« Il ne faut évidemment pas exclure cette hypothèse, car de nombreux anciens de Bercy travaillent dans de puissants établissements qui ont intérêt à ce que le système actuel évolue en ce sens. Ancien conseiller de François Hollande à l’Élysée, Jean-Jacques Barbéris est par exemple aller pantoufler chez Amundi, la gigantesque filiale du Crédit agricole, qui est devenu l’un des experts de la sortie en capital avec le Perco.
Mais surtout, un tel basculement ferait les affaires des fonds de pension et gestionnaires d’actifs américains les plus puissants, à commencer par la multinationale américaine BlackRock, qui est plus puissante que de nombreux États, avec un portefeuille de plus de 5 000 milliards d’euros, et dont le PDG, Larry Fink, est une sorte de chef d’État privé.
Or il se trouve que le PDG de BlackRock France, Jean-François Cirelli, connaît très bien Bruno Le Maire. Ancien conseiller économique de Jacques Chirac à l’Élysée, puis PDG de Gaz de France, il a longtemps navigué, comme l’actuel ministre des finances qui porte ce projet de loi, dans les cercles chiraquiens du pouvoir. À Bercy, il se murmure même que les deux hommes se sont rencontrés récemment et que cela n’est pas étranger à cette disposition insérée dans ce projet de loi. Avant la mise en ligne de cet article, nous avions cherché à joindre Jean-François Cirelli, qui n’avait pas donné suite à notre demande. Trois jours plus tard, il nous a fait savoir qu’il contestait notre récit et niait avoir rencontre Bruno Le Maire.
On peut aussi relever que le frère de Bruno Le Maire, Hugues Le Maire, qui a fait ses classes chez Rothschild, est le cofondateur de la société Diamant Bleu Gestion, qui intervient précisément sur ce secteur.
Quoi qu’il en soit, c’est donc une disposition très inquiétante qui se profile. Au premier examen, on peut certes en minimiser l’impact, puisque l’épargne supplémentaire représente moins de 5 % de l’ensemble des cotisations versées au titre des trois systèmes de retraite, et les prestations, pas beaucoup plus de 2 % de l’ensemble.
Il faut prendre cette disposition pour ce qu’elle révèle : alors que le gouvernement dévoilera une réforme des retraites, elle suggère dans quel état d’esprit il est prêt à travailler, en connivence avec des milieux financiers peu soucieux des logiques de solidarité. Et puis, si les retraites de base et les retraites complémentaires devaient devenir de moins en moins généreuses, avec des baisses de pouvoir d’achat de plus en plus considérables quand les actifs basculent dans la retraite, ces systèmes de retraite supplémentaire risqueraient de fortement monter en puissance.
Car c’est là qu’est, le plus souvent, la grande hypocrisie du débat public sur les retraites. La main sur le cœur, un gouvernement peut jurer ses grands dieux qu’il ne fera rien contre les régimes de retraite par répartition. Mais si, par la suite, ces systèmes deviennent de moins en moins généreux, la capitalisation ne peut que prendre de plus en plus d’importance. C’est ce que suggère cette réforme, partie pour faire la part belle aux grands fonds de pension anglo-saxons. »
Le conflit d’intérêt est le mode de gouvernement du néolibéralisme managérial : l’Etat au service du marché et sous le contrôle de la sphère actionnariale. Quels sont les intérêts servis par la destruction du système de retraite ?