Erreur 404

/2020

  • « Au lieu de déconfiner l’école, ouvrons-la sur le dehors, sur la société », Barbara Cassin, Victor Legendre
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/au-lieu-de-deconfiner-l-ecole-ouvrons-la-sur-le-dehors-sur-la-societe_603958


    Dans une école primaire de La Grand-Croix (Loire), le 12 mai. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

    La philosophe Barbara Cassin et son fils, l’anthropologue Victor Legendre, proposent, dans une tribune au « Monde », que l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés.

    Tribune. Que veut le gouvernement en rouvrant les écoles le 11 mai ? Eviter l’écroulement de la nation en remettant un maximum de Français au travail. Pourquoi ça risque de ne pas marcher ? Parce que les enfants ne sont pas les variables d’ajustement d’une politique volontariste.
    Placer la santé et le bien-être des enfants avant l’économie, quoi qu’il en coûte ? Chiche ! Alors inventons et soyons généreux.

    Refusons cette double logique d’enfermement : d’abord confinés à la maison pendant deux mois, puis maintenant gardés à l’école jusqu’à l’été. Refusons cette injonction perverse : la reprise des enfants se fera sur la base du volontariat, mais les parents qui refuseront de mettre leur enfant à l’école perdront leur droit au chômage partiel. A moins que le chef d’établissement ne leur fasse un mot d’excuse en reconnaissant qu’il est incapable de faire son devoir d’accueil !

    Une autre solution est possible : proposer une école ouverte, à mi-chemin entre la rentrée des classes et les vacances. Au lieu de déconfiner l’école, en 54 pages de recommandations difficilement tenables, qui instaurent de nouvelles contraintes de confinement, ouvrons-la sur le dehors, c’est-à-dire sur la société. Et, quand c’est possible, sur la nature. Refusons d’enfermer !

    Changeons de rythme, inventons !

    Les enfants méritent mieux que d’être parqués dans des lieux clos. Les professeurs, les instituteurs, méritent mieux que de faire de la garderie et du flicage. Au lieu d’accueillir à grand-peine quelque 15 % des effectifs dans des locaux réaménagés à la hâte, ouvrons à tous les enfants les lieux de culture et les espaces de liberté, aujourd’hui inutiles et vidés de leur sens. Dans le strict respect des règles sanitaires, ouvrons pour eux les bibliothèques, les universités, les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les parcs et les jardins, les complexes sportifs, les plages, avec les personnels et les professionnels qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Tous ceux qui savent et peuvent travailler avec les enfants, des assistants maternels aux enseignants et aux bibliothécaires, des éducateurs sportifs aux moniteurs et aux animateurs de centre aéré, des gardiens de parc et de musée aux intermittents du spectacle, faisons-les tous participer à ce grand projet.

    Les élèves décrocheurs, ceux qui sont sortis des radars virtuels, auront l’occasion de voir et d’aimer ce qu’ils n’ont peut-être encore jamais vu. La culture pour tous, c’est le moment ! Prônons un déconfinement par l’ouverture totale de ce qui leur est si souvent fermé. Faire ainsi accéder au monde, c’est réduire les inégalités sociales. Les parents éduquent et l’école instruit ? Peut-être. Mais, pendant cette crise, oublions l’évaluation et la compétition, mélangeons les cartes. Proposons une réponse collective. Vacances ou pas vacances, changeons de rythme, inventons ! Que l’école ouverte pour tous commence. Et, à la fin de cet épisode de pandémie, nous aurons marqué les esprits.

    A la question « que faire des enfants ? », une réponse : ouvrons-leur le monde. On parle du monde d’après, mais c’est aujourd’hui demain !

    Barbara Cassin, philologue, philosophe et médaille d’or du CNRS, a été élue en 2018 à l’Académie française. Elle a notamment écrit « Eloge de la traduction. Compliquer l’universel » (Fayard, 2016) et « Quand dire, c’est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel » (Fayard, 2018).
    Victor Legendre enseigne à l’université Nice-Sophia-Antipolis, il est également entrepreneur.

    #école #école_hors_les_murs

  • « La médecine des personnes âgées ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort », Philippe Bataille sociologue (EHESS) et président de l’association Vieux et chez soi
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/la-medecine-des-personnes-agees-ne-peut-pas-tourner-indefiniment-le-dos-a-la

    La crise sanitaire qui a touché les Ephad doit permettre de construire un autre projet de société qui tienne compte de ce que souhaitent nos aînés pour eux-mêmes, estime dans une tribune au « Monde » le sociologue Philippe Bataille.

    Tribune. Pensons à cette femme de 102 ans qui est hospitalisée. Elle dit ne plus vouloir vivre. Elle réclame sa mort sans jamais avoir perdu la tête. L’euthanasie se fera, mais pas maintenant ni ici. La dame était si tenace qu’elle a choqué le service de long séjour. Ses soignants n’ont pas admis sa demande. Plus tard, ses proches l’ont emmené en Belgique pour qu’un médecin réalise son projet d’une mort douce entourée des siens.

    Qu’en dire aujourd’hui ? Tant de métiers interviennent au bout de la vie. La longévité qui tient à des personnalités exceptionnelles est aussi une question de médecine, d’argent, d’administration et de formation des professionnels qui entrent dans la vie des vieillards. Vivre plus de cent ans repose sur des épaules autres que les siennes.

    Bien que très vulnérable, la dame s’appuyait sur ses fragilités pour nommer l’échéance de son existence. Sa revendication n’était ni individualiste, ni utilitariste, ni même égoïste. La centenaire ne voulait pas attendre la mort plus longtemps. Or, il n’est pas rare que des vieillards demandent à mourir. Combien de résidents en Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] se laissent glisser chaque année ? Combien de temps cela leur prend-il ? Dans quelles conditions ? Qui les accompagne humainement ? Activement ? Nul ne connaît ces chiffres.

    Vivre vieux est un choix personnel

    Rencontrons cette autre femme qui a également 102 ans. La dame ne me serre pas la main au moment où nous nous croisons. Elle précise ne pas vouloir me parler de manière rapprochée. Le matin, elle m’avait interdit l’accès à sa chambre le temps d’une conversation que j’avais sollicitée. Elle s’explique au sortir de la salle de restaurant puisque le règlement intérieur de son établissement de vieillesse impose qu’elle s’y rende midi et soir faisant que tout le bâtiment est entièrement brassé dans ces moments de convivialité imposée.
    A ce jour, la vieille dame est intacte alors que le Covid-19 a sévèrement contaminé le tiers des résidents avec de nombreux décès.

    A posteriori, je comprends qu’elle a eu des gestes élémentaires de prudence sanitaire dont je n’avais pas mesuré toute l’importance. Son refus d’une visite supplémentaire à celles, déjà nombreuses, qu’on lui imposait quotidiennement m’apparaît aujourd’hui être la meilleure réponse aux questions que je m’apprêtais à lui poser.

    La longévité tient à celui qui en fait l’expérience. Vivre très vieux relève d’un choix personnel auquel tous les âgés ne consentent pas toujours sans qu’ils décident de l’interrompre pour autant. De même que vivre vieux ne s’oppose pas à son strict inverse qui peut être une volonté de mourir en étant dignement accompagné.

    Encourir des risques

    Entendons cette autre femme de 103 ans qui vit chez elle en n’étant jamais seule. Mais cela lui est devenu insupportable. Elle est gardée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Son dispositif de garde et de soins nécessite plus d’argent qu’un Ehpad qu’elle a toujours refusé de rejoindre. La surveiller jour et nuit mobilise trois emplois à temps plein. Longtemps, elle y a consenti, mais elle souhaite changer la formule.
    Sans tout remettre en cause ni réclamer mourir, elle entend disposer d’une plage horaire suffisamment longue pour demeurer seule dans son appartement parisien qu’elle aménage selon ses goûts, il est vrai sans tenir compte de l’avis de ses aidants ni des précautions que sa famille lui rappelle en permanence.

    Elle a bien conscience que sa demande d’être seule l’expose à de multiples dangers, mais elle dit aussi qu’elle se sent prête à encourir des risques que sa fille unique de plus de 70 ans intègre péniblement. Au moment d’interroger la vieille dame sur ses motivations de réduire sa garde, elle répond : « Ça s’appelle la Liberté ! »

    La centenaire réclamait son droit fondamental d’être à l’image de son existence, par exemple en ayant été une des premières femmes alpinistes après avoir traversé l’Europe avec son bébé pour fuir ensemble les dictatures qu’elles subissaient. La dame revendiquait son besoin de se sentir vivante à elle-même dégagée du souci que les autres ont pour elle. Sans quoi vivre perdait du sens à ses yeux et coûtait bien trop d’argent de son point de vue.

