Erreur 404

/2020

  • Le RN, « héritier de Pétain » : Macron recadre Borne en Conseil des ministres
    https://www.leparisien.fr/politique/le-rn-heritier-de-petain-macron-recadre-borne-en-conseil-des-ministres-30

    « Il lui a mis un scud », lance un membre du gouvernement, en sortant ce mardi midi du Conseil des ministres. Deux jours après les propos d’Élisabeth Borne sur Radio J, quand elle a parlé du Rassemblement national comme d’une « idéologie dangereuse », allant jusqu’à qualifier le parti de Marine Le Pen d’un « héritier de Pétain », Emmanuel Macron a indirectement fait la leçon à sa Première ministre devant les siens. Une mise au point pour rappeler ce que doit être, selon lui, la bonne stratégie pour cogner contre sa principale rivale à la dernière présidentielle, à savoir l’attaquer « par le concret », le « réel », et non pas en utilisant des « mots des années 90 qui ne fonctionnent plus ». Selon un participant, la Première ministre n’a pas réagi.

    […]

    Ce recadrage en plein Conseil des ministres est plus globalement intervenu au moment de commenter les résultats des dernières législatives en Espagne, où l’extrême droite est devenue la troisième force politique du pays. Et Macron de poursuivre son allusion aux propos de Borne, sans jamais en faire distinctement référence, pour reprocher les « postures morales » qui ne prennent plus dans l’opinion : « Le combat contre l’extrême droite ne passe plus par des arguments moraux. On n’arrivera pas à faire croire à des millions de Français qui ont voté pour elle que ce sont des fascistes. »

    • En terme de changement des mentalités, il est plutôt factuellement vrai qu’on arrivera jamais à faire changer l’avis de millions gens en disant « t’es un fasciste bouuuh spas bien, vazy change ». Le principe du « faire honte » ça marchait peut-être quand ils étaient vraiment minoritaires (et encore, est-ce que ça a vraiment marché ? les postures morales de SOS racisme etc des années 80 ça n’a jamais servi non plus) mais maintenant que c’est un si gros paquet, ça peut juste rien faire… surtout quand dans le même temps 90% des autres politiques proposent et font la même chose…

      Comment tu changes un pays où t’as un tiers ou plus des gens qui sont fascistes ?

      Évidemment comme souvent Macron dit un mot vrai pour en vomir du faux, puisque son concret c’est de faire littéralement des actions autoritaires (violence, surveillance, anti démocratisme, etc), alors qu’avec le même constat on pourrait dire qu’il faut faire des actions plus démocratiques, plus d’égalité, plus de solidarité, etc, une vie meilleure, aboutissant à moins de fachos mais ça ça prend des années à changer et voir le résultat…

    • @Nolwenn_Guellec
      https://twitter.com/Nolwenn_Guellec/status/1663551488277483520

      Macron ne peut pas ignorer l’histoire familiale d’Élisabeth Borne.
      « Recadrer » la fille d’un survivant d’Auschwitz sur la façon dont il convient de parler des complices de ceux qui voulaient l’exterminer.
      Ce type est vraiment immonde.
      Et en plus il me fait éprouver une immense sympathie pour Élisabeth Borne ça je peux pas le pardonner.
      Enfin après je comprends pas qu’elle lui ai pas immédiatement envoyé une lettre de démission dans la gueule (peut être c’est pour ça que je serai jamais ministre aussi)

      edit l’histoire est un mot des années 90

    • @rastapopoulos Je ne suis pas tout à fait d’accord. Certes ce que tu décris, c’est ce qu’ont fait les gouvernements jusqu’à présent : d’un côté jouer le jugement moral contre l’extrême-droite, et de l’autre, de manière généralement extrêmement violente et anti-démocratique, imposer la destruction des solidarités, protections sociales, services publics, etc., ce qui évidemment fait monter l’extrême-droite. Évidemment que ça ne peut pas fonctionner.

      En revanche, ça ne veut pas dire que la carte morale est une mauvaise chose en soi. Borne a bien le droit de rappeler que l’extrême-droite actuelle s’inscrit dans la lignée politique de l’extrême-droite d’antan, je ne vois pas ce que ça a de faux, ni de particulièrement contre-productif. Que ce ne soit pas « efficace » en soi, certainement, mais d’où ça lui vaut un « skud » du président ?

      Sauf à faire le calcul qu’il va sauver son quinquennat grâce à l’union avec l’extrême-droite qui va de Ciotti à Le Pen, et donc faudrait voir à pas trop insulter ses alliés de fait ? Perso c’est ça que je lis ici : pas que Borne a raison ou tord (si ces gens avaient la moindre dignité, ils ne seraient pas dans ce gouvernement, n’y seraient pas entrés, et à tout le moins auraient balancé leur démission depuis belle lurette), mais qu’elle se fait « recadrer » pour avoir dit une banalité sur le Front national. Et que cette simple banalité, qui plus est énoncée sur la première radio juive du pays, c’est encore too much…

    • Sinon, croire qu’il n’y a pas non plus un glissement moral, et que c’est juste l’économie-stupid (« le réel »), c’est un demi-mensonge.

      Certains publics ne votaient pas facho : les catholiques ne votaient pas facho, les classes aisées ne votaient pas facho, les gays ne votaient pas facho, les juifs ne votaient pas facho. Maintenant si. Donc il y a bien un glissement moral qui s’opère, « une digue qui lâche », c’est visible dans ces cas-là, parce que la seule économie n’explique pas le basculement. Et je pense que c’est le cas ailleurs. On peut regretter le cantonnement à la moraline, mais d’un autre côté on a des phénomènes de glissement moral à l’œuvre qu’on ne peut pas occulter.

      Par ailleurs, on sait que l’extrême-droite mène des culture-wars en permanence, et on passe notre temps à constater qu’elle arrive à imposer ses thèmes et à envahir l’espace médiatique et pseudo-intellectuel. Alors nier l’importance du discours et prétendre que c’est juste un problème de « réel », ça n’est pas cohérent.

    • Bah c’est très conjoncturel, suivant l’ordre dominant (ou qui s’approche de dominer) à chaque époque. Lors de la montée des fascismes, aussi bien en Italie qu’en Allemagne qu’ensuite en France, les cathos (riches) ou le « bloc bourgeois » ont massivement pris fait et cause pour les fachos, tout de même. Donc « ça dépend ». Et du coup la morale va (un peu souvent) de pair avec se retrouver dans le camp qui domine ou qui en est pas trop loin, et donc au final un choix pas si « intellectuel » que ça, mais bien du matériel derrière. :)

    • Au RN « certains y voient une forme d’aboutissement de la stratégie de dédiabolisation. »
      https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-elisabeth-borne/propos-d-elisabeth-borne-sur-le-rn-le-recadrage-d-emmanuel-macron-divis

      Guillaume Kasbarian [ :] "Les gens aujourd’hui attendent non pas des rappels historiques, mais appellent un combat d’idées, un combat idéologique et un combat sur les propositions concrètes, affirme le député Renaissance. Et concrètement, ils attendent qu’on leur dise en quoi les propositions du RN ne sont pas bonnes et en quoi les nôtres sont meilleures."

      "Je suis ravi de voir qu’Emmanuel Macron a enfin compris qu’il fallait parler des vraies idées", se félicite le député RN de l’Eure Kévin Mauvieux."Que tout le monde se mette au travail pour les Français et qu’on mette fin aux task forces anti-RN qui, au lieu de travailler pour les Français, travaillent pour la politique", poursuit-il.

      edit la proposition de renforcer le contrôle des dépenses de santé et des allocs parmi les étrangers et la décision d’embaucher pour ce faire 1000 agents de contrôle permet à ceux qui ne sont rien de l’oublier un peu en constatant que cette fois (encore) les moins que rien vont trinquer. (pour ce qui est de la gauche, comme pour AdamaTraoré, les Ruffins auront foot)

      #français_d'abord #racisme

    • Sous pression de LR, Macron achève sa clarification par la droite
      https://www.mediapart.fr/journal/politique/300523/sous-pression-de-lr-macron-acheve-sa-clarification-par-la-droite

      Déterminé à faire passer sa loi sur l’immigration, Gérald Darmanin veut durcir son texte pour convaincre la droite d’opposition. Entre son ministre de l’intérieur et sa première ministre, réticente à cette idée, le président de la République doit désormais faire un choix qui dira beaucoup de la suite du quinquennat.

      pour devenir « majoritaires », espérer survivre aux 4 ans qui leur reste, sur le papier, ils n’ont de choix que sur les méthodes à employer. le « scud » contre Borne qui allie la falsification historique à l’atteinte existentielle (elle est la fille d’un juif résistant survivant des camps nazis) montre que rien ne sera trop trash à leurs yeux.

      edit on se zemmourise d’autant plus opportunément que la candidature d’icelui a montré qu’il était enfin possible pour des bourgeois de voter fasciste (cf. les scores Paris VIIe, VIIIe, XVIe), ce que ni le FN ni le RN ne leur avait permis

      #droitisation

    • Sinon encore, l’idée selon laquelle on aurait eu constamment un discours moralisateur anti-Le Pen, et que ça aurait échoué, ça revient à oublier que tous les partis politiques de gouvernement se sont alignés sur les saloperies du FN (tout en proclamant l’étanchéité d’avec ses idées). À gauche on a une belle ligne droite de Chevènement à Valls, à droite du Bruit et l’odeur, Marie-France Garaud, Pasqua-Pandraud à Darmanin en passant par la racaille sarkozyste, les bonnes questions mais les mauvaises réponses, le printemps républicain, Charlie, Fourest, Finkie, Houellebecq… Alors les gentils jeunes des années 80 qui emmerdaient le Front national, c’est assez injuste de leur imputer le fait que leurs discours anti-FN c’est pas un échec mais ça n’a pas marché, alors que l’ensemble des partis de gouvernement sont allés à la soupe raciste et qu’on mangeait de la merde anxiogène tous les midi à 13 heures et tous les soirs à 20 heures.

    • Tu mélanges plusieurs époques il me semble, car à ce moment là des années 80, Touche pas à mon pote, SOS Racisme e tutti, c’était massivement une réponse organisée/impulsée par la gauche politicienne, par l’équipe Jack Lang, etc, à la suite (contre) la marche pour l’égalité et contre le racisme qui l’était par les dominés (83). C’est multi-documenté à la fois côté militants (plusieurs référence sur seenthis), et par les historiens, universitaires (un chapitre entier sur ça dans François Cusset, La décennie, Le grand cauchemar des années 80, je suis en plein dedans).

      Tout ce que tu décris c’est la suite, la montée en parallèle du FN et des autres politiques qui les suivent à chaque fois, dans les années 90 puis 2000. Mais la « création » de la posture seulement morale (péjorativement) et « apolitique », c’est bien les années 80. Et ça n’a strictement en rien endigué la montée des fachos. Notamment, en bonne partie, sans même encore copier le FN, mais parce que ce même gouvernement qui a poussé cette moraline est celui a détruit les rêves d’égalité et de vie meilleure pile au même moment (ceci expliquant cela), et donc une immense partie des prolos voulaient plus entendre parler de la gauche, et que tout ce qu’elle disait et dirait ensuite c’était un mirage. Forcément ça augmente grandement la probabilité de montée du FN dans les catégories pauvres et classes moyennes dans les années qui suivent. Avant Chirac, avant Pasqua, avant Sarko, etc.

    • Touche-pas-mon-pote, c’est juin 1985. Pasqua-Pandraud c’est mars 1986, Malik Oussekine c’est décembre 1986, la grotte d’Ouvéa c’est 1988, le Bruit et l’odeur 1991. On n’a pas attendu les années 90 et la montée du FN pour jouer la carte du gros racistes couillu et fier de l’être. Encore une fois, je suis assez d’accord sur le fait que se contenter d’un discours moraliste tout en faisant une politique de destruction des solidarités, c’est un élément important.

      Mais dans le même temps, on ne peut pas prétendre qu’il y aurait réellement eu une période avec un discours moraliste anti-faf omniprésent (et que donc « ça ne marche pas ») : le discours dominant dans les médias et en politique, en dehors d’une très courte période (je sais pas : 84-86 ? quand la gôche c’est Michel Berger, France Gall et Balavoine…), c’est largement la reprise des thèmes de l’extrême-droite, d’abord par la droite traditionnelle, et assez rapidement par la gauche de gouvernement. De ce que je m’en souviens, c’est en continu et sans interruption depuis 1986.

    • création des CRA, 1983 ; instauration du RMI avec une durée de séjour légal antérieur de 2 ans comme condition d’accès (le PS avait prévu 3 ans), 1988.
      la raréfaction des cartes de séjour de 10 ans qui avait été longue à être attribué l’argement, je ne me souviens plus quand ça a commencé mais c’est les années 80 (va te faire renouveler du 1 an, et tombe dans un trou si pas les bonnes conditions), ce qui était une remise en cause des droit et de la légitimité à être là, et à circuler, des étrangers tout à fait perceptible.

      par ailleurs SOS race fournissant la (fausse) démonstration que l’organisation autonome des premiers concernés ne paye pas, le réflexe de s’en remettre à des chefs (Tontoooon ! le RN) des grands personnages, des orgas qui vont gérer a été martelée en même temps que la centralité de l’entreprise dans la vie sociale (merci PS). une fois bien déboussolé, on s’accroche aux bouées que l’on trouve. et si le RN était un parti de contremaîtres et de petits coms, il a pu surfer sur la désindustrialisation (sans salaire) pour gagner des voix parmi ceux à qui on a assuré que c’est plus bas (coloré et étranger) qu’eux que les coups les plus violents étaient justifiés.

      la gauche chauvine (OCI, d’où venait une bonne part de la couche dirigeante sociliste ; PCF : après le « produisons français » des ’70, bulldozer de Vitry, « chasse aux dealers » et à leurs familles dans les municipalités) n’est pas pour rien dans le succès d’une gauche morale qui avait d’ailleurs dénoncé dès 1983 les grévistes arabes de l’automobile comme sabotant la production nationale.

      outre l’aspect pulsionnel (...) la droitisation/fascisation de masse, ou la tolérance pour ses thèmes, rappelle ces cochons qui deviennent cannibales une fois enfermés sans espace de vie.

    • "Sébastien Chenu (RN) n’est pas un bon mais un très bon vice-président de l’Assemblée.", Yaël Braun-Pivet

      Marine Le Pen est « trop molle », Gérald Darmanin

      MLP a été « plus républicaine » que d’autres, Olivier Dussopt

      Devant les députés LRM, Macron invoque Maurras pour parler du régalien

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/12/devant-les-deputes-lrm-macron-invoque-maurras-pour-parler-du-regalien_602929

      En septembre 2019, Emmanuel Macron réclamait aux députés de sa majorité de « regarder en face » le sujet de l’#immigration. Mardi 11 février, il leur a demandé d’ajouter à leur panier les sujets de l’#insécurité et du « séparatisme ». Des questions que l’Elysée estime prioritaires afin que le chef de l’Etat ne se retrouve pas submergé par le Rassemblement national (#RN) en 2022. Pour convaincre ses troupes de l’urgence, le président de la République a usé d’une rhétorique pour le moins surprenante de la part du héraut revendiqué du progressisme.

      « Le problème qu’on a politiquement, c’est qu’on a pu donner le sentiment à nos concitoyens qu’il y avait un pays légal et un pays réel, et que, nous, on savait s’occuper du pays légal – moi le premier –, et que le pays réel ne bougeait pas. Sur le sujet de la sécurité, en [sic] premier chef, il faut faire bouger le pays réel, a estimé Emmanuel Macron devant les députés de sa majorité, réunis à l’Elysée. L’insécurité, c’est le sentiment d’insécurité. Il faut y aller, s’investir sur le terrain, faire bouger les choses, faire aboutir ce Livre blanc [sur lequel travaille le ministère de l’intérieur]. Après, sur certains points, il faut faire bouger le droit. Sur le sujet immigration, sécurité du quotidien, lutte contre les séparatismes, je souhaite qu’on puisse [les] réinvestir, avec des initiatives parlementaires et avec une stratégie d’ensemble. »

      « Plan de reconquête républicaine »

      Charles Maurras, penseur nationaliste et dirigeant de l’Action française, avait théorisé durant la première moitié du XXe siècle cette distinction entre « pays légal » et « pays réel ». Une manière d’opposer des élites nécessairement déconnectées à un peuple en prise avec le « réel ». Aujourd’hui encore, cette notion de « pays réel » est régulièrement convoquée à l’extrême droite. En reprenant à son compte ce vocable, Emmanuel Macron entend montrer qu’il serait à l’écoute des catégories populaires – en partie séduites par le RN –, contrairement à l’image qui lui est accolée depuis le début du quinquennat. En septembre 2019, M. Macron avait utilisé le même argument pour justifier sa volonté de se saisir du sujet migratoire. « Les bourgeois n’ont pas de problème avec ce phénomène parce qu’ils ne les croisent pas. Les classes populaires vivent avec ça », avait-il justifié devant les parlementaires de la majorité.

      « Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent », E.M. , Juin 2017

    • Malaise au sommet de l’Etat face à l’héritage historique du Rassemblement national

      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/01/malaise-au-sommet-de-l-etat-face-a-l-heritage-historique-du-rassemblement-na

      [...]

      Lors d’un « colloque » commémorant les 50 ans du parti de la préférence nationale, en octobre 2022, le RN avait distribué un fascicule rappelant que « des profils très différents [avaient] pris part » au mouvement. On y lisait le nom de résistants aux rôles mineurs dans l’histoire de l’ex-FN. Le favori des cadres du RN demeure Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance à la suite de Jean Moulin, et présenté comme un membre fondateur. Dans les faits, rappelle Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, « Georges Bidault ne va même pas jusqu’au bout du processus de création du parti. C’est un ancien résistant, qui est là car partisan de l’Algérie française, mais il ne reste pas. C’est celui qui est passé dix minutes chez vous et que vous présentez plus tard comme votre meilleur ami. »

      A l’inverse, les historiens spécialistes du FN sont unanimes quant au rôle décisif joué par d’anciens collaborationnistes dans la création du parti, ainsi que sur la filiation idéologique avec le régime de Vichy. Selon Laurent Joly, historien spécialiste de la période vichyste et de l’extrême droite, Elisabeth Borne a raison au plan historique, puisque « Marine Le Pen est l’héritière d’un mouvement politique fondé par un ancien pétainiste militant » – étudiant, Jean-Marie Le Pen distribuait le premier journal pétainiste de l’après-guerre, puis dirigeait la campagne néopétainiste de Jacques Isorni, avocat de l’ancien chef du régime de Vichy, élu à Paris.

      En 1972, l’ancien milicien François Brigneau est pressenti pour prendre la présidence du tout nouveau Front national. La déclaration d’intention du parti, qu’il rédige, « contient quatre points, rappelle M. Lebourg : travail, école, famille et nation. L’inspiration est claire. » Pierre Bousquet, qui en a déposé les statuts, avait intégré la Waffen-SS en 1943, au sein de la division Charlemagne. Quant à Pierre Gérard, qui fut durant la guerre directeur de l’aryanisation économique au Commissariat général aux questions juives, il fut secrétaire général du FN et maître d’œuvre de son programme économique libéral en 1984. « Toutes ces figures sont mortes », évacue l’un des conseillers du chef de l’Etat.
      Mortes, mais jamais reniées. « Nous n’avons pas à rougir de notre histoire », répétait encore Marine Le Pen en octobre 2022, à l’occasion des 50 ans de son parti. A l’époque, dit-elle, le FN est « le point de ralliement de tous ceux qui ont la France au cœur ». Poursuivant par là la constante exprimée par son père : peu importe le comportement durant la guerre, pourvu qu’il ait répondu à une forme de nationalisme. « Depuis l’affaire Dreyfus, deux lignes coexistent dans le nationalisme français : une ligne populiste dont Marine Le Pen est l’héritière et une ligne doctrinaire reprise par Eric Zemmour, rappelle Laurent Joly. D’un côté, les Déroulède et La Rocque ; de l’autre, les Drumont, Maurras, Bruno Mégret ou Marion Maréchal. »
      L’idéologie du « marinisme » s’éloigne de l’héritage pétainiste et creuse le sillon populiste en évacuant les scories antisémites et négationnistes. Sans jamais, pour autant, rompre le fil reliant son parti à certains fidèles ayant pu tenir des propos révisionnistes ou s’amuser de références au IIIe Reich. Sans jamais non plus rompre avec le récit tenu sous de Gaulle et Mitterrand d’une irresponsabilité de la France dans les crimes commis sous l’Occupation – « Je considère que la France était à Londres en 1940 aux côtés du général de Gaulle », a encore répété Jordan Bardella sur RTL.
      Marine Le Pen refuse encore d’imiter Jacques Chirac et ses successeurs en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans la rafle du Vél’ d’Hiv. En 2017, lorsqu’elle avait rappelé qu’à son sens, « la France n’était pas responsable du Vél’ d’Hiv », Emmanuel Macron avait sauté sur l’occasion à quelques jours du scrutin présidentiel : « D’aucuns avaient oublié que Marine Le Pen est la fille de Jean-Marie Le Pen. »

      Désormais, le chef de l’Etat se veut « en surplomb, président de tous les Français, qui pense pouvoir réintégrer Pétain dans la mémoire nationale », analysent d’anciens proches passés par l’Elysée. L’épisode en évoque un autre : en novembre 2018, le chef de l’Etat avait accepté de rendre hommage aux huit maréchaux de la guerre de 1914-18, dont Philippe Pétain, avant de se rétracter. « Le maréchal Pétain a été (…) un grand soldat », avait-il déclaré, à Charleville-Mézières (Ardennes), provoquant un vif émoi. Une manière, selon son entourage, de garder le contact avec une partie du pays tentée par le vote Le Pen.
      L’historien Laurent Joly souligne un « décalage avec la réalité : l’idée selon laquelle il faut lutter contre le FN non pas sur la morale mais seulement sur la crédibilité, programme contre programme, est un argument vieux de quarante ans. Cette méthode a-t-elle fonctionné sous Macron ? Jamais l’extrême droite n’a été aussi haute qu’à la présidentielle de 2022. »

      « Cette manière de recadrer Elisabeth Borne, volontaire ou non, n’a que des inconvénients, y compris pour Emmanuel Macron »
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/01/cette-maniere-de-recadrer-elisabeth-borne-volontaire-ou-non-n-a-que-des-inco

      [...] A un visiteur, qui lui demandait un jour s’il redoutait de voir arriver Marine Le Pen au pouvoir, le président avait répondu ceci : « Moi, je l’ai battue deux fois. Aux autres de la battre aussi. » Ce visiteur était reparti le cœur troublé, avec le sentiment diffus que M. Macron – qui a mis en scène depuis six ans son affrontement avec le RN, meilleur moyen de conserver le pouvoir – s’en lavait désormais les mains.

      La lutte contre le RN ne peut pas être banalisée
      ÉDITORIAL
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/01/la-lutte-contre-le-rn-ne-peut-pas-etre-banalisee_6175689_3232.html

      Si Emmanuel Macron a quelque légitimité à dire qu’il faut combattre le Rassemblement national par « le fond » et « le concret », Elisabeth Borne est tout aussi fondée à rappeler que le parti d’extrême droite est porteur d’une « idéologie dangereuse ». Adepte du « en même temps », le chef de l’Etat aurait été bien inspiré, sur ce sujet, d’y rester fidèle.

