Transparence : Jean-Paul Delevoye dĂ©clare finalement treize mandats et regrette « une erreur », Samuel Laurent et Anne Michel
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« Le Monde » a pu consulter la nouvelle dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts rĂ©digĂ©e par le haut-commissaire aux retraites, qui revoit Ă la hausse les salaires reçus.
Treize mandats au total, dont onze toujours actifs, contre seulement trois initialement dĂ©clarĂ©s, et des salaires rĂ©visĂ©s Ă la hausseâŠ. Le Monde a pu consulter la nouvelle version de la dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts envoyĂ©e dans la soirĂ©e du vendredi 13 dĂ©cembre par Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire aux retraites, Ă la Haute autoritĂ© pour la transparence de la vie publique (HATVP).
M. Delevoye, « ministre des retraites » du gouvernement dâEdouard Philippe depuis septembre, est dans la tourmente depuis quâune premiĂšre version de sa dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts, mise en ligne samedi 7 dĂ©cembre par la HATVP, a fait apparaĂźtre une sĂ©rie dâomissions et de points problĂ©matiques.
Depuis 2013, la loi oblige tout ministre Ă indiquer Ă lâautoritĂ© garante de la probitĂ© des responsables publics, dâune part, sa situation patrimoniale, et dâautre part, ses responsabilitĂ©s prĂ©sentes et passĂ©es, si celles-ci sont susceptibles de prĂ©senter un risque de conflits dâintĂ©rĂȘts et dâinfluencer sa prise de dĂ©cisions futures.
« Quand je suis devenu Haut commissaire au gouvernement, jâai Ă©tĂ© extrĂȘmement attentif Ă ma dĂ©claration de patrimoine et ayant toujours considĂ©rĂ© que le dĂ©claratif devait ĂȘtre contrĂŽlĂ© par des personnes assermentĂ©es, jâai fait appel Ă un expert-comptable , explique Jean-Paul Delevoye dans un entretien accordĂ© au Monde, samedi 14 dĂ©cembre. Jâavoue ne pas avoir portĂ© la mĂȘme attention Ă ma dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts, sans doute parce que jâavais le sentiment de pas avoir de conflits dâintĂ©rĂȘts et parce que jâĂ©tais obnubilĂ© par ma dĂ©claration de patrimoine. »
Dans sa dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts rectifiĂ©e tout juste transmise Ă la HATVP, lâartisan du projet de rĂ©forme des retraites voulu par le gouvernement sâemploie Ă corriger les manquements et problĂšmes rĂ©vĂ©lĂ©s depuis lundi 9 dĂ©cembre dans sa dĂ©claration initiale : en rĂ©sumĂ©, plusieurs mandats bĂ©nĂ©voles susceptibles de gĂ©nĂ©rer des conflits dâintĂ©rĂȘts avaient Ă©tĂ© omis, comme lâavaient rĂ©vĂ©lĂ© tour Ă tour Le Parisien, Capital et Le Monde ; la case « activitĂ©s professionnelles rĂ©munĂ©rĂ©es » actuelles ou exercĂ©es au cours des cinq annĂ©es prĂ©cĂ©dentes comportait aussi des omissions.
Surtout, la mention dâune fonction de prĂ©sident dâhonneur dâun think tank (Parallaxe) adossĂ© Ă un groupe dâenseignement supĂ©rieur et de formation (IGS), maintenue aprĂšs son entrĂ©e au gouvernement en septembre, rĂ©vĂ©lait un problĂšme : le ministre avait Ă©tĂ© payĂ© pendant environ trois mois pour une fonction annexe, un fait interdit par la Constitution. Lâarticle 23 proscrit en effet « tout emploi public ou toute activitĂ© professionnelle » aux membres du gouvernement durant leur mandat.
Onze mandats bénévoles
Que nous apprend cette dĂ©claration rectifiĂ©e ? Dâabord que lâancien ministre de la fonction publique sous le gouvernement Raffarin, chiraquien historique, a multipliĂ© les fonctions bĂ©nĂ©voles depuis 2015. « Jâavais mis un terme Ă toutes mes activitĂ©s publiques aprĂšs mon dĂ©part du Conseil Ă©conomique social et environnemental en 2015 et jâai donc acceptĂ© un certain nombre de missions conformes Ă mes convictions et mes engagements, notamment dans le domaine social pour la formation des jeunes, lâinsertion sociale et la lutte contre la prĂ©caritĂ© » , explique M. Delevoye.