    Impréparation institutionnelle à la mort des vieillards

    Vivre librement au bout de l’âge avancé fait se rapprocher ces trois femmes dont la vieillesse diffère. Toutes trois disent une même chose. L’une en voulant mourir, l’autre en voulant vivre et leur aînée en s’émancipant du principe de précaution qui vide son existence de son sens.

    La médecine du vieux (Aidé ou bien abandonné, plus ou moins soutenu par des aidants) en institution et à domicile ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort.

    Mourir très âgé tient à des anticipations qui ne sont pas que des précautions, mais aussi à des compétences en soins palliatifs et à de la formation professionnelle, aux directions d’établissements et à des produits pharmaceutiques, dont l’oxygène qui améliore le confort d’un départ. Précisément tout ce qui a cruellement manqué dans l’hécatombe de Covid-19 qui a saigné la génération des anciens qui ont entre 80 et 100 ans aujourd’hui.

    L’épidémie mortelle met à jour de manière sidérante l’impréparation institutionnelle à la mort des vieillards. Apprenons du drame collectif d’aujourd’hui que le temps est venu de construire un autre projet de société en rapport avec ce que chaque vieux réclame pour lui-même, parfois en changeant d’avis ou d’opinion et s’il fait le choix de mourir en n’acceptant plus sa longévité. Ne répétons pas les erreurs qui nous ont conduits à la mort en cascade de tant de vieillards qui revendiquent leur liberté de penser et d’agir.

    #longévité #mourir #veillardes

  • Covid-19 : Boris Johnson, le contre-exemple
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/13/covid-19-boris-johnson-le-contre-exemple_6039529_3232.html

    Editorial. Alors que Royaume-Uni enregistre la pire mortalité d’Europe, le premier ministre britannique jouit toujours d’une insolente popularité. Un paradoxe qui met en lumière la singularité de nos voisins d’outre-Manche.

    … et c’est là que tu trouves, écrit noir sur blanc, dans un édito du Monde : faire pire que la France, c’est dire !

    Pour les Britanniques, cela ne fait pas de doute : leur gouvernement a géré la crise plus mal que tous les gouvernements européens, France comprise, c’est dire. Seul les cousins américains ont fait pire.

  • « Dans un monde confiné, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays »
    #Covid-19#migrant#migration#Monde#coincé

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/dans-un-monde-confine-pres-de-280-millions-de-travailleurs-migrants-ne-saven

    Les pays dans lesquels ils ont arrêté de travailler veulent les renvoyer chez eux ; ceux dont ils sont originaires n’ont pas toujours les moyens, ni la volonté, de les rapatrier, explique le journaliste du « Monde » Julien Bouissou.

  • « Dans un monde confiné, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/dans-un-monde-confine-pres-de-280-millions-de-travailleurs-migrants-ne-saven

    Dans un monde confiné et retranché derrière ses frontières pour faire face à la menace de la pandémie, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays.Ceux dans lesquels ils travaillent veulent les renvoyer chez eux ; ceux dont ils sont originaires n’ont pas toujours les moyens, ni la volonté, de les rapatrier. On les tolérait lorsqu’ils construisaient les gratte-ciel dans les pays du Golfe ou travaillaient dans les usines électroniques en Asie du Sud-est. Depuis qu’ils ont arrêté de travailler, et doivent être nourris, voire soignés, ils sont devenus encombrants. La célèbre actrice koweïtienne Hayat Al-Fahad a ainsi suggéré que tous les migrants du pays soient envoyés dans le désert pour libérer des lits dans les hôpitaux. Début avril, l’Arabie saoudite a rapatrié des milliers d’Ethiopiens chez eux, sans test de dépistage du Covid-19. Les avions qui les transportaient à Addis-Abeba revenaient chargés de bétail à Riyad. Les Nations unies se sont inquiétées de cette « déportation de masse » qui, d’un « point de vue sanitaire » tombait au mauvais moment. L’Ethiopie n’avait pas les ressources pour placer en quarantaine tous ces migrants

    #Covid-19#migrant#migration#santé#frontières#rapatriement#déportation#vulnérabilité

  • « Se cacher systématiquement derrière une opinion savante est un des stigmates de la crise de crédibilité que rencontre le gouvernement »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/09/se-cacher-systematiquement-derriere-une-opinion-savante-est-un-des-stigmates

    Le pouvoir se réclame de la science pour justifier son action et ses choix politiques, quitte à mettre en avant des recommandations imaginaires, déplore le journaliste du « Monde » Stéphane Foucart dans sa chronique.

    Chronique. Jeudi 7 mai, dans sa présentation des modalités du déconfinement, le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, a jugé nécessaire de faire cette étrange précision : « Les éléments que je viens de vous présenter sont fiables. Ils sont solides. » Ce détail du discours, passé inaperçu, signale discrètement que, à la crise sanitaire, le Covid-19 ajoute une crise démocratique, une défiance si prégnante qu’elle met un ministre de la République en devoir de préciser à ses concitoyens qu’il leur fournit des informations « fiables ». S’il y a lieu de le préciser, c’est bien que cela ne va plus de soi.

    #paywall

  • Pierre Dardot et Christian Laval : « Aucune souveraineté d’Etat au monde ne permettra de prévenir les pandémies », propos recueillis par Nicolas Truong
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/07/pierre-dardot-et-christian-laval-aucune-souverainete-d-etat-au-monde-ne-perm

    Le philosophe Pierre Dardot et le sociologue Christian Laval expliquent que le prétendu « retour » à la souveraineté nationale affiché par Emmanuel Macron est une illusion.

    Pierre Dardot et Christian Laval publieront le 27 août Dominer, une grande « enquête sur la souveraineté de l’Etat en Occident », aux éditions La Découverte (750 pages, 25 euros). Pierre Dardot est philosophe et chercheur à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, Christian Laval est professeur émérite de sociologie au sein de la même faculté. Ils animent tous deux le groupe d’études et de recherche Question Marx, qui entend contribuer au renouvellement de la pensée critique, et ont notamment publié ensemble La Nouvelle Raison du monde (La Découverte, 2009), Marx, prénom : Karl (Gallimard, 2012) et Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014).

    Face à la crise sanitaire, le président de la République, Emmanuel Macron, a affirmé vouloir « rebâtir notre souveraineté nationale et européenne ». Est-ce un retour à l’Etat chez ce dirigeant libéral ?

    Pierre Dardot et Christian Laval : Ces déclarations ne marquent pas un « retour » à la souveraineté de l’Etat : Emmanuel Macron n’a jamais abandonné la souveraineté de l’Etat, bien au contraire il l’a mise en œuvre sans discontinuer, à l’instar de ses prédécesseurs, pour imposer ses réformes. Depuis 2017, il n’a cessé d’invoquer l’« Europe souveraine ». Ce qui a changé dans le discours, c’est l’accent mis sur la souveraineté nationale, présentée toutefois comme indissociable de la souveraineté européenne. La différence avec le souverainisme tient à ce que ce dernier oppose la souveraineté de l’Etat-nation au supranational.

    Mais Emmanuel Macron ne s’est nullement « converti » pour autant à la souveraineté de l’Etat. Le « Jupiter » français s’en est toujours réclamé. Le 31 mars, il a indiqué avoir commencé à rebâtir notre souveraineté en menant les réformes qui s’imposaient pour garantir la compétitivité de l’économie (dont le fameux « choc de compétitivité »). Dans son esprit, c’est le sens que prend la souveraineté, nationale comme européenne. C’est la crise actuelle qui l’amène à infléchir son discours sans rien modifier sur l’essentiel.

    Certains souverainistes naïfs tombent dans le piège en le créditant d’un pas sur la bonne voie, quoique insuffisant. Ils partent d’une contradiction a priori entre la souveraineté de l’Etat et le néolibéralisme, qui repose sur un contresens total : le néolibéralisme, dès sa naissance dans les années 1930, a prôné non la dissolution de l’Etat ou le laisser-faire, mais la mise en place d’un Etat fort capable d’imposer la « dépolitisation » de l’économie en soustrayant les règles du droit privé au champ de la délibération publique et au jeu électoral.

    Qu’est-ce que la souveraineté de l’Etat ?

    P. D. et C. L. : Celle-ci n’a rien à voir avec l’indépendance ou l’autonomie. Telle qu’elle s’est construite en Occident, elle signifie que les représentants de l’Etat ont le pouvoir de s’affranchir de toute obligation à l’égard des citoyens (face interne) comme à l’égard des autres Etats ou des organisations internationales (face externe), ils sont « libres à l’égard des lois » (ex legibus solutus), selon la formule classique.