    • plaidoyer pour les « bons sentiments
      https://lmsi.net/Plaidoyer-pour-les-bons-sentiments

      De la vient aussi l’aberrante opposition entre « gauche morale » et « gauche sociale », qui a émergé à la fin des années 1990, alors que se développaient d’importantes mobilisations de sans-papiers, à la suite de l’épisode « Saint-Bernard ». Les principaux partis de gouvernement, secondés par toute l’éditocratie, de gauche comme de droite, serraient alors les rangs derrière des ministres de l’Intérieur qui se nommaient Jean-Louis Debré puis Jean-Pierre Chevènement, en dénonçant « l’angélisme » des militants qui soutenaient les sans-papiers [5]. Une tribune favorable aux lois Chevènement, publiée par Libération en octobre 1997 et signée notamment Alain Finkielkraut, Danièle Sallenave, Pierre-André Taguieff et Emmanuel Todd, donnait le ton en enchaînant, en lieu et place d’une argumentation en positif sur le « réalisme » et la « responsabilité » desdites lois, un flot de punchlines plus acerbes les unes que les autres contre le « pieux rituel des lamentations indignées », l’« irénisme moral » des sans-papiers et de leurs soutiens, leur « auto-complaisance dans la bonne conscience et la bien-pensance », leur « indignation morale plus ou moins théâtralisée », leur « déni de réalité » bien entendu, leur « fuite en avant dans des exigences irréalisables », bref : une politique « fondée sur les élans du cœur ».

      Le summum de l’absurde fut atteint lorsque, dans toute la presse mainstream, on décida de résumer le contentieux, en toute « objectivité », comme un conflit entre une « gauche morale », soutenant les sans-papiers au nom de bons sentiments, et une « gauche sociale », plus raisonnable, soutenant le gouvernement. Par la magie des mots, la lutte sociale menée par ces précaires parmi les précaires que sont les sans-papiers perdait toute dignité « politique » et toute épaisseur « sociale », tandis que, de son côté, la soumission cynique aux « attentes » des franges les plus racistes et xénophobes de l’électorat devenait la marque d’une intelligence politique aiguisée (dont on peut mesurer aujourd’hui les bienfaits, en termes notamment de lutte contre l’extrême droite), mais aussi et surtout d’une authentique « fibre sociale ». Que ladite « gauche sociale » fut celle qui, au pouvoir durant les années 1980 et 1990, avait mené une politique économique libérale et laissé les inégalités se creuser, et que ses tenants soient pour l’essentiel les mêmes qui avaient un an auparavant soutenu le Plan Juppé démantelant le système des retraites et la sécurité sociale, voilà qui importait peu : il suffisait alors, pour être « social », de ne pas signer la pétition initiée par des cinéastes en février 1997, de ne pas manifester, bref : de ne pas soutenir les sans-papiers [6].

      C’est pour ma part depuis ce jour que la formulation « antiracisme politique » versus « antiracisme moral » me parait problématique, ou en tout cas inappropriée. D’abord parce que l’antiracisme superficiel et tendancieux de nos gouvernants n’est en réalité pas plus « moral » qu’il n’est « politique », et que c’est faire trop d’honneur à ces gouvernants que de leur concéder une perspective « morale » qu’ils ne revendiquent même plus, ou plus tellement. Ensuite parce qu’on contribue, en associant la notion de morale à des politiques odieuses, à disqualifier une dimension de l’existence humaine qui n’a pas à l’être. Enfin parce qu’on efface du même coup le caractère indissociablement moral, social et politique de notre antiracisme, celui qu’on est amené à opposer à ces gouvernants : moral, donc impliqué dans le réel social et soucieux d’égalité sociale, et donc engagé dans des luttes politiques.

  • Les ciotti, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait

    https://www.youtube.com/watch?v=qXCh984CQZw

    Le figaro : Assemblée nationale : Éric Ciotti veut rendre obligatoire le port de la cravate pour les députés
    https://www.lefigaro.fr/politique/assemblee-nationale-eric-ciotti-veut-rendre-obligatoire-le-port-de-la-crava

    Le député Eric Ciotti visé par une enquête pour « détournement de fonds publics »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/27/le-depute-eric-ciotti-vise-par-une-enquete-pour-detournement-de-fonds-public

    Le député (Les Républicains, LR) des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, est visé par une enquête du parquet de Nice pour « détournement de fonds publics », à la suite du signalement déposé par la branche locale de l’association Anticor, en septembre 2019. . . . . .

  • Ça fait des mois que j’en suis convaincu, et je l’ai enfin entendu ce matin évoqué à la radio : le fondement des mensonges de Blanquer, et le tabou absolu qu’est devenue l’école pour le gouvernement, c’est pour une raison et une seule : à la moindre concession de sa part désormais, c’est sa responsabilité pénale qui sera engagée.

    Donc ça va continuer à mentir et à assumer un « choix » aberrant et mortel. Non les scientifiques n’ont jamais été clairs sur le fait que les écoles avaient un rôle dans la transmission du virus, non personne ne nous a dit le contraire… non les capteurs de CO2 dans les classes ne servent à rien… non personne n’a jamais établi que l’aérosolisation était le principal mode de transmission… puis une fois que tout le monde admet que les écoles sont importantes dans la transmission, prétendre qu’on continue à les laisser ouverte uniquement pour le bien-être des enfants…

    On l’a déjà eu en décembre : il y a eu la proposition de prolonger les vacances. Non, ce serait reconnaître que l’école joue un rôle, et donc si on laisse les écoles ouvertes on devient pénalement responsable de la mort des gens. (Ils ont d’ailleurs ressenti immédiatement le risque : en « autorisant » les enfants à manquer la classe la dernière semaine, ils ont laissé apparaître qu’ils avaient conscience que les enfants pouvaient attraper le virus à l’école et provoquer la morts des grands-parents la semaine suivante – risque médiatique gérable, mais implication juridique immédiate). Puis aux vacances d’hiver : beaucoup de propositions de fusionner les 3 zones pour imposer des « vacances » de quatre semaines, sans avoir à reconnaître qu’on « ferme » les écoles. Non, ça non plus. Et hier Véran a réaffirmé que le gouvernement ne fermerait les écoles qu’en dernier recours.

    On a déjà eu ça avec les masques. Absolument tout le monde a bien conscience que le gouvernement a menti sur les masques et a prétendu qu’ils n’étaient pas utiles, pour l’unique raison qu’ils n’avaient pas renouvelé les stocks. Mais à aucun moment un responsable ne peut le dire explicitement (on va continuer à dire que la science a progressé depuis, et qu’on sait maintenant ce qu’on ignorait à l’époque…), sinon immédiatement c’est le pénal pour toute la bande.

    Et de la même façon, toute déclaration ou décision qui laisserait accroire que le gouvernement sait que les écoles sont des moteurs de l’épidémie et a sciemment décidé de faire autrement, implique que chaque responsable devient illico personnellement responsables au pénal. L’affaire du sang contaminé, avec encore plus de morts.

    Les conséquences politiques, ils s’en contrefoutent, évidemment. Mais des poursuites pénales qui te poursuivent à titre personnel pendant 20 ans, ça c’est vraiment embêtant.

  • Je cherchais la première accusation, prononcée par #Macron, du monde universitaire français de séparer/casser la République...

    La voilà, c’était juin 2020 :

    « Le monde universitaire a été #coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la #question_sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à #casser_la_République_en_deux », estime en privé le chef de l’Etat, qui souligne notamment les ambivalences des discours racisés ou sur l’#intersectionnalité.

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430

    L’article complet :

    Après le déconfinement, l’Elysée craint un vent de révolte : « Il ne faut pas perdre la jeunesse »

    Pour Emmanuel Macron, le confinement a été pénalisant avant tout pour les jeunes et pourrait, si l’on n’y prend garde, déboucher sur un « conflit de générations ».

    Jusqu’ici silencieux sur le mouvement de protestation contre les violences policières et le racisme, Emmanuel Macron devrait pour la première fois s’exprimer sur le sujet dimanche 14 juin, lors de son allocution depuis l’Elysée. L’occasion pour le chef de l’Etat d’apparaître en père de la nation, alors que les manifestations se multiplient et que certains craignent des débordements lors du rassemblement qui doit se tenir samedi 13 juin, à Paris, à l’appel de la famille d’Adama Traoré. « Le président va montrer qu’il est le président de tous les Français, qu’il considère et protège tous les enfants de la République », estime un proche soutien.

    Au sein de l’exécutif, on ne cache plus la crainte de voir se lever un vent de révolte au sein de la jeunesse. Si les Etats-Unis ne sont pas la France, l’affaire George Floyd sert de vecteur au mal-être de la partie la plus jeune de la population, estime-t-on à l’Elysée.

    « On a fait vivre à la jeunesse quelque chose de terrible à travers le confinement : on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. Il est normal qu’ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idéal, un universalisme », répète M. Macron à ses interlocuteurs.

    La maxime du dentifrice

    Pour le chef de l’Etat, le confinement a été pénalisant avant tout pour les jeunes, alors qu’il a d’abord été décidé pour protéger les plus âgés, davantage exposés au coronavirus. Un paradoxe qui, si l’on n’y prend garde, pourrait déboucher sur un « conflit de générations », craint Emmanuel Macron.

    Le président partage les analyses de ceux qui estiment que la génération de Mai 68 est responsable d’un certain nombre de maux du pays mais aussi du monde, notamment en matière d’écologie. « Il ne faut pas perdre la jeunesse », résume-t-on au sommet de l’Etat, où l’on répète à l’envi la maxime du dentifrice, qui veut qu’une fois les lycéens ou les étudiants sortis dans la rue, il est difficile de les faire rentrer chez eux.

    Le risque est d’autant plus grand pour la République que la menace sécessionniste est réelle au sein du pays, affirme-t-on au sein de l’exécutif. Pour le chef de l’Etat, l’affaire George Floyd entre en résonance avec un passé colonial non encore digéré. « La guerre d’Algérie reste un impensé », aime répéter le locataire de l’Elysée, qui a tenté à plusieurs reprises de faire évoluer les mentalités sur ce sujet depuis le début de son quinquennat mais dit se heurter à l’absence d’interlocuteurs. « Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps », explique-t-on au cabinet présidentiel.

    « Effacer les traces ne traite pas le traumatisme »

    De la même façon, le chef de l’Etat tient des propos très durs contre une partie des élites qui se trompe de combat en raisonnant sur le plan des communautés. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux », estime en privé le chef de l’Etat, qui souligne notamment les ambivalences des discours racisés ou sur l’intersectionnalité.

    Pas question pour M. Macron de déboulonner les statues au nom de la lutte contre le racisme, comme certains le réclament pour celle de Colbert à l’Assemblée nationale. « Effacer les traces ne traite pas le traumatisme », rappelle-t-il à son entourage. En revanche, il faut amplifier la lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche.

    Quelle réponse le chef de l’Etat peut-il apporter sur les violences policières ? Emmanuel Macron dit ne pas craindre une « FNisation » de la police. « Ce sont des citoyens comme les autres », répète-t-il. Mais il se dit prêt à faire évoluer les techniques d’interpellation en milieu urbain, comme le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a commencé à le faire en interdisant l’étranglement. De même, il milite pour la multiplication des caméras-piétons portées par les policiers. « Il faut aller vers davantage de transparence, on n’est pas encore allés au bout », dit-on au sommet de l’Etat.

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430

    #séparatisme #Emmanuel_Macron #islamo-gauchisme (même si il n’était pas encore prononcé en tant que tel dans les paroles de Macron ici) #sécession #secessionnisme #origine #culpabilité #université #facs #France #monde_universitaire

    –—

    La suite, dans la bouche de #Vidal, à partir de février 2021 :
    https://seenthis.net/messages/902062
    #Frédérique_Vidal

    Fil de discussion sur ce fameux "séparatisme" :
    https://seenthis.net/messages/884291

    ping @cede @karine4 @isskein

    • Mais qui souffle aux oreilles de MM. Macron et Blanquer ?

      « On ne compte plus au quotidien le militantisme, le sectarisme, l’uniformité idéologique qui sévit dans de trop nombreuses écoles ou universités. Encore récemment, en septembre, un jeune étudiant en science politique de l’université Lyon 2 a eu le courage de témoigner publiquement de l’idéologie qui gangrenait l’ensemble de ses cours de licence. On y retrouvait toute l’obsession pour la race et le genre, toutes les théories les plus incroyables venues des campus américains, comme les théories décoloniales, l’indigénisme, l’immigrationnisme, les théories du genre, le néo-féminisme, l’intersectionnalité, bref tout ce qui aujourd’hui contribue à malheureusement désunir notre peuple, dresser les communautés les unes contre les autres, et surtout laver le cerveau de toute une génération au détriment des savoirs bien sûr, des connaissances et de l’acquisition des compétences ».

      Mais qui a tenu ces propos il y a presque un an ? Qui donc a soufflé les idées d’Emmanuel Macron (https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430) et de Jean-Michel Blanquer (https://twitter.com/mart1oeil/status/1320281485631459330) ?

      Réponse :

      https://www.youtube.com/watch?v=_jPtwjaSTa0&feature=emb_logo


      #Marion_Maréchal, directrice de l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques, 2 janvier 2020.

      A partir de la minute 0’38 :

      "Des succès [de l’ISSEP] que je crois indispensables au regard d’un certain nombre de dérives que nous constatons aujourd’hui dans notre système universitaire ou éducatif au sens large. On ne compte plus au quotidien et bien le #militantisme, le #sectarisme, l’#uniformité_idéologique qui sévit dans de trop nombreuses écoles ou universités. Encore récemment, en septembre, un jeune étudiant en sciences politiques de l’Université Lyon 2 a eu le courage de témoigner publiquement de l’#idéologie qui gangrenait l’ensemble de ses cours de licence. On y retrouvait toute l’obsession pour la #race et le #genre, toutes les théories les plus incroyables venues des #campus_américains, comme les théories décoloniales, l’#indigénisme, l’#immigrationnisme, les théories du genre, le #néo-féminisme, l’#intersectionnalité, bref tout ce qu’aujourd’hui contribue malheureusement désunir notre peuple, dresser les communautés les unes contre les autres et surtout laver le cerveau de toute une génération au détriment des #savoirs bien sûr, des #connaissances et de l’acquisition des #compétences. Ça va évidemment beaucoup plus loin puisque même des établissements comme la #Sorbonne ont intégré au sein du conseil d’administration certaines de leurs unités de formation des profils comme #Daniel_Obono dont on sait qu’elle est députée proche des #théories_indigénistes, députée de la #LFI. On voit aussi régulièrement des conférences empêchées, annulées sous la pression d’un certain nombre de #syndicats d’#extrême_gauche : je pense notamment à la conférence à Lille, l’université de Lille, qui a été empêchée pour la venue de François Hollande. Je pense aux insultes qu’a subi #Alain_Finkielkraut lorsqu’il a souhaité intervenir à Sciences Po. (...) Je pense aussi à tous ces enseignants qui sont vilipendés, harcelés, mis au ban, privés de cours voire littéralement virés parce qu’à un moment donné ils ont ont tenté de se dresser face précisément à cette uniformité idéologique ou face à ce rouleau compresseur militant.

      #2019 #gangrène #féminisme #désunion #lavage_de_cerveau

      https://academia.hypotheses.org/27305

  • #Frédérique_Vidal annonce vouloir demander une #enquête au #CNRS sur l’#islamogauchisme à l’#université

    Sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach dimanche 14 février, la ministre de la recherche et de l’#enseignement_supérieur, Frédérique Vidal, a fustigé, dans un flou le plus total et pendant 4 minutes 30 secondes, des chercheurs et chercheuses soupçonné·e·s d’islamogauchisme et a annoncé la commande au CNRS d’une enquête « sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion. »

    L’entame du sujet annonçait déjà la couleur : « Moi, je pense que l’#islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » affirme Frédérique Vidal.

    Puis la ministre de la recherche continue tout de go, sans s’appuyer sur aucune étude scientifique ni même quoi que ce soit qui pourrait prouver ce qu’elle dit :

    « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des #idées_radicales ou des #idées_militantes de l’islamogauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de #diviser, de #fracturer, de #désigner_l’ennemi, etc… »

    Mélange entre #biologie et #sociologie

    Pour se prévaloir implicitement de son titre d’enseignante-chercheuse, la ministre effectue un mélange erroné entre biologie et sociologie en affirmant :

    « En biologie, on sait depuis bien longtemps qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de #race et vous voyez à quel point je suis tranquille sur ce sujet là. »

    Cette phrase est censée répondre à des chercheur·euse·s en #SHS qui ont fait le constat, non de l’existence de races humaines biologiques, mais de l’existence de #discriminations liées à des races perçues par la société.

    #Confusionnisme sur les #libertés_académiques

    La ministre continue ensuite un discours confusionniste en faisant croire que les chercheur·euse·s revendiquent le droit de chercher contre leurs collègues :

    « Dans les universités, il y a une réaction de tout le milieu académique qui revendique le #droit_de_chercher, d’approfondir les connaissances librement et c’est nécessaire »

    La plupart des chercheur·euse·s qui revendiquent ce droit, le font surtout en s’opposant à la droite sénatoriale qui voulait profiter de la Loi Recherche pour restreindre les libertés académiques (https://www.soundofscience.fr/2517) et à l’alliance LR/LREM lors de la commission paritaire de cette même loi qui a voulu pénaliser les mouvements étudiants (https://www.soundofscience.fr/2529), empêchée, au dernier moment, par le Conseil constitutionnel.

    La ministre Frédérique Vidal semble faire un virage à 180° par rapport à sa position définie dans sa tribune publiée en octobre dernier par l’Opinion et titrée « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du #fanatisme » (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). Cette #contradiction entre deux positions de la ministre à trois mois et demi d’intervalle explique peut-être le confusionnisme qu’elle instaure dans son discours.

    Alliance entre #Mao_Zedong et l’#Ayatollah_Khomeini

    Mais ce n’est pas fini. #Jean-Pierre_Elkabbach, avec l’aplomb que chacun lui connaît depuis des décennies, affirme tranquillement, toujours sans aucune démarche scientifique :

    « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre #Mao Zedong et l’Ayatollah #Khomeini »

    Loin d’être choquée par une telle comparaison, Frédérique Vidal acquiesce avec un sourire :

    « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela. »

    C’est dans ce contexte là, que la ministre déclare :

    « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des #courants_de_recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »

    La suite du passage n’est qu’accusations d’utilisations de titres universitaires non adéquates, ce que la ministre ne s’est pourtant pas privée de faire quelques minutes plus tôt et accusations de tentatives de #censure.

    La ministre finit sa diatribe en appelant à défendre un « #principe_de_la_République » jamais clairement défini et proclame un curieux triptyque « #Danger, #vigilance et #action » qui ne ressemble pas vraiment au Républicain « Liberté, égalité, fraternité ».

    https://www.soundofscience.fr/2648
    #Vidal #ESR #facs #France #séparatisme

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    Fil de discussion sur ce fameux « séparatisme » :
    https://seenthis.net/messages/884291

    Et l’origine dans la bouche de #Emmanuel_Macron (juin 2020) et #Marion_Maréchal-Le_Pen (janvier 2020) :
    https://seenthis.net/messages/884291
    #Macron #Marion_Maréchal

    • Quand ta ministre te fout tellement la honte que tu dois lui dire gentiment :

      Du jamais vu : répondant à la ministre de l’enseignement supérieur, la Conférence des présidents d’université « fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile » et invite « à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce » !

    • Comme le faisait justement remarquer un syndicaliste (entendu à la radio) le terme « islamo-gauchisme » est construit sur le même modèle que le « judéo-bolchévisme » de l’entre deux guerre.
      Avec le résultat qu’on connait...

    • Je n’ai plus de ministre
      https://academia.hypotheses.org/31026

      Après le président de la République, après plusieurs autres ministres, c’est notre ministre de tutelle, Frédérique Vidal, qui a repris à son compte la rhétorique de l’« islamo gauchisme » en déclarant notamment « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société » et en annonçant commissionner une enquête du CNRS sur les pratiques universitaires.

      Ces déclarations sont extrêmement graves et forment une attaque frontale non seulement contre les libertés universitaires qui garantissent l’indépendance de la recherche au pouvoir politique, mais aussi contre toutes celles et ceux qui à l’université et ailleurs mettent leur énergie à rendre la société meilleure : plus juste, plus inclusive, moins discriminante, où tous et toutes ses membres ont place égale. L’« islamo gauchisme » est un mot dont le flou est une fonction. Côté pile, face une demande de définition (dont on notera l’absence chez madame la ministre) on trouvera un contour restreint, qui se veut repoussoir, et dont on aura bien du mal à trouver des signes tangible. Mais côté face, en utilisant le mot on convoque sans avoir besoin de l’expliciter un grand nombre d’idées et d’actions qui se retrouvent stigmatisées. Là où des chercheurs et chercheuses révèlent des discriminations et leur mécanisme de racialisation, c’est-à-dire d’assignation d’autrui à une race qui n’existe que dans l’esprit de ceux qui discriminent ; là où des militantes et militants dénoncent ces discriminations, les documentent, les exposent ; on les désigne comme nouveaux racistes ou « obsédés de la race ».

      Ainsi le gouvernement espère-t-il sans doute protéger son action des critiques virulentes qu’elle appelle. Déclare-t-on ne pas voir le problème si des femmes choisissent de s’habiller d’une façon ou d’une autre pour suivre leurs cours à l’université, y compris la tête couverte d’un foulard ? Islamo gauchisme. Déclare-t-on qu’il faut se préoccuper d’une très faible représentation des femmes et des personnes racisées aux postes titulaires de recherche et d’enseignement, alors que le jury d’admission du CNRS déclasse l’une de ces personnes trois fois en désavouant le jury d’admissibilité ? Islamo gauchisme. Dénonce-t-on la destruction illégale des tentes de migrants par les forces de l’ordre ? Islamo gauchisme.

      Madame la ministre, j’avais beaucoup à critiquer dans vos actions, vos inaction, vos discours et vos non-dits. Vous avez choisi d’achever de démontrer publiquement que vous n’êtes pas là pour servir les universités, leurs étudiantes et étudiants, leur personnel, mais pour servir votre carrière, quitte à l’adosser à un projet politique mortifère. Je ne vous reconnais aujourd’hui plus comme ma ministre, Madame Vidal. Je ne me sens plus lié par vos écrits. Vous avez rompu le lien de confiance qui doit lier une ministre aux agents et usagers de son ministère. Seule votre démission pourrait encore redonner son sens à la fonction que vous occupez sur le papier.

    • « Danger, vigilance et action ». La Ministre demande à l’Alliance Athena d’actionner le tamis

      Grâce à Martin Clavey, The Sound of Science, nous disposons du verbatim de l’ « interview » de Frédérique Vidal par Jean-Pierre Elkabach le 14 février 2021 sur CNews.

      Frédérique Vidal annonce qu’elle va demander « notamment au CNRS » de faire une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».Elle précise aujourd’hui à AEF qu’elle en fait la demande officielle à l’Alliance Athena.Dirigée actuellement par Jean-François Balaudé, président de la commission des moyens de la CPU et président du Campus Condorcet ainsi que par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, et vice-président de l’Alliance depuis le 1er novembre 2016, ce consortium va être chargé de distinguer parmi les « opinions ».

      Dans son interview, Frédérique Vidal annonce son intention de demander une enquête sur « l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets à l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

      « Ce qu’on peut observer, c’est qu’il y a des gens qui peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou militantes. En regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi ».

      « Quand on s’en sert pour exprimer des opinions ou faire valoir des opinions, en niant le travail de recherche, c’est là qu’il faut le condamner.

      « Il faut être extrêmement ferme, il faut systématiquement parler et que l’université se réveille »

      « Disons-le, quand les gens ne font pas de sciences mais du scientisme », poursuit la Ministre qui a couvert au moins une grave affaire de fraude scientifique.


