• Le nouveau système de retraite est un piège pour les syndicats (Romaric Godin, Mediapart, 13 janvier 2020)
    https://www.mediapart.fr/journal/france/130120/le-nouveau-systeme-de-retraite-est-un-piege-pour-les-syndicats?onglet=full

    Les syndicats, limités à la gestion du désastre

    (…) Mais cela va encore plus loin. Car le dernier piège se referme avec l’article 3 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2020 voté l’automne dernier. Cet article met fin au principe de la loi Veil de 1994 qui établissait la compensation de toutes les baisses de cotisations par l’État. Le gouvernement peut désormais, sans en aviser les partenaires sociaux, décider de réduire les cotisations sociales et choisir ou non de les compenser.

    Or, l’article 1 du projet de loi organique sur les retraites, s’il fixe le cadre financier par la règle d’or, ne donne aucune garantie sur les ressources. On ne rétablit pas le principe de la compensation. Si donc, comme c’est hautement probable, le gouvernement poursuit sa politique de compétitivité-coût par la baisse du coût du travail, le conseil d’administration du CNRU sera chargé d’ajuster le système par des mesures qui font payer les retraités ou les futurs retraités. Ce sera d’abord l’allongement de la durée du travail grâce à l’âge d’équilibre qui reste bien dans le projet de loi pour le système par points et imposera ainsi un système de bonus/malus. L’âge d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie (article 10).

    Ce sera ensuite la baisse du taux de remplacement des retraites par rapport au dernier salaire. De ce point de vue, le projet de loi en son article 9 offre certes une garantie en promettant une évolution positive des taux d’acquisition et de service (ou de conversion) des points acquis. Mais c’est en réalité une faible protection. D’ici à 2045, les deux taux seront compris entre l’inflation et le revenu moyen par tête. À partir de 2045, ils seront par défaut égaux au revenu moyen par tête. On assure que cette situation est meilleure que la revalorisation à l’inflation actuelle.

    Mais il existe trois réserves. D’abord, les retraites de l’ancien système continueront à être revalorisées au niveau de l’inflation, ce qui va concerner pendant longtemps une grande majorité des retraités (les premières pensions issues en partie du système par points arriveront en 2037). Ensuite, la revalorisation au salaire moyen est la règle en Allemagne et cela n’a pas empêché une forte chute du taux de remplacement des salaires et même une baisse de la moyenne des pensions versées pour deux raisons : l’éclatement du marché du travail et la modération salariale. Les réformes du marché du travail vont donc jouer contre les futurs retraités.

    Enfin, l’article 9 prévoit que le gouvernement aura finalement la main sur les taux d’acquisition et de service « en l’absence d’approbation » d’une délibération du CA de la nouvelle caisse de retraite universelle. Bref, l’État pourra, pour financer sa politique de compétitivité, réduire le taux de service du point.

    Autrement dit : le système de retraite qui sera en place dès 2022 sera un système géré par les coûts et uniquement par les coûts. C’est d’ailleurs le vrai intérêt du système par points dit à cotisations définies. Les cotisants ignorent absolument le montant de leurs pensions et le taux de remplacement jusqu’au moment de leur retraite. C’est donc ce critère qui sert de variable d’ajustement. Pour s’en convaincre, on rappellera que les régimes complémentaires par points existant en France ont vu leur taux de remplacement se réduire d’un tiers entre 1993 et 2018.

    Le système est centré sur l’équilibre financier et non sur le maintien du niveau de vie des retraités qui n’est pas évoqué dans le projet de loi. Et comme les syndicats n’auront aucune maîtrise, ni aucune garantie sur les ressources, ils ne seront que les gérants du désastre ou les accompagnateurs de l’ajustement du système par les retraités.

    Accepter un tel système revient donc purement et simplement à accepter cette logique : le maintien d’un coût du travail faible permettra de créer assez d’emplois et de richesses pour équilibrer le système sans baisser le niveau de vie des retraités. C’est donc un aveu de confiance dans la logique de la politique de l’offre et de la défiscalisation du capital comme politique économique. Cette confiance semble étrange. Les cas suédois et allemand montrent que les retraités ont fait les frais de cette logique avec l’explosion du risque de pauvreté chez les personnes âgées de ces deux pays. C’est pourtant le choix implicite de la CFDT.

    De ce point de vue, le gouvernement a remporté samedi 11 janvier une éclatante victoire. Car s’il a, pendant des mois, multiplié les concertations et chercher des compromis, ce n’est pas réellement par hésitation ou incertitude sur la réforme elle-même. Le projet de loi publié le 10 janvier reprend très largement les conclusions du rapport Delevoye dont les grands principes étaient en réalité prêts dès 2017.

    Cette recherche du compromis ne visait donc pas à modifier le projet, mais en réalité, à faire accepter une politique économique centrée sur la compétitivité externe et la protection du capital aux syndicats. Son modèle, c’était la concertation suédoise de 1991-1992 qui avait débouché sur le système qui a constitué l’inspiration de la réforme française. Cette concertation avait créé un large consensus, allant de la droite jusqu’aux syndicats, autour de la nécessité de la stabilité financière et de la préservation du coût du travail. Mais, malgré son adhésion au système par points, la CFDT ne pouvait accepter officiellement des mesures d’économies puisqu’elle défendait une réforme de « justice sociale ». C’était sa position en novembre dernier. Dès lors, elle rejetait effectivement une logique qui est celle de la gestion par les coûts. Avec la tragicomédie de « l’âge pivot », sa position a changé.

    En acceptant de discuter de mesures d’économies dans le cadre restrictif de l’équilibre financier sur cinq ans, d’une gouvernance encadrée et de la préservation du coût du travail, la confédération bascule ouvertement dans le consensus néolibéral. Jadis, le réformisme entendait contraindre le capitalisme à améliorer le sort des travailleurs. Il a aujourd’hui un autre sens : accepter de soumettre davantage les travailleurs à la loi du capital en espérant que ce dernier se montrera reconnaissant. Mais cette victoire du gouvernement pourrait n’être qu’une victoire à la Pyrrhus dans un pays qui n’est pas dupe des intentions de l’exécutif.