    Cette supériorité à l’égard des normes du droit s’est manifestée tout récemment. Parlement et gouvernement se sont mis d’accord pour ne pas déférer la loi du 23 mars sur l’urgence sanitaire au Conseil constitutionnel avant sa promulgation par le président de la République. Plus grave : le Conseil constitutionnel, gardien de la Constitution, a légitimé la suspension de la Constitution qui prévoit un délai de quinze jours entre le moment où une chambre du Parlement est saisie et celui où elle peut en délibérer. La souveraineté de l’Etat élève l’irresponsabilité au rang de principe. C’est avec ce principe qu’il faut rompre aujourd’hui pour affronter les défis du monde.

    Pourquoi le nationalisme étatiste gagne-t-il aujourd’hui aussi bien la droite que l’extrême droite ?

    P. D. et C. L. : L’actuelle pandémie réveille un certain prurit nationaliste et étatiste qui touche en premier lieu l’extrême droite et la droite la plus dure. Le virus vient de l’étranger, le confinement provoque du chômage, il faut fermer les frontières, ériger les murs, poursuivre les clandestins : c’est déjà le registre de Donald Trump ou de Viktor Orban. Chacun chez soi, donc, comme si la pandémie pouvait être combattue nationalement.

    L’imaginaire des communautés closes sur elles-mêmes peut retrouver une nouvelle force dans cette épreuve. Mais le nationalisme étatiste a un autre argument à faire valoir auprès de l’opinion, qui est lié à la globalisation elle-même. La perte effective d’indépendance industrielle dans un domaine aussi décisif que celui de la santé accroît objectivement la crise sanitaire et attise la colère contre les entreprises multinationales qui ont sacrifié les besoins de protection de la population à la maximisation de leurs profits. Le nationalisme politique va chercher à détourner cette colère à son profit.

    La France, sixième puissance mondiale, n’a-t-elle pas subi une cuisante humiliation avec l’affaire des masques que l’Etat doit aller quémander au régime de Xi Jinping sur les tarmacs chinois ? Les appels aux « sacrifices » au nom de la nation élevée au rang de cause suprême peuvent ainsi venir légitimer la remise en question de tous les droits sociaux, les heures légales de travail, les conditions de sécurité des salariés et des écoliers. Philippe Pétain aimait à lier la défaite de la France et l’esprit de jouissance. Non seulement le monde d’après n’est peut-être pas pour demain, mais, si l’on n’y prend garde, il pourrait ressembler à celui d’avant-hier.

    Une partie de la gauche est également saisie par cette tentation du souverainisme et du protectionnisme afin de contrer le globalisme libéral. Pourquoi est-ce, selon vous, une illusion ?

    P. D. et C. L. : Que la globalisation capitaliste, fortement soutenue par l’Etat, ait entraîné une déstructuration de l’appareil industriel national que nous payons très cher, voilà qui est certain. Mais l’illusion serait de croire que l’on pourrait combattre une pandémie, par définition globale, avec les armes de la souveraineté étatique. Pour se prémunir contre cette illusion, la gauche doit être capable de surmonter son propre enfermement dans l’espace étatico-national, lequel explique le retour régulier des fantasmes nationalistes et protectionnistes de certains de ses dirigeants ou de certains intellectuels.

    C’est évidemment une vieille histoire, celle de la « nationalisation des esprits » dont parlait l’anthropologue Marcel Mauss il y a un siècle. Cette tendance à la nationalisation intellectuelle et culturelle de la gauche était perceptible dès la fin du XIXe siècle, par exemple chez Jules Guesde. Elle s’est aggravée avec le naufrage de l’union sacrée, à laquelle ce dernier a participé en tant que ministre d’Etat de 1914 à 1916, et s’est poursuivie tout au long du XXe siècle. La gauche s’est partout « nationalisée » et du même coup profondément étatisée du fait du jeu politique lui-même. Il n’est donc pas étonnant que cette tendance lourde se manifeste aujourd’hui à la faveur de la crise.
    « La question est de savoir si la gauche sera un jour capable de surmonter la limite étatico-nationale pour affronter les questions globales qui se posent à l’humanité »

    Qu’Emmanuel Macron ignore l’avis du Conseil scientifique mettant en garde contre un déconfinement décidé d’en haut et plaidant pour une « discussion citoyenne » et une « pratique démocratique », voilà qui est conforme au style « jupitérien » adopté dès 2017. Mais Jean-Pierre Chevènement n’a-t-il pas loué Macron d’avoir restauré la verticalité de l’Etat ? Quant à Frédéric Lordon, très critique à l’égard de Macron, il a invoqué un « principe de verticalité » inhérent au social et réhabilité la notion d’imperium dont il faut rappeler qu’elle signifiait à l’origine un pouvoir absolu de commander et de châtier.

    Il faut repousser toute attitude qui tendrait à une opposition autoritaire au néolibéralisme autoritaire. Toute la question est de savoir si la gauche sera un jour capable de surmonter la limite étatico-nationale pour affronter les questions globales qui se posent à l’humanité. Etant donné son inertie intellectuelle et ses réflexes nationalistes, il est permis de douter que, dans ses formes actuelles, elle y parvienne. Pour se montrer à la hauteur, il lui faudrait devenir elle-même une gauche globale. Ce qui, en revanche, n’est pas douteux, c’est qu’aucune souveraineté d’Etat au monde ne permettra de prévenir, outre le retour de pandémies, la catastrophe climatique et la dégradation de la biodiversité.

    Quelles sont les voies de sortie possibles afin de construire le cosmopolitisme dont l’humanité a besoin ? Faut-il relocaliser l’économie et faire de la santé un bien commun ?

    P. D. et C. L. : L’espoir, le seul, vient de la réinvention d’une « politique du monde », selon la belle formule du philosophe Etienne Tassin. Nous l’appelons « cosmopolitique du commun » pour souligner que cette politique doit viser l’institution du monde comme commun. Tout tient en effet à la capacité des citoyens de se ressaisir des décisions sur leur propre vie.

    Il n’est qu’une voie pour y parvenir, l’expérimentation de la démocratie à tous les échelons, du plus local au plus global, par la création et la multiplication d’institutions nouvelles, celles des communs, qui ont pour caractéristiques de faire prévaloir les droits d’usage, le respect des milieux de vie, les règles les plus strictes de la codélibération et de la codécision. Les ZAD, les fablabs, les Amap, les coopératives de production, de consommation ou d’habitants, enfin les expériences innombrables, souvent liées à des luttes locales, ouvrent la voie à une démocratie délibérative et conflictuelle, mise en œuvre par les acteurs eux-mêmes.

    Et la prolifération, aux dernières élections municipales, de listes d’inspiration municipaliste ou communaliste est un autre signe encourageant. « Vivre autrement », « ne pas recommencer comme avant », « penser le monde d’après », autant de formules qui expriment cette imagination aujourd’hui comme jamais. La diminution de l’empreinte écologique, la reviviscence de liens de réciprocité et une vie démocratique plus intense en sont les éléments les plus prometteurs.

    Peut-on n’élaborer cette « politique du monde » qu’à partir d’initiatives locales ?

    P. D. et C. L. : A l’évidence, le local ne suffit pas pour agir contre toutes les menaces qui pèsent sur l’humanité et contrer la puissance du capital global. La démocratie locale doit donc s’articuler à des échelles politiques plus larges. Non pas uniquement à l’échelon national, qui reste incontournable. Les échelles à construire ou à activer sont plurielles, bassins de vie, réseaux de villes, « biorégions », et ce jusqu’au niveau mondial.

    Parmi toutes les leçons qu’il faudra tirer de la pandémie, il y aura celle-ci : la santé publique n’est pas seulement affaire locale, régionale ou nationale, elle est tout cela mais aussi affaire globale. Comment donc instituer la santé comme commun mondial ? Mais aussi, cette autre question : comment instituer le climat comme commun mondial ? La réponse ne pourra venir que de mouvements sociaux capables d’œuvrer à une transnationalisation des pratiques, comme ceux des écologistes, des féministes, des paysans, des peuples autochtones. La construction des institutions politiques indispensables à la survie du monde ne pourra procéder que de coalitions citoyennes aux formes très diverses. Mais de cette architecture mondiale, nul ne peut faire autre chose que d’en faire comprendre la nécessité et d’en conjecturer la possibilité.

    #souveraineté #Etat #compétitivité #économie #néolibéralisme #droit #nationalisme

  • « Non à un retour à la normale » : de Robert De Niro à Juliette Binoche, l’appel de 200 artistes et scientifiques
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/06/non-a-un-retour-a-la-normale-de-robert-de-niro-a-juliette-binoche-de-joaquin

    La transformation radicale qui s’impose – à tous les niveaux – exige audace et courage. Elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes ? C’est une question de survie, autant que de dignité et de cohérence.

    Ouiii, alors, comment dire… la « transformation radicale qui s’impose », déjà, pourrait commencer par ne pas subir des appels à la « transformation radicale », dans lequel les grands « intellectuels » qui façonnent le monde d’après seraient Adjani, Almodovar, Angèle, Yann Arthus-Bertrand, Balasko, Balibar, Baye, Béart, Berling, Blanchett, De Niro, Dalle, Cruz, De Niro, Streisand, etc, etc, etc.