      *

      Alors que certains entendent distinguer les « sciences critiques » et les « sciences militantes » et que la Ministre commande à des anciens universitaires de trier entre le bon grain et l’ivraie, Academia invite donc ses lecteurs et ses lectrices à relire Max Weber1 dans la traduction précise d’Isabelle Kalinowki :

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Academia, pour sa part, a choisi contre une nouvelle forme de police politique, la protection des libertés académiques.

      https://academia.hypotheses.org/30958

    • #Diffamation à l’encontre d’une profession toute entière ? La Ministre doit partir. Communiqué de la LDH EHESS

      Malgré leur habitude des faux-semblants et du peu d’attention portée à leur profession, les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures sont confronté.es aujourd’hui à une campagne de #dénigrement sans précédent, désignant en particulier par le terme aussi infâmant qu’imprécis « d’islamo-gauchisme » des établissements ou des disciplines dans leur entier.

      Il serait attendu d’une ministre qu’elle prenne quelque hauteur dans ce débat de plus en plus nauséabond, et qu’elle refuse de reprendre à son compte des notions aussi peu scientifiquement fondées. On attendrait que la responsable de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle-même issue de ce milieu, relève avec gratitude la façon dont les enseignant.es universitaires ont en première ligne fait face à la détresse étudiante en cette période de pandémie ; ils n’ont pas démérité en tant que pédagogues, allant même au-delà dans leur rôle d’accompagnement d’étudiant.es par ailleurs largement oubliés.

      Mais, plutôt que de s’intéresser à la crise qui les touche, Mme Frédérique Vidal, sur les ondes d’une chaîne télévisuelle dont un des animateurs a été condamné pour injure et provocation à la haine, répond par l’affirmative lorsque M. Elkabbach décrit les universités françaises, dont elle a la charge, comme étant régies par une sorte d’alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini.

      Et elle enchaîne le lendemain en demandant à l’Alliance Athena (qui n’est pas une inspection mais une institution qui coordonne les sciences sociales) « d’enquêter » sur l’islamo-gauchisme et ses « courants » dans le milieu académique.

      Une accusation typique de l’extrême-droite est ainsi reprise une nouvelle fois par une ministre de la République, rassemblant dans une formule ignominieuse un groupe fantasmatique et fantasmé de pseudo-adversaires qui ne sont, en réalité jamais nommés, ou au prix d’approximations grossières amalgamant des concepts mal compris et de noms de collègues ne partageant parfois que peu de choses (si ce n’est les menaces parfois graves que ces accusations font tout à coup tomber sur eux).

      Bref, à ces accusations mensongères faisant courir des risques parfois graves à des fonctionnaires, leur ministre ne trouve à répondre que par de vagues admonestations décousues (selon lesquelles, par exemple, en tant que biologiste elle peut dire que « la race » n’existe pas), et par la réitération des accusations portées à leur encontre. Plus encore, elle en appelle à une sorte de police par et dans les institutions d’enseignement et de recherche, rejoignant de la sorte les interdictions de certaines thématiques (les études sur le genre) dans les universités hongroises, brésiliennes ou roumaines

      Elle se fait ainsi complice de faits de diffamation collective à l’encontre d’une profession toute entière, mais aussi d’une dévalorisation accrue des universités. Elle parvient ainsi, au-delà de ces dégâts dans l’opinion qui ne peuvent qu’accroître le désespoir des étudiantes et des étudiants dont les formations sont ainsi décrites, à confirmer sa décrédibilisation personnelle aux yeux des personnels de l’ESR.

      Un appel à la démission de Frédérique Vidal avait été porté en novembre 2020 par la CP-CNU, représentant l’ensemble des disciplines, après le vote de la loi LPR.

      Plus que jamais, au regard de ces nouvelles dérives dans un contexte de difficultés sans précédent pour l’université et la recherche, sa démission s’impose, tout comme l’abandon de cette prétendue « enquête » non seulement nauséabonde mais déshonorante au regard des difficultés sans précédent dans lesquelles se débat l’ESR. Oui, danger, vigilance et action mais à l’encontre de la Ministre.

      Qu’aucun.e collègue, quel que soit son statut, ne prête main forte à cette campagne de dénonciation.

      https://academia.hypotheses.org/31060

    • Vidal au stade critique. Communiqué de Sauvons l’université !, 17 février 2021

      Sauvons l’université ! avait été la première à monter au créneau lorsque Jean-Michel Blanquer, dans les pas d’Emmanuel Macron et de Marion Maréchal-Le Pen, avait tenu des propos diffamatoires devant les sénateurs et sénatrices. Academia reproduit le communiqué que l’association fait paraître ce jour sur leur site.

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      Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer

      « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase :

      « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre :

      « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      https://academia.hypotheses.org/31070

    • L’ « islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique. Communiqué du CNRS, 17 février 2021

      « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

      Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

      La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

      C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

      https://academia.hypotheses.org/31086

    • Non à la #chasse_aux_sorcières ! Communiqué de la #CP-CNU, 17 février 2021

      La CP-CNU demandait la #démission de Vidal dès le 6 novembre 2020 en ces termes

      « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la #légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université.

      C’est pourquoi, Monsieur le Président de la République, nous vous posons la question de la pertinence du maintien en fonctions de Madame la Ministre dans la mesure où toute communication semble rompue entre elle et la communauté des enseignants-chercheurs. Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre respectueuse considération. »

      Les choses étant dites, elles n’ont pas été répété dans le communiqué de 17 février 2021

      https://academia.hypotheses.org/31089

    • Sortir toute armée de la cuisse de Jupiter. Communiqué de l’#Alliance_Athéna, 18 février 2021

      L’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (#Athéna) est un lieu de concertation et de coopération stratégique entre les universités et les organismes de recherche. Elle a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales, sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques. L’alliance porte les positions partagées qui émergent de ce dialogue auprès des instances de décision et de financement de la recherche, de niveau national et européen notamment. L’alliance Athéna consacre ainsi exclusivement ses réflexions aux questions de recherche avec pour objectif constant de servir le débat scientifique, de préserver les espaces de controverses et de favoriser la diversité des questions et des méthodes. A cet égard, il n’est pas du ressort de l’alliance Athéna de conduire des études qui ne reposeraient pas sur le respect des règles fondatrices de la pratique scientifique, qui conduiraient à remettre en question la pertinence ou la légitimité de certains champs de recherche, ou à mettre en doute l’intégrité scientifique de certains collègues.

      https://academia.hypotheses.org/31107

    • Heating Up Culture Wars, France to Scour Universities for Ideas That ‘Corrupt Society’

      The government announced an investigation into social science research, broadening attacks on what it sees as destabilizing American influences.

      Stepping up its attacks on social science theories that it says threaten France, the French government announced this week that it would launch an investigation into academic research that it says feeds “Islamo-leftist’’ tendencies that “corrupt society.’’

      News of the investigation immediately caused a fierce backlash among university presidents and scholars, deepening fears of a crackdown on academic freedom — especially on studies of race, gender, post-colonial studies and other fields that the French government says have been imported from American universities and contribute to undermining French society.

      While President Emmanuel Macron and some of his top ministers have spoken out forcefully against what they see as a destabilizing influence from American campuses in recent months, the announcement marked the first time that the government has moved to take action.

      It came as France’s lower house of Parliament passed a draft law against Islamism, an ideology it views as encouraging terrorist attacks, and as Mr. Macron tilts further to the right, anticipating nationalist challenges ahead of elections next year.

      Frédérique Vidal, the minister of higher education, said in Parliament on Tuesday that the state-run National Center for Scientific Research would oversee an investigation into the “totality of research underway in our country,’’ singling out post-colonialism.

      In an earlier television interview, Ms. Vidal said the investigation would focus on “Islamo-leftism’’ — a controversial term embraced by some of Mr. Macron’s leading ministers to accuse left-leaning intellectuals of justifying Islamism and even terrorism.

      “Islamo-leftism corrupts all of society and universities are not impervious,’’ Ms. Vidal said, adding that some scholars were advancing “radical” and “activist” ideas. Referring also to scholars of race and gender, Ms. Vidal accused them of “always looking at everything through the prism of their will to divide, to fracture, to pinpoint the enemy.’’

      France has since early last century defined itself as a secular state devoted to the ideal that all of its citizens are the same under the law, to the extent that the government keeps no statistics on ethnicity and religion.

      A newly diversifying society, and the lasting marginalization of immigrants mostly from its former colonies, has tested those precepts. Calls for greater awareness of discrimination have met opposition from a political establishment that often views them as an invitation to American multiculturalism and as a threat to France’s identity and social cohesion.

      In unusually blunt language, the academic world rejected the government’s accusations. The Conference of University Presidents on Tuesday dismissed “Islamo-leftism’’ as a “pseudo notion” popularized by the far right, chiding the government’s discourse as “talking rubbish.’’

      The National Center for Scientific Research, the state organization that the minister ordered to oversee the investigation, suggested on Wednesday that it would comply, but it said it “firmly condemned” attacks on academic freedom.

      The organization said it “especially condemned attempts to delegitimize different fields of research, like post-colonial studies, intersectional studies and research on race.’’

      Opposition by academics hardened on Thursday, when the association that would actually carry out the investigation, Athéna, put out a sharply worded statement saying that it was not its responsibility to conduct the inquiry.

      The seemingly esoteric fight over social science theories — which has made the front page of at least three of France’s major newspapers in recent days — points to a larger culture war in France that has been punctuated in the past year by mass protests over racism and police violence, competing visions of feminism, and explosive debates over Islam and Islamism.

      It also follows years of attacks, large and small, by Islamist terrorists, that have killed more than 250 French, including in recent months three people at a basilica in Nice and a teacher who was beheaded.

      While the culture war is being played out in the media and in politics, it has its roots in France’s universities. In recent years, a new, more diverse generation of social science scholars has embraced studies of race, gender and post-colonialism as tools to understand a nation that has often been averse to reflect on its history or on subjects like race and racism.

      They have clashed with an older generation of intellectuals who regard these social science theories as American imports — though many of the thinkers behind race, gender and post-colonialism are French or of other nationalities.

      Mr. Macron, who had shown little interest in the issues in the past, has won over many conservatives in recent months by coming down hard against what he has called “certain social science theories entirely imported from the United States.’’

      In a major speech on Islamism last fall, Mr. Macron talked of children or grandchildren of Arab and African immigrants “revisiting their identity through a post-colonial or anticolonial discourse’’ — falling into a trap set by people who use this discourse as a form of “self-hatred’’ nurtured against France.

      In recent months, Mr. Macron has moved further to the right as part of a strategy to draw support from his likely main challenger in next year’s presidential election, Marine Le Pen, the far-right leader. Polls show that Mr. Macron’s edge has shrunk over Ms. Le Pen, who was his main rival in the last election.

      Chloé Morin, a public opinion expert at the Fondation Jean-Jaurès, a Paris-based research group, said that Mr. Macron’s political base has completely shifted to the right and that his minister’s use of the expression Islamo-leftism “speaks to the right-wing electorate.”

      “It has perhaps become one of the most effective terms for discrediting an opponent,” Ms. Morin said.

      Last fall, Mr. Macron’s ministers adopted a favorite expression of the far right, “ensauvagement,’’ or “turning savage,’’ to decry supposedly out-of-control crime — even though the government’s own statistics showed that crime was actually flat or declining.

      Marwan Mohammed, a French sociologist and expert on Islamophobia, said that politicians have often used dog-whistle words, like “ensauvagement’’ or “Islamo-leftism,’’ to divide the electorate.

      “I think the government will be offering us these kinds of topics with a regular rhythm until next year’s presidential elections,’’ Mr. Mohammed said, adding that these heated cultural debates distracted attention from the government’s mishandling of the coronavirus epidemic, the economic crisis and even the epidemic-fueled crisis at the nation’s universities.

      The expression “Islamo-leftism” was first coined in the early 2000s by the French historian Pierre-André Taguieff to describe what he saw as a political alliance between far-left militants and Islamist radicals against the United States and Israel.

      More recently, it has been used by conservative and far-right figures — and now by some of Mr. Macron’s ministers — against those they accuse of being soft on Islamism and focusing instead on Islamophobia.

      Experts on Islamophobia examine how hostility toward Islam, rooted in France’s colonial experience, continues to shape the lives of French Muslims. Critics say their focus is a product of American-style, victim-based identity politics.

      Mr. Taguieff, a leading critic of American universities, said in a recent email that Islamophobia, along with the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” sought to create the false narrative of “systemic racism’’ in France.

      Sarah Mazouz, a sociologist at the National Center for Scientific Research, said that the government’s attacks on these social theories “highlight the difficulty of the French state to think of itself as a state within a multicultural society.”

      She said the use of the expression “Islamo-leftism” was aimed at “delegitimizing” these new studies on race, gender and other subjects, “so that the debate does not take place.”

      https://www.nytimes.com/2021/02/18/world/europe/france-universities-culture-wars.html

    • L’ « islamogauchisme » — et le HCERES — au tapis. #Jean_Chambaz et #Pap_Ndiaye — et Thierry Coulhon — sur Radio France

      L’islamogauchisme, concept de Pierre-André Taguieff au début des années 2000 pour signaler des formes de dérives d’une extrême-gauche pro-palistinien tendant à des discours antisémites, se trouve désormais récupéré par l’extrême-droite à des fins d’anathème.Deux interventions matinales très claires de Jean Chamblaz, président de Sorbonne Université, et de Pap Ndiaye, professeur à Sciences po.

      A retrouver sur academia :

      https://academia.hypotheses.org/31126

    • #Pétition : #Vidal_démission !

      Le mardi 16 février, à l’Assemblée nationale, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal confirmait ce qu’elle avait annoncé deux jours plus tôt sur la chaîne Cnews : le lancement d’une « enquête » sur l’ « islamogauchisme » et le postcolonialisme à l’université, enquête qu’elle déclarait vouloir confier au CNRS à travers l’Alliance Athéna. Les raisons invoquées : protéger « des » universitaires se disant « empêchés par d’autres de mener leurs recherches », séparer « ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » ainsi que … « l’apparition au Capitole d’un drapeau confédéré ».

      Si le propos manque de cohérence, l’intention est dévastatrice : il s’agit de diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté, à laquelle, en tant qu’universitaire, Frédérique Vidal appartient pourtant et qu’il lui appartient, en tant que ministre, de protéger. L’attaque ne se limite d’ailleurs pas à disqualifier puisqu’elle fait planer la menace d’une répression intellectuelle, et, comme dans la Hongrie d’Orban, le Brésil de Bolsonaro ou la Pologne de Duda, les études postcoloniales et décoloniales, les travaux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l’intersectionnalité sont précisément ciblés.

      Chercheur·es au CNRS, enseignant·es chercheur·es titulaires ou précaires, personnels d’appui et de soutien à la recherche (ITA, BIATSS), docteur·es et doctorant·es des universités, nous ne pouvons que déplorer l’indigence de Frédérique Vidal, ânonnant le répertoire de l’extrêmedroite sur un « islamo-gauchisme » imaginaire, déjà invoqué en octobre 2020 par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Mais, plus encore, nous nous insurgeons contre l’indignité de ce qu’il faut bien qualifier de chasse aux sorcières. La violence du projet redouble la lâcheté d’une ministre restée silencieuse sur la détresse des étudiant·es pendant la pandémie comme elle avait été sourde à nos interpellations sur une LPR massivement rejetée par tout·es celles et ceux qui font la recherche, y contribuent à un titre ou un autre.

      La crise économique et sociale la plus grave depuis 1945 assombrit l’avenir des jeunes adultes, l’anxiété face à la pandémie fissure la solidarité entre les générations, la pauvreté étudiante éclate aux yeux de tous·tes comme une question sociale majeure, les universités – lieux de vie et de savoirs – sont fermées. Mais pour Frédérique Vidal, le problème urgent de l’enseignement supérieur et de la recherche, celui qui nécessite de diligenter une « enquête » et d’inquiéter les chercheur·es, c’est la « gangrène » de l’ « islamo-gauchisme » et du postcolonialisme.

      Amalgamant un slogan politique douteux et un champ de recherche internationalement reconnu, elle regrette l’impossibilité de « débats contradictoires ». Pourtant, et nous espérons que la ministre le sait, nos universités et nos laboratoires déploient de multiples instances collectives de production et de validation de la connaissance : c’est bien dans l’espace international du débat entre pair·es que la science s’élabore, dans les revues scientifiques, dans les colloques et les séminaires ouverts à tous·tes. Et ce sont les échos de ces débats publics qui résonnent dans nos amphithéâtres, comme dans les laboratoires.

      Contrairement à ce qu’affirme Frédérique Vidal, les universitaires, les chercheur·es et les personnels d’appui et de soutien à la recherche n’empêchent pas leurs pair.es de faire leurs recherches. Ce qui entrave notre travail, c’est l’insincérité de la LPR, c’est le sous-financement chronique de nos universités, le manque de recrutements pérennes, la pauvreté endémique de nos laboratoires, le mépris des gouvernements successifs pour nos activités
      d’enseignement, de recherche et d’appui et de soutien à la recherche, leur déconsidération pour des étudiant·es ; c’est l’irresponsabilité de notre ministre. Les conséquences de cet abandon devraient lui faire honte : signe parmi d’autres, mais particulièrement blessant, en janvier dernier, l’Institut Pasteur a dû abandonner son principal projet de vaccin.

      Notre ministre se saisit du thème complotiste « islamo-gauchisme » et nous désigne coupables de pourrir l’université. Elle veut diligenter une enquête, menace de nous diviser et de nous punir, veut faire régner le soupçon et la peur, et bafouer nos libertés académiques. Nous estimons une telle ministre indigne de nous représenter et nous demandons, avec force, sa démission.

      Vous pouvez signer la pétition ici : https://www.wesign.it/fr/justice/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder

      https://academia.hypotheses.org/31187

    • Islamo-gauchisme à l’université ? La proposition de Vidal fait bondir ces universitaires

      Sur CNews, la ministre a annoncé vouloir "demander notamment au CNRS" une enquête "sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université."

      “L’islamo-gauchisme gangrène les universités”. C’est ce titre du Figaro que le journaliste Jean-Pierre Elkabbach a présenté à Frédérique Vidal, invitée sur son plateau sur CNews dimanche 14 février, l’invitant à le commenter avec lui. La réponse de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs.

      “Je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société”, a-t-elle affirmé.

      Et d’ajouter : “Ce que l’on observe, à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc…”
      “Une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini”

      Des idées que semble alors partager Jean-Pierre Elkabbach, qui décrit les universitaires en question comme “une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini.”

      “Mais vous avez raison, renchérit la ministre. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela.”

      À la suite de quoi, la ministre a annoncé sur le plateau de CNews qu’elle allait confier une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université.”

      Pour Christelle Rabier, maîtresse de conférence à l’EHESS, ce n’est pas un hasard si la ministre tient ces propos maintenant. “La semaine dernière, elle a été mise en cause au Sénat pour répondre face à la détresse étudiante, remarque-t-elle. Il y a 20% des étudiants qui ont recours à l’aide alimentaire, sans parler des suicides et de la détresse psychologique. Elle en est directement responsable.”
      Attaques contre les universitaires

      Les propos de la ministre ont provoqué la colère d’une partie des enseignants-chercheurs, même s’ils ne surprennent pas. “Nous sommes vraiment scandalisés, s’indigne une chercheuse du CNRS, qui préfère rester anonyme. La ministre s’en prend - une fois de plus - à la liberté académique en confondant approches scientifiques critiques et militantisme.”

      Après la Loi de programmation sur la recherche, très mal reçue, c’est pour eux une nouvelle attaque contre les universitaires, dans un contexte aggravé par la crise sanitaire. Le 6 novembre, la Commission permanente du Conseil national des universités (CP-CNU) avait demandé la démission de Frédérique Vidal.

      “On observe plusieurs formes d’attaques contre les universitaires, soutient Christelle Rabier. Les non-renouvellements et les suppressions de postes, des attaques systématiques de collègues sur leurs travaux, en particulier si ce sont des femmes et qu’elles traitent de questions qui pourraient remettre en cause l’ordre dominant.”
      L’utilisation du terme “islamo-gauchisme”

      Pour les enseignants-chercheurs, l’utilisation du terme “islamo-gauchisme” n’est pas anodin. “C’est un mot un peu aimant, qui rassemble toutes les détestations et qui ne veut absolument rien dire, estime Christelle Rabier. Et que cela vienne d’une ministre, qui n’a déjà plus de légitimité depuis plusieurs mois, c’est intolérable.”

      Pour François Burgat, directeur de recherches au CNRS, cette “appellation stigmatisante” a pour objectif de “discréditer les intellectuels (non musulmans) qui se solidarisaient ou qui refusaient de criminaliser les revendications des descendants des populations colonisées.”

      Le terme avait déjà été utilisé par Jean-Michel Blanquer le 22 octobre, qui affirmait :“Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages”, notamment ”à l’université.” Quelques jours plus tard, Frédérique Vidal avait réagi tardivement pour rappeler le principe des libertés académiques.

      “On peut constater depuis hier qu’elle a franchi un cran supplémentaire. C’est juste scandaleux”, s’indigne la chercheuse du CNRS.

      Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’université (CPU) a fait part de “sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de l’“islamogauchisme” à l’université”.

      Elle appelle ”à élever le débat”. “Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition”, a-t-elle proposé.


      https://twitter.com/CPUniversite/status/1361727549739515908

      “Une réalité hautement contestable”

      L’annonce d’une enquête au CNRS “sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université”, si elle n’est pas en soit répréhensible, pose plusieurs questions.

      “Le ‘cahier des charges’ de la demande qui lui est adressée fait réellement peur, estime François Burgat. La ministre s’abstrait purement et simplement de toute exigence scientifique.” Pour le chercheur, le postulat de la ministre, selon lequel “la société est gangrénée par l’islamo-gauchisme”, dont l’université, et une “réalité hautement contestable” qui ne repose sur “aucun corpus”.

      La chercheuse du CNRS qui préfère garder l’anonymat ajoute : “Si des cas particuliers sont litigieux au regard de la loi, qu’elle les cite et ouvre le débat. Sinon, qu’elle se taise.”

      Et d’ajouter : “Nous sommes des chercheurs, nous essayons de penser et analyser le monde, mobiliser des outils, et débattre de nos méthodes ou concepts d’analyse. Nous ne sommes pas au service d’un ministère et de ses obsessions politiques et calculs électoralistes.”

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-proposition-de-vidal-sur-lislamo-gauchisme-fait-bondir-ces-univers

    • Frédérique Vidal veut demander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université

      La ministre de l’Enseignement supérieur souhaite ainsi faire le distinguo entre « recherche académique » et « militantisme ».

      Mobilisée sur la précarité étudiante liée à la crise sanitaire actuelle ou sur la multiplication des dénonciations d’agressions sexuelles dans les IEP avec le hashtag #SciencesPorc, Frédéric Vidal ouvre un nouveau front. Invitée ce dimanche sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach sur CNews, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé vouloir « demander notamment au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université. »

      Par « ces sujets », la ministre parle de « l’islamo-gauchisme », qui selon elle « gangrène la société dans son ensemble », et donc l’université également.

      Avec ces travaux, Frédérique Vidal souhaiterait ainsi « distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion », relate le site d’information scientifique Soundofscience, qui se fait l’écho de l’annonce.

      « Alliance » entre Mao et Khomeini

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont », affirme la ministre, malgré l’émoi provoqué dans le milieu universitaire par ces accusations, régulières ces derniers mois. « Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      En guise de conclusion, la ministre a de nouveau persisté et signé dans son idée, prenant au mot une affirmation de Jean-Pierre Elkabbach selon laquelle la situation à l’université pourrait ressembler à « une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini. »

      « Mais vous avez raison. Mais c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », termine-t-elle.

