• Journaliste emprisonné au Bénin : « l’inexcusable erreur » de l’agence française CFI
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/27/journaliste-emprisonne-au-benin-l-inexcusable-erreur-de-l-agence-francaise-c


    Le journaliste béninois Ignace Sossou.
    Facebook

    Au Bénin, trois tweets peuvent conduire en prison. C’est ce qui est arrivé au journaliste d’investigation Ignace Sossou, condamné à dix-huit mois ferme après avoir été discrédité par Canal France international (CFI), une agence de développement des médias financée en grande partie par le Quai d’Orsay. « Cette histoire est folle, tant par la démarche insensée de CFI que par la détention arbitraire de ce journaliste qu’elle a provoquée », considère William Bourdon, l’un des avocats de M. Sossou avec Elise Le Gall et Henri Thulliez. Ensemble, ils demandent sa libération, à l’unisson d’une longue liste d’organisations de défense des médias, de Reporters sans frontières (RSF) à Amnesty International en passant par Internet sans frontières.
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    Les faits se sont déroulés peu avant les fêtes de Noël. Le matin du 19 décembre, Ignace Sossou, journaliste à Bénin Web TV et collaborateur de plusieurs collectifs comme le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et le Réseau 3i (Initiative, Impact, Investigation), est interpellé à son domicile par des agents de l’Office central de répression de la cybercriminalité, puis placé en garde à vue. Le 24 décembre, il est condamné à dix-huit mois de prison ferme et 200 000 francs CFA (305 euros) pour trois tweets et des posts sur Facebook, considérés par la justice béninoise comme du « harcèlement par le biais de moyens de communications électroniques ».
    « Une arme braquée sur la tempe »
    Le 18 décembre, le journaliste avait posté sur Facebook et Twitter des propos attribués au procureur de la République, Mario Metonou (auteur de la plainte), lors de son intervention au sein d’une conférence organisée à Cotonou par CFI pour débattre des « fake news ». Ces trois messages, aujourd’hui effacés, critiquaient l’attitude du pouvoir béninois vis-à-vis de la liberté d’expression. Selon un document que s’est procuré Le Monde Afrique, les propos du procureur rapportés par Ignace Sossou sur Internet sont les suivants : « La législation béninoise telle qu’elle est n’offre pas une sécurité judiciaire aux justiciables », « La coupure d’Internet le jour du scrutin du 28 avril est un aveu de faiblesse des gouvernants » et « Le Code du numérique, c’est comme une arme qui est braquée sur la tempe de chaque journaliste ».
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    Le jour de l’arrestation d’Ignace Sossou, CFI adresse une lettre au ministre béninois de la justice, dans laquelle elle prend ses distances avec le journaliste. « Nous sommes désolés qu’un journaliste peu scrupuleux ait profité de ce moment privilégié pour tenter de faire un buzz aux dépens de M. le Procureur », s’excuse ce courrier, signé du directeur Afrique de CFI, assurant que « ces phrases tronquées et sorties de leur contexte ne reflétaient pas la teneur des échanges tenus lors des débats ».

    Le 2 janvier, CFI a publié un autre communiqué reprenant cette fois les propos tenus par le procureur, tout en continuant de reprocher à Ignace Sossou d’avoir été « incomplet » dans ses écrits. RSF s’est appuyé sur ce document pour attester de la véracité des phrases prononcées par Mario Metonou lors de l’atelier de formation initié dans le cadre du lancement du projet Vérifox Afrique, dont l’objectif est de « répondre aux besoins des médias africains pour lutter contre la prolifération des fausses informations ». Selon RSF, les propos retranscrits par le journaliste permettent d’établir « mot pour mot, à quelques exceptions près, les expressions utilisées par le procureur ».
    Le président accusé de virage autoritaire
    C’est finalement le 8 janvier, face au tollé provoqué par la détention du journaliste, que CFI a présenté ses excuses à Ignace Sossou et s’est indignée d’avoir été instrumentalisée dans cette affaire. L’agence a ensuite demandé « la libération de M. Sossou dans les plus brefs délais » et s’est séparée des deux collaborateurs auteurs de la lettre au ministre de la justice « à l’origine de cette inexcusable erreur » contre Ignace Sossou, qui avait déjà été condamné à un mois de prison avec sursis en août 2019 pour « publication de fausses nouvelles » après avoir révélé une affaire d’évasion fiscale visant des hommes d’affaires béninois et français via des comptes offshore.
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    Elu en avril 2016, le président Patrice Talon est accusé d’avoir opéré un virage autoritaire dans ce pays habituellement salué pour sa démocratie et autrefois surnommé le « quartier latin d’Afrique de l’Ouest ». « Depuis son accession au pouvoir, les activités de l’opposition sont très peu couvertes par la télévision d’Etat et les médias sont sous étroite surveillance, écrit RSF dans son rapport. Des “notes de cadrage” définissant des angles de traitement relevant très largement de la communication pro-gouvernementale sont envoyées aux rédactions après certains conseils des ministres. »