  • Pour Le Monde, c’est clair : priorité absolue à l’économie…
    … mais c’est pour pouvoir «  faire du social  », pardon, prôner la solidarité avec les autres pays

    Covid-19 : un décrochage français serait une menace pour la zone euro
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/05/covid-19-un-decrochage-francais-serait-une-menace-pour-la-zone-euro_6038713_

    Editorial. Alors que le choc provoqué par la pandémie porte en lui le risque d’une implosion de l’union monétaire, la France se trouve affaiblie par ses médiocres performances économiques pour porter la voix d’une plus grande solidarité européenne.

  • Geneviève Zoïa : « Il s’est passé quelque chose pendant le confinement, sachons infléchir le cours d’un ­système éducatif productiviste »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/05/genevieve-zoia-il-s-est-passe-quelque-chose-pendant-le-confinement-sachons-i

    Morceaux choisis :

    [...] Bien avant la pandémie, le système éducatif français est pointé du doigt comme obsédé par les résultats et les performances, hermétique aux plus vulnérables des parents, ployant sous l’académisme, rétif aux collaborations entre professionnels, élèves, parents…

    Bien avant la pandémie, le système éducatif considère le bien-être comme un vague dada tiède, venant du monde anglo-saxon. C’est pourquoi sont sacrifiés les espaces scolaires non consacrés à la classe : cours, couloirs, constituent des points aveugles, tandis que l’état des toilettes a été maintes fois dénoncé comme désastreux

    Enseignants et parents ont découvert des fonctionnalités ensemble. Vous avez dit « coéducation » ? Pendant le confinement, des parents souvent disqualifiés dans leur rôle d’accompagnants se sont réapproprié l’espace scolaire.

    Des liens forts se sont créés entre enseignants et parents, entre enseignants se consultant sur les usages numériques préférés des élèves.

    Sachons infléchir le cours d’un système éducatif productiviste : la principale erreur serait de vouloir faire comme si rien ne s’était passé. Le rapport entre l’école et les parents s’est modifié.

    #education #continuitepedagogique #france

  • Marie de Hennezel : « L’épidémie de Covid-19 porte à son paroxysme le déni de mort »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/04/marie-de-hennezel-l-epidemie-de-covid-19-porte-a-son-paroxysme-le-deni-de-mo

    Je ne remets aucunement en cause l’acharnement avec lequel médecins et soignants, au risque de leur propre vie, soignent des patients qui ont encore envie de vivre. Je remets en question la folie hygiéniste qui, sous prétexte de protéger des personnes âgées, arrivées dans la dernière trajectoire de leur vie, impose des situations proprement inhumaines. Cela a-t-il un sens de confiner une personne âgée, qui dans son for intérieur est relativement en paix avec l’idée de mourir, comme c’est le cas pour beaucoup ? De l’empêcher de vivre les dernières joies de sa vie, voir ses enfants, les embrasser, voir ses amis, continuer à échanger avec eux ? Leur demande-t-on leur avis, leur choix ? Demande-t-on aux proches ce qui est plus important pour eux : prendre le risque d’attraper le Covid-19 en prenant une dernière fois dans ses bras un parent aimé et lui dire au revoir ? Ou se protéger au risque d’une culpabilité qui les empoisonnera pour longtemps ?

    Ce déni de la mort est dramatique et le combat contre la mort est vain. Nous ne mesurons pas les souffrances qui naîtront de l’érosion de l’humain quand la distanciation sociale sera devenue la norme, comme des inégalités que cette peur de la mort aura induites, les désespoirs, les dépressions, les violences, les envies de suicide. Nous réaliserons après le confinement le mal qui aura été fait en privilégiant la vie au détriment de la personne.

    Car qu’est-ce qu’une personne ? Sinon un être humain qui, se sachant mortel, et méditant sur sa finitude, est renvoyé à l’essentiel, à ses priorités, à ses responsabilités familiales, aux vraies questions sur le sens de son existence.

    Heureusement, quand notre société aura atteint le pic du déni de la mort, s’amorcera un déclin. Nombreux sont ceux qui, déjà dans le silence de leur confinement, méditent aujourd’hui sur le sens et la valeur de leur existence, sur le genre de vie qu’ils ont vraiment envie de mener. Une vie de retour aux choses simples, une vie où le contact avec ceux que l’on aime compte plus que tout, où la contemplation du beau et de la nature participe à la joie de vivre.

    Une vie où l’on n’abandonne pas les plus vulnérables, où la solidarité humaine l’emporte. Une vie qui respecte les rites essentiels qui ponctuent l’existence et rassemble la communauté des vivants : la naissance, le mariage, la mort. Une vie où le devoir d’accompagnement de ceux qui vont mourir impose naturellement la présence, les mots d’adieu, bref d’entrer dans ce que le psychanalyste Michel de M’Uzan (1921-2018) appelait « l’orbite funèbre du mourant ».

    #mort #covid-19 #distanciation_sociale

  • Il est temps de ne pas reprendre
    https://framaforms.org/il-est-temps-de-ne-pas-reprendre-e-tempo-di-non-riprendere-es-ist-zeit-n

    Texte rédigé par l’Atelier d’Ecologie Politique (Toulouse) et l’Ecopolien (Paris) :
    https://atecopol.hypotheses.org
    https://ecopolien.hypotheses.org

    Il ne s’agit là que de suggestions dont il faudrait débattre à grande échelle, au-delà du gouvernement par l’urgence. Les imaginaires collectifs vont sans doute sortir bouleversés de la crise actuelle. Il y aura des moments difficiles et d’autres fertiles en désirs nouveaux. Il serait navrant de laisser aux principaux auteurs du désastre écologique les clés de cet avenir, comme après la crise de 2008. Alors, sans attendre, scientifiques, militant.es, citoyen.nes, faisons l’inventaire de ce qui nous est essentiel, partageons les initiatives, organisons-nous à toutes les échelles pour empêcher la reprise sécuritaire et écocidaire qui se dessine, d’ores et déjà, pendant que nous trimons ou que nous restons confiné.es, dans la peur du lendemain. Ne laissons pas reprendre cette course folle qui nous menait irrémédiablement au désastre. Imposons une refondation institutionnelle, écologique et citoyenne qui offre enfin l’occasion à toutes et à tous de s’épanouir,en préservant les communs et l’ensemble du Vivant.

    #covid19 #déconfinement #changement_climatique #catastrophe_écologique #atecopol #ecopolien

  • Déconfinement : « Il ne faudrait pas que les mesures d’urgence se muent par la suite en mesures ordinaires »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/24/deconfinement-il-ne-faudrait-pas-que-les-mesures-d-urgence-se-muent-par-la-s

    La consultante en communication Claire Gerardin pointe, dans une tribune au « Monde », le risque que la mise en place d’un tracage des citoyens à l’occasion de la crise sanitaire devienne pérenne. Tribune. En période de crise sanitaire, le gouvernement bénéficie de pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de restreindre nos libertés personnelles. En ce moment, c’est le cas pour notre droit d’aller et venir. Et pour vérifier la bonne mise en application de ces restrictions, le gouvernement se dote, (...)

    #surveillance #santé #COVID-19 #BigData #métadonnées #consentement #[fr]Règlement_Général_sur_la_Protection_des_Données_(RGPD)[en]General_Data_Protection_Regulation_(GDPR)[nl]General_Data_Protection_Regulation_(GDPR) #technologisme #géolocalisation #smartphone #Bluetooth (...)

    ##santé ##[fr]Règlement_Général_sur_la_Protection_des_Données__RGPD_[en]General_Data_Protection_Regulation__GDPR_[nl]General_Data_Protection_Regulation__GDPR_ ##contactTracing ##algorithme ##Vodafone ##Telefonica ##Orange ##DeutscheTelekom

    • Déconfinement : « Il ne faudrait pas que les mesures d’urgence se muent par la suite en mesures ordinaires »
      Claire Gerardin, Le Monde, le 24 avril 2020

      Tribune. En période de crise sanitaire, le gouvernement bénéficie de pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de restreindre nos libertés personnelles. En ce moment, c’est le cas pour notre droit d’aller et venir. Et pour vérifier la bonne mise en application de ces restrictions, le gouvernement se dote, entre autres, d’instruments numériques de surveillance : le « backtracking » (le traçage, en français).

