller vite pour enclencher les pas d’après, dont l’obligation d’inscription des allocataires RSA à #France_travail (ex pôle emploi), voire des formes d’encouragement à la natalité.

    #travailler_plus #travail #retraites #puissance

    • L’analogie avec la dissuasion nucléaire peut être éclairante : on peut toujours discuter de savoir si la course aux armements nucléaires est un facteur de paix ou de risque aggravé, et si le désarmement nucléaire ne serait pas la meilleure réponse à l’existence de l’arme atomique ; mais il est certain qu’il ne peut rien y avoir de rationnel dans la course à la puissance productive dans un monde fini : seul un désarmement de cette puissance est une option raisonnable. Cela est désormais évident dans le cadre des négociations climatiques internationales : que font certains pays du Sud, lorsqu’ils exercent aujourd’hui un chantage à l’égard des pays du Nord (comme la République Démocratique du Congo à la dernière COP) en leur disant qu’ils relanceront l’exploitation des énergies fossiles ou la déforestation de leurs puits de carbone naturels si les pays riches ne compensent pas le manque à gagner de cette exploitation, au titre de leur responsabilité particulière dans le réchauffement climatique ? La réponse est que ces pays ne font rien d’autre qu’appuyer sur le bouton rouge dans le terrible jeu de dissuasion auquel les négociations climatiques sont désormais en partie arrivées. On peut les comprendre : l’incapacité de ces pays du Nord à tenir leurs engagements, ne serait-ce que dans le financement des fameux 100 milliards promis pour aider les pays en développement à faire face au dérèglement climatique, est aussi une manière d’appuyer sur le bouton rouge… Les négociations climatiques ont rejoint la grande tradition de la réflexion stratégique, en son point le plus terrifiant : la dissuasion.

      Il n’y a tout simplement pas de solution de puissance à la structure conflictuelle du monde présent. Les logiques de puissance à l’âge de l’Anthropocène, en prise avec Gaïa, conduisent uniquement à un jeu perdant-perdant. S’il y avait quelque chose à apprendre de ces dernières 15 années de « crise », ou de polycrise, c’est qu’il faut sortir collectivement d’une logique de la puissance.

      On retrouve ici, sur la question géopolitique, le même paradoxe que nous avons vu sur la question économique. La mondialisation s’était faite au nom de l’accroissement de la production. La démondialisation, imposée par une certaine forme de réalisme géopolitique se fait paradoxalement au nom de l’accroissement de la production. Les élites politiques et économiques de ce monde sont en train de commettre, au moment de sortir du paradigme néolibéral, la même erreur qu’elles ont commise en y entrant : croire qu’il n’y a de salut que dans la puissance, croire que l’harmonisation ne pourra se faire qu’en aval, une fois libérées les énergies particulières en concurrence les unes avec les autres – soit, en somme, ne pas mettre la solidarité avant la rivalité. La mondialisation n’a pas été négociée en vue d’un meilleur partage des richesses à toutes les échelles (internationales autant qu’intranationales et même intragénérationnelles), conduisant à une augmentation des tensions géopolitiques entre entités gorgées de puissance. Une démondialisation non négociée, menée dans la panique, nous conduira encore plus loin : vers un déchaînement de ces puissances en rage, convaincues de lutter pour leur survie et œuvrant en réalité à leur destruction collective. Nous n’avons besoin ni de mondialisation, ni de démondialisation, mais d’une autre mondialisation. Le protectionnisme n’est pas en soi une solution ; il ne l’est qu’à condition de ne pas faire de la puissance son objectif principal, mais de fonctionner comme un outil pour réorienter la mondialisation afin qu’elle tienne compte de sa signification terrestre.

      Ici comme ailleurs il faut réintroduire le sens étymologique du préfixe « géo », voulant dire « terrestre ». Il n’y a pas de sens à inscrire la réforme des retraites dans une stratégie géopolitique européenne si on ne définit pas cette stratégie en tenant compte des limites planétaires et des réactions du Système-Terre. On comprend donc que c’est pour la même raison que la réforme des retraites est un enjeu écologique et qu’elle est un enjeu géopolitique : parce qu’elle touche à la manière dont on conçoit la place de la production dans les ruses par lesquelles les êtres humains se font un séjour vivable sur cette terre.

      Plutôt que de miser sur l’échelon européen pour construire une puissance, il faudrait miser sur lui pour proposer une voie de désescalade productive.

  • La doctrine Musk : technopolitique d’un géant technologique - Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2022/10/18/la-doctrine-musk-technopolitique-dun-geant-technologique

    Comprendre la portée politique, idéologique, géostratégique du projet d’Elon Musk permet de visibiliser ces nouvelles formes de pouvoir et en creux, de mieux appréhender les fragilités actuelles de nos modèles institutionnels. Mieux qu’aucun autre entrepreneur de la Silicon Valley, voilà en substance ce que Musk nous invite à penser.

    #must_read !