  • Un banquier portugais, impliqué dans l’enquête sur la fortune d’Isabel dos Santos, retrouvé mort
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/23/affaire-isabel-dos-santos-un-banquier-portugais-retrouve-mort_6026986_3212.h


    Isabel dos Santos à New York, le 26 septembre 2018.
    Mike Coppola/AFP

    Le gestionnaire des comptes de la fille de l’ex-président angolais, considérée comme la femme la plus riche d’Afrique, a été retrouvé mort à Lisbonne, pendu dans son garage.

    Un banquier portugais, visé par la justice angolaise dans le cadre de l’enquête sur Isabel dos Santos, a été retrouvé mort chez lui, à Lisbonne, où il se serait probablement suicidé, a-t-on appris, jeudi 23 janvier, auprès de la police.

    « Le corps » de Nuno Ribeiro da Cunha « a été retrouvé hier (mercredi) soir et tous les indices portent à croire qu’il s’agit d’un suicide », a indiqué à l’AFP un porte-parole de la police portugaise. Il « se serait suicidé par pendaison dans son garage », a précisé la police dans un communiqué.

  • Après la découverte du jeune mort dans un avion à Roissy, un quartier d’Abidjan va être rasé
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/16/apres-la-decouverte-du-jeune-mort-dans-un-avion-a-roissy-un-quartier-d-abidj

    Le quartier populaire d’Adjouffou, qui jouxte l’aéroport d’Abidjan, va être partiellement rasé pour instaurer un périmètre de sécurité, conséquence de la découverte à l’aéroport de Paris-Roissy le 8 décembre du corps d’un adolescent dans le train d’atterrissage d’un avion, ont annoncé les autorités mercredi 15 janvier.

    Selon les premiers éléments de l’enquête, le jeune de 14 ans a sans doute escaladé un mur de l’aéroport puis s’est accroché aux roues de l’avion juste avant le décollage d’un vol Abidjan-Paris. « Il n’est pas normal que des habitations s’appuient sur le mur de l’aéroport », a expliqué le directeur de l’autorité nationale de l’aviation civile, Sinaly Sinué.

  • « Il imitait l’accent des Blancs, il se préparait pour là-bas » : qui était Laurent-Barthélémy, retrouvé mort dans un avion à Roissy, par Yassin Ciyow
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/15/la-vie-secrete-a-abidjan-de-laurent-barthelemy-14-ans-mort-gele-dans-un-trai


    Photographie du jeune Ivoirien Laurent-Barthélémy Ani Guibahi, 14 ans, sur l’avis de disparition diffusé par son lycée, à Abidjan, le 6 janvier 2020. SIA KAMBOU / AFP

    Le jeune Ivoirien, retrouvé mort le 8 janvier dans un logement de train d’atterrissage, préparait son départ depuis des semaines, probablement sous l’influence de passeurs.

    Une semaine jour pour jour après la rentrée des classes, l’heure était au recueillement dans la cour du lycée Simone Ehivet Gbagbo. Autour du drapeau ivoirien planté au milieu de la cour, une centaine d’élèves se sont réunis, lundi 13 janvier, pour écouter Adama Traoré, le proviseur de ce lycée public de la commune populaire de Yopougon, à Abidjan.

    C’est la gorge nouée que le responsable de l’établissement a prononcé l’éloge funèbre de l’un de ses élèves, Laurent-Barthélémy Ani Guibahi, retrouvé mort à l’aéroport de Roissy, le mercredi 8 janvier au matin, dans le train d’atterrissage d’un vol Air France assurant la liaison entre Abidjan et Paris. « Il est mort en faisant quelque chose qu’il ne faut jamais faire. Ne tentez pas ce genre d’aventures ! Le bonheur ne se trouve pas ailleurs, il se trouve ici », a conclu le responsable pédagogique sur un ton martial, avant de décréter un jour de deuil au sein de son établissement.