      Le backtracking est la collecte, par les opérateurs télécoms, de nos données de géolocalisation issues de nos smartphones. A la demande de la Commission européenne, huit opérateurs européens (dont Orange, Deutsche Telekom, Vodafone et Telefonica) ont communiqué ces données aux gouvernements de l’Union afin de lutter contre la pandémie de Covid-19, en cartographiant en temps réel les déplacements des populations, ce qui permet d’identifier les lieux où elles se concentrent et l’intensité des interactions entre les personnes. Le but est, à ce jour, de prédire les zones où le virus se déploiera le plus afin d’adapter le système de soins. Ces informations sont anonymisées, et il n’est pour le moment pas autorisé de remonter à un individu et de l’identifier. Cette collecte de données sans le consentement des individus est permise par le Règlement général de la protection des données (RGPD), en cas de nécessité liée à l’intérêt public. Dans le cas de la pandémie actuelle, elle est utilisée pour des motifs de santé publique et de protection des intérêts vitaux.

      Le backtracking va aussi permettre de développer, dans ce même cadre réglementaire, l’application StopCovid. Celle-ci vise à identifier les personnes qui ont été en contact avec des malades afin de juguler la circulation du virus. Au-delà du fait que la technologie au cœur de cette application (le Bluetooth) n’est pas très performante pour le résultat visé, et que la condition d’atteindre 60 % d’utilisateurs pour qu’elle soit effective est quasi inatteignable, ce projet relève d’un choix politique qui ne fait pas l’unanimité.
      Trois niveaux d’information

      Le risque d’une telle mesure est en effet sa pérennisation, alors qu’elle ne doit concerner que des situations extraordinaires, comme celle que nous vivons actuellement. Certains Etats pourraient décider de conserver ce dispositif en invoquant, par exemple, l’incertitude sur la fin de l’épidémie puisque les médecins affirment qu’elle pourrait ressurgir. Ils le feraient pour instaurer des systèmes de surveillance et de contrôle des populations, en vue de leur sécurité, mais aux dépens de leurs libertés. Plus on s’accoutume à ces systèmes de surveillance, plus on les considère comme anodins, et plus ils sont intégrés à notre quotidien. Par exemple, après les attentats de 2015, plusieurs mesures exceptionnelles instaurées durant le régime temporaire de l’état d’urgence ont été transposées dans le droit commun (à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2020). Parmi celles-ci : les perquisitions administratives, la fermeture de lieux de culte, ou encore la création de périmètres de sécurité lors d’événements publics.

      En temps « normal », voici ce qui se passe derrière la collecte de nos données. Ceux qui le font (opérateurs et entreprises) possèdent trois niveaux d’information sur nous.

      Le premier, qui est sous notre contrôle, recense les informations que nous postons sur les réseaux sociaux et applications mobiles (information de profil, publications, messages privés, inscription à des événements, sites web visités, etc.).

      Le deuxième analyse nos comportements. Il est composé de métadonnées, c’est-à-dire des informations qui fournissent, sans que nous en soyons conscients, un contexte à nos profils. Il s’agit, via des informations de géolocalisation, de cartographie de nos relations intimes et sociales et de nos comportements (récurrence et durée des lieux visités, des contenus consultés, de la nature des achats en ligne, et même de la vitesse à laquelle on tape sur le clavier et du mouvement de nos doigts sur les écrans), de construire le canevas de nos habitudes de vie.

      Le troisième niveau interprète les deux premiers, grâce à des algorithmes qui nous comparent avec d’autres profils afin d’opérer des corrélations statistiques. Il ne s’agit plus de savoir ce que nous faisons, mais qui nous sommes.
      Mine d’or

      Dans le secteur privé, cette collecte d’informations est une mine d’or pour le développement de l’intelligence artificielle. Car avec elle vient la promesse d’automatiser, sur la base de nos profils créés par les algorithmes, les décisions des banques, des assureurs, des recruteurs ou encore des administrations publiques.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : le gouvernement favorable au traçage numérique de la population, une partie de la majorité s’y oppose

      Dans le cadre d’une politique de surveillance de la mise en application de mesures exceptionnelles, la collecte de données par les gouvernements (ou la demande de leur mise à disposition par les collecteurs) pourrait être élargie à tout moment. A ce jour, elle est partielle – elle ne concerne « que » nos déplacements et le fait d’avoir été ou non en contact avec une personne infectée – et anonymisée. Mais la réglementation européenne permet aux Etats, s’ils en font la demande et pour des raisons d’intérêt général, de légiférer afin de désanonymiser ces données ou d’en collecter d’autres (de niveau un, deux ou trois). On pourra alors identifier les individus auteurs de comportements considérés comme transgressifs et les pénaliser. C’est déjà le cas de la Pologne, qui a lancé une application exigeant des personnes malades de prouver quotidiennement qu’elles restent chez elles, sous peine d’intervention policière.

      Il ne faudrait pas que, en en forçant l’acceptation sociale pour cause d’urgence, ces méthodes se muent par la suite en mesures ordinaires. Ce choix d’utilisation des outils technologiques pourrait alors donner lieu à la mise en place d’un mode de gouvernement basé sur la surveillance sécuritaire, ce qui n’est un idéal pour aucun régime démocratique…

      Claire Gerardin est consultante en communication, spécialiste ­des nouvelles technologies

  • Coronavirus : « Soit le plan est réaliste et s’applique dans l’ordre, soit il ne l’est pas et s’appliquera dans le désordre »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/27/covid-19-soit-le-plan-est-realiste-et-s-applique-dans-l-ordre-soit-il-ne-l-e

    Un collectif d’universitaires et de médecins, dont Bernard Kouchner, réunis par l’Institut Santé présente dans une tribune au « Monde » les conditions nécessaires à un plan de sortie de crise qui permette de réussir le déconfinement, à compter du 11 mai.

    Tribune. L’allocution du président de la République du 13 avril a esquissé un plan de sortie de crise en précisant la date du 11 mai de fin du confinement général. L’Institut Santé, à l’aide de son large réseau d’expertise transdisciplinaire, a publié, le 9 avril, un plan détaillé de sortie de crise Covid-19 comprenant 7 recommandations stratégiques. Si les deux plans reposent sur des hypothèses de travail très proches, dont l’inscription du plan sur un temps long jusqu’à la sortie d’un vaccin (2021), des divergences existent et nous amènent à distinguer les mesures qui devraient faire l’objet d’un débat et celles qui sont peu discutables.

    La première mesure inévitable est la disponibilité de l’arsenal de protection sanitaire indispensable pour permettre une sortie du confinement général contrôlée. Tests sérologiques, tests PCR, masques de types différents, kits de protection complets, gel hydroalcoolique… C’est une course contre la montre pour disposer du matériel en quantité et qualité adéquates par rapport aux besoins identifiés. Le déconfinement se prépare bien dès maintenant.

    La deuxième mesure inévitable est la prise en compte des statuts immunitaires des personnes vis-à-vis du Covid-19. Il existe trois groupes : les immunisés (après test sérologique positif, groupe A), les porteurs du virus (après test PCR positif, groupe B), les non-immunisés et les non-porteurs (groupe C). Même si des questions demeurent, les membres du groupe A peuvent être déconfinés dès un test sérologique fiable réalisé et participer à toute activité économique et sociale tout en respectant les règles de protection. Le groupe B doit être strictement confiné pendant au moins 14 jours, à l’écart de toute personne du groupe C, dans des lieux à prévoir. Tous les contacts récents de ce groupe B sont à tester en PCR.

    Un contrôle sanitaire aux frontières

    Le déconfinement s’applique à l’ensemble de la population, sauf au groupe B. Parce que nous sommes sur un temps long avant le retour à une vie normale, chaque citoyen doit maîtriser la distanciation sociale et les gestes barrières. Toute personne à risque (âgée et/ou avec des comorbidités) doit redoubler de vigilance et être encadrée de conseils et services dédiés si nécessaire.
    La continuité du confinement pour une partie de la population est de toute façon inapplicable car incontrôlable en démocratie en général et en République française en particulier. Soit le plan est réaliste et s’applique dans l’ordre, soit il ne l’est pas et s’appliquera dans le désordre.

    Un contrôle sanitaire strict aux frontières du territoire français doit s’appliquer à toute personne avec prise de température systématique et informations sur le parcours de chacun pour être facilement identifiable si la personne devient un cas contact. Tout cas suspect est à contrôler par test PCR sur place pour vérifier la présence du virus et à confiner strictement en cas de résultat positif, dans des lieux à prévoir.

    Des recommandations pour une grande loi santé en 2021

    Une information massive aux frontières, aéroports et gares sur les règles de protection et de comportement à respecter dans plusieurs langues est à préparer. Le déconfinement, c’est vraiment maintenant ! Un comité national de refondation de notre système de santé (incluant le médico-social et la dépendance) est à instaurer pour concevoir les recommandations stratégiques et opérationnelles qui serviront de base pour une grande loi santé en 2021.

    La sortie de crise par le haut passe par notre capacité à tirer les leçons de cette crise sanitaire, à nous inspirer des expériences internationales qui ont fonctionné et à profiter de la concorde nationale (transitoire) pour agir. C’est en mai 1943 que le Conseil national de la Résistance a été créé pour transformer la société française en octobre 1945, avec notamment la création de la Sécurité sociale. Demain se prépare maintenant.