      Les universités déjà émues par des propos de Blanquer

      Ce n’est pas la première fois qu’un membre du gouvernement utilise ce terme. En octobre dernier, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait à son tour dénoncé « l’islamo-gauchisme » qui fait selon lui « des ravages à l’université », prenant notamment pour cibles le syndicat étudiant Unef et La France Insoumise. « Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée », avait-il alors ajouté au micro d’Europe 1.

      Face à cette accusation, la Conférence des présidents d’université (CPU) s’était émue et avait tenu à répondre au ministre.

      « Non, les universités ne sont pas des lieux où se construirait une ’idéologie’ qui mène au pire. Non, les universités ne sont pas des lieux d’expression ou d’encouragement du fanatisme. Non, les universités ne sauraient être tenues pour complices du terrorisme », était-il affirmé dans un communiqué.

      https://www.bfmtv.com/societe/education/frederique-vidal-veut-demander-au-cnrs-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l

    • Frédérique Vidal tombe dans la fange de l’extrême droite

      Invitée de CNews ce 14 février, Frédérique Vidal a emboité le pas aux dérives de Blanquer et Darmanin en reprenant la petite musique nauséabonde de « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène la société dans son ensemble » et l’université en particulier. Un discours qui stigmatise tout ensemble les universitaires et les musulmans.

      Ce dimanche j’échangeais avec un étudiant qui, comme des milliers d’autres, tente de survivre à la désocialisation et aux cours à distance. Il ne va pas bien. Je lui ai proposé une conversation téléphonique. Le confinement, le sens de la vie, les doutes face à un projet professionnel... Mais ce qui le rend le plus anxieux, parmi toutes les difficultés qu’il tente d’affronter, c’est simplement le fait d’être musulman. Il m’a dit : « l’anxiété d’être musulman aujourd’hui ». Tout est là. Et je crois que c’est vraiment le résultat d’une politique. L’exploitation idéologique et sécuritaire du #terrorisme. La loi sur le « séparatisme » qui détricote nos libertés et grave dans le marbre la #stigmatisation des #musulmans. La politique guerrière de Macron au Sahel et le mépris, affiché ce jour, des pays africains. Tout ceci fait système. Et l’étudiant avec lequel je parle l’a très bien compris. L’étudiant musulman qui a eu peur en entendant Vidal, dimanche dernier. Et qui m’en a parlé en premier.

      J’ai donc écouté Frédérique Vidal répondre à Elkabbach, sur la chaîne qui est devenue le caniveau du journalisme d’extrême droite. Zemmour and co. Et une fois de plus j’ai eu #honte en écoutant « ma » ministre. Honte pour l’intelligence critique et les savoirs qu’elle devrait représenter. Honte de voir une « chercheuse », ancienne présidente d’université, asséner des #contre-vérités, insulter les universitaires et la pensée elle-même, se complaire dans la fange de l’extrême droite et rejoindre ainsi Blanquer et Darmanin dans le jeu dangereux de celui qui sera plus radical que Marine le Pen. En novembre 2020 la CP-CNU appelait à la démission de la ministre et écrivait ceci : « Madame Frédérique Vidal ne dispose plus de la légitimité nécessaire pour parler au nom de la communauté universitaire et pour agir en faveur de l’Université. » Aujourd’hui au nom de qui parle cette ministre ? Au nom du gouvernement et de Macron, ou au nom de Marine Le Pen ? De qui ou de quoi fait-elle le jeu ?

      On peut se faire une idée de la partie que Vidal a jouée en écoutant cet extrait mis en ligne par The Sound of Science, une vidéo devenue virale en quelques heures, Vidal devenue virale par sa haine des sciences humaines, de la recherche libre et des universitaires :

      https://twitter.com/SoundofScFr/status/1361390845111451650

      Petit retour en arrière. En octobre 2020 Frédérique Vidal avait été pressée par la CPU de recadrer Blanquer qui s’en était pris violemment aux universitaires, ravagés par « l’islamo-gauchisme », et accusés de « #complicité_intellectuelle avec le terrorisme ». La ministre avait pris position dans un journal à faible visibilité en affirmant dans une tribune, contre son collègue, que « l’université n’est pas un lieu d’expression ou d’encouragement du terrorisme ». La ministre défendait alors « la liberté d’expression et les libertés académiques » qui « sont indissociables ». De deux choses l’une : ou bien Vidal défend les libertés académiques, la liberté de recherche et la liberté d’expression des universitaires qui ont une valeur constitutionnelle, ou bien elle sacrifie ces trois libertés sur l’autel d’une attaque idéologique du libéralisme autoritaire contre l’université et la recherche. Comment comprendre cette contradiction ? Comment comprendre la violente #stigmatisation des islamo-gauchistes sur le plateau de C News quatre mois après la tribune de L’Opinion ? L’art macronien du « en même temps » ? Une immense #hypocrisie dans la tribune du mois d’octobre ? Un voile de fumée jeté sur un bilan désastreux ? La réponse à une commande politique de Macron ? Continuer la petite chanson « le RN est trop mou, LREM fera mieux dans la radicalité » ?

      Rien de tout ceci n’est exclu, mais je pense que la réponse est donnée par Vidal elle-même dans la suite de l’entretien. Très spontanément Vidal, pour remettre à leur place les méchants universitaires qui font des études de genre trop libres ou des études postcoloniales trop engagées, en appelle à l’évaluation-sanction par les pairs et pourquoi pas à la #délation et à la #condamnation : « C’est là qu’il faut être condamné … Allons-y, disons quand les gens ne font pas de #science, mais font du #scientisme » - où Vidal montre, au passage, qu’elle ne maitrise pas le concept de scientisme (à 43:20 ici). Et Vidal de diligenter une enquête du CNRS sur les disciplines suspectes. Comme si le CNRS était une section disciplinaire ou avait des pouvoirs d’enquête. Ce que la CPU elle-même dénonce en remettant vertement en place la ministre dans un communiqué qui appelle à "stopper la confusion et les polémiques stériles" et à cesser de "raconter n’importe quoi" (sic).

      A quoi assiste-on ? A une #dérive_autoritaire qui montre que la LPR et la chasse idéologique aux islamo-gauchistes forment un tout. Evaluer, sanctionner, séparer, diviser les universitaires pour les affaiblir. Les monter les uns contre les autres. Faire en sorte que l’institution soit elle-même l’agent de la chasse aux sorcières. Instiller partout la #concurrence, la #peur, la #suspicion et la #servitude_volontaire. Le premier séparateur des universitaires, c’est la LPR. Dans le viseur de Vidal : la limitation et la surveillance des libertés académiques. Macron, son gouvernement et LREM font le même travail avec toute la société. Dans leur viseur : la limitation et la surveillance des libertés publiques. Monter le plus grand nombre de citoyens contre les musulmans, monter les français contre eux-mêmes. Macron et son système, c’est une guerre sans fin, une guerre contre le peuple. Le #séparatisme permanent. Il est temps de nous unir contre lui. Il est temps de déradicaliser ce gouvernement.

      Contre le séparatisme, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes de nos amis musulmans. Contre la LPR, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des universitaires. Contre la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, nous avons besoin d’une politique qui remettre de la lumière dans les regards tristes des étudiants. Vite de la lumière, avant que ne retombe la longue nuit brune de l’histoire !

      #Pascal_Maillard

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/160221/frederique-vidal-tombe-dans-la-fange-de-l-extreme-droite

    • "Islamo-gauchisme" à l’université : 5 questions sur l’enquête demandée par Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé lundi 15 février qu’elle souhaitait enquêter sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Des propos qui ont indigné le monde universitaire.

      « Moi je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble, et que l’université n’est pas imperméable, l’université fait partie de la société. » D’une phrase prononcée dimanche 14 février, Frédérique Vidal a provoqué une levée de bouclier du monde académique et de la gauche française.

      Invitée de CNews ce jour-là, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche était interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur l’islamo-gauchisme, terme décrit par le journaliste comme désignant « une sorte d’alliance (...) entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ». C’est là que Frédérique Vidal a annoncé « demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université ». Une séquence repérée par le site The Sound of Science.

      Le lendemain, la ministre a confirmé sa position devant l’Assemblée nationale. « Je vais demander à ce que l’on fasse un bilan des recherches qui se déroulent dans notre pays que ce soit les recherches sur le postcolonialisme… » a-t-elle répondu à la question de Bénédicte Taurine, députée de la France insoumise, sans finir son énumération. Mais quel est l’objet de cette enquête ?

      1. Qu’est-ce que l’"islamo-gauchisme" ?

      Le terme « islamo-gauchisme » est né sous la plume de l’écrivain #Pierre_André-Taguieff en 2000. Il le définit alors comme une association entre les mouvements de gauche et les mouvements pro-palestiniens. Cependant, comme l’explique le linguiste Albin Wagener à RTL.fr, ce terme a très vite été repris par l’extrême-droite pour désigner « deux ennemis : l’islam et la gauche ».

      Aujourd’hui, son utilisation s’est démocratisée au point de se faire une place dans les éléments de langage du gouvernement et de la gauche elle-même, dans la bouche de #Manuel_Valls. Ainsi, le terme controversé qualifié même de « faux concept » par le chercheur Pascal Boniface, désigne aujourd’hui une supposée collusion entre les mouvements islamistes et certains mouvements de gauche.

      Pour Philippe Marlière, chercheur et auteur d’une tribune publiée dans Mediapart au mois de décembre, la trajectoire de ce terme est inquiétante. ""L’islamo-gauchisme’ est un mot grossièrement codé qui désigne un ennemi (l’islamisme) et ses porteurs de valise (les intellectuels de gauche critiques), explique-t-il. Ce vocabulaire d’#extrême_droite crée et entretient un climat de #guerre_civile. Il ne nourrit pas le débat, il prend les personnes pour #cible."

      Le CNRS, lui, affirme dans un communiqué que le terme ne revêt « aucune réalité scientifique » quand la conférence des présidents d’université (CPU) parle de « pseudo-notion ».

      2. Qu’est-ce que le CNRS ?

      L’acronyme CNRS désigne le Centre national de la recherche scientifique. Placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dirigé par Frédérique Vidal, il est l’organisme de référence de la recherche universitaire française. Plus particulièrement, l’enquête demandée par la ministre s’intéresse aux #sciences_sociales, c’est-à-dire des disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la science politique.

      Dans ses propos devant l’Assemblée nationale, Frédérique Vidal cite ainsi l’alliance Athéna présidée par le CNRS en alternance avec la Conférence des Présidents d’Université (CPU). Sur son site, cette institution est décrite comme réunissant « les principaux acteurs de la recherche publique française en #sciences_humaines_et_sociales », plus communément désignées sous le sigle #SHS.

      3. Quel est le type de recherche visé ?

      Dans ses propos tenus sur CNews, Frédérique Vidal a justifié sa décision de mener une enquête sur « l’islamo-gauchisme » au sein de ces champs disciplinaires pour « distinguer de ce qui relève de la #recherche_académique de ce qui relève justement du #militantisme et de l’#opinion ».

      Le CNRS a répondu mercredi soir à la ministre de l’Enseignement supérieur dans un communiqué désapprobateur. « Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ’race’, ou tout autre champ de la connaissance », écrit le centre de recherche.

      Une réponse claire et nette aux nombreuses attaques ciblant ces champs disciplinaires qualifiés parfois de « racialistes » par leurs détracteurs qui se multiplient ces derniers mois. En octobre, Jean-Michel Blanquer avait par exemple explicitement cité « les ravages » de l’islamo-gauchisme comme ayant joué un rôle dans l’assassinat de #Samuel_Paty.

      « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l’égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d’origine, de sexe, de religion, expliquait-il au Journal du Dimanche dans des propos décryptés par L’Obs. C’est le terreau d’une #fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises. »

      4. #Postcolonialisme, #intersectionnalité... De quoi parle-t-on ?

      Théorisée par la juriste américaine #Kimberlé_Crenshaw à la fin des années 1980, l’intersectionnalité permet d’étudier un phénomène sociologique en appliquant une réflexion multiple, au carrefour de plusieurs parts d’identité comme le genre, la classe et la race (au sens de race sociale perçue par la société, pas de la race biologique qui n’existe pas). Son objectif n’est donc pas d’essentialiser mais de prendre en compte différentes caractéristiques sociologiques pour mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les situations de discrimination. Par exemple, une femme noire ne vivra pas seulement d’un côté le sexisme et de l’autre le racisme, mais l’intersection des deux.

      Quant aux théories décoloniales et postcoloniales, elles permettent d’étudier la société contemporaine au regard des dynamiques historiques et du racisme qui découle de périodes telles que l’#esclavage et la #colonisation. Ce sont ce type de recherches qui révèlent les #inégalités sous toutes leurs formes (sociologiques, économiques, politiques, historiques...) qui sont visées lorsque les ministres parlent d’"islamo-gauchisme" à l’université.

      5. Comment le monde universitaire réagit-il ?

      Au-delà de condamner les propos de Frédérique Vidal, dans son communiqué, le CNRS regrette une « #instrumentalisation de la science » et rappelle qu’il existe des voies de « l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche ». « C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », conclut l’organisme.

      La veille, la conférence des présidents d’université (CPU) publiait elle aussi un communiqué dans lequel elle s’étonnait de « l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève ’du militantisme ou de l’opinion’ ». « La CPU réclame, au minimum, des clarifications urgentes, tant sur les fondements idéologiques d’une telle enquête, que sur la forme, qui oppose CNRS et universités alors que la recherche est menée conjointement sur nos campus par les chercheurs et les enseignants-chercheurs. »

      Contacté par RTL.fr, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation n’a pour l’heure par répondu aux sollicitations.

      https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/islamo-gauchisme-a-l-universite-5-questions-sur-l-enquete-demandee-par-frederiqu

    • Les leçons de Vidal

      Avec ses sorties sur « l’islamo-gauchisme » cette semaine, la ministre déléguée à l’Enseignement supérieur fait surtout les affaires de ses collègues de l’Education et de l’Intérieur. Une femme se grille. Des hommes engrangent.

      La chose se répète souvent sous ce quinquennat. Une ministre femme, issue de la société civile (donc non-politique) qui monte en première ligne pour faire les affaires politiciennes de ses collègues ministres hommes (eux devenus professionnels de ce milieu). La sortie de Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » est un nouvel exemple de ce constat. La ministre de l’Enseignement supérieur n’a pas « dérapé » sur CNews, dimanche, face à Jean-Pierre Elkabbach. Elle savait très bien ce qu’elle faisait. Sinon elle n’aurait pas réitéré ses propos au centre de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, mardi après-midi, lors de la séance hebdomadaire des questions d’actualité au gouvernement.

      Alors qu’elle avait été muette sur le sujet, en octobre, lorsque deux de ses camarades au gouvernement, Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin, avaient déjà balancé, en octobre à l’Assemblée, cette formule appartenant au champ lexical de l’extrême droite, la voilà qui les devance. Le ministre de l’Education et celui de l’Intérieur ont pourtant passé deux semaines sur les bancs lors du projet de loi « confortant les principes de la République » sans écart de langage. Ordre du Président de se tenir à carreaux sur ce texte censé réincarner « le rassemblement » de la majorité sur la laïcité. Foutaises. A peine les ministres avaient-ils récupéré leurs bons de sorties pour les médias que Vidal est partie à son tour en croisade contre les affreux « islamo-gauchistes » qui professeraient dans les amphis. Recadrée par le président de la République, éloignée un peu plus du monde universitaire et du monde étudiant… Mauvais résultat pour elle : la voici un peu plus isolée Rue Descartes. A qui profite donc cette séquence ? A Ses collègues Darmanin et Blanquer qui voient un de leurs marqueurs politiques progresser. Vidal, une femme, prend le bouillon médiatique et une humiliation présidentielle. Ses collègues, hommes, avaient été épargnés.

      Vidal n’est pas la première victime de cette stratégie du bélier. On rembobine. Mars 2019, en pleine « concertation » sur la réforme des retraites, la ministre de la Santé et des Solidarités d’alors, Agnès Buzyn, s’autorise une sortie inattendue sur un « allongement de la durée du travail ». « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, expliquait Buzyn. Est-ce que, alors que le nombre d’actifs diminue, nous allons pouvoir maintenir sur les actifs le poids des retraites qui vont augmenter en nombre et en durée ? Nous savons que cet équilibre-là va être de plus en plus difficile à tenir. » Exactement la ligne portée en coulisses par le Premier ministre de l’époque, Edouard Philippe, et de ses deux camarades de l’ex-UMP installés à Bercy : Bruno Le Maire et (déjà) Gérald Darmanin. Lequel se presse pour saluer le « courage » de Buzyn.

      Comme pour Vidal, les politiques hommes avaient laissé une femme issue de la société civile monter au front médiatique pour pousser leurs propres billes. Obligée de rétropédaler (repousser l’âge de départ n’était pas dans le programme d’Emmanuel Macron et le haut-commissaire d’alors, Jean-Paul Delevoye, menaçait de démissionner), Buzyn s’était abîmée dans cette aventure politicienne. Cette dernière n’est plus au gouvernement. Le Maire et Darmanin plus que jamais.

      https://www.liberation.fr/politique/les-lecons-de-vidal-20210219_BI4BCKNDCNBXBDMT2TRO3BZPB4
      #genre #hommes #femmes #hommes_politiques #femmes_politiques

    • Frédérique Vidal, une ministre bisbilles en tête

      Déjà critiquée, entre autres, pour son management à l’université Sophia-Antipolis, la Niçoise s’est lancée dimanche, sans le soutien de l’Elysée, dans une offensive contre l’« islamo-gauchisme » dans la recherche, se mettant à dos une majorité d’enseignants.

      On ne l’attendait pas vraiment sur ce dossier. Frédérique Vidal, ministre de troisième rang en macronie, a surpris beaucoup de monde en appelant à lancer, dimanche sur CNews, une enquête sur l’« islamo-gauchisme » dans la recherche universitaire.

      Décrédibilisée dans les rangs de la recherche supérieure après avoir maintenu la ligne libérale de la loi de programmation de la recherche (LPR), fragilisée dans les universités après plusieurs cafouillages sur l’organisation en ce temps de crise sanitaire, critiquée pour son manque de réactions face au malaise étudiant qui a poussé certains au suicide, Frédérique Vidal n’a pourtant pas hésité à se mettre à dos une nouvelle fois une bonne partie des professionnels qui dépendent de son ministère.

      Au sein du gouvernement, l’axe Blanquer-Darmanin-Schiappa, porteur de ce débat droitier sur l’islam, a-t-il décidé de se servir d’elle comme bélier, après deux semaines sans grandes controverses sur le projet de loi de lutte contre les « séparatismes » ? Ou bien Vidal a-t-elle choisi ce registre en guise de diversion, alors que les polémiques sur la précarité étudiante ne s’apaisent pas ? En tout cas, on ne la suit pas côté Elysée. Le Président reste attaché à « l’indépendance des enseignants-chercheurs », a bien souligné le porte-parole, Gabriel Attal, mercredi à l’issue du Conseil des ministres. Un désaveu.

      « Elle a toujours eu de l’ambition »

      Dans le casting de début de quinquennat, Vidal faisait pourtant partie de ces ministres de la société civile censés ouvrir le monde politique au monde universitaire. Une présidente d’université pour s’occuper des universités, forcément ça avait du sens dans le « en même temps » macronien. Jusque-là, la Niçoise n’était jamais sortie du couloir qu’on lui avait assigné. A peine s’était-elle aventurée, en 2019 – soit bien avant la crise sanitaire, économique et sociale –, dans une poignée de réunions de ministres souhaitant incarner « l’aile gauche » de l’ex-gouvernement Philippe. L’idée était, à l’époque, de tenter de s’organiser pour peser davantage sur la ligne de l’exécutif, jugée trop… à droite.

      Et avant son arrivée au gouvernement, Frédérique Vidal n’avait aucun engagement politique. L’universitaire est passée des bancs de la fac, où elle étudiait la génétique, à la présidence de cette même université, en 2012. Une évolution fulgurante en moins de vingt-cinq ans. Sabine, aujourd’hui chercheuse syndiquée CGT Ferc Sup, était inscrite dans la même promo, « il y a un peu plus de vingt ans », en maîtrise de biochimie et en DEA de virologie. « C’est quelqu’un qui a toujours eu de l’ambition, dit-elle. Ça a été une bonne enseignante, mais elle a fait peu de recherche sur la durée car elle a très vite rejoint la direction de la formation. Elle est devenue doyenne de la fac de sciences, puis présidente. »

      « Phrases assassines »

      Les techniques managériales de Vidal marquent les esprits à l’université de Sophia-Antipolis. « C’est quelqu’un qui ne tolère pas le débat, ce qui est paradoxal quand on est universitaire, ni la contradiction, ce qui est un problème quand on est scientifique, estime Sabine. Elle a imprimé cette façon de diriger. »

      En novembre, le directeur général de la recherche et de l’innovation, Bernard Larrouturou, qui dépendait de son ministère, a claqué violemment la porte. Dans une lettre qu’avait révélée Libération, il dénonçait la gestion peu humaine du cabinet de Vidal.

      Sandra (1) parle de « tendances managériales à l’américaine » qui l’auraient poussée au burn-out. Cette technicienne audiovisuelle, ancienne déléguée syndicale à l’université, pointe une « infantilisation », avec un renforcement de la hiérarchie, et des « expériences assez douloureuses en conseil d’administration », avec des « phrases assassines » à chaque question ou opposition de sa part. « Mme Vidal est une vraie grande pédagogue, défend le docteur en génétique Erwan Paitel, son ancien bras droit à l’université, qui l’a rejointe au ministère. Elle sait gouverner au sens d’aller au bout de ses idées. »

      Mais, selon différents membres de l’université qui témoignent à Libération, « les sciences de l’éducation ont été mises plus bas que terre », « les sciences humaines étaient méprisées », « ça rigolait » à l’évocation des profs d’histoire. « Quand elle parle d’islamo-gauchisme, c’est juste un moyen de bâillonner le débat d’idées, estime Marc, syndiqué CGT Ferc Sup et travaillant dans un labo de maths à Nice. C’est une insulte pour notre intelligence et pour les victimes. On est à Nice, on a été touché par plusieurs attentats, c’est assez dégueulasse de jouer là-dessus. »

      (1) Cette personne a souhaité rester anonyme pour ne pas nuire à sa carrière.

      https://www.liberation.fr/societe/frederique-vidal-une-ministre-bisbilles-en-tete-20210217_G4WLKNLQGNGTZPOF

    • « Frédérique Vidal risque d’alimenter une #police_de_la_pensée qui serait dramatique »

      Le président de l’université Clermont-Auvergne, Mathias Bernard, revient sur la sortie de sa ministre de tutelle sur « l’islamo-gauchisme », qu’il juge « schématique » et « caricaturale ».

      En s’inquiétant du développement d’« idées militantes de l’islamo-gauchisme » dans les universités françaises au cours d’une interview à CNews dimanche, la ministre Frédérique Vidal a suscité de nombreuses critiques dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans un communiqué, la Conférence des présidents d’universités a par exemple dénoncé une « nouvelle polémique stérile » et invité les politiques à ne pas « raconter n’importe quoi ». Président de l’université Clermont-Auvergne, l’historien Mathias Bernard revient sur cette sortie médiatique. Pour lui, les propos caricaturaux de la ministre instrumentalisent politiquement des études nécessaires au débat scientifique.

      Dans un communiqué, les présidents d’universités ont dit leur « stupeur » à la suite des propos de Frédérique Vidal. Pourquoi cette surprise ?