Sur le total de treize mandats dĂ©clarĂ©s, onze sont bĂ©nĂ©voles et nâavaient pour la plupart pas Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©es jusquâici. Parmi ceux-ci, son poste de prĂ©sident de lâObservatoire rĂ©gional de la commande publique des Hauts-de-France, rĂ©vĂ©lĂ© samedi matin dans nos colonnes. Jean-Paul Delevoye figure aussi au conseil dâadministration de deux associations de « Civic tech », un mouvement qui veut utiliser la technologie pour amĂ©liorer la dĂ©mocratie : « DĂ©mocratie ouverte », une association qui cherche « Ă rendre notre dĂ©mocratie plus transparente, participative et collaborative ». Il siĂšge aussi au conseil dâadministration dâune structure similaire, Parlements & Citoyens, en tant que « personnalitĂ© qualifiĂ© ».
Son entourage prĂ©cise que ce sont deux structures quâil a connues et accompagnĂ©es lorsquâil prĂ©sidait le Conseil Ă©conomique, social et environnemental (Cese). Les deux associations ont pour point commun dâavoir comme cofondateur Cyril Lage, lâun des artisans de la plateforme du Grand DĂ©bat lancĂ© par Emmanuel Macron au travers de sa start-up, « Cap Collectif », qui a conçu et gĂ©rĂ© la plateforme Ă©lectronique du Grand DĂ©bat.
Le haut-Commissaire aux retraites est aussi administrateur et membre du comitĂ© exĂ©cutif de la Fondation La Source, crĂ©Ă©e par le peintre et sculpteur GĂ©rard Garouste et qui dispense des ateliers dâĂ©veil artistique Ă destination dâun jeune public. M. Delevoye figure Ă©galement au comitĂ© stratĂ©gique de la FĂ©dĂ©ration française des diabĂ©tiques, dont il est « ambassadeur » depuis des annĂ©es. Le haut-commissaire aux retraites mentionne par ailleurs un ancien mandat, clos depuis octobre 2017, au conseil dâadministration de la fondation du crĂ©dit agricole Nord de France, qui finance des actions caritatives et sociales. Enfin cet amateur de musique classique prĂ©side deux associations : lâAssociation des orchestres nationaux de France et Chartreuse de Neuville (mentionnĂ©e dans sa premiĂšre dĂ©claration), elle aussi active en matiĂšre de formation et dâinsertion sociale.
« Jâai fait ces omissions car pour moi, câĂ©tait de lâordre de lâengagement social » , se justifie Jean-Paul Delevoye. InterrogĂ© sur dâĂ©ventuelles prestations payĂ©es dans ce cadre bĂ©nĂ©vole, il affirme nâavoir « jamais donnĂ© de confĂ©rences rĂ©munĂ©rĂ©es dans le cadre de ces fonctions ». « Je mây suis toujours refusĂ©, ajoute-t-il, jâai eu de rĂ©centes propositions que jâai refusĂ© car justement jâĂ©tais payĂ© par lâEtat. »
Rémunérations en hausse
Au chapitre de ses activitĂ©s rĂ©munĂ©rĂ©es actuelles ou exercĂ©es dans les cinq ans avant la dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts, que la loi oblige Ă©galement Ă dĂ©clarer, le ministre des retraites donne des prĂ©cisions sur les sommes perçues au titre des deux mandats dĂ©jĂ citĂ©s dans sa premiĂšre dĂ©claration : un ancien poste de « conseiller du dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral » du groupe dâenseignement supĂ©rieur privĂ© IGS, et le fameux mandat de prĂ©sident du think tank Parallaxe, Ă©galement rattachĂ© au groupe IGS. Câest cette fonction, commencĂ©e en janvier 2018 et maintenue malgrĂ© sa nomination au gouvernement, qui est au cĆur de lâaffaire actuelle, parce quâinterdite par la Constitution.
Cette nouvelle dĂ©claration revoit Ă la hausse les sommes perçues : M. Delevoye dĂ©clare 78 408 euros net au titre de son contrat de conseiller pour IGS en 2017, contre 40 000 euros net dans sa premiĂšre version. Ce total de 78 408 euros net reprĂ©sente une rĂ©munĂ©ration mensuelle de la part dâIGS de 6 500 euros net cette annĂ©e-lĂ . De mĂȘme, le salaire de son poste de prĂ©sident dâhonneur du think tank Parallaxe, quâil a cumulĂ© durant trois mois avec son portefeuille de ministre, est revu Ă la hausse. Selon la nouvelle dĂ©claration, le mandat Ă©tait rĂ©munĂ©rĂ© 73 338 euros net en 2018 et 62 216 en 2019. Des sommes lĂ encore en hausse par rapport Ă la premiĂšre dĂ©claration, qui Ă©voquait 64 420 euros en 2018 et autant en 2019.