    Les modalités à mettre en place pour garantir le respect du confinement individualisé strict des personnes testées PCR Covid + (groupe B) et l’identification de tous les cas contacts sont à débattre tant c’est le point névralgique du plan de sortie qui touche aux libertés fondamentales. Le non-contrôle de ces personnes a forcé la France, et d’autres pays, à entrer en confinement général et cela aura les mêmes conséquences si la situation se poursuit (c’est étonnamment toujours le cas aujourd’hui).

    Un usage du traçage numérique limité dans le temps

    En revanche, le contrôle strict de ces personnes a permis à plusieurs pays de ne jamais confiner collectivement leur population. L’Institut Santé recommande, sur la base du consentement éclairé de personnes, l’usage du traçage numérique (strictement limité dans le temps), des applications mobiles et l’attribution d’attestation nominative du statut immunitaire le temps du plan.

    La reprise des activités économiques et sociales nécessitant la réception du public et une interaction sociale intensive (restaurants, rassemblements sportifs, culturels…) est un point sensible. Un cahier des charges des conditions de fonctionnement pourrait être défini pour garantir la capacité de ces activités à faire respecter les règles de protection des personnes (masques, distanciations, gels…).
    Une autorisation spéciale pourrait être délivrée par une force sanitaire départementale dédiée. La faisabilité de telles modalités est à débattre secteur par secteur. Pour les transports publics, leur remise en marche est indispensable mais, là aussi, la garantie du respect d’un cahier des charges est nécessaire et à préparer dès maintenant.

    Un besoin d’information et d’approbation individuelle

    Le cas de l’école est un des plus complexes. Même si la reprise normale des cours semble difficile avant septembre, se pose la question des critères de choix de ceux qui peuvent y retourner dès le déconfinement, sans risque pour les enseignants car le faible nombre d’élèves peut se gérer dans les règles de sécurité. Les élèves les plus en difficulté pendant l’enseignement à distance, les enfants de parents sans possibilité de garde et sans options de télétravail, les familles monoparentales pourraient être considérés comme prioritaires.

    La liste des points peu discutables révèle déjà l’intensité et l’urgence de mobiliser certaines ressources dès maintenant pour déconfiner début mai. Les points qui font débat montrent les enjeux démocratiques que le plan final de sortie de crise engendre. Pour débattre, il faut un plan stratégique gouvernemental écrit dès maintenant pour débattre et décider des points discutables.

    Enfin, le succès de tout plan de sortie reposera sur l’information et l’appropriation individuelle par chaque citoyen de ce plan. C’est une véritable démocratie sanitaire qui est à créer en quelques semaines, ce que nous avons omis de faire ces vingt dernières années.

    Les signataires de cette tribune sont : Jean-Marc Ayoubi, chef de service de gynécologie obstétrique hôpital Foch, professeur à la faculté de médecine de l’UVSQ ; Evelyne Bersier, docteure en droit de la santé ; Frédéric Bizard, professeur d’économie affilié ESCP, président de l’Institut Santé ; Pierre-Henri Bréchat, médecin spécialiste en santé publique ; Florence de Rohan-Chabot, psychiatre, praticienne hospitalière ; Alain Coulomb, ancien directeur de la Haute Autorité de santé ; Christelle Galvez, directrice des soins, Centre Léon-Bérard, Lyon ; Alain Deloche, professeur de chirurgie, cofondateur de Médecins du monde, fondateur de l’association La Chaîne de l’espoir ; René Frydman, gynécologue obstétricien, professeur des universités ; Richard Hasselmann, président de Libr’Acteurs ; Bernard Kouchner, fondateur de Médecins du monde et de Médecins sans frontières, ancien ministre de la santé ; Patrizia Paterlini-Bréchot, professeure de biologie cellulaire et d’oncologie à l’Institut Necker ; Olivier Saint-Lary, médecin généraliste, président des universités ; Philippe Sansonetti, professeur au Collège de France, microbiologiste.

    #universitaires #médecins #biopouvoir #crise_sanitaire #déconfinement attestation_de_statut_immunitaire ou #certificat_d'immunité

  • Le défi de la rentrée scolaire au temps du Covid-19
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/27/le-defi-de-la-rentree-scolaire-au-temps-du-covid-19_6037871_3232.html
    https://img.lemde.fr/2020/04/26/438/0/5259/2629/1440/720/60

    Editorial. La part de risque que prend le gouvernement en décidant de rouvrir progressivement, à partir du 11 mai, les écoles, collèges et lycées n’est admissible que si les conditions du retour en classe permettent de garantir le maximum de sécurité sanitaire.

    Editorial du « Monde ». Scientifiques et politiques. Cet attelage incertain est mis à l’épreuve comme jamais depuis le début de la crise due au coronavirus. Le choix du président de la République de rouvrir progressivement, à partir du 11 mai, les écoles, collèges et lycées qu’il avait décidé de fermer le 16 mars, ravive cette tension. « Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires, dans nos campagnes, sont privés d’école (…) et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents », avait déclaré le chef de l’Etat pour justifier le retour des élèves en classe, dont le premier ministre doit préciser les modalités mardi 28 avril. La nécessité d’accompagner la reprise économique plaide dans le même sens.

    Mais voila que le conseil scientifique mis en place par le gouvernement lui-même contredit explicitement l’annonce présidentielle. Tout en prenant « acte de la décision politique » de rouvrir les établissements scolaires, le collège de scientifiques « propose » de les maintenir fermés jusqu’en septembre. « Le risque de formes graves est faible dans cette population, estime-t-il. A l’inverse, le risque de transmission est important dans les lieux de regroupement massif que sont les écoles. »

    Le partage des tâches entre des médecins, dont l’avis est essentiel en temps de pandémie, et des élus garants de la vie globale du pays relève du bon fonctionnement de la démocratie. Aux experts de jauger les risques ; au gouvernement d’assumer les responsabilités politiques en fonction de l’ensemble des paramètres sanitaires, sociétaux et économiques. Le fâcheux précédent du maintien des élections municipales invite cependant à la vigilance.

    Aider ceux qui auront pâti de l’interruption des cours
    La reprise très graduelle des cours, la limitation des groupes d’élèves, la désinfection des salles et le port obligatoire du masque pour les collégiens et les lycéens apparaissent comme des précautions minimales. Justifié, le caractère facultatif de la présence physique des élèves devant les professeurs pose le problème de l’organisation de l’enseignement à distance pour ceux dont les parents – deux sur trois, et davantage encore dans les familles défavorisées, selon un sondage – refuseront le retour en classe.

    La part de risque que prend le gouvernement n’est admissible que si les conditions matérielles du retour en classe permettent de garantir le maximum de sécurité sanitaire, tant pour les 2,9 millions d’élèves potentiels que pour le 1,1 million de personnels de l’éducation nationale. Les syndicats d’enseignants ont raison de s’inquiéter du manque de masques et de la difficulté de faire respecter les règles de distanciation. Aux côtés des enseignants, les élus locaux et les chefs d’établissement ont un rôle primordial à jouer pour adapter les règles au plus près du terrain.

    Si l’école doit, elle aussi, préparer la « vie d’après », c’est en repérant et en aidant les élèves qui auront le plus pâti de l’interruption des cours, mais aussi en rodant des procédures de précaution qui devront désormais faire partie de la vie scolaire. Remettre en marche très progressivement l’énorme machine éducative peut amortir le terrible choc que représenterait la rentrée de septembre après presque six mois d’interruption totale.
    Mais le choix du président de la République, qui revient à agir contre l’avis des scientifiques, serait plus facile à justifier si Emmanuel Macron ne s’était pas si longtemps retranché derrière les mêmes experts pour justifier de décisions politiques ou camoufler les défaillances gouvernementales, comme en matière de masques.

  • #François_Héran : « L’#idéologie du #confinement national n’est qu’un ruineux cauchemar »

    Technique de lutte contre l’#épidémie, le confinement devient une dangereuse idéologie s’il prend prétexte de la #protection_sanitaire pour viser les seuls migrants, souligne le sociologue François Héran dans une tribune au « Monde ».

    Tribune. « Fermer nos frontières », telle serait pour certains la leçon à retenir de la crise sanitaire, une mesure qu’on aurait dû adopter de longue date. Mais les fermer à qui ? Aux seuls migrants ou à tous les voyageurs internationaux ? Dans nos cerveaux, le projet d’ouvrir ou de fermer les frontières est associé à la politique migratoire.