    Quelques jours après l’annonce officielle de la mort du jeune adolescent de 14 ans, vendredi, les équipes pédagogiques accusent encore le coup et se désolent de n’avoir rien vu venir : « Il semblait vraiment ordinaire : ni brillant à l’école, ni problématique sur le plan disciplinaire », affirme Ousmane Ba, adjoint au chef d’établissement. Des absences, les responsables de ce lycée municipal en traitent chaque semaine, mais il s’agit en général de petites fugues dont « la motivation est généralement sentimentale », précise M. Ba. Cette fois, la cause fut bien plus grave et constitue une première dans ce lycée d’une capacité de 3 500 élèves qui en accueille cette année pourtant près de 7 000. Elève de 4e, le jeune Laurent-Barthélémy suivait les cours aux côtés de ses 111 camarades de classe.

    Camarade poignardé
    Quand il n’était pas en cours à se battre pour une place sur un bout de banc, le jeune homme restait au domicile de son père, à une demi-heure à pied du lycée, dans un deux-pièces de moins de 15 m2, où il partageait chaque nuit son lit avec son demi-frère et sa demi-sœur, plus jeunes que lui, tandis que son père et sa concubine occupaient l’autre pièce.

    Originaire de Gagnoa, au centre de la Côte d’Ivoire, Ani Oulakolé Marius, le père de l’adolescent, est professeur particulier. Il donne des cours de mathématiques, de physique et de chimie à domicile, « quand il y a de la demande », tient-il à préciser pour expliquer ses faibles revenus. Assis sur une chaise en plastique abîmée dans son petit salon qui se transforme en chambre des enfants le soir, il admet sans détour que la famille vit « dans la misère ».

    Fier de son fils disparu, il commente ses bulletins de notes, religieusement compilés dans un petit classeur : « L’an dernier, à Gagnoa, il a terminé quatrième de sa classe, avec une moyenne de 14,5. Comme moi, il était très fort en sciences. » En 2018, convaincu d’avoir un « projet professionnel meilleur qu’à Abidjan », le père décide que toute la famille recomposée doit déménager à Gagnoa, sa ville natale, avant finalement de revenir sur sa décision et de rester à Abidjan.

    Trop tard pour le collégien : il est inscrit au Lycée moderne de Gagnoa et transféré dans la foulée chez son oncle. « Même s’il a aimé passer du temps avec mon frère là-bas, au bout d’un an, mon fils a voulu rentrer à mes côtés. Mais il est revenu un peu traumatisé », ajoute le père de famille.

    Et pour cause : lors des mouvements de grève qui ont paralysé la plupart des établissements estudiantins de Côte d’Ivoire en 2019, laissant craindre à beaucoup une année blanche, Laurent-Barthélémy a vu l’un de ses amis se faire poignarder. « Après cet événement, il ne parlait plus beaucoup, ça l’a vraiment affecté et il disait avoir réalisé à quel point c’était dangereux d’être élève dans ce pays », explique Marc-Grého de Vilermoze, son demi-frère issu d’un premier mariage du père, âgé de 28 ans et technicien en système de sécurité incendie à Abidjan.

    « Ils lui ont pourri la tête »
    En septembre 2019, après un an à Gagnoa, le jeune natif de Yopougon retrouve son quartier. Mais, selon ses proches, il était devenu différent. « Il avait 14,5 de moyenne l’an dernier à Gagnoa, puis 9 ici à Yopougon juste avant les fêtes, observe son grand frère, avant d’ajouter : « Il s’était désintéressé des cours, avait la tête ailleurs. »

    Ailleurs, mais où ? Les avis divergent entre les proches et l’équipe pédagogique. Pour le proviseur du lycée, rien d’anormal : « On parle d’un adolescent, c’est une période sensible où l’on commence à s’affirmer, il était en train de changer. » Autre son de cloche du côté du grand frère : « Quelqu’un l’a manipulé, il passait beaucoup de temps au cybercafé, il a dû tomber sur des passeurs qui lui ont pourri la tête et donné des instructions. »

    Ses camarades de classe confirment d’ailleurs que Laurent-Barthélémy, au tempérament si réservé et généralement assidu, séchait régulièrement les cours depuis novembre pour se rendre au cyber. Selon sa belle-mère, qui a discuté avec lui la veille de sa disparition, il y était encore le dimanche « pendant quelques heures », « peut-être pour prendre les dernières instructions », avance son grand frère, très remonté et déterminé à ce que « la vérité émerge ».

    Une seule certitude, son départ était prémédité. Un sac de voyage contenant plusieurs tenues, dont une « plutôt chic » d’après son père, a été retrouvé sur le tarmac de l’aéroport d’Abidjan. Ce sac, c’était celui de son fils. Selon Séraphin, l’un des copains de quartier de l’adolescent, « peu surpris par l’aventure » de son ami, Laurent-Barthélémy avait pris l’habitude en fin d’année dernière « d’imiter l’accent des Blancs quand il parlait français. Il se préparait pour là-bas, c’est sûr ».