Au passage, cette dĂ©claration rectifiĂ©e dĂ©voile une information restĂ©e confidentielle jusquâici : M. Delevoye Ă©tait rĂ©munĂ©rĂ© 74 526 euros net en 2018 comme Haut commissaire Ă la rĂ©forme des retraites, le poste quâil occupait avant son entrĂ©e au gouvernement comme Haut commissaire aux retraites. Si on ajoute cette somme Ă son salaire de prĂ©sident de think tank, lâensemble des rĂ©munĂ©rations perçues par M. Delevoye en 2018 excĂšde les 12 000 euros de revenus mensuels cumulĂ©s.
« Je mâĂ©tais refusĂ© Ă crĂ©er ma sociĂ©tĂ© de conseil, je nâaimais pas cela, je prĂ©fĂ©rais mâengager aux cĂŽtĂ©s dâassociations dotĂ©es dâune solide colonne vertĂ©brale », explique au Monde M. Delevoye. « La preuve de ma bonne foi est que jâavais mis dans ma dĂ©claration dâintĂ©rĂȘts initiale, en toute transparence, cette fonction de prĂ©sident dâhonneur de Parallaxe et la rĂ©munĂ©ration associĂ©e. Je nâavais rien Ă cacher et on ne mâavait prĂ©venu que cela posait problĂšme. ».
Dans lâentretien quâil a accordĂ© au Monde, M. Delevoye assure avoir appris par la presse quâil nâavait pas le droit de cumuler son portefeuille et la prĂ©sidence rĂ©munĂ©rĂ©e dâun think tank. Cette incompatibilitĂ© constitutionnelle ne lui avait, affirme-t-il, jamais Ă©tĂ© signifiĂ©e, ni par le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du gouvernement (SGG), ni par la HATVP. Câest en effet mardi 10 dĂ©cembre seulement, au lendemain des rĂ©vĂ©lations de la presse, que la lettre portant les demandes de prĂ©cisions de la HATVP lui est parvenue. Une chronologie qui a de quoi interroger. Lâusage veut en effet que les dĂ©clarations dâintĂ©rĂȘt ou de patrimoine ne soient publiĂ©es quâaprĂšs un dialogue a Ă©tĂ© engagĂ© entre le dĂ©clarant et lâautoritĂ© administrative de contrĂŽle. Pour sa part, le SecrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du gouvernement est censĂ© disposer dâune copie de la dĂ©claration dâintĂ©rĂȘt une fois transmise Ă la Haute autoritĂ©, et est donc susceptible de repĂ©rer dâĂ©ventuelles anomalies.
M. Delevoye ne sâen prend toutefois quâĂ lui-mĂȘme. « Je nâen veux Ă personne sauf Ă moi. Quand je fais une erreur, je lâassume. Jâai suffisamment dit que personne nâĂ©tait au-dessus des lois pour ne mâappliquer ce principe Ă moi-mĂȘme. Cela dit, jâĂ©tais de bonne foi et me dis que cet Ă©pisode aurait peut-ĂȘtre pu ĂȘtre Ă©vitĂ© si quelquâun mâavait mis en garde. Jâaurais immĂ©diatement rectifiĂ© ma situation. Les choses auraient Ă©tĂ© diffĂ©rentes si jâavais Ă©tĂ© alertĂ©. Câest ce que je me dis quand je regarde le prix que je paye sur le plan personnel et politique aussi. »
Samedi, le haut-commissaire a reçu le soutien du premier ministre : « Je pense que la bonne foi de Jean-Paul Delevoye est totale » , a assurĂ© au Parisien Edouard Philippe. Au Monde, M. Delevoye assure vouloir poursuivre sa mission : « Je ne mâaccroche pas Ă mon poste mais jâai rĂ©parĂ© mon erreur et jâaimerais continuer Ă dĂ©fendre et soutenir ce projet dans le souci du dialogue social et dans une dĂ©marche dâapaisement de notre sociĂ©tĂ©. » Toutefois il concĂšde : « Jâai fait passer des messages et si mon erreur devait desservir la cause pour laquelle je me bats, ce projet de rĂ©forme des retraites auquel je crois et auquel je tiens, alors jâen tirerais les consĂ©quences ».