    Or, le virus ne fait aucune différence entre le migrant et le voyageur. Il n’a pas d’idéologie, il obéit à la loi des grands nombres et à cette donnée de base : l’immigration représente une part minime des passages aux frontières, moins de 1 %. Une politique de confinement national qui alléguerait la protection sanitaire pour cibler les migrants tout en négligeant 99 % des passages de frontière renouerait avec les errements du passé, bien décrits par l’historien Antonin Durand dans un article de la revue en ligne De facto.

    La France a délivré en 2019 environ 270 000 titres de séjour d’au moins un an à des migrants non européens

    La somme des franchissements de frontière enregistrés dans le monde en 2018 pour des séjours de moins d’un an s’élève à 1,4 milliard, selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Malgré l’essor des communications à distance, ce nombre a progressé de 50 % en dix ans. Voyages de loisir pour une grosse moitié, mais aussi visites aux proches, voyages d’étude, pèlerinages, déplacements professionnels (stages, missions, travaux saisonniers). Sans surprise, l’Europe concentre la moitié des entrées aux frontières. Or le record mondial revient à la France : pas moins de 89 millions d’entrées en 2018, migration non comprise. Devant l’Espagne (83 millions), les Etats-Unis (80 millions), la Chine (63 millions) et l’Italie (62 millions).

    Il est plus difficile d’estimer le nombre d’entrées à des fins de migration permanente. Mais l’ordre de grandeur est cent fois moindre. La France a délivré en 2019 environ 270 000 titres de séjour d’au moins un an à des migrants non européens – dont une part vivaient déjà sur place sans papiers (ce qui empêche d’additionner simplement les illégaux aux légaux). S’ajoute à ce noyau une partie des 170 000 demandeurs d’asile, « dublinés » compris : ceux qui n’obtiennent ni le statut de réfugié ni une régularisation pour raison familiale ou autre (et, donc, ne figureront pas dans la statistique des titres des années suivantes). Au total, en calculant large et sans doubles comptes, on peut estimer à 400 000 environ le nombre d’entrées annuelles de migrants non européens sur le territoire français. Quant aux citoyens de l’Union européenne, qui peuvent s’installer sans titre de séjour, les enquêtes de l’Insee estiment leur afflux, bon an mal an, autour de 140 000.

    Déguiser une politique migratoire en politique sanitaire

    Ainsi, chaque année en France, 540 000 entrées environ relèvent de la migration, ce qui est très peu sur l’ensemble des 90 millions d’entrées provisoires ou durables : 0,6 %. Même assortie d’une grosse marge d’erreur, c’est une donnée incontournable pour le contrôle sanitaire. Les contrôles aux frontières pour ralentir la propagation des épidémies sont légitimes, mais rien ne justifie de les réserver aux migrants, alors que les voyageurs internationaux sont de 140 à 200 fois plus nombreux. Ce serait déguiser une politique migratoire en politique sanitaire.

    Or la confusion est courante. Dans un entretien récent (Le Figaro du 14 avril), Philippe de Villiers jubile : l’épidémie a sonné le glas du mondialisme, la France rentre dans ses frontières et les multiplie à l’envi en interne, sous forme de gestes barrières. Et de fustiger la mondialisation, coupable d’avoir favorisé « quatre crises mortelles : sanitaire, migratoire, économique, et bientôt financière ». J’invite M. de Villiers à se pencher sur un fleuron de la mondialisation qu’il connaît bien, le parc du Puy du Fou. Son site multilingue (français, anglais, espagnol, italien, allemand, néerlandais, russe et chinois) vante la part croissante des visiteurs étrangers (+ 38 % en 2018) et arbore le titre de « meilleur parc du monde » décerné par… le site Internet TripAdvisor. Et j’imagine qu’il ne discrimine pas les immigrés à l’embauche. On le voit, l’intérêt bien compris n’a que faire de l’idéologie du confinement national. Libéré de la crise, le parc vendéen saura renouer avec le succès en misant à nouveau sur la mondialisation.

    On a pris conscience dans la crise que les métiers à forte utilité sociale mobilisent les immigrés plus qu’à leur tour. On vérifie aussi que, sans la clientèle étrangère, des secteurs entiers sont sinistrés. Les 89 millions d’entrées de l’année 2018 ont produit 140 millions de nuitées de non-résidents – autant que les nuitées de clients français ! Le Louvre ne serait pas le premier musée de la planète s’il ne vendait pas 75 % de ses billets à des étrangers. Et ainsi de suite.

    Vous rêviez d’un monde appliquant sans faille l’idéologie du « confinement national » ? La fermeture des frontières à la faveur de l’épidémie vous en apporte la preuve expérimentale : un monde sans migrants ni visiteurs étrangers est un monde à l’arrêt ou sévèrement amputé. C’est un monde où les citoyens des pays du Nord – cuisante ironie – peuvent devenir à leur tour des étrangers indésirables dans les pays du Sud, voire dans leur propre pays, comme l’ont vécu ces Français en croisière interdits de débarquer à Marseille, pris au même piège que les passagers de l’Aquarius en 2018.

    Interdépendance

    Il est bon que les Etats souverains cherchent à garantir sur leur sol certaines productions stratégiques pour la défense et la santé. Mais le souverainisme atteint ses limites avec les effets ruineux du confinement national et sous le coup des décisions souveraines des autres pays. On ne perd pas son indépendance si, au lieu de fabriquer soi-même son pain, on l’achète chez son boulanger ; on entre en interdépendance et c’est ce qu’on appelle le marché, avec son lot de coopérations, d’échanges et de régulations. Ainsi en va-t-il des relations internationales, de l’intégration européenne ou des conventions internationales en matière de mobilité, de migration ou d’asile.

    La tendance à franchir toujours plus les frontières n’est ni une mode ni une anomalie. C’est une lame de fond. Au nom de quoi voudrait-on dissuader les jeunes, les actifs ou les retraités de parcourir le monde ? La migration, à sa modeste échelle, participe de ce mouvement. Il faut réguler cette mobilité, c’est inévitable, mais on voit mal comment inverser la mondialisation croissante des voyages internationaux, sauf à rêver d’un confinement perpétuel.

    Technique de lutte en temps d’épidémie, le confinement se dégrade en idéologie s’il allègue la protection sanitaire des nations pour viser les seuls migrants. L’immigration zéro est un déni de réalité tout autant que le slogan « no border ». De la même façon, le rêve d’un monde fermant ses frontières à tous les étrangers n’est qu’un ruineux cauchemar. Une fois déconfiné, le monde continuera de circuler – et il y aura tout à voir.

    François Héran est sociologue, anthropologue et démographe, titulaire de la chaire migrations et sociétés au Collège de France, ancien directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED) de 1999 à 2009, animateur de l’Institut Convergences Migrations. Derniers ouvrages parus : « Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir », (La Découverte, 2017) et Migrations et sociétés (Fayard, 2018).

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/26/francois-heran-l-ideologie-du-confinement-national-n-est-qu-un-ruineux-cauch
    #confinement_national #migrants #migrations #coronavirus #covid-19
    #frontières #fermeture_des_frontières #nationalisme #liberté_de_circulation #liberté_de_mouvement

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    Voir aussi cet autre texte de Héran :
    #Voyageurs_internationaux ou immigrants, le virus ne fait pas la différence
    https://seenthis.net/messages/844270

    ping @thomas_lacroix @karine4 @isskein

    • Entretien. Pour l’épidémiologiste suédois #Anders_Tegnell, “fermer les frontières est ridicule”

      L’épidémiologiste à l’origine de la stratégie controversée de la Suède pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 s’est entretenu avec Nature. Selon lui, l’approche basée sur la responsabilisation a bien fonctionné dans son pays.

      https://www.courrierinternational.com/article/entretien-pour-lepidemiologiste-suedois-anders-tegnell-fermer

      Après, voilà... c’est le gars derrière la stratégie de lutte contre le coronavirus en Suède...

    • Le #nationalisme est-il bon pour la santé ?

      Les gouvernements ont arrêté le monde en sept jours. Dès janvier, alors que l’Organisation mondiale de la santé s’était prononcée contre les restrictions du trafic international de voyageurs (https://www.who.int/news-room/articles-detail/updated-who-advice-for-international-traffic-in-relation-to-the-outbreak-of-the), la circulation en provenance de Chine avait été suspendue par plusieurs pays, voisins ou plus lointains, comme l’Italie.

      Mais c’est à la mi-mars que tout a basculé. Malgré la progression de l’épidémie, de plus en plus d’États ont remplacé les contrôles sanitaires aux frontières par des blocages fondés sur la nationalité. En une semaine, entre le 16 et le 23 mars, la plupart d’entre eux ont interdit l’entrée à toutes les nationalités, à l’exception de leurs propres ressortissants (https://www.iatatravelcentre.com/international-travel-document-news/1580226297.htm).