    • Contrairement à ce qui est trop rapidement écrit ou véhiculé dans le débat public, les Big Tech ne sont pas des « États parallèles » mais se situent au contraire sur un même continuum, fonctionnel, avec les États. Cette « Power Politics » matérialisée par de nouvelles clefs de répartition de pouvoir ne signifie pas une dilution de souveraineté de l’État américain mais sa reconfiguration. En l’état, par la loi, la souveraineté suprême reste, assez classiquement, celle de l’État américain, les géants technologiques américains étant dans le fond des auxiliaires de guerre technologiques plus ou moins puissants dans un cyberespace ultra-militarisé. En l’occurrence, la puissance techno-industrielle n’est pas exactement la même chose que le pouvoir institutionnel et politique. Musk met la puissance de SpaceX au service de la politique étrangère des États-Unis, qui ont le dernier mot, autrement dit le pouvoir ultime, par la coercition financière — subventions, commandes publiques, taxation — ou par la loi.

  • Traduction (et critique) d’un discours de Josep #Borrell, Haut Représentant pour les affaires étrangères et la sécurité de l’Union européenne, devant l’Académie diplomatique européenne, le 13 octobre.
    https://legrandcontinent.eu/fr/2022/10/16/les-jardiniers-europeens-doivent-aller-dans-la-jungle

    Bruges est un bon exemple du jardin européen. Oui, l’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de liberté politique, de prospérité économique et de cohésion sociale que l’humanité ait pu construire — les trois choses ensemble. Et ici, Bruges est peut-être une bonne représentation de la combinaison des belles choses, de la vie intellectuelle, du bien-être.

    Le reste du monde — et vous le savez très bien, Federica — n’est pas exactement un jardin. La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin. Les jardiniers doivent s’en occuper, mais ils ne protégeront pas le jardin en construisant des murs. Un joli petit jardin entouré de hauts murs pour empêcher la jungle d’entrer n’est pas une solution. Car la jungle a une forte capacité de croissance, et le mur ne sera jamais assez haut pour protéger le jardin.

    Les jardiniers doivent aller dans la jungle. Les Européens doivent être beaucoup plus engagés avec le reste du monde. Sinon, le reste du monde nous envahira, de différentes manières et par différents moyens.

    En plus de cette belle métaphore raciste, on a droit à ce genre de déclaration vide et imprudente :

    Et toute attaque nucléaire contre l’#Ukraine entraînera une réponse, non pas une réponse nucléaire mais une réponse si puissante du côté militaire que l’armée russe sera anéantie, et Poutine ne doit pas bluffer.

  • Chauffeur de cars, crèches, enseignants… Pourquoi cette rentrée sous pénuries ?, par François Ruffin
    https://blogs.mediapart.fr/ruffin-francois/blog/270822/chauffeur-de-cars-creches-enseignants-pourquoi-cette-rentree-sous-pe

    Le #travail est maltraité, méprisé depuis quarante ans. Il est considéré, par nos dirigeants, comme un « coût » à diminuer. Un prof touchait 2,3 fois le Smic en 1980, c’est aujourd’hui 1,2 fois. On ne parle plus de « #métiers », avec des savoir-faire, des qualifications, un statut, mais d’ « #emploi ». Qui devient des bouts de boulot, à cumuler.

    Depuis quarante ans, surtout pour les métiers populaires, les salaires sont « modérés », la sous-traitance encouragée, les horaires découpés, la #précarité installée. Plus nos dirigeants célèbrent « la valeur travail » dans les mots, plus ils l’écrasent dans les faits : de loi en loi, le travail est dépouillé de ses droits. Et c’est la main invisible du marché, ici le marché du travail, qui doit réguler tout ça. Eh bien, on le voit, ça ne marche pas.

    L’écrasement du travail, par les revenus, par les statuts, par le temps, par la pression, cet écrasement a des conséquences pour les salariés, pour les individus : eux vivent mal de leur travail, et souvent ils vivent mal leur travail, même si – et ce n’est pas un paradoxe – ils « aiment leur métier ». Mais cet écrasement a aussi des conséquences pour la société : elle est déréglée, désorganisée. C’est le chaos qui s’installe, dans des pans entiers.

  • Comment le cordon sanitaire a sauté : étudier la percée l’extrême-droite à l’assemblée nationale - Le Grand Continent
    https://legrandcontinent.eu/fr/2022/06/29/comment-le-cordon-sanitaire-a-saute-analyse-de-la-percee-lextreme-d

    Key Points

    L’étude des reports de voix à l’entre-deux-tours révèle la reconfiguration profonde du système de partis français, la proximité frappante entre les électorats de la droite et du centre macroniste, et la quasi-disparition du « barrage » dans une partie de l’électorat.
    Notre estimation suggère ainsi qu’une proportion non négligeable d’électeurs de LR-UDI ou d’Ensemble ! ont déclaré aux sondeurs un vote « barrage » entièrement fictif.
    Les électeurs de droite ont nettement privilégié l’extrême droite dans les scénarios où la gauche était opposée à l’extrême-droite, sauf dans quatre cironscriptions toutes situées dans le sud du pays.
    Si la responsabilité de cette croissance – via les victoires au second tour – est bel et bien partagée entre l’ensemble des électorats, c’est chez la droite traditionnelle que le cordon sanitaire semble avoir le plus disparu.