      Parce que cela ne correspond pas aux positions antérieures de la ministre. A l’automne, elle avait tenu des propos bien plus distanciés lorsque son collègue Jean-Michel Blanquer avait parlé d’islamo-gauchisme. A cela, il faut ajouter le contexte sanitaire : la priorité n’est pas de lancer un débat politicien, mais plutôt de répondre à la détresse des étudiants après un an de confinement. C’est un bel exemple du décalage entre les gouvernants et la réalité des opérateurs sur le terrain.

      Qu’est-ce qui invalide cette accusation d’« islamo-gauchisme » ?

      Depuis une quinzaine d’années, ce mot est instrumentalisé politiquement. Il ne sert pas à caractériser un ensemble de positions scientifiques, mais à les discréditer. Cette notion produit aussi un effet de généralisation : l’islamo-gauchisme gangrènerait l’université, comme on l’a vu écrit il y a quelques jours à la une du Figaro. Cette rhétorique de la contamination rappelle les discours antisémites des années 30 sur l’influence juive qui corromprait l’ensemble des corps sociaux. Dans mon université, il n’y a eu par exemple aucun incident, aucune étude ou manifestation scientifique susceptible de s’apparenter à une « menace islamo-gauchiste ». Cette généralisation crée une dramatisation, un climat anxiogène qui ne peut qu’alimenter le rejet.

      Quels sont les faits initiaux à partir desquels s’opère cette généralisation ?

      Il existe un militantisme intolérant qui, en empêchant par exemple la tenue de certaines conférences, pose problème à l’université, car celle-ci est par nature un lieu de dialogue. Mais il faut le distinguer des études en sciences sociales qui s’inscrivent dans l’héritage de la pensée postcoloniale et élaborent une pensée critique qui contribue au débat scientifique. Or, ce sont ces débats qui font progresser la science. Une prise de position rapide, schématique et caricaturale comme celle de Frédérique Vidal risque de jeter l’opprobre sur toute cette réflexion et d’alimenter une forme de police de la pensée qui serait dramatique. Cela donne l’impression que des chercheurs confondraient massivement militantisme et travail universitaire, ce qui n’est pas le cas. Et si des cas se présentaient, il existe des instances pour les traiter. Inutile d’instrumentaliser le CNRS, dont les chercheurs travaillent au quotidien avec les universités.

      Faut-il y voir une volonté de contrôle politique du travail universitaire ?

      Les contraintes inhérentes à une interview télévisée ont sans doute occasionné des maladresses. Mais si on regarde ces propos à l’aune du contexte plus global, marqué à la fois par une séquence très régalienne de la présidence Macron et par les débats sur la loi « séparatisme », il peut y avoir une volonté de distinguer deux types de recherche, l’une bonne et l’autre dangereuse. Un peu comme à l’époque de la guerre froide où l’on se méfiait de l’université marxiste. Cela explique une partie de la défiance actuelle du monde politique vis-à-vis de l’université, qui est constitutionnellement indépendante du point de vue scientifique.

      Le dialogue entre le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche et la ministre est-il rompu ?
      En 2020, les débats sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ont contribué à une rupture assez nette entre la ministre et une partie de la communauté universitaire. Mais il ne faut pas généraliser : les présidents d’université et les établissements continuent à travailler avec le ministère dans cette période difficile. Je suis certes critique sur cette sortie médiatique, je n’en suis pas moins reconnaissant à la ministre d’avoir défendu l’ouverture des universités alors que la situation sanitaire reste tendue.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/frederique-vidal-risque-dalimenter-une-police-de-la-pensee-qui-serait-dra

    • #Thomas_Piketty : «Frédérique Vidal doit partir»

      Les déclarations sur l’« islamo-gauchisme » de la ministre de l’Enseignement supérieur montrent sa méconnaissance des sciences sociales, estime l’économiste. Elle livre à la vindicte populaire des chercheurs dont les savoirs sont pourtant essentiels.

      Une suspicion généralisée qui amènerait à un dialogue de sourds : l’économiste Thomas Piketty, connu pour ses recherches internationales sur les inégalités, estime que la demande d’enquête sur la présence de courants « islamo-gauchistes » à l’université, faite dimanche par la ministre Frédérique Vidal, est un non-sens.

      Jean-Michel Blanquer en octobre, Frédérique Vidal aujourd’hui. Pourquoi ces attaques contre le monde universitaire, et sur ce thème de l’islamo-gauchisme ?

      L’horreur des attentats de 2015-2016 et de la décapitation de Samuel Paty en 2020 fait que chacun cherche naturellement des explications, des coupables. Chez les plus désespérés, mais aussi parmi les plus cyniques, certains ont eu l’idée géniale de soupçonner de complicité jihadiste n’importe quel chercheur s’intéressant aux questions de discrimination, ou encore n’importe quel croyant musulman achetant du hallal ou portant des leggings sur la plage, un foulard dans la rue ou lors d’une sortie scolaire. Ces soupçons ignobles sont totalement à côté de la plaque, dans un contexte où le pays devrait être rassemblé derrière son système de justice, de police et de renseignement pour lutter contre l’ultraminorité terroriste. Cette logique de la suspicion généralisée ne peut conduire qu’à des raidissements et à des dialogues de sourds. Et pendant ce temps-là, personne ne parle des politiques antidiscriminatoires dont nous aurions tant besoin, et qui demandent des débats approfondis et apaisés, tant les enjeux sont nouveaux et ouverts.

      Pourquoi demandez-vous la démission de la ministre Frédérique Vidal ?

      Avec ses déclarations, Frédérique Vidal a démontré sa totale inculture et sa profonde ignorance de la recherche en sciences sociales. Elle livre à la vindicte populaire les personnes qui produisent et diffusent les savoirs dont nous avons tant besoin dans cette époque hyperviolente. Avec l’extrême droite aux portes du pouvoir dans plusieurs régions et au niveau national, c’est totalement irresponsable. Elle doit partir.

      Vous connaissez bien le monde de la recherche. Quelle est la réalité de ces « chercheurs minoritaires qui porteraient au sein de l’université des idées radicales et militantes de l’islamo-gauchisme » que dénonce la ministre ?

      Je ne connais aucun chercheur que l’on puisse soupçonner de près ou de loin de complaisance avec les jihadistes, ou dont les travaux auraient pu « armer idéologiquement le terrorisme », suivant l’expression désormais routinière au sommet de l’Etat. Et le terrorisme au Nigeria, au Sahel, en Irak, aux Philippines, c’est aussi de la faute des universitaires islamo-gauchistes français ou américains ? C’est ridicule et dangereux. Au lieu de mobiliser l’intelligence collective pour appréhender des processus sociohistoriques inédits et complexes, ce que font précisément les chercheurs en sciences sociales, on sombre dans la logique du bouc émissaire à courte vue.

      Pensez-vous qu’il y a un climat anti-intellectuels en France ?

      Les diatribes anti-intellectuels sous Sarkozy avaient marqué une première étape. Mais l’hystérie actuelle autour de l’accusation d’islamo-gauchisme nous fait franchir un nouveau seuil. Petit à petit, les responsables politiques français, du centre droit à l’extrême droite, se rapprochent sans le savoir de l’attitude des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (BJP) qui, depuis dix ans, visent à asseoir leur domination politique en stigmatisant toujours davantage la minorité musulmane (14% de la population, soit 150 millions de personnes tout de même) et les intellectuels réputés islamo-gauchistes soupçonnés de les défendre. On l’ignore trop souvent en France, mais cette hargne des nationalistes hindous se nourrit elle aussi des attentats jihadistes commis sur le sol indien, comme ceux de Bombay en 2008 ou les attaques au Cachemire musulman début 2019. Là encore, je peux comprendre que le traumatisme des attentats conduit les uns et les autres à chercher des explications pour cette horreur nihiliste. Mais cela n’a aucun sens de soupçonner de complicité les 150 millions de musulmans indiens qui, comme en France, cherchent simplement à mener une vie ordinaire, à trouver un travail, un revenu, un logement, et ne se demandent pas chaque matin comment ils vont venir en aide à un terroriste. Les soupçons vis-à-vis des universitaires indiens, qui tentent de faire leur travail dans des conditions précaires, sont toutes aussi odieux. En Inde, le gouvernement BJP en est arrivé à fomenter des émeutes antimusulmans, à fermer des centres de recherche et à faire arrêter des intellectuels. On en est évidemment très loin en France, mais il est urgent de se mobiliser avant que les choses ne continuent à dégénérer pour les groupes les plus fragiles. Concrètement, les intellectuels français disposent encore de solides ressources pour se défendre, mais il n’en va pas de même pour les populations issues de l’immigration extra-européenne, qui font face dans notre pays à des discriminations sociales et professionnelles extrêmement lourdes et à une stigmatisation croissante.

      Vous qui travaillez avec des réseaux de recherches dans le monde entier, comment jugez-vous l’université française par rapport aux autres grandes universités internationales ? Y a-t-il une américanisation de la recherche ?

      L’idée d’une contamination des chercheurs français par leurs collègues américains ne correspond à aucune réalité. En pratique, le développement des études coloniales et postcoloniales, par exemple des travaux sur l’histoire des empires coloniaux et de l’esclavage, est une coproduction internationale. Cette évolution implique depuis longtemps des chercheurs basés en Europe, aux Etats-Unis, en Inde, au Brésil, etc. Elle est là pour durer, et c’est tant mieux. Le phénomène colonial s’étale de 1500, avec les débuts de l’expansion européenne, jusqu’aux années 60 avec les indépendances, voire jusqu’aux années 90 si l’on intègre le cas de l’apartheid sud-africain. A l’échelle de la longue durée, cette phase coloniale vient tout juste de se terminer. Ses conséquences sur les structures sociales ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. Il a fallu quelques décennies pour que la recherche s’empare pleinement des thèmes coloniaux et postcoloniaux. Ce n’est pas près de changer, et c’est tant mieux.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/thomas-piketty-frederique-vidal-doit-partir-20210217_22G6RI2Q4ZA6RID5XRX5
      #Piketty

    • «Islamo-gauchisme»: Vidal provoque la #consternation chez les chercheurs

      En annonçant commander au CNRS une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre a suscité l’ire du monde de la recherche. Les présidents d’université dénoncent « une pseudo-notion qu’il conviendrait de laisser […] à l’extrême droite », le CNRS émet de profondes réserves.

      Particulièrement transparente ces derniers mois malgré la crise grave que connaît l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal embrase la communauté universitaire, abasourdie par son intention de commander « une enquête » au CNRS sur « l’islamo-gauchisme » à l’université.

      Tout est parti d’un entretien pour le moins sidérant accordé par la ministre, dimanche 14 février, à CNews, la chaîne préférée de l’extrême droite. Interrogée par Jean-Pierre Elkabbach sur la récente une du Figaro titrée « Comment l’islamo-gauchisme gangrène l’université », la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a commencé par acquiescer à ce « constat ».

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont […]. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi », commence-t-elle par affirmer.

      « Vous ajoutez aussi les #indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale… tout ça, ça forme un tout ? », la relance doctement Jean-Pierre Elkabbach.

      Nullement gênée par l’incroyable confusion de la question, la ministre acquiesce à nouveau. « Absolument. D’ailleurs en biologie cela fait bien longtemps qu’on sait qu’il n’y a qu’une espèce humaine et qu’il n’y a pas de race donc vous voyez à quel point je suis tranquille avec ce sujet-là », répond-elle, montrant combien les récents débats scientifiques sur la notion de « race » dans les sciences sociales lui ont totalement échappé.

      « Oui, vous, vous êtes tranquille, mais il y a des minorités et elles sont agissantes… », relance encore le journaliste en agitant les doigts – une gestuelle censée représenter une forme d’infiltration de ces « minorités » à l’université.

      « Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini ? », suggère encore un Jean-Pierre Elkabbach à qui le sujet tient manifestement à cœur.

      « Vous avez raison. Mais c’est pour cela qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé, mais je crois que l’immense majorité des universitaires sont conscients de cela et luttent contre cela », avance Frédérique Vidal, sans que le spectateur, à ce stade, sache très bien ce que « cela » désigne, perdu entre les différentes chimères de « l’islamo-maoïsme » et du « féminisme-racialiste »…

      « C’est pour cela que je vais demander, notamment au CNRS, de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche, sur ces sujets, dans l’université, de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme, de l’opinion », lance alors la ministre.

      Dans la communauté scientifique, l’annonce de la ministre a manifestement pris tout le monde de court. Interrogé mardi sur les contours de cette future mission d’enquête, le CNRS semblait bien en peine de fournir le moindre élément de réponse. « À ce stade, nous en discutons avec le cabinet de Frédérique Vidal pour préciser les attentes de la ministre », nous a-t-on d’abord répondu dans un embarras manifeste.

      Au cabinet de Frédérique Vidal, on semble tout autant dans le brouillard, quant aux « attentes de la ministre ». « Les objectifs de cette étude seront définis dans les prochains jours. Il s’agira de définir ce qui existe comme courants d’études en France, sur différents thèmes », nous répond-on finalement. Difficile de faire plus vague.

      S’agit-il de faire une typologie des « courants » de pensée plus ou moins suspects ainsi que, pourquoi pas, des listes d’enseignants participant à ces courants comme aux grandes heures du maccarthysme ?

      L’enquête, selon le ministère, sera « portée » par l’alliance Athena « qui regroupe les principaux acteurs de la recherche publique française et qui est présidée par #Antoine_Petit », c’est-à-dire le directeur du CNRS. Sauf que l’alliance Athena est encore dirigée pour un mois par #Jean-François_Balaudé, qui, comme l’a révélé Le Monde, n’a même pas été informé de ce projet.

      Traversant aujourd’hui une période particulièrement difficile en raison de la pandémie, avec des étudiants en grande détresse et un corps d’enseignants-chercheurs à bout de souffle, la communauté universitaire s’est littéralement embrasée ces dernières heures.

      Mercredi en fin de journée, le CNRS a finalement publié un communiqué cinglant, expliquant que « l’islamogauchisme » était un « #slogan_politique » qui « ne correspond à aucune réalité scientifique ». « L’#exploitation_politique qui en est faite est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science ». L’organisme de recherche, qui précise qu’il mènera une enquête « visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés », a pris les devants en affirmant qu’il « condamne en particulier les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de "race", ou tout autre champ de la connaissance ».

      La conférence des présidents d’université, d’ordinaire très prudente, s’est fendue mardi en fin de journée d’un communiqué assassin faisant part de sa « stupeur » et réclamant des « clarifications urgentes » à leur ministre de tutelle. « L’islamo-gauchisme n’est pas un #concept. C’est une #pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser sinon aux animateurs de CNews, plus largement à l’extrême droite qui l’a popularisée », écrit ainsi l’organisation qui représente tous les présidents d’université.

      Le but de cette « enquête » confiée au CNRS est-il d’identifier des éléments potentiellement idéologiquement dangereux au sein de la communauté universitaire ? Sur ce point également, la Conférence des présidents d’université (CPU) tient à mettre les choses au point : « La CPU regrette la confusion entre ce qui relève de la liberté académique, la liberté de recherche dont l’évaluation par les pairs est garante, et ce qui relève d’éventuelles fautes et infractions, qui font l’objet si nécessaire d’enquêtes administratives », et qui sont confiées dans ce cas à l’Inspection générale de l’éducation.

      « La CPU s’étonne aussi de l’instrumentalisation du CNRS dont les missions ne sont en aucun cas de produire des évaluations du travail des enseignants-chercheurs, ou encore d’éclaircir ce qui relève “du militantisme ou de l’opinion”, cingle l’organisation. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Sauf qu’en matière de « n’importe quoi », la CPU et le monde de la recherche plus généralement n’avaient, sans doute, pas encore tout entendu. Questionnée mardi par la députée Bénédicte Taurine (La France insoumise) sur sa volonté de créer une « police de la pensée », Frédérique Vidal a eu cette réponse étonnante : « Alors, oui, en sociologie on appelle ça mener une enquête. Oui, je vais demander à ce qu’on fasse un bilan de l’ensemble des recherches qui se déroulent actuellement dans notre pays… Sur le postcolonialisme… Mais moi, vous savez, j’ai été extrêmement choquée de voir apparaître au Capitole un drapeau confédéré et je pense qu’il est essentiel que les sciences sociales se penchent sur ces questions qui sont encore aujourd’hui d’actualité. »

      Un rapprochement entre études postcoloniales et drapeau confédéré, emblème aujourd’hui des suprémacistes blancs, que personne n’a compris… Et pourquoi citer désormais les #études_postcoloniales qui sont un domaine de recherche présent dans les universités du monde entier ?

      Beaucoup d’universitaires et de chercheurs indignés ont demandé, à l’instar de l’économiste Thomas Piketty ou de la philosophe #Camille_Froidevaux-Metterie, le départ de la ministre aujourd’hui désavouée par une grande partie de la communauté scientifique. « Avec Frédérique Vidal, le gouvernement Macron-Castex réalise le rêve de Darmanin : contourner Le Pen par sa droite… Cette ministre indigne doit partir », a déclaré Thomas Piketty sur Twitter, où le mot-dièse #VidalDemission a rencontré un grand succès.

      Une « chasse aux sorcières »

      Les chercheurs du CNRS que Mediapart a interrogés ont unanimement rejeté l’idée d’être « instrumentalisés » par l’improbable projet d’enquête de la ministre.

      Pour l’historienne Séverine Awenengo Dalberto, chargée de recherche au CNRS et membre de l’Institut des mondes africains, Frédérique Vidal doit effectivement démissionner. « C’est scandaleux et honteux de vouloir restreindre les libertés académiques, d’instrumentaliser la recherche en histoire et sciences sociales à des fins politiciennes, et surtout, dans le contexte pandémique actuel, de mépriser à ce point les étudiants et étudiantes en portant l’attention médiatique et parlementaire sur cette fausse question de l’islamo-gauchisme plutôt que sur la détresse et la précarité des jeunes », explique-t-elle. Cette historienne, spécialiste des questions coloniales, fustige une démarche visant, selon elle, « à banaliser un discours d’extrême droite et à alimenter les fractures qu’elle feint de dénoncer. Comment peut-elle sérieusement penser que travailler sur des discriminations raciales, sur les mécanismes et les effets des assignations identitaires chromatiques, c’est reconnaître l’existence de races biologiques ? »

      Comme elle, nombre de chercheurs insistent aussi sur l’#absurdité de faire diligenter cette enquête sur l’université par le CNRS, puisque nombre de laboratoires ont une double tutelle CNRS et université.

      Le spécialiste des mobilisations ouvrières Samuel Hayat, chargé de recherche au CNRS, décrit ainsi ses collègues « entre #sidération et #découragement ». « Cela s’inscrit dans la suite logique de la gestion autoritaire de l’enseignement supérieur et de la recherche par Frédérique Vidal », souligne-t-il, en référence à la loi de programmation sur la recherche passée au forceps. « C’est une offensive générale contre, en gros, le #discours_critique et la #pensée_critique », estime-t-il. « Pour Frédérique Vidal, l’université doit être dans “l’#excellence” et la #rentabilité mais l’idée qu’il y ait des pôles de résistances critiques aux politiques est insupportable », assure-t-il. Ce politiste souligne aussi combien cette « chasse aux sorcières » rappelle les politiques menées au Brésil, en Hongrie, aux États-Unis, en Turquie ou au Japon contre les libertés académiques.

      Si dans ces pays la bataille s’est principalement concentrée sur les études de #genre, accusées de détruire les fondements de la société, la lutte contre l’#islamisme offre, en France, l’excuse toute trouvée pour traquer les chercheurs « déviants ». « Comme ils ne vont pas trouver d’islamistes dans les universités, ils s’appuient sur un concept comme “l’islamo-gauchisme” qui ne veut rien dire mais qui permet d’amalgamer les savoirs critiques au terrorisme », affirme Samuel Hayat. « La cerise sur le gâteau est l’instrumentalisation du CNRS, qui est un établissement public de recherche qui détermine évidemment son agenda de recherche. Être traité comme une officine pour cerner un objet qui n’existe pas, c’est particulièrement insultant. Le CNRS doit réaffirmer qu’il n’est pas aux ordres des objectifs politiques du gouvernement. »

      Pour l’historienne Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’Afrique aux XVIIIe et XIXe siècles, cette annonce de Frédérique Vidal s’inscrit dans « un pur enjeu électoral consistant à placer la question de l’islam au cœur de la prochaine campagne présidentielle. Le problème c’est que c’est un #discours_performatif et qu’ils n’en mesurent pas les conséquences », souligne-t-elle, décrivant des discours stigmatisants « qui blessent une partie de la société française à qui l’on veut faire comprendre qu’elle doit rester à sa place ».

      Pionnier, avec #Marwan_Mohammed, de l’étude de l’islamophobie comme nouvelle forme de racisme, le sociologue #Abdellali_Hajjat (qui a quitté la France pour enseigner en Belgique devant le climat de plus en plus hostile à ces travaux dans l’Hexagone) estime que les déclarations de Frédérique Vidal sont « la énième étape d’un processus de #panique_morale d’une partie des #élites_françaises qui a commencé au moins en 2015-2016. Et cela marque le succès d’un intense #lobbying de la part des “#universalistes_chauvins”, tenants de la fausse opposition entre “universalistes” et “décoloniaux”, estime-t-il. La ministre dit qu’il s’agit de distinguer travail de recherche et militantisme… Il semble qu’il s’agit surtout de cibler les universitaires qui seraient “déviants” d’un point de vue politique et scientifique ».

      Selon lui, malgré l’ineptie du discours d’une ministre qui semble largement dépassée par la situation, et qui pourrait prêter à sourire, la situation est très alarmante. « Cette volonté d’#hégémonie, de #contrôle total sur la recherche rappelle les pratiques des régimes politiques contemporains les plus autoritaires », assène-t-il.

      « Je suis en colère car ce qui est en train de se passer est à la fois honteux et très inquiétant », affirme de son côté Audrey Célestine, maîtresse de conférences en sociologie politique et études américaines à l’Université de Lille et membre du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. « Nous sommes dans une forme de #maccarthysme », assure-t-elle jugeant le niveau du débat public « atterrant ». « Lorsqu’on voit quelqu’un comme #Raphaël_Enthoven évoquer “la #peste_intersectionnelle”, on se dit qu’il y a une fierté à étaler dans ces débats son #ignorance crasse. Je suis pour le débat mais avec des gens qui lisent les travaux dont ils parlent », explique-t-elle. Comme pour tous les chercheurs interrogés, Frédérique Vidal a désormais perdu toute #crédibilité et ne peut plus rester ministre de tutelle.

      Après les premières déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, sur « l’islamo-gauchisme » à l’université, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche avait semblé vouloir défendre les libertés académiques. « L’université n’est ni la matrice de l’extrémisme ni un lieu où l’on confondrait émancipation et endoctrinement », avait-elle rappelé à son collègue du gouvernement.

      Aujourd’hui, Frédérique Vidal semble appliquer avec zèle une feuille de route écrite par l’exécutif. Interrogé sur France Inter, le 1er février par Léa Salamé, sur la place des « indigénistes » et des « racialistes » à l’université – un questionnement qui en dit long sur la maîtrise du sujet –, Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, a ainsi expliqué que ces idéologies sont peut-être « majoritaires » à l’université : « C’est un drame pour la France et nous devons absolument débattre pied à pied, idée par idée cela », a détaillé ce matin-là – sans souci du mélange des genres – le « premier flic de France ».

      « C’est d’ailleurs ce qu’a souhaité le président de la République dans son discours des Mureaux », rappelait-il alors, en référence au discours du chef de l’État ciblant le « #séparatisme_islamiste ».