    Après l’allocution sous forme de mise en garde du proviseur et avant de se disperser dans la cour du lycée Simone Ehivet Gbagbo, un élève pointe du doigt les murs décatis et les bancs de l’établissement rongés par le temps, et déclare ironiquement en regardant ses amis : « C’est vrai que le bonheur se trouve ici, il n’aurait pas dû partir. »

    #mort_aux_frontières

  • Il y a cent ans, le naufrage d’un « Titanic français » en route pour les colonies faisait 568 morts
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/10/il-y-a-100-ans-coulait-l-afrique-un-titanic-francais-oublie-en-route-pour-le

    Il y a tout juste cent ans, le paquebot Afrique sombrait au large de l’île de Ré, emportant 568 victimes, dont une bonne partie d’Africains, dans le pire naufrage maritime civil en France. Un Titanic français étrangement oublié, qui refait surface à Bordeaux et aux Sables-d’Olonne (Vendée) le temps d’une commémoration.

  • Thomas Sankara, l’immortel
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/12/31/thomas-sankara-l-immortel_6024468_3212.html

    Le capitaine burkinabé est devenu la référence de la jeunesse africaine. Trente-deux ans après sa mort, ses idées sont plus vivantes que jamais. Présentation de notre série.

    Par Pierre Lepidi Publié le 31 décembre 2019 à 11h28 - Mis à jour le 02 janvier 2020 à 15h31

    Que serait devenu Thomas Sankara ? Comment aurait vieilli le capitaine panafricain qui mena la révolution au Burkina Faso de 1983 à 1987 ? Le leader charismatique n’est plus là, mais il a légué un héritage qui ne s’évalue ni en réserves d’or ni en palais somptueux. Ce qu’il a laissé à ses héritiers, d’Afrique ou d’ailleurs, c’est l’image d’un président panafricain et tiers-mondiste, un homme intègre et pragmatique qui a dessiné un projet de société et l’a mené, même si ce fut à marche forcée et au prix de certaines libertés.

    Thomas Sankara a prouvé que venir d’un des pays les plus pauvres au monde n’empêchait ni d’être ambitieux ni d’être digne. Les Burkinabés en conservent une fierté. De Ouagadougou à Bobo Dioulasso, le sourire du capitaine se retrouve aujourd’hui sur des tee-shirts, des autocollants, des pagnes. Dans les esprits, Sankara reste vivant. Il a survécu à la « rectification », cette campagne initiée par Blaise Compaoré qui lui a succédé et dont le but était d’effacer toute trace de lui.

    « Nous voulions le venger »

    « Tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ! », avait prédit le leader révolutionnaire. « Thom’ Sank’ », comme on le surnomme, est revenu sur le devant de la scène à la faveur de l’insurrection de 2014 au Burkina Faso. Celle-ci est née d’un mouvement populaire destiné à rejeter la révision constitutionnelle qui aurait permis à Blaise Compaoré de se présenter pour un cinquième mandat après vingt-sept ans de règne. Les manifestants étaient alors animés par une forte volonté de dégagisme politique mais pas seulement. « L’esprit de Thomas Sankara était là, au milieu des cortèges, se souvient Eric Kinda, porte-parole du Balai citoyen, un mouvement issu de la société civile qui a joué un rôle décisif en 2014. Son nom revenait sans cesse dans nos débats et nos discussions. Il nous guidait, nous motivait. Si cette insurrection a abouti, c’est aussi parce que nous voulions le venger. »

    Blaise Compaoré, exilé en Côte d’Ivoire où il a acquis la nationalité ivoirienne, est le principal suspect dans l’assassinat de son ancien frère d’armes. Depuis sa chute, une enquête a été ouverte et vingt-trois personnes ont été inculpées, dont le général Gilbert Diendéré, homme de confiance de l’ex-président Compaoré. Il est poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’Etat, séquestration, terrorisme et crime contre l’humanité ». Deux mandats d’arrêt internationaux ont par ailleurs été émis à l’encontre de Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, pour « meurtre » et « complicité d’attentat ». Ce dernier est accusé d’être le chef du commando de six militaires qui a tué Sankara et douze de ses collaborateurs, le 15 octobre 1987 au Conseil de l’entente de Ouagadougou. Un procès doit se tenir en 2020, le Burkina Faso veut savoir.