      Ces restrictions peuvent paraître justifiées pour des raisons sanitaires. De fait, la distanciation sociale, lorsqu’elle est parfaitement respectée, réduit efficacement la propagation de l’épidémie. Par extension, ne pourrait-on pas penser que la « distanciation nationale » contribue, elle aussi, à cette réduction ?
      Une stratégie inefficace

      En janvier, lorsque l’OMS recommande de ne pas restreindre le trafic international, son avis est fondé sur l’inefficacité sanitaire d’une telle mesure. Une fois que le virus est présent sur un territoire, il se propage en effet à travers les contacts locaux. Fermer les frontières ne retarde que de peu l’épidémie, comme l’ont montré de nombreuses études sur la propagation des virus de la grippe ou d’Ebola.

      Ces résultats ont été confirmés pour le Covid-19. Un article publié dans la prestigieuse revue Science a étudié les effets des restrictions de voyage sur la propagation de l’épidémie en cours. Il conclut que l’impact d’une forte réduction des voyages vers et à partir de la Chine (à hauteur de 90 %) reste modeste sur la progression de l’épidémie, tant que cette réduction n’est pas combinée avec des efforts importants visant à réduire de 50 % la transmission à l’intérieur des communautés nationales, notamment par un dépistage précoce et isolation.

      L’article compare également l’impact des restrictions internes que la Chine a adoptées le 23 janvier à l’égard de Wuhan à celui des restrictions internationales que les pays ont adoptées à l’égard de la Chine. Les restrictions décidées à Wuhan ont retardé la progression de l’épidémie dans le reste de la Chine de seulement 3 à 5 jours. La raison est que des personnes qui n’avaient pas (encore) de symptômes avaient déjà voyagé dans d’autres villes chinoises avant la quarantaine.

      L’étude montre que les « frontières » installées autour de Wuhan ont eu un effet plus marquant à l’échelle internationale. En prenant cette mesure, la Chine a réduit le nombre de cas importés dans d’autres pays de 80 % jusqu’à la mi-février, lors du déclenchement de l’épidémie dans plusieurs pays.

      Ce résultat n’est pas surprenant : les mesures plus ciblées, à commencer par le dépistage, l’isolement des cas infectés et la distanciation sociale, sont plus efficaces pour contenir une épidémie, que les restrictions de la mobilité.
      https://www.youtube.com/watch?v=gxAaO2rsdIs&feature=emb_logo

      Des dangers pour la santé publique

      Le 18 mars, trois chercheurs américains tentaient encore de montrer l’inutilité de fermer les frontières avec la Chine. Pour cela, ils ont analysé l’évolution du nombre de personnes infectées par pays et par jour, à partir de 27 janvier. Comme le montre leur graphique, certains pays ayant fermé leurs frontières avec la Chine (en rouge) peuvent connaître un nombre d’infections plus élevé que d’autres pays qui ne l’ont pas fait (en bleu).

      Un collectif de seize spécialistes en santé mondiale ont alerté, dans la prestigieuse revue médicale The Lancet, sur le caractère disproportionné des fermetures des frontières – mesures qui contreviennent aux recommandations de l’OMS et qui sont susceptibles d’aggraver la crise sanitaire.

      Les restrictions au trafic international risquent en effet d’aggraver la situation, pour plusieurs raisons. Sanitaires, d’abord : même quand des exceptions sont prévues pour le personnel soignant et les équipements médicaux, la rareté des moyens de transport ralentit la réponse sanitaire.

      Alimentaires, ensuite : même si le stock mondial de céréales est pour le moment suffisant, l’arrêt des exportations peut perturber les prix en provoquant ici des excédants, là des pénuries alimentaires qui aggraveront la crise sanitaire.

      D’équité, enfin : la fermeture des frontières nuit, de façon tragique, aux plus vulnérables. Chaque année, le commerce international permet d’acheminer assez de maïs, de blé et de riz pour nourrir 2,8 milliards de personnes dans le monde. En 2018, l’Afrique subsaharienne, une région où résident un quart des 820 millions de personnes malnutries du monde, avait pu importer plus de 40 millions de tonnes de céréales.


      La fermeture des frontières risque d’augmenter l’insécurité alimentaire des plus pauvres, comme l’indique un récent rapport du Programme alimentaire mondial des Nations unies.
      Fermer les frontières, est-ce légal ?

      Un article publié récemment dans Science rappelle que la restriction du trafic viole le droit international. En effet, la plupart des États qui ont procédé à la fermeture des frontières ne respectent pas le Règlement sanitaire international de l’OMS qu’ils ont eux-mêmes adopté en 2005.

      Ce Règlement, qui constitue un traité légalement contraignant, dispose, à son article 43, que les mesures prises par les États face aux risques sanitaires « ne doivent pas être plus restrictives pour le trafic international, ni plus intrusives ou invasives pour les personnes, que les autres mesures raisonnablement applicables qui permettraient d’assurer le niveau approprié de protection de la santé » (43-1). Pour être proportionnées, les mesures doivent s’appuyer sur « des principes scientifiques » et sur « les éléments scientifiques disponibles » (43-2). Lorsqu’un État prend des mesures qui « entravent de manière importante le trafic international », comme le « refus de l’entrée ou de la sortie des voyageurs internationaux pendant plus de 24 heures », cet État doit « fournir à l’OMS les raisons de santé publique et les informations scientifiques » qui justifient » ces décisions (43-3).

      Or les principes et les informations scientifiques disponibles ne justifient pas les restrictions du trafic international. De plus, la plupart des pays n’ont pas notifié à l’OMS les raisons de santé publique qui ont motivé leur décision. Les chercheurs enjoignent les gouvernements de suivre plutôt les recommandations de l’OMS en augmentant le nombre de tests et en s’assurant que la distanciation sociale est respectée.
      Le biais nationaliste

      Dans des situations de crise, le risque de prendre des décisions biaisées augmente et avec lui, notre capacité à aggraver la situation. L’un de ces biais est de surestimer l’importance des frontières nationales ou des différences entre les populations. En sciences sociales, ce biais est appelé « nationalisme méthodologique », pour le distinguer du nationalisme comme idéologie politique.

      On peut l’illustrer par trois autres exemples. Premièrement, le biais nationaliste nous empêche de percevoir correctement un problème de santé humaine. Ainsi, le virus a été souvent présenté comme étant « chinois ». Le 27 janvier, un journal danois avait même publié une caricature remplaçant chacune des étoiles du drapeau de la Chine par un virus. L’ambassade chinoise au Danemark avait déploré « le manque d’empathie » et une « offense à la conscience humaine ». Le journal danois s’en est défendu, en estimant que les Chinois et les Danois représentaient « deux types de compréhension culturelle ». Or cette surestimation des différences culturelles peut conduire non seulement à l’absence d’empathie, mais aussi à la confiance dans l’idée que pour faire face à un virus perçu comme étranger, la solution est de fermer les frontières.

      Deuxièmement, le biais nationaliste peut expliquer les temps de réaction à un problème sanitaire. Par exemple, l’Italie a fermé ses frontières avec la Chine le lendemain de l’hospitalisation d’un couple de touristes chinois à Rome le 30 janvier. Mais elle a mis plus de trois semaines pour prendre les premières mesures adéquates.

      Pendant trois semaines, les recommandations du ministère de la Santé visaient uniquement les personnes qui revenaient de l’étranger et les médecins cherchaient surtout des patients ayant voyagé. Lorsque le 20 février, un Italien de 38 ans avait développé les symptômes sans lien apparent avec l’Asie, l’anesthésiste qui a décidé de le tester a dû désobéir au protocole qui réservait les tests aux personnes ayant voyagé à l’étranger.

      Troisièmement, le biais nationaliste a conduit les gouvernements à interdire l’arrivée des étrangers tout en faisant une exception pour les ressortissants ou les résidents. Or, si le but est de réduire le nombre d’interactions sur un territoire, pourquoi permettre le retour des nationaux, dont les liens sociaux et familiaux sont plus nombreux que ceux des étrangers ? Et pour les nationaux, la règle qui leur permet de revenir, quelle que soit la prévalence de l’épidémie dans leur pays, leur rend-elle vraiment service ?

      Les gouvernements ont arrêté le monde en sept jours sans en voir toutes les conséquences. Combien de temps nous faudra-t-il pour les corriger ?

      https://theconversation.com/le-nationalisme-est-il-bon-pour-la-sante-135709

      ping @karine4

  • J’adore ce genre d’article moisi, où, sous couvert de critique, tout n’est qu’adhésion pure...

    « Toutes les conditions sont réunies pour un retour irréversible de la suprématie de la voiture individuelle »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/26/toutes-les-conditions-sont-reunies-pour-un-retour-irreversible-de-la-suprema

    Les consultants Joël Hazan, Pierre-François Marteau et Benjamin Fassenot craignent que la peur de la contagion et la baisse des budgets publics ne fassent délaisser transports en commun et « mobilité douce ».

    #transport #bagnole #résignation #paywall