      Soutenu par le gouvernement, un amendement glissé au Sénat dans la loi de programmation sur la recherche avait déjà, en octobre dernier, tenté de soumettre les libertés académiques au « cadre des valeurs de la République ». Finalement rejeté, au vu de sa formulation floue, il révélait déjà combien l’exécutif se montrait soupçonneux à l’égard du monde universitaire.

      La tribune des cent universitaires publiée dans le Monde fin octobre, parmi lesquels Marcel Gauchet, Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff ou Pierre Nora, dénonçant un « déni » face à l’islamisme et déplorant que « Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) » aient infiltré l’université « nourrissant une haine des « Blancs » et de la France » a sans doute fait son effet sur l’exécutif. Lequel n’a pas prêté grand crédit aux multiples contre-tribunes, sur le sujet, dont celle de deux mille chercheurs aussi publiée par le Monde, et pourtant signée par des chercheurs encore en prise, eux, avec la production en sciences sociales.

      Le président, passé de la lecture de Paul Ricœur à celle de Pierre-André Taguieff et sa dénonciation des « bonimenteurs du postcolonial », avait déjà affirmé en juin dernier devant des journalistes que « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux ».

      Aujourd’hui, sous les coups de boutoir d’un pouvoir obsédé par la mise au pas de la communauté universitaire, ce sont surtout les enseignants, les chercheurs et plus largement les libertés académiques qui sont menacés.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/170221/islamo-gauchisme-vidal-provoque-la-consternation-chez-les-chercheurs?ongle

    • Vidal au stade critique - Communiqué de SLU, 17 février 2021

      « Ainsi, depuis des mois, par petites touches, se met en place un discours officiel anti-universitaire, sans que jamais la ministre de l’Enseignement supérieur qui devrait être le premier rempart des universitaires contre ces attaques n’ait eu un mot pour les défendre » disions-nous dans notre communiqué du 24 octobre pour dénoncer les propos de Jean-Michel Blanquer devant les sénateurs dans lesquels il dénonçait « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’enseignement supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits ».

      Dans une tribune à L’Opinion deux jours plus tard la ministre de l’ESR semblait y répondre du bout des lèvres : « L’université n’est pas un lieu d’encouragement ou d’expression du fanatisme ». Bien.

      Mais depuis, la petite musique est devenue fanfare assourdissante : ainsi, deux députés LR, Julien Aubert et Damien Abad demandaient en novembre une mission d’information de l’Assemblée Nationale sur « les dérives idéologiques dans les établissements d’enseignement supérieur » ; ce même Julien Aubert publiait le 26 novembre 2020 les noms et les comptes Twitter de sept enseignants-chercheurs, nommément ciblés et livrés à la vindicte publique ; cette dénonciation calomnieuse s’ajoutait aux propos tenus par la rédaction du journal Valeurs Actuelles à l’encontre du Président nouvellement élu de l’université Sorbonne Paris Nord ; le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (le 1er février 2021 sur France-Inter) parlait d’idéologie racialiste ; la députée LR Annie Genevard dans le débat sur l’interdiction du voile à l’université dans le cadre de la loi sur le séparatisme (le 3 février 2021) synthétisait tout cela en affirmant que « L’université est traversée par des mouvements puissants et destructeurs […] le décolonialisme, le racialisme, l’indigénisme et l’intersectionnalité ».

      Et le 14 février, la ministre Frédérique Vidal, muette sur l’abandon de l’université et de ses étudiants depuis le début de la pandémie, sonne l’hallali sur une chaîne ouvertement d’extrême droite :

      « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc… »

      Et de répondre dans un rire à une question toute en nuance de l’interviewer « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ? » : « Mais vous avez raison ! »

      Tant de bêtise pourrait prêter à rire.

      Mais au milieu d’inepties qui ne témoignent que de sa confusion, Frédérique Vidal conclut, sans crainte de se contredire dans une même phrase : « On ne peut pas interdire toute approche critique à l’université. Moi c’est ça que je vais évidemment défendre et c’est pour ça que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière à ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion ».

      Voilà le CNRS transformé en IGPN (Inspection Générale de la Pensée Nationaliste).

      La chasse aux sorcières est donc lancée, cette fois en haut lieu. Elle ne peut qu’encourager le harcèlement, déjà intense sur internet, et assorti à l’occasion de menaces de mort, envers des collègues accusés d’être des « islamogauchistes ». Elle s’inscrit dans une course à l’extrême-droite qui n’est pas isolée dans le gouvernement : il s’agit bien d’un choix politique concerté (voire d’une intervention sur commande ?).

      Retenons, cependant, une phrase de la ministre : « Il faut que le monde académique se réveille ».

      Oui, il est grand temps de nous réveiller. Toutes les instances, tous les échelons que comptent l’enseignement supérieur et la recherche doivent désormais ouvertement se prononcer et clamer haut et fort : nous ne pouvons plus reconnaître Frédérique Vidal comme notre ministre, nous refuserons de mettre en place des directives contraires aux principes fondamentaux de l’université.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8893

    • Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • Merci @marielle, je mets tout le contenu de la lettre de #Pinar_Selek sur ce fil :

      Lettre à Frédérique Vidal

      Depuis vos dernières déclarations sur « l’islamo-gauchisme », je suis dans un #cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en #Turquie sont en train de vivre. Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’#autonomie de la production scientifique.

      –—

      Madame Vidal,

      Vous vous souvenez de moi, l’enseignante-chercheure exilée que vous aviez accueillie, dans le cadre du Programme PAUSE, à l’Université Côte d’Azur, quand vous étiez sa présidente. Mais nous nous sommes rencontrées la première fois, le 30 septembre 2019, dans le cadre de la conférence de presse du Programme PAUSE ( Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil). En tant que ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, vous souteniez ce programme. Je pense que vous le soutenez encore. Tant mieux : vous soutenez les enseignant.es-chercheur.es qui ont fui la répression politique dans leur pays et qui ont besoin d’un espace de liberté pour continuer à poser des questions et à conduire leurs recherches.

      Depuis vos dernières déclarations sur "l’islamo-gauchisme", je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l’islamo-fascisme. Je pense que tout.es les scientifiques exilé.es qui sont aujourd’hui accueilli.es par le Programme PAUSE sont entrés dans le même cauchemar, car elles-ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France.

      J’ai envie de vous dire que si vous ne revenez pas publiquement sur vos propos ou si vous ne démissionnez pas, le cancer se diffusera et des scientifiques français.es prendront le chemin d’exil.

      Ne me dites pas qu’en France ce n’est pas possible. Si, Madame Vidal, si. Vous le savez mieux que moi : le pétainisme n’est pas si vieux que ça. Rappelez-vous dans les années 1940, il y avait beaucoup d’universitaires français exilés, refusant de se soumettre au fascisme.

      Vous vous souvenez peut-être, dans la conférence de presse de PAUSE, j’avais commencé mon intervention en disant ceci : « Pour vous épargner un récit victimisant et pour me distancier d’une vision intégrationniste imprégnée de colonialisme, j’avais pensé d’abord rappeler que chaque pays a besoin de passeurs des théories scientifiques. Surtout la France qui a de grandes difficultés de traduction. Elle a besoin de savant.es qui se sont formés dans d’autres pays. De plus, accueillir les scientifiques qui ne sont pas soumis à l’autorité ne peut être qu’une richesse pour ceux et celles qui les accueillent. » Je vous demande de prêter attention à ma parole qui s’est forgée à travers une expérience très dure de la défense de la liberté de la recherche et de l’autonomie de la production scientifique.

      Madame Vidal, essayez d’écrire des articles scientifiques, avec votre casquette universitaire, pour remettre en question les notions scientifiques et inscrivez-vous dans le débat collectif des chercheur.es, mais surtout cessez d’intervenir en mettant votre casquette politique !

      Sinon vous allez mettre la machine infernale en marche.

      Et la machine du pouvoir peut aller plus loin que vous ne l’imaginez.

      Pinar Selek

      https://blogs.mediapart.fr/pinar-selek/blog/210221/lettre-frederique-vidal

    • "Islamogauchisme" : Le piège de l’#Alt-right se referme sur la Macronie

      Mardi dernier, la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) a exprimé son souhait de missionner le CNRS pour une « étude scientifique » sur “l’islamo-gauchisme” qui, d’après ses propos de dimanche (14/02/21) sur une chaîne TV privée, « gangrène la société dans son ensemble ». « L’université n’[y étant] pas imperméable », il s’agirait de définir « ce qui relève de la recherche et du militantisme ». La Conférence des Présidents d’Université a immédiatement exprimé sa stupeur devant de tels propos, tandis que le CNRS indiquait dans un communiqué de presse que « “L’islamogauchisme” , slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique ».

      C’est la troisième fois en moins de six mois que l’expression “l’islamo-gauchisme” est employée par un ministre du gouvernement Castex, contribuant à inscrire ce terme comme dénomination légitime d’une catégorie sociale, malgré l’absence de réalité scientifique.

      Au-delà de la menace que fait peser la démarche de la Ministre sur les libertés académiques, qui a suscité de vives polémiques, nous montrons qu’elle s’inscrit dans une tendance d’autant plus inquiétante qu’elle semble relever d’un #aveuglement au niveau de la Présidence et du gouvernement.

      Afin de discerner ce qui relève du #militantisme ou de la #stratégie_politique dans la #popularisation de ce #néologisme, ainsi que l’impact que pourrait avoir sa #légitimation par de hauts responsables de la République, nous présentons ici une étude factuelle sur les contextes de son utilisation dans le paysage politique français sur les 5 dernières années.

      Nous nous appuierons sur le #Politoscope, un instrument du CNRS que nous avons développé à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris IdF pour l’étude du #militantisme_politique en ligne. Il nous permet d’analyser à ce jour plus de 290 millions de messages à connotation politique entre plus de 11 millions de comptes #Twitter émis depuis 2016.

      Nous renvoyons le lecteur intéressé par l’origine de l’expression “islamo-gauchisme” à l’historique qui en avait été fait en octobre dernier lors des premières utilisations de ce terme, d’abord par le Ministre de l’Intérieur lors d’un échange à l’Assemblée Nationale, puis par le Ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports en réaction à l’assassinat de Samuel Paty.

      Le point important pour notre propos est que nous avons affaire à un néologisme relativement ancien (une quinzaine d’années) qui a jusque-là été peu utilisé. Entre le 1er Août 2017 et le 30 décembre 2020, sur 230M de tweets analysés, le terme « islamogauchisme » ou ses variantes ont été promus dans des tweets originaux et relayés via retweets respectivement par 0,019% et 0,26% du total comptes Twitter analysés, au sein de « seulement » 73.806 messages (0,032% du total). Nous sommes donc sur une #terminologie, et a priori une catégorisation des groupes sociaux, très marginales[1].

      Comme le montrent les recherches en sociologie et psychologie sociale[2], ce type de dénomination émergente indique la volonté de créer une nouvelle catégorie dans l’#imaginaire_collectif, passage obligé pour faire accepter de nouveaux #récits_de_référence et pour façonner de manière durable de nouvelles #représentations, #croyances et #valeurs.

      S’agissant de la dénomination d’un #groupe_social, elle est l’instrument d’une démarcation entre le groupe social qui l’emploie et le groupe social réel ou fantasmé qu’elle est censée désigner. Si le CNRS s’est exprimé au plus haut niveau pour indiquer que l’« islamogauchisme » était plus un #fantasme qu’une réalité scientifique, nous posons ici la question de ce que cette expression révèle sur le ou les groupes sociaux qui l’emploient.

      Voici donc ce qui ressort de l’expression « islamogauchisme »[3] lorsque nous la passons au macroscope de nos méthodes d’analyse.

      Quels ont été les contextes d’usage de l’expression « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      Si l’expression« islamo-gauchisme » est très marginale dans la #twittersphère et dans le #langage_politique ordinaire, elle apparaît dans des contextes très précis en tant qu’instrument de #lutte_idéologique.

      Une première évaluation qualitative de ce fait peut être menée à partir des messages mentionnant cette expression. Nous reproduisons ci-dessous les tweets ayant touché le plus de comptes distincts ces cinq dernières années. Ils sont classés par ordre décroissant de leur impact.

      Il apparaît clairement sur cet échantillon, par ailleurs assez représentatif de l’ensemble, que « islamo-gauchisme » est employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à « islamo-gauchisme » sont celles de #traître, d’#ennemi_de_la_république, d’#immoralité, de #honte, de #corruption ainsi que de #menace, d’#insécurité, de #danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’#islamisme_radical.

      La principale communauté politique visée par ce terme (et qui s’en défend, d’où sa présence dans ce corpus de tweets) est la #France_Insoumise et la personnalité de #Jean-Luc_Mélenchon, mais occasionnellement, ce terme vise la communauté plus large des personnalités et militants de #gauche, comme le montre le tweet le plus relayé de tout notre corpus et adressé à #Benoît_Hamon.

      Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un #danger_imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire. La construction même du terme reflète cette ambition. Dans un pays encore meurtris par les attentats du Bataclan, le préfixe « islamo- » est au mieux négatif voire désigne des personnes dangereuses pour l’ordre public, quant au suffixe « gauchisme », il est une forme péjorative pour désigner en vrac les #idéologies_de_gauche.

      Qui a fait la promotion de la notion « islamo-gauchisme » ces dernières années ?

      En y regardant de plus près, l’usage de l’expression « islamo-gauchisme » est un marqueur de types de comptes Twitter très précis. Voici les comptes qui ont le plus utilisé cette expression ces cinq dernières années, classés par nombre décroissant d’usages de cette expression :

      Table 1. Liste des comptes ayant le plus relayé le terme « islamo-gauchisme » depuis 2016 dans le Politoscope. La mention ‘suspendu’ indique des comptes suspendus par Twitter pour leur comportement violant ses règles d’utilisation. La mention ‘protégé’ indique des comptes qui ont choisi de rendre leurs messages confidentiels. La mention bot indique des comptes ouvertement pilotés par des robots informatiques.

      On remarque tout d’abord qu’il y a une forte majorité de #comptes_suspendus. D’après Twitter, la plupart des comptes suspendus sont des #spammeurs, ou tout simplement des #faux_comptes qui introduisent des risques de sécurité pour Twitter et ses utilisateurs. Un compte peut également être suspendu si son détenteur adopte un comportement abusif, comme envoyer des menaces à d’autres personnes ou se faire passer pour d’autres comptes, ou si Twitter pense qu’il a été piraté.

      Les cas de suspension de comptes sont très rares. L’une des plus importantes purges de comptes Twitter a visé récemment 70.000 comptes ayant incité à la violence dans les jours précédant le saccage du Capitole aux USA, ce qui ne représente que 0,023% de l’ensemble des comptes actifs. Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur l’« islamo-gauchisme » est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants.

      Dans le cas présent, les raisons de la suspension semblent être un comportement verbalement violent et peut-être même plus probablement un comportement de tromperie ou d’astroturfing typique des agissements d’une certaine frange de l’#extrême_droite : une démultiplication démesurée et généralement artificielle de l’activité d’un compte pour faire illusion sur le soutien réel d’une population à une idée. Cette hypothèse est confortée par la présence de deux ‘amplificateurs’ parmi cette short list, c’est à dire des comptes dont le nombre quotidien de tweets (plus de 60 par jour en moyenne) indique qu’ils sont probablement pilotés par des robots ou des salariés.

      La seconde chose que l’on peut remarquer est l’#orientation_politique des quelques comptes présents dans cette liste pour ceux qui sont encore actifs : ils sont tous idéologiquement d’extrême-droite.

      L’analyse de l’ensemble des 83.000 #tweets contenant « islamo-gauchisme » et de leur dynamique permet de préciser ce tableau.

      Les deux communautés politiques historiques qui ont été les plus actives sur ce thème sont le #Rassemblement_National et #Les_Républicains, mais avec des temporalités très différentes. Jusqu’au 1er tour de la présidentielle de 2017, Les Républicains, et principalement les sarkozystes, étaient les plus actifs sur le sujet. Ce point n’est pas une coïncidence puisque, comme nous l’avons démontré[4] la tactique consistant à dénigrer un adversaire en révélant sa soit-disant proximité avec l’islamisme radical avait déjà été utilisée au sein même de LR contre Alain Juppé, une première fois par les sarkozistes pendant la primaire de la droite de 2016 où il était grand favori, puis par les fillionnistes au moment du Peneloppe Gate, alors que la possibilité d’un retour de Juppé était évoquée.

      La tendance s’est inversée très exactement dans l’entre-deux tours et le #RN est alors devenu, et de loin, le courant politique qui a le plus fréquemment fait usage du terme « islamo-gauchisme ». Sur ces quatre dernières années, les militants d’extrême droite ont consacré plus de deux fois plus d’efforts à sa promotion que leurs homologues Républicains (rapporté à leur volume total de tweets).

      Cette inversion s’explique par la reconfiguration des forces politiques à l’issue de la présidentielle. Comme nous l’avons déjà décrit[5], pendant la majeure partie de la campagne présidentielle, Marine Le Pen étant pronostiquée au second tour, les autres candidats se sont affrontés entre-eux pour obtenir la place restante. #Mélenchon était donc l’un des principaux adversaires de Fillon. Mais dès la présidentielle terminée et l’effondrement du PS et de LR qui s’en sont suivis, LFI et le RN sont devenus les principaux partis d’opposition et se sont donc mis à s’affronter pour prendre la place de première force d’opposition. C’est dans ce cadre que le RN a tenté d’imposer sa vision de « islamo-gauchisme » afin de discréditer son principal opposant et servir par la même occasion son agenda politique anti-immigration.

      Le terme « islamo-gauchisme » est donc avant tout une #arme_idéologique utilisée dans un #discours_hostile pour discréditer une communauté politique indépendamment de la réalité qu’il est supposé désigner.

      Une #cartographie de l’ensemble des échanges Twitter avec identification des communautés politiques révèle d’ailleurs très bien cette organisation dichotomique des échanges autour de cette expression. La figure 2 montre deux blocs qui s’affrontent : d’un côté les communautés d’extrême-droite et LR qui utilisent ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI, de l’autre LFI qui se défend. On remarquera par ailleurs que l’extrême droite est elle-même divisée en deux sous groupes : le RN et les courants patriotes/identitaires. Enfin, la figure 3 ci-dessous montre bien l’activité ancienne, persistante et massive de l’extrême-droite pointant l’intention de faire accepter une certaine représentation du monde par ce néologisme.


      Figure 2. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme ». Chaque point est un compte Twitter, sa couleur indique son appartenance à un courant politique. A droite, les communautés d’extrême-droite et LR utilisant ce terme de manière hostile pour dénigrer ou stigmatiser la communauté LFI (à gauche) qui se défend. La taille des nœuds est fonction du nombre de leurs tweets mentionnant « islamo-gauchisme » mise à part celle des nœuds labellisés avec des comptes actifs dont la taille a été augmentée pour des questions de visualisation. Pour ces nœuds là uniquement, la couleur indique le nombre de tweets mentionnant « islamo-gauchisme », par ordre croissant du blanc au violet. On remarquera la présence marquée de comptes très impliqués dans ce type d’échanges et suspendus depuis par Twitter. Image : CNRS, #David_Chavalarias – CC BY-ND 4.0.


      Figure 3. Cartographie des communautés politiques mentionnant « islamo-gauchisme » avec indication de la longévité des comptes. La taille des nœuds est proportionnelle à l’intervalle de temps pendant lequel a été détectée une participation à la polémique « islamo-gauchisme ». Il apparaît clairement qu’il y a une activité ancienne, persistante et massive à l’extrême-droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      Pourquoi l’adoption du #vocabulaire de l’extrême droite est-elle un piège ?

      Si l’on résume les éléments factuels que nous venons de présenter :

      Bien que la science ne reconnaisse pas « islamo-gauchisme » comme une catégorie sociale légitime, plusieurs courants d’extrême-droite en font depuis longtemps la promotion,
      Cette promotion, qui s’inscrit dans des échanges hostiles et dépourvus d’éléments programmatiques, a des objectifs bien précis : 1) discréditer ses opposants de gauche, 2) convaincre l’#opinion_publique de l’existence d’une nouvelle catégorie d’acteurs : des ennemis intérieurs alliés aux forces obscures de l’islamisme radical. Ce faisant, elle crée une #atmosphère_anxiogène propice à l’adhésion à ses idées.

      Si, comme nous avons pu le mesurer, cet effort soutenu n’a pas eu d’effet notable sur l’écosystème politique jusqu’à récemment, les interventions successives de trois ministres de la République ont changé la donne. La dernière intervention de Frédérique Vidal lui a fourni une exposition inespérée.

      L’existence de groupes « islamo-gauchites » vient d’être défendue officiellement au plus haut niveau puisqu’il serait absurde de demander une enquête sur quelque chose à laquelle on apporte peu de crédit. Cette dénomination est donc légitimée par le gouvernement, avec en prime l’idée que de notre jeunesse serait menacée d’#endoctrinement.

      La réaction épidermique du milieu universitaire à ces interventions n’a fait qu’amplifier l’exposition à cette idée, même si c’était pour la démentir, laissant présager d’un #effet_boomerang. Nous voyons ainsi sur le détail de l’évolution de la popularité de ce terme (Figure 4) qu’il a été propulsé au centre des discussions de l’ensemble des communautés politiques à la suite de l’intervention de la ministre et qu’il a même atteint assez profondément “la mer”.

      « La mer » est le nom que nous avons donné à ce large ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques. Toucher “la mer” avec leurs idées est le graal pour les communautés politiques car c’est un réservoir important de nouvelles recrues. Ainsi, “la mer”, concentrant son attention sur ce concept d’« islamo-gauchisme », est amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême-droite.

      D’après nos mesures, les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême-droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant « islamo-gauchisme » est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020. On peut parler de #performance.


      Figure 4. Détail de l’évolution du nombre cumulé de tweets émis par les principales communautés politiques avec la mention « islamo-gauchisme » ou ses variantes. Le volume de tweets de “la mer” apparaît en vert et peut être lu sur l’axe des ordonnées à droite. Image : CNRS, David Chavalarias – CC BY-ND 4.0.

      La porte ouverte à l’#alt-right

      Pour bien comprendre la faute politique que constitue la légitimation et l’appropriation d’un concept tel que « islamo-gauchisme » par un gouvernement, il faut se placer dans le contexte mondial de la montée de l’alt-right et des étapes qui permettent à cette idéologie de gangrener le pouvoir.

      Contrairement à “« islamo-gauchisme », l’alt-right est un mouvement idéologique bien réel, scientifiquement documenté[6], et revendiqué publiquement au sein d’espaces d’échanges en ligne tels que #4Chan et #8Chan.

      L’alt-right est l’idéologie dont l’ascension a accompagné la prise du pouvoir de Donald Trump. Ses partisans sont nationalistes et suprématistes, racistes et antisémites, complotistes, intolérants et d’une violence parfois teintée de néonazisme[7]. Ils s’organisent de manière décentralisée via les médias numériques et recrutent “parmi les identitaires blancs, éduqués ou non, qui se présentent comme victimes de la culture dominante” (Port-Levet, 2020). Ils utilisent la #désinformation comme principal moyen pour propager leur idéologie “qui se fonde sur la #confusion_idéologique et dont l’un des principaux objectifs est de troubler l’ordre politique pour accélérer le chaos”[8].

      On ne s’étonnera pas que l’alt-right conçoive l’Université comme un repère de gauchistes et que certains de ses partisans en aient fait leur principal champ de bataille[9].

      L’idéologie alt-right a déjà quelques belles victoires à son palmarès, dont les mandatures de Donald Trump aux États-Unis et de Bolsonaro au Brésil, pays dont on relèvera qu’il dispose du même mode de scrutin présidentiel que la France.

