qui était Laurent-Barthélémy, retrouvé mort dans un avion à Roissy

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  • « Il imitait l’accent des Blancs, il se préparait pour là-bas » : qui était Laurent-Barthélémy, retrouvé mort dans un avion à Roissy, par Yassin Ciyow
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    Photographie du jeune Ivoirien Laurent-Barthélémy Ani Guibahi, 14 ans, sur l’avis de disparition diffusé par son lycée, à Abidjan, le 6 janvier 2020. SIA KAMBOU / AFP

    Le jeune Ivoirien, retrouvé mort le 8 janvier dans un logement de train d’atterrissage, préparait son départ depuis des semaines, probablement sous l’influence de passeurs.

    Une semaine jour pour jour après la rentrée des classes, l’heure était au recueillement dans la cour du lycée Simone Ehivet Gbagbo. Autour du drapeau ivoirien planté au milieu de la cour, une centaine d’élèves se sont réunis, lundi 13 janvier, pour écouter Adama Traoré, le proviseur de ce lycée public de la commune populaire de Yopougon, à Abidjan.

    C’est la gorge nouée que le responsable de l’établissement a prononcé l’éloge funèbre de l’un de ses élèves, Laurent-Barthélémy Ani Guibahi, retrouvé mort à l’aéroport de Roissy, le mercredi 8 janvier au matin, dans le train d’atterrissage d’un vol Air France assurant la liaison entre Abidjan et Paris. « Il est mort en faisant quelque chose qu’il ne faut jamais faire. Ne tentez pas ce genre d’aventures ! Le bonheur ne se trouve pas ailleurs, il se trouve ici », a conclu le responsable pédagogique sur un ton martial, avant de décréter un jour de deuil au sein de son établissement.

    Quelques jours après l’annonce officielle de la mort du jeune adolescent de 14 ans, vendredi, les équipes pédagogiques accusent encore le coup et se désolent de n’avoir rien vu venir : « Il semblait vraiment ordinaire : ni brillant à l’école, ni problématique sur le plan disciplinaire », affirme Ousmane Ba, adjoint au chef d’établissement. Des absences, les responsables de ce lycée municipal en traitent chaque semaine, mais il s’agit en général de petites fugues dont « la motivation est généralement sentimentale », précise M. Ba. Cette fois, la cause fut bien plus grave et constitue une première dans ce lycée d’une capacité de 3 500 élèves qui en accueille cette année pourtant près de 7 000. Elève de 4e, le jeune Laurent-Barthélémy suivait les cours aux côtés de ses 111 camarades de classe.

    Camarade poignardé
    Quand il n’était pas en cours à se battre pour une place sur un bout de banc, le jeune homme restait au domicile de son père, à une demi-heure à pied du lycée, dans un deux-pièces de moins de 15 m2, où il partageait chaque nuit son lit avec son demi-frère et sa demi-sœur, plus jeunes que lui, tandis que son père et sa concubine occupaient l’autre pièce.

    Originaire de Gagnoa, au centre de la Côte d’Ivoire, Ani Oulakolé Marius, le père de l’adolescent, est professeur particulier. Il donne des cours de mathématiques, de physique et de chimie à domicile, « quand il y a de la demande », tient-il à préciser pour expliquer ses faibles revenus. Assis sur une chaise en plastique abîmée dans son petit salon qui se transforme en chambre des enfants le soir, il admet sans détour que la famille vit « dans la misère ».

    Fier de son fils disparu, il commente ses bulletins de notes, religieusement compilés dans un petit classeur : « L’an dernier, à Gagnoa, il a terminé quatrième de sa classe, avec une moyenne de 14,5. Comme moi, il était très fort en sciences. » En 2018, convaincu d’avoir un « projet professionnel meilleur qu’à Abidjan », le père décide que toute la famille recomposée doit déménager à Gagnoa, sa ville natale, avant finalement de revenir sur sa décision et de rester à Abidjan.

    Trop tard pour le collégien : il est inscrit au Lycée moderne de Gagnoa et transféré dans la foulée chez son oncle. « Même s’il a aimé passer du temps avec mon frère là-bas, au bout d’un an, mon fils a voulu rentrer à mes côtés. Mais il est revenu un peu traumatisé », ajoute le père de famille.

    Et pour cause : lors des mouvements de grève qui ont paralysé la plupart des établissements estudiantins de Côte d’Ivoire en 2019, laissant craindre à beaucoup une année blanche, Laurent-Barthélémy a vu l’un de ses amis se faire poignarder. « Après cet événement, il ne parlait plus beaucoup, ça l’a vraiment affecté et il disait avoir réalisé à quel point c’était dangereux d’être élève dans ce pays », explique Marc-Grého de Vilermoze, son demi-frère issu d’un premier mariage du père, âgé de 28 ans et technicien en système de sécurité incendie à Abidjan.

    « Ils lui ont pourri la tête »
    En septembre 2019, après un an à Gagnoa, le jeune natif de Yopougon retrouve son quartier. Mais, selon ses proches, il était devenu différent. « Il avait 14,5 de moyenne l’an dernier à Gagnoa, puis 9 ici à Yopougon juste avant les fêtes, observe son grand frère, avant d’ajouter : « Il s’était désintéressé des cours, avait la tête ailleurs. »

    Ailleurs, mais où ? Les avis divergent entre les proches et l’équipe pédagogique. Pour le proviseur du lycée, rien d’anormal : « On parle d’un adolescent, c’est une période sensible où l’on commence à s’affirmer, il était en train de changer. » Autre son de cloche du côté du grand frère : « Quelqu’un l’a manipulé, il passait beaucoup de temps au cybercafé, il a dû tomber sur des passeurs qui lui ont pourri la tête et donné des instructions. »

    Ses camarades de classe confirment d’ailleurs que Laurent-Barthélémy, au tempérament si réservé et généralement assidu, séchait régulièrement les cours depuis novembre pour se rendre au cyber. Selon sa belle-mère, qui a discuté avec lui la veille de sa disparition, il y était encore le dimanche « pendant quelques heures », « peut-être pour prendre les dernières instructions », avance son grand frère, très remonté et déterminé à ce que « la vérité émerge ».

    Une seule certitude, son départ était prémédité. Un sac de voyage contenant plusieurs tenues, dont une « plutôt chic » d’après son père, a été retrouvé sur le tarmac de l’aéroport d’Abidjan. Ce sac, c’était celui de son fils. Selon Séraphin, l’un des copains de quartier de l’adolescent, « peu surpris par l’aventure » de son ami, Laurent-Barthélémy avait pris l’habitude en fin d’année dernière « d’imiter l’accent des Blancs quand il parlait français. Il se préparait pour là-bas, c’est sûr ».

    Après l’allocution sous forme de mise en garde du proviseur et avant de se disperser dans la cour du lycée Simone Ehivet Gbagbo, un élève pointe du doigt les murs décatis et les bancs de l’établissement rongés par le temps, et déclare ironiquement en regardant ses amis : « C’est vrai que le bonheur se trouve ici, il n’aurait pas dû partir. »

    #mort_aux_frontières