    Si Thomas Sankara reste présent dans les esprits, c’est aussi parce que la situation sécuritaire de son pays s’est gravement détériorée. Depuis début 2015, les attaques attribuées à l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS), Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansaroul Islam et les conflits intercommunautaires ont fait quasiment 700 morts et 500 000 déplacés. Les Burkinabés regrettent l’époque où leur pays était sous la protection de ses Comités de défense de la révolution (CDR), chargés d’exercer le pouvoir au nom du peuple, même s’ils ont entraîné parfois des dérives et un climat oppressant au cours de l’année 1987.
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    Les idées sankaristes ont dépassé les frontières de l’ancienne Haute-Volta, rebaptisée par Sankara Burkina Faso, littéralement « pays des hommes intègres » en moré et en dioula, les deux principaux idiomes du pays. Figure de l’anti-impérialisme et farouche défenseur de la libération des peuples, Thomas Sankara est cité comme le président de référence de la jeunesse africaine, chanté sur des airs de reggae par les Ivoiriens Alpha Blondy et Tiken Jah Fakoly, cité dans les raps du Burkinabé Smockey ou du Sénégalais Didier Awadi, qui a même lancé un appel pour que l’idéologie sankariste soit enseignée dans toutes les écoles du continent. En France, il a aussi ses fans comme le rappeur Nekfeu qui, dans son titre Vinyle, promet : « J’peux devenir un homme en or comme Sankara. » Enfin, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), c’est une fresque de 33 mètres qui lui rend hommage sur le mur d’un immeuble de la cité Pierre-et-Marie-Curie.

    « Oser lutter, savoir vaincre »

    Le capitaine burkinabé est perçu comme le « Che Guevara africain », celui qui s’est dressé contre les injustices, celles des puissances occidentales et de leurs multinationales. A l’heure où un sentiment antifrançais se propage dans le Sahel, jusqu’à demander le retrait des militaires français de l’opération « Barkhane », ses discours anticolonialistes refont surface : « Un peuple conscient ne saurait confier la défense de sa patrie à un groupe d’hommes quelles que soient leurs compétences. Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur patrie. »

    Et ailleurs ? Dans un monde où du Chili au Liban et de la France à l’Irak, les citoyens dénoncent, souvent violemment, les collusions entre les élites économiques et politiques, on retient de Thomas Sankara l’image d’un président obsédé par la bonne gouvernance et l’exemplarité de son gouvernement. Celui qui préférait « faire un pas avec le peuple que 1 000 pas sans le peuple » a réduit drastiquement le train de vie de l’Etat pour construire des hôpitaux, des écoles, des puits, lancer des campagnes de vaccination… Aujourd’hui, son portrait apparaît régulièrement au cœur des manifestations. A Bordeaux comme à Dakar ou à Bamako, le capitaine surgit parfois avec son béret rouge orné d’une étoile. Ses slogans ont traversé les luttes : « Quand le peuple se met debout, l’impérialisme tremble », « Oser lutter, savoir vaincre », « Seule la lutte libère », « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple »…

    Abattu à 37 ans par des rafales de kalachnikov, « Thomas Sankara est devenu une icône, un mythe, assure Francis Simonis, maître de conférences « Histoire de l’Afrique » à l’université d’Aix-Marseille. Sa mort violente donne de lui une image quasiment christique qui a fait oublier certains aspects plus sombres de sa révolution. » Alors qu’il aurait eu 70 ans, Le Monde Afrique s’est intéressé à son côté visionnaire, lui le protecteur de l’environnement, le défenseur de l’émancipation des femmes, le promoteur de projets de développement… « On peut tuer un homme mais pas ses idées », disait Sankara. Trente-deux ans après sa mort, elles semblent plus vivantes que jamais.

    Sommaire de notre série « Thomas Sankara, l’immortel »

    Trente-deux ans après sa mort, le capitaine burkinabé est devenu la référence de la jeunesse africaine. Alors qu’il aurait eu 70 ans, Le Monde Afrique s’est intéressé à son côté visionnaire.
    Présentation de notre série « Thomas Sankara, l’immortel »

    Episode 1 L’homme intègre https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/01/thomas-sankara-l-homme-integre_6024544_3212.html

    Episode 2 Le patriote https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/02/thomas-sankara-le-patriote_6024631_3212.html

    Episode 3 L’écologiste https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/03/thomas-sankara-l-ecologiste_6024742_3212.html

    Episode 4 Le féministe

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/04/thomas-sankara-le-feministe_6024805_3212.html

    #Thomas_Sankara #Afrique #Intégrité