      Comme nous l’avons documenté[10], ses partisans sont convaincus que #Marine_Le_Pen est de leur côté (cf. Figure 5), ils l’ont d’ailleurs activement soutenu en 2017 en espérant lui donner le coup de pouce décisif qui la mènerait à la victoire. L’un de leurs forums post-premier tour, intitulé “#Final_Push_Edition”, commençait le 25 avril 2017 par la formule “Alright everyone, our golden queen has won the first round and must now face her final opponent Macron Antoinette.”[11]. S’en suivait une série d’échanges et de conseils sur la meilleure manière de manier la désinformation pour réorienter une partie de l’opinion française vers un vote Le Pen ou l’abstention.


      Figure 5. Meme propagé en 2017 par les partisans de l’alt-right montrant Marine Le Pen faisant le symbole « O-KKK » (en référence au Ku Klux Klan) qui signifie “White Power”, signe de ralliement des suprémacistes blancs. Ce signe peut être vu également sur de multiples photos de la prise du Capitole. La grenouille, “Pepe the frog”, est la mascotte du mouvement. Ce photo-montage est un message entre partisans de l’alt-right pour indiquer que Marine Le Pen défend leurs valeurs. Image : 4Chan – Meme Internet – auteur anonyme.

      Depuis, ce courant n’a cessé de se renforcer à travers le monde, bénéficiant de la bouffée d’oxygène apportée par la mandature #Trump. Avec la victoire de Biden, ils n’auront rien de mieux à faire ces prochains mois que de s’occuper à nouveau des élections présidentielles en Europe.

      Pour propager leur idéologie à grande échelle, les activistes de l’alt-right se doivent de conquérir l’#imaginaire_collectif avec leurs représentations du monde. Comme une araignée, ils nécrosent progressivement la #morale_collective et la confiance que les citoyens ont dans leurs institutions démocratiques jusqu’à leur faire perdre tout repère. L’espoir de ces activistes est qu’alors un coup de force coordonné, jouant sur les #émotions_négatives, leur permettra de faire basculer une élection.

      Le chemin de cette nécrose est connu et documenté par la recherche en psychologie sociale, sociologie et sciences politiques. Il a été emprunté par les partisans de #Donald_Trump et a mené à l’insurrection du Capitole. En avoir connaissance nous permet de constater que nous l’empruntons déjà et que la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation vient, probablement à son insu, d’y jouer un rôle d’agent de la circulation très efficace.

      Il y a en effet un parallèle quasi parfait entre la stratégie de l’alt-right américaine et celle qui sous-tend la promotion de la notion d’« islamo-gauchisme ». Citons pour nous en convaincre quelques passages d’une excellente recherche sur ce mouvement aux États Unis. Elle se fonde sur une analyse qualitative du discours alt-right sur le forum “r/The_Donald” au sein de Reddit (McLamore and Uluğ, 2020) :

      […] La théorie des représentations sociales met en évidence la pensée dualiste et dichotomique qui distingue les catégories, c’est-à-dire les “bonnes personnes/mauvaises personnes”, les “amis/ennemis”, les “élites/nonelites”, la “majorité/minorité” (Markova, 2006 ; Staerklé, 2009 ; Staerklé, Clemence, & Spini, 2011) – et l’appartenance à ces #catégories_antagonistes est attribuée en fonction de la concordance ou de la discordance avec des #symboles, #valeurs ou caractéristiques qui sont socialement représentés (Staerklé, Clemence, & Spini, 2011)

      Les résultats indiquent que les billets[12] qui contiennent des représentations sociales ou des éléments narratifs sur r/The_Donald se concentrent largement sur les caractéristiques des libéraux/gauchistes/démocrates, y compris leurs idéologies, leurs motivations et leurs objectifs perçus, et représentent les partisans de Donald Trump et des conservateurs plus généralement par opposition à ces groupes.

      Dans les trois catégories principales les plus courantes, les billets ont pour fonction de rejeter les positions libérales et de délégitimer les opposants politiques au populisme d’extrême droite (par exemple, les libéraux, les gauchistes, les marxistes, les militants des minorités, les militants de l’immigration, les féministes, les militants queer, etc.) […]

      Ces représentations des libéraux interprètent les positions libérales comme peu sincères et/ou invalides, représentant l’opposition au #populisme d’extrême droite comme le produit d’un lavage de cerveau, et représentant les opposants au populisme d’extrême droite comme illégitimes dans leurs croyances. Ce faisant, ces représentations des libéraux fonctionnent non seulement pour rejeter les idées libérales, mais aussi pour positionner les partisans de Donald Trump et les libéraux comme des parties opposées au sein d’un récit. L’émergence de tels récits, qui représentent des groupes en tant que forces opposées ayant des buts et des objectifs incompatibles, tout en délégitimant ou en rejetant simultanément les buts et les objectifs du parti rival, est un élément essentiel de l’infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes (Bar-Tal, 2007 ; Bekerman & Zembylas, 2009 ; Salomon, 2004).

      Comme les représentations sociales fonctionnent comme les éléments constitutifs des récits (Liu & Hilton, 2005 ; Moscovici, 1968/2008), ces représentations des libéraux et du libéralisme contribuent à établir les bases d’une infrastructure sociopsychologique des conflits entre groupes. […]

      La #délégitimisation des musulmans et des immigrants renforce mutuellement la délégitimisation des libéraux sur r/The_Donald. En tant que tels, les libéraux ne sont pas seulement présentés comme une #menace_interne, intragroupe, par leur élitisme et leur censure perçus de la culture américaine traditionnelle, mais aussi comme facilitant ou permettant une #menace_externe, intergroupe, par leur association avec les immigrants et les musulmans, qui sont représentés sur r/The_Donald comme intrinsèquement dangereux. Ces deux processus pourraient faciliter le soutien à l’#escalade_de_la_violence, car des travaux antérieurs en psychologie sociale établissent un lien entre la menace perçue et le soutien à l’escalade du conflit et à la #violence future dans les conflits violents (Hirschberger, Pyszczynski, & Ein-Dor, 2015). Au sein de r/The_Donald, nos résultats qualitatifs suggèrent donc que les libéraux représentent à la fois une menace culturelle par leurs attaques (perçues) contre les valeurs traditionnelles de ces Redditeurs, mais aussi une menace physique tangible par leurs liens avec des groupes extérieurs qui sont représentés comme violents et dangereux. Ces perceptions de la menace, qui se chevauchent mais sont distinctes, suggèrent que, dans ces représentations, les libéraux peuvent représenter des menaces à la fois symboliques et réelles (voir Stephan & Stephan, 2000).

      Pris dans leur ensemble, les billets des principales catégories [de r/The_Donald] représentent les libéraux comme étant à la fois oppresseurs des Blancs américains et des traditions américaines, mais impuissants, s’appuyant sur la #conspiration et le #lavage_de_cerveau pour conserver leur position d’élite. […]

      Ces représentations pourraient, en théorie, évoquer une #mentalité_de_siège typique des victimes dans un conflit où elles perçoivent tout comme étant contre elles (voir Bar-Tal & Antebi, 1992). Avec cette mentalité, les personnes partageant les représentations sociales qui prévalent sur r/The_Donald peuvent se comporter comme si elles étaient assiégés parce qu’ils se perçoivent et se représentent comme tels.

      Dans sa prise de parole sur l’« islamo-gauchisme » à l’assemblée, la Ministre a justifié sa démarche en se disant “extrêmement choquée de voir au Capitole apparaître un drapeau confédéré et [qu’elle pensait] qu’il est essentiel que les sciences humaines et sociales se penchent sur ces questions qui sont encore d’actualité”. Aussitôt dit aussitôt fait, dirions-nous. Les sciences humaines et sociales se sont déjà penchées sur les dérives qui ont mené au Capitole et elles n’ont rien à voir avec l’« islamo-gauchisme ». Au contraire, comme le démontrent les extraits précédents, les événements du Capitole sont directement liés à la légitimation de termes tels que « islamo-gauchisme ».

      En résumé, la première étape pour ancrer l’#idéologie_alt-right et arriver à saboter une démocratie est de concrétiser dans l’imaginaire collectif la représentation d’un #ennemi_de_l’intérieur qui pilote nos élites et fait alliance avec des ennemis de l’extérieur (non-blancs). La notion d’« islamo-gauchisme » est en cela une #trouvaille_géniale qui véhicule en quelques lettres cette idée maîtresse. En France, l’alt-right n’aurait pu rêver mieux que l’intervention récente de la Ministre : l’« islamo-gauchisme » pourrait être en train de corrompre les têtes pensantes de nos Universités ; propos amplifié par le Ministre de l’Éducation Nationale qui le voit “« comme un #fait_social indubitable »[13]. La polémique nationale que cela a suscité est un service rendu inestimable.

      Le billard du chaos

      Le recours du gouvernement à la rhétorique de « islamo-gauchisme » révèle une perte inquiétante de repères. Après trois reprises par trois ministres différents et importants, la dernière étant assumée deux jours plus tard par une intervention à l’Assemblée Nationale puis une autre au JDD, une #stratégie_gouvernementale affleure qui révèle une certaine nervosité. Et si LREM n’était pas au deuxième tour de la présidentielle en 2022 ?

      Les mouvements sociaux de 2018, les gilets jaunes éborgnés, la pandémie qui n’en finit pas de finir, la crise économique sans précédent qui s’annonce, tout cela fait #désordre et n’a pas permis à Emmanuel Macron de développer pleinement son programme. Il y a de quoi s’inquiéter. Comme en 2017, les partis politiques semblent se résoudre à avoir Marine Le Pen au second tour, jeu dangereux étant donné les failles de notre système de vote[14]. Pour passer les deux tours, LREM devra donc éliminer LFI au premier tour, actuellement son opposant le plus structuré hormis le RN, puis battre le RN au deuxième tour. Accréditer l’existence d’un “islamo-gauchisme”, c’est à la fois affaiblir LFI en emboîtant le pas de l’extrême droite et montrer aux électeurs qui seraient tentés par le RN que, dans le domaine de la lutte contre l’islamisme radical, LREM peut tout à fait faire aussi bien, voire mieux, qu’une Marine Le Pen qualifiée de “molle” par Gérald Darmanin[15].

      Ce billard à trois bandes qui relève du “en même temps” est cependant extrêmement dangereux et a toutes les chances de devenir incontrôlable.

      Il n’y a pas de “en même temps” dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées. Une fois les représentations ad-hoc adoptées, l’électeur préférera toujours l’original à la copie et l’anti-système au système. Le vainqueur de 2022 sera celui qui arrivera à contrôler le cadre dans lequel s’effectueront les raisonnements des électeurs, et si ce cadre contient en son centre le terme “islamo-gauchisme”, il est fort à parier que Macron pourra faire ses valises. Pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer.

      Epilogue

      Pour revenir sur la question de l’indépendance des universitaires et des chercheurs qui a donné à cette polémique une couverture nationale, on remarquera qu’il y a là un exemple assez pur du mode opératoire de l’alt-right, que la Ministre, a priori à son insu, a accompagné. Comme le montre Simon Ridley (2020), l’alt-right n’est plus un activisme marginal, exercé sous couvert de la « liberté d’expression », mais un engagement dans des actions criminelles destinées à créer du #chaos et à renverser la réalité[16]. Un mode opératoire récurrent des partisans de l’alt-right est de créer un #ennemi_imaginaire contre lequel ils se positionnent en rempart, espérant ainsi créer la réaction hostile à leur encontre qui justifiera leurs actions, souvent violentes.

      L’alt-right cible de manière privilégiée la #jeunesse et les universités. L’idée qu’il puisse y avoir au sein de l’université des groupes tels que des “islamo-gauchistes” sert précisément à légitimer leur intervention dans ce milieu. On a donc ici un parfait renversement de valeurs : un groupe qui promeut des méthodes malhonnêtes et violentes essaie de faire croire à l’existence d’un pseudo-groupe pour apparaître comme un rempart salutaire.

      https://politoscope.org/2021/02/le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie

    • #Blanquer voit l’"islamo-gauchisme" comme «un fait social indubitable»


      https://twitter.com/BFMTV/status/1363103524020760578

      Blanquer, je transcris ici ses propos:

      « Ce serait absurde de ne pas vouloir étudier un #fait_social. Il faut bien étudier dans ce cas là... si c’est une #illusion... il faut étudier l’illusion, et regarder si ça n’est une. Pour ma part je le vois comme un fait social indubitable, ça se voit par exemple dans les déclarations de certains politiques politiques. Quand vous avez Monsieur Mélanchon qui participe à une manifestation du CCIF où il y avait clairement des islamistes radicaux, Monsieur Mélanchon quand il fait cela tombe dans l’islamogauchisme sans aucun doute. Je veux bien après que des spécialistes de sciences politiques examinent ça, trouvent d’autres mots pour décrire le phénomène, chacun doit voir cela avec sérénité et objectivité »

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque des libertés académiques. Le déni doit cesser, à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux libertés publiques.
      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat, à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du définancement du budget « Vie étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement.

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances,mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « Avenir lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « Principes républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de Marion Maréchal-Le Pen, dont les idées sont reprises par Emmanuel Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » et continuée avec Jean-Michel Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat, à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.
      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « déni de démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental, pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan, et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « nuit noire » d’octobre : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.
      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un délit pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des franchises académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre, lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La protection fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale, c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence Sarkozy et le vote de la loi dite « Libertés et responsabilités des universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la diversion à la saisie du problème de la pauvreté étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un ordre colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante

      #Christelle_Rabier

    • Note de solidarité à l’intention des chercheuses et chercheurs en poste en France

      Nous, chercheurs et chercheuses en poste en Allemagne, suivons avec inquiétude les derniers développements de la polémique en France autour du prétendu « islamo-gauchisme » dans les universités françaises ainsi que les attaques répétées faites aux recherches intersectionnelles et postcoloniales. Nous y voyons un effort ciblé pour réduire au silence certains champs de recherche qui, par leurs résultats scientifiques, remettent en question des privilèges et inégalités structurellement ancrés.

      Ce débat a des effets dévastateurs sur nos collègues dont on essaie de délégitimer le travail. Nous rejetons résolument les insinuations destinées à semer le doute sur leur intégrité scientifique. Nous voyons dans ces reproches un empiètement inacceptable sur la liberté de recherche et de l’enseignement académique. L’évaluation de la qualité académique d’une approche scientifique n’incombe pas aux ministres ou aux parlementaires, c’est une compétence primordiale de la communauté scientifique. Or, tout comme chercheuses et chercheurs font valoir les fruits de leurs recherches sur la scène publique sous forme d’un transfert des connaissances, leur travail régulier consiste également en l’évaluation des travaux de leurs pairs.

      Nous déplorons que cette polémique ait vu certains membres du gouvernement et de la majorité présidentielle apporter leur soutien à des positions et des stratégies rhétoriques jusqu’ici réservées à l’extrême droite. Nous constatons avec inquiétude ces évolutions, qui ouvrent la voie à une profonde remise en question des principes qui sous-tendent jusqu’à présent l’enseignement supérieur et la recherche.

      Le débat dépasse le seul cadre de la sphère académique française : il a une dimension européenne et mondiale. Il touche également aux valeurs communes de la coopération scientifique franco-allemande et internationale. Afin de pouvoir continuer notre travail au-delà des frontières tant disciplinaires que nationales, il est essentiel que nos collègues en France puissent poursuivre leurs recherches sans aucune intervention politique dans le choix de leurs approches théoriques, méthodologiques et empiriques. Notre échange d’idées ne saurait se faire si nos travaux étaient soumis à une conditionnalité politique.

      C’est pourquoi nous exprimons notre solidarité et notre soutien à nos collègues de toutes les disciplines qui refusent de telles tentatives d’intimidation. Nous lançons un appel solennel à Madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et à toutes les personnalités de l’échiquier politique qui alimentent cette polémique : nous vous demandons instamment de cesser les attaques et de revenir immédiatement à une situation de respect absolu de la liberté académique en France.

      [Nous suivons de très près les développements actuels de ce débat en France. La collecte des signatures est ouverte jusqu’au 25 février inclus. Si nous arrivons à atteindre un nombre significatif de signatures, nous transmettrons cette note aux médias français et allemands le 26 février.]
      * Solidaritätserklärung mit Forschenden in Frankreich *
      Wir, in Deutschland beschäftigte Forschende, verfolgen mit Sorge die andauernde Debatte in Frankreich um angebliche „islamisch-linke“ Strömungen an den französischen Universitäten und die wiederholten Angriffe auf intersektionale und postkoloniale Forschungsrichtungen. Wir sehen darin einen gezielten Versuch, bestimmte Forschungsfelder zum Verstummen zu bringen, welche auf Basis ihrer wissenschaftlichen Erkenntnisse zahlreiche lange bestehende Privilegien und strukturelle Ungleichheiten offenlegen.

      Diese Debatte hat eine verheerende Wirkung auf unsere Kolleg_innen, deren Arbeit man zu delegitimieren versucht. Wir weisen entschieden die Andeutungen zurück, mit denen die wissenschaftliche Integrität unserer Kolleg_innen in Zweifel gezogen werden soll. Die Bewertung der wissenschaftlichen Qualität eines Forschungsansatzes obliegt nicht den Ministerien oder Abgeordneten ; dies ist zuallererst die ureigene Kompetenz der wissenschaftlichen Community. Wenn Forschende die Ergebnisse ihrer Arbeit als Wissenstransfer in die Öffentlichkeit tragen, so ist auch dies ein integraler Bestandteil ihrer üblichen Tätigkeit.

      Wir missbilligen die Art und Weise, wie sich einige Mitglieder der Regierung und der parlamentarischen Regierungsmehrheit in der Debatte an Konzepte und rhetorische Strategien anlehnen, die bisher vor allem der extremen Rechten vorbehalten waren. Diese Entwicklung beunruhigt uns sehr, denn sie bereitet einer Entwicklung den Weg, welche letztendlich die Grundprinzipien unseres Wissenschafts- und Bildungssystem in Frage stellt.

      Die Debatte geht über das akademische Umfeld Frankreichs hinaus, sie hat eine europäische und weltweite Tragweite. Sie berührt auch die gemeinsamen Werte der deutsch-französischen und internationalen wissenschaftlichen Zusammenarbeit. Um unsere Arbeit über nationale wie fachliche Grenzen hinaus fortsetzen zu können, ist es unabdingbar, dass unsere Kolleg_innen in Frankreich ohne jede Einmischung der Politik in die Wahl ihrer theoretischen, methodischen oder empirischen Zugänge forschen können. Unser Ideenaustausch wäre erheblich gestört, wenn ihre Arbeit künftig einem politischen Vorbehalt unterläge.

      Unsere Solidarität und Unterstützung gilt deshalb allen Kolleg_innen in den Geistes-, Sozial- und Naturwissenschaften, welche derartige Einschüchterungsversuche ablehnen. Wir richten uns daher an die französische Wissenschaftsministerin sowie an alle anderen Personen des politischen Lebens, die sich hieran beteiligen : Wir fordern Sie mit Nachdruck dazu auf, diese Angriffe zu unterlassen und fortan die akademische Freiheit in Frankreich wieder vollumfänglich zu gewährleisten und zu respektieren.

      [Eine Zusammenfassung der Hintergründe zu dieser Thematik auf Deutsch finden Sie hier : https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

      Wir verfolgen weiterhin aufmerksam den Fortgang der Debatte in Frankreich. Die Liste zur Mitunterzeichnung ist offen bis zum 25. Februar. Kommt eine signifikante Anzahl von Unterschriften zustande, übermitteln wir die Erklärung am 26. Februar den französischen und deutschen Medien zur Veröffentlichung.]
      * Appel initié par / Initiiert von *
      Dr. Philipp Krämer, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Naomi Truan, Universität Leipzig
      * Signataires / Unterzeichnende *
      Merci d’indiquer votre nom complet, votre institution, et, si vous souhaitez être tenu·e informé·e, votre adresse email institutionnelle. Si vous avez des changements urgents à proposer, merci de nous les communiquer par e-mail jusqu’au 25 février au plus tard (voir adresses ci-dessus).

      Bitte vollständigen Namen und Institution angeben, sowie Ihre Mailadresse, falls Sie über den Stand der Dinge informiert werden möchten. Bei dringenden Formulierungsvorschlägen bitten wir bis spätestens 25. Februar um eine persönliche Nachricht per E-Mail (s. oben).

      Dipl. Frank.-Wiss. Magdalena von Sicard, Universität zu Köln
      Dr. Vladimir Bogoeski, University of Amsterdam / Centre Marc Bloch
      Dennis Dressel, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Aleksandra Salamurovic, Friedrich-Schiller-Universität Jena
      Ignacio Satti, M.A., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
      Dr. Florian Busch, Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg
      Dr. Benjamin Krämer, Ludwig-Maximilians-Universität München
      Edgar Baumgärtner, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Oliver Niels Völkel, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Dorothea Horst, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Katharina Jobst, M.A., Paris Sorbonne Université
      Dr. Marie-Therese Mäder, Universität Bremen
      Lisa Brunke, M.A., Martin-Luther Universität Halle-Wittenberg
      Prof. Dr. Theresa Heyd, Universität Greifswald
      Elena Tüting, M.A., Universität Bremen
      Christoph T. Burmeister, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin
      Dr. Marie Leroy, Goethe Universität Frankfurt
      Dr. Silva Ladewig, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Hagen Steinhauer, M.A., Universität Bremen
      Prof. Dr. Jürgen Erfurt, Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Prof. Dr. Britta Schneider, Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Dr. Andreas Frings, Johannes Gutenberg-Universität Mainz
      Anka Steffen, M.A., Europa-Universität Viadrina, Frankfurt (Oder)
      Prof. Dr. Sylvie Roelly, Universität Potsdam
      Kira van Bentum, M.A., Freie Universität Berlin
      Dr. Baptiste Gault, Max-Planck Institut für Eisenforschung, Düsseldorf
      PD Dr. Benoit Merle, Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg
      Lucie Lamy, M.A., Centre Marc Bloch / Université de Paris
      Annette Hilscher, M.A., Goethe-Universität Frankfurt am Main
      Dr. Giulio Mattioli, Technische Universität Dortmund
      Yasmin Afshar Fernandes Abdollahyan, M.A., Humboldt-Universität zu Berlin / Centre Marc Bloch
      Martin Konvička, M.A., Freie Universität Berlin
      Laura Bonn, M.A., Friedrich-Alexander-Universität Erlangen-Nürnberg
      Dr. habil. Béatrice von Hirschhausen, ULR Géographie-cités / Centre Marc Bloch
      Dr. Eva Schöck-Quinteros, Universität Bremen
      Mariia Mykhalonok, M.A., Europa-Universität Viadrina Frankfurt (Oder)
      Christopher Smith Ochoa, M.A., Universität Duisburg-Essen
      Dr. Zoé Kergomard, Deutsches Historisches Institut Paris
      Dr. habil. Nikola Tietze, WiKu Hamburg / Centre Marc Bloch
      PD Dr. Silke Horstkotte, Universität Leipzig
      Dr. Thomas Stockinger, G. W. Leibniz Bibliothek Hannover / Leibniz-Archiv
      Dr. Felix Hoffmann, TU Chemnitz
      Maximilian Frankowsky, M.A., Universität Leipzig
      Enora Palaric, M.A., Hertie School
      Amelie Harbisch, M.A, Freie Universität Berlin
      Dr. Johara Berriane, Centre Marc Bloch Berlin
      Prof. Dr. Andrea Geier, Universität Trier
      Dr. Andreas Bischof, TU Chemnitz
      Prof. Dr. Sabine Broeck, Universität Bremen
      Cristina Samper, M.A., Hertie School
      Patrick Bormann, M.A., Universität Bonn

      https://academia.hypotheses.org/31322
      #solidarité #solidarité_internationale

    • Frédérique Vidal. Frankreichs Ministerin für Hochschule und Forschung stürzt sich in ideologische Grabenkämpfe.

      „Islamo-Gauchisme“, Islamo-Linke - wer diesen Begriff verwendet, kann sich sicher sein, in Frankreich viel Aufmerksamkeit zu bekommen. Und so geht es nun auch der Ministerin für Hochschule und Forschung, Frédérique Vidal. Vergangene Woche sprach sie zunächst in einem Fernsehinterview davon, dass der „Islamo-Gauchisme“ die „Gesellschaft vergifte“ und damit auch die Universitäten. Vor der Nationalversammlung legte die Ministerin dann nach: Sie forderte eine Untersuchung, um zu klären, inwieweit der „Islamo-Gauchisme“ dazu führe, dass bestimmte Recherchen verhindert würden. Zudem solle untersucht werden, wo an den Universitäten „Meinungen und Aktivismus“ statt Wissenschaft gepflegt würden. Sie nannte auch direkt ein Forschungsfeld, dass ihr besonders untersuchungswürdig erschien - postkoloniale Studien.

      Mit ihrem Vorschlag hat Vidal nun große Teile derjenigen gegen sich aufgebracht, die sie als Hochschulministerin vertritt. 600 Forscher und Professoren, darunter auch der Ökonom Thomas Piketty, veröffentlichten am Freitag einen offenen Brief, in dem sie Vidals Rücktritt fordern. Vidal handele so wie „das Ungarn Orbáns, das Brasilien Bolsonaros oder das Polen Dudas“, also wie eine nationalistische Populistin. Sie greife diejenigen Institute an, in denen zu rassistischer Diskriminierung, zu Gender und zu den Folgen des Kolonialismus geforscht werde. Kritik an Vidal kam dabei nicht nur von Linken. Auch die französische Hochschulrektorenkonferenz sagte, sie sei „verblüfft“ über Vidals Idee. Das nationale Forschungsinstitut CNRS stellte klar, dass „Islamo-Gauchisme“ kein wissenschaftlicher Begriff sei und warnte davor, die Freiheit der Wissenschaft einzuschränken.

      Tatsächlich distanziert sich auch der Schöpfer des Begriffes, der Soziologe Pierre-André Taguieff, von seiner eigenen Wortfindung. Er habe 2002 mit „Islamo-Gauchisme“ eine Allianz zwischen einigen Linksextremen und muslimischen Fundamentalisten beschreiben wollen, durch die ein neuer Antisemitismus entstand. Seitdem hat sich das Wort zum Lieblingskampfbegriff der Rechten entwickelt, die Linken vorwirft, sich nur für die Diskriminierung von Muslimen zu interessieren, nicht jedoch für islamistischen Terror.

      Sonderlich präzise ist der Begriff des „Islamo-Gauchisme“ dabei nicht. Allein schon, weil er keine klare Grenze zwischen Muslimen und Islamisten zieht. In die Rhetorik der Regierung hat er dennoch Einzug gehalten. Vor Vidal verwendeten ihn bereits der Bildungs- und auch der Innenminister. Gerade Innenminister Gérald Darmanin gibt in Emmanuel Macrons Regierung die rechtskonservative Gallionsfigur. Die Angst vorm links-islamistischen Schulterschluss treibt vor allen Dingen konservative und rechte Wähler um. Laut einer aktuellen Ifop-Umfrage halten mehr als 70 Prozent der Le-Pen-Sympathisanten den „Islamo-Gauchisme“ für eine in Frankreich weit verbreitete Denkrichtung.

      Vidal reagiert auf die Kritik an ihren Äußerungen gelassen. In Interviews am Sonntag und Montag betonte sie jeweils zum einen, dass die „aktuelle Polemik“ den Blick auf die wirklichen Probleme, also auf die Not der Studenten in Corona-Zeiten, versperre. Zum anderen hielt sie daran fest, dass eine „Bestandsaufnahme“ zu linkem Aktivismus an den Universitäten nötig sei. Die 56-Jährige sieht sich dabei als Wissenschaftlerin, die „Rationalität zurückbringt“. Bevor Macron sie 2017 zur Wissenschaftsministerin machte, war die Biochemikerin Vidal Präsidentin der Universität von Nizza.

      Auch jenseits ideologischer Kämpfe stecken Frankreichs Universitäten in der Sinnkrise. Das Geburtsland des Impfpioniers Louis Pasteur hat bislang keinen Corona-Impfstoff entwickeln können. Wissenschaftler machen dafür auch die schlechte finanzielle Ausstattung der Labore verantwortlich. Diese Arbeitsbedingungen kennt Vidal gut. Vor ihrer Doktorarbeit forschte sie am Institut Pasteur.

      https://www.sueddeutsche.de/meinung/frankreich-islamismus-hochschulen-1.5214459

    • La ministre, la science et l’idéologie

      En demandant au CNRS une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’université, ce sont les sciences sociales que vise Frédérique Vidal, sous prétexte qu’elles seraient gangrénées par des idéologies. Mais faut-il rappeler qu’il y a des sciences sociales parce qu’il y a des idéologies ? Et que, si les sciences sociales ne se réduisent pas à un écho des idéologies, elles n’auraient à vrai dire aucun sens si elle ne se rapportaient pas à elles. En effet, il y a des sciences sociales parce qu’il y a des problèmes sociaux, et que ceux-ci sont traversés par des positionnements idéologiques.

      https://aoc.media/analyse/2021/02/23/la-ministre-la-science-et-lideologie

      #paywall

    • « Islamo-gauchisme, le jeu dangereux de la macronie ». #André_Gunthert, sur Le Média, 23 février 2021

      Ça y est. La Macronie s’en va-t-en-guerre. Elle a décidé de lancer la bataille contre un concept à la fois fumeux et ambigu, l’islamogauchisme. Une bataille qui se mène sur un front particulier : nos universités publiques, qui seraient (et je caricature à peine) des foyers de sédition voués aux idées de Mao Tsé Toung et de l’ayatollah Khomeini. Mais au fait, c’est quoi ce mot, “islamogauchisme” ? D’où provient-il ? Pourquoi Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, prend le risque d’une confrontation avec le monde universitaire en le dégainant, et en annonçant une sorte d’audit idéologique des amphithéâtres ?

      Pour répondre à ces questions, j’ai invité André Gunthert, historien des cultures visuelles, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. André Gunthert a publié il y a peu sur son site imagesociale.fr, un article très instructif dont le titre est “Islamogauchisme : un épouvantail en retard d’une crise”.

      https://www.youtube.com/watch?v=kqakmGVZEFM&feature=emb_logo

      https://academia.hypotheses.org/31324

    • Macron et la bête immonde

      Le #macronisme porte en lui la #guerre. Après la guerre aux Gilets jaunes réprimés dans une violence inouïe, après celle conduite contre nos libertés fondamentales avec la loi « sécurité globale », après la loi « séparatisme » qui légalise la guerre contre les musulmans et les minorités, Macron entend conduire à son terme la guerre contre l’Université et la chimère de l’islamo-gauchisme.

      "Existe-t-il une possibilité de diriger le développement psychique de l’homme de manière à le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction ?"

      "Pourquoi la guerre ?" Lettre d’Albert Einstein à Sigmund Freud, le 30 juillet 1932

      L’entretien donné par Frédérique Vidal ce 20 février au Journal du Dimanche aura eu au moins deux vertus. En persistant dans sa #stigmatisation des universitaires et en maintenant sa demande d’enquête sur « l’islamo-gauchisme », la ministre aura élevé au carré l’indignation des chercheurs et renforcé leur unité : en trois jours à peine, la tribune du Monde demandant sa démission a recueilli 18 000 signatures (https://www.wesign.it/fr/science/nous-universitaires-et-chercheurs-demandons-avec-force-la-demission-de-freder) de personnels de l’université et de la recherche. Voir ici (https://universiteouverte.org/2021/02/22/la-ministre-vidal-doit-demissionner-plus-de-13-000-universitaires) le communiqué d’Université Ouverte et là (https://www.snesup.fr/article/frederique-vidal-doit-etre-remplacee-lenseignement-superieur-et-la-recherche-) la demande de démission d’un syndicat, parmi bien d’autres. Il est exceptionnel qu’une pétition dans le secteur de l’enseignement supérieur atteigne autant de signatures – 18 000 signatures correspond à 20 % des enseignants du supérieur. À titre de comparaison le « #Manifeste_des_100 » réactionnaires et laïcistes de la gauche égarée qui soutenaient Blanquer à l’automne dernier, apparait, avec ses 258 signataires, tout aussi inconsistant et marginal que le phénomène incriminé par Vidal, à savoir « l’islamo-gauchisme » à l’université. Dans son entretien au JDD, Vidal, après l’avoir fait descendre très bas, souhaite qu’on « relève le débat ». Elle voulait probablement dire « élever le débat ». Ce sont les universitaires qui souhaitent aujourd’hui que l’on « relève » la ministre de ses fonctions.

      La seconde vertu de l’entretien au JDD est d’asseoir une lecture politique de la séquence qui laisse peu de place à l’hypothèse de la #maladresse d’une ministre fatiguée et très impopulaire, qui ne saurait plus quoi faire pour masquer son #incurie et son #incompétence dans la gestion de la crise sanitaire à l’université. Il apparaît en effet que nous avons affaire à la construction délibérée d’une #séquence_politique dans laquelle Vidal est une pièce maîtresse dans un dispositif étroitement associé à la construction de la loi sur « les séparatismes » et à la loi « sécurité globale » (voir ici la très bonne analyse de Christelle Rabier : https://blogs.mediapart.fr/chrabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante). Il convient de raisonner en terme de #cohérence systémique et idéologique, et non selon le registre de la #pulsion ou de l’#improvisation. La séquence commence le 22 octobre avec la sortie de #Blanquer contre les universitaires islamo-gauchistes accusés de « #complicité_intellectuelle avec le #terrorisme » (ici chaque mot compte), accusation à laquelle Vidal répondra très mollement dans L’Opinion le 26 octobre (https://www.lopinion.fr/edition/politique/l-universite-n-est-pas-lieu-d-encouragement-d-expression-fanatisme-227464). La séquence se poursuit le 1er novembre avec le #Manifeste_des_100, co-produit par le cercle de « #Vigilance_Universités » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) dont la majorité des publications est également accueillie dans le journal libéral et pro-business de L’Opinion. Et nous assistons aujourd’hui au troisième acte avec l’attaque de Vidal contre l’institution qu’elle est censée représenter. Le quatrième acte sera probablement l’appui des réactionnaires/laïcistes à la demande d’enquête de Vidal. Et le cinquième la réalisation de l’enquête en question, même si on ne connaît pas encore l’instance qui trouvera les quelques volontaires pour la conduire.

      Les avantages de la séquence ont été soulignés à mainte reprises : le coup de politique politicienne vise à racoler toujours plus loin sur les terres du RN, à attaquer la gauche et à la diviser davantage – il n’est pas anodin que Vidal s’en soit prise nommément à Mélenchon – et à faire oublier l’état calamiteux dans lequel Vidal a mis l’université et la recherche, les personnels et les étudiant.es. Les conséquences, calamiteuses au plan éthique et politique, sont principalement les suivantes : la création d’une #polémique qui cherche à faire oublier que des étudiant.es se suicident ou meurent de faim ; la #validation, la #banalisation et le renforcement des thèses du RN ; la #légitimation du concept d’islamo-gauchisme auprès de l’opinion publique alors qu’il est une construction de l’extrême droite ; la porte ouverte à l’alt-right, dont l’un des schèmes de la pensée est que l’université serait un ramassis de gauchistes, ainsi que le rappelle justement David Chavalarias dans son étude (https://politoscope.org/2021/02/islamogauchisme-le-piege-de-lalt-right-se-referme-sur-la-macronie). Tout ceci est entendu, mais nous ne pouvons en rester à cette seule analyse. Car les armes utilisées par les néolibéraux pour faire la guerre aux biens communs, aux services publics, aux libertés fondamentales et à toutes les minorités, ces armes sont celles-là mêmes que les régimes les plus autoritaires utilisent systématiquement. On peut au moins commencer à le montrer.

      *

      Reprenons ! Le passage de la ministre sur CNews, le choix de cette chaine ainsi que l’adéquation des propos de Vidal à sa ligne éditoriale et idéologique qui est celle de l’extrême droite raciste et nationaliste, renforcent la lecture d’une #stratégie_politique élaborée en amont, nécessairement en lien avec le sommet de l’Etat, avec l’accord de #Macron et #Castex. Dès lors, la critique de Macron rapportée par Gabriel Attal doit être comprise comme une nouvelle tartuferie d’un pouvoir qui nous a habitués à toutes les comédies du « #en_même_temps », avec son lot de #mensonges, son #hypocrisie permanente et son #cynisme consommé. On trouvera une preuve évidente de la tartuferie de Macron dans le fait que dès le 2 octobre 2020, soit 20 jours avant la sortie de Blanquer, le président, lors de son discours des Mureaux sur le « #séparatisme_islamiste », a porté la charge contre les #intellectuels qui « sont hors de la République », contre certaines « #traditions_universitaires » et des « théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». Des théories que Vidal, dans un #confusionnisme digne des complotistes les plus dérangés, n’hésitera pas à mettre en rapport avec la prise du Capitole et le drapeau des Confédérés… En d’autres temps, la séquence aurait pu provoquer le rire, tant la farce politique semble énorme, tant la bêtise est confondante. Mais, de la bêtise à la bête, il n’y a souvent qu’un pas. Car, si une analogie pouvait avoir du sens, il me semble que nous assistons à la pièce que #Brecht écrivit en 1941, La résistible Ascension d’Arturo Ui, dont l’épilogue est bien connu : « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la #bête_immonde ». Je laisse chacune et chacun imaginer ce à quoi pourrait bien correspondre, aujourd’hui, le trust des choux-fleurs. Et retrouver qui fit l’éloge de Pétain en 2018. Sans mémoire et sans éthique, un homme politique porte en lui un #monstre.

      « La bête immonde » est donc à l’œuvre. Elle use de trois moyens, parmi bien d’autres : elle fait exister une chose qui n’a aucune réalité, elle crée des #boucs_émissaires et elle programme de les éradiquer de la société. Les deux premières étapes ont été méthodiquement appliquées. Si nous n’y prenons garde, la troisième pourrait être mise en œuvre rapidement. Elle a peut-être déjà commencé.

      Il en va du « séparatisme » comme de « l’islamo-gauchisme » : l’incrimination de « séparatisme » crée le « séparatisme », l’incrimination d’« islamo-gauchisme » crée « l’islamo-gauchisme » . En effet, il arrive que dans certains états autoritaires les lois fassent exister des choses qui n’existent pas, simplement en les nommant. En #Turquie on accuse des chercheur.e.s de terrorisme pour la conduite d’une enquête sociologique. C’est ce qui est arrivé à Pinar Selek. En France les propos et la communication de Blanquer, Vidal, Darmanin et Macron font exister l’islamo-gauchisme par le simple fait d’utiliser, de propager et de banaliser le concept : le donner en pâture aux médias qui s’en repaissent et à une opinion publique fragilisée en temps de pandémie, suffit à faire exister une chose qui n’a pourtant aucune réalité effective. C’est une #politique_du_performatif : je fais exister la chose en la nommant. La vérité et la force du concept seront proportionnels à sa #viduité, c’est-à-dire à son aptitude à être rempli par de l’impensé, du fantasmatique et de l’idéologie. Vidal elle-même concède dans le JDD que le concept n’a aucun fondement scientifique et correspond à « un #ressenti de nos concitoyens ». Une enquête sur un ressenti : Vidal ou l’art du #vide. Mais une stratégie qui marche à plein.

      Car l’invention du concept est pleine de sens. L’idéologie qui la sous-tend est toute entière dans la relation entre les deux concepts : elle est dans le tiret entre #islamisme et #gauchisme, l’association de la #gauche à l’#islam_politique et, par glissement, de la gauche au #terrorisme_islamiste. Et encore, pour finir, elle produit cette double équation : gauche = islamisme = terrorisme. Le #monstre_idéologique créé par Macron, Vidal and Co est le suivant : les universitaires sont des gauchistes, des islamistes et des terroristes. L’opinion a désormais ses boucs émissaires, désignés, dénoncés et bientôt nommés : les musulmans, les gauchistes et les universitaires. L’association des universitaires aux seconds et premiers construit un #schème_imaginaire de la #radicalisation et du danger. Ce n’est plus seulement de l’#anti-intellectualisme primaire, ce qui devrait en soi faire honte à une ministre le l’enseignement supérieur, mais une véritable #incitation_à_la_haine.

      Il sera donc non seulement légitime, mais urgent – troisième étape - de couper le membre gangréné que les « islamo-gauchistes » constituent au sein de l’université et qui risque de pourrir, tout comme l’islam menace de gangréner la totalité du corps social. Ce schème est au-delà de la droite extrême : il est proprement fasciste. Macron, qui souhaite "décapiter" Al-Qaïda au Sahel, met dans son langage la pratique des terroristes. On a souligné que l’incrimination d’islamo-gauchiste fonctionnait sur le modèle sémantique et historique de l’incrimination de #judéo-bolchévique. L’« islamo-gauchiste » ne devient-il pas le juif de l’université, le juif des années 30 ?

      Une dernière question : quel sens y a-t-il à ce que les musulmans et les universitaires « gauchistes » soient si étroitement associés ? Question sans réponse. Mais question essentielle. Il nous faudra y répondre avant que ce pouvoir sans nom ne passe vraiment à la troisième étape. Nous n’en sommes pas loin, si l’on veut bien considérer tout l’arsenal législatif que Macron et sa majorité mettent au service de la bête immonde, de "la bête qui monte, qui monte", et de la bête qui est déjà là, en eux.

      Un épilogue, en manière d’hommage à celles et ceux qui se sont battus et se battent encore, et se battront demain, sans fin. Les Gilets jaunes ont parfaitement saisi la nature du pouvoir politique auquel ils se confrontaient : la dimension militaire de la répression policière leur a permis de comprendre dans leur chair ce qu’il en était de la #violence pure de ce pouvoir. Ils l’ont exprimé dans une chanson qui a la force des chants populaires et révolutionnaires : « Macron nous fait la guerre, et sa police aussi ». Les universitaires sont en train de comprendre la vraie nature du pouvoir qui les opprime, qui tente de les diviser, et qui les affaiblit un peu plus chaque jour en détruisant leur outil de travail, leurs libertés et leur dignité. Macron devrait y prendre garde : quand on touche à la #dignité et à la #liberté d’une communauté, elle résiste. La #résistance est en route.

      #Pascal_Maillard

      L’expression « Nous sommes la bête qui monte, qui monte… » est de Jean-Marie Le Pen, le 3 mars 1984, à quelques mois des élections européennes.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/230221/macron-et-la-bete-immonde
      #fascisme

    • TEMOS et les libertés académiques
      Texte approuvé par l’assemblée générale des membres de l’UMR réunie le 23 février 2021

      TEMOS UMR CNRS 9016 – 23 février 2021
      Réponse à Mme Vidal, pour la défense des libertés académiques à l’Université

      Les propos de Mme Vidal, ministre de l’ESR, tenus le 14 février 2021 et réitérés le 21 février, mettent en cause « l’islamo-gauchisme » qui, selon elle, « gangrène » l’université. La ministre entend diligenter une enquête sur cette question, qui serait conduite par le CNRS, chargé de produire un « bilan » des recherches menées dans les universités afin d’établir « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ». Pour rappel, ces déclarations font suite à des propos similaires de M. Blanquer, ministre de l’EN, le 25 octobre 2020, qui, à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty, dénonçait les « complicités intellectuelles » de certain·es chercheur·es universitaires qu’il désignait comme des « islamo-gauchistes ».
      Des déclarations qui vont à l’encontre de la méthode scientifique

      Il convient tout d’abord d’affirmer que, comme le souligne le CNRS dans un communiqué daté du 17 février 2021, le terme d’islamo-gauchisme « ne correspond à aucune réalité scientifique », mais relève d’une instrumentalisation politique. Il ne renvoie à aucun groupe précisément identifié qui le revendique, à aucune forme d’action collective en son nom, à aucun corps de doctrine clairement formulé comme tel qui pourraient être observés et analysés par les scientifiques. Aucune enquête sociologique, aucune observation empiriquement fondée ne permet de prétendre qu’il existe à l’Université un tel courant de pensée, à supposer que ce courant puisse être défini précisément. Le terme, mot-valise aux contours volontairement flous, n’a pour fonction que de fédérer ceux qui l’utilisent, en particulier dans les rangs de l’extrême droite. Y sont amalgamées pêle-mêle, les études postcoloniales, intersectionnelles, sur le genre et jusqu’à l’écriture inclusive… Ainsi, les prémices de la pensée de Mme Vidal relèvent tout simplement d’une contre-vérité, notamment mobilisée par des mouvements se donnant pour mission de répertorier et combattre les champs d’études précités.
      Des actes qui remettent en cause les libertés académiques

      Derrière les mots, Mme Vidal entend poser un certain nombre d’actes, dont la conduite d’une enquête sur ce supposé phénomène, présenté comme une menace pour la liberté des chercheur·es. Cette enquête aurait pour objectif d’ausculter les recherches universitaires, principalement en sciences sociales, selon leur accointance présumée avec les mouvements islamistes. Au-delà du caractère ubuesque d’une telle recherche voulue « rationnelle et scientifique » par la ministre bien que portant sur un objet dont elle reconnaît elle-même qu’il « n’a pas de définition scientifique », il apparaît, en première analyse, que ces investigations commanditées par le gouvernement remettent en cause le principe d’indépendance de la science et les libertés académiques, institutionnalisées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984 (décision n°83-165 DC). À cet égard, la CPU a condamné dans un communiqué du 16 février 2021 une « instrumentalisation du CNRS », dont la vocation n’est pas d’enquêter sur l’université, et encore moins « d’éclaircir ce qui relève ‘du militantisme ou de l’opinion’ ». En prétendant, habilement, garantir les libertés académiques, Mme Vidal les bafoue, au mépris de la loi constitutionnelle, et laisse présager des représailles contre une partie de la communauté scientifique (à quoi bon enquêter sur ce fléau, sinon ?).
      Une récupération politique contre un projet émancipateur

      En dehors de l’effet d’aubaine politique attribuable à l’actuel gouvernement qui voit venir de nouvelles échéances électorales, ces attaques s’inscrivent dans une généalogie des ingérences politiques à l’égard de l’Université en général et des sciences sociales en particulier. Ces propos relèvent d’une forme de panique morale, argutie contrefactuelle livrant à la vindicte de l’opinion publique des universitaires diabolisé·es, dans un contexte d’angoisse au sujet de la cohésion nationale. Elle est le fait d’entrepreneurs de morale dont le dessein politique discerne un danger dans le projet émancipateur des sciences sociales. En effet, ces dernières, à travers l’épistémologie « intersectionnelle » notamment, cherchent à agencer les concepts de classe, de genre et de race dans l’étude des fondements des inégalités. Leur ambition politique, en tant que savoirs situés, est de contribuer à la réduction des inégalités et des injustices qui traversent nos sociétés. Là où leurs pourfendeurs les accusent de faire le lit des « séparatismes », les sciences sociales entendent justement réfléchir à la construction des hiérarchies sociales qui justifient les discriminations, conduisant précisément à la mise à l’écart de certain·es citoyen·nes hors de la communauté politique.
      C’est en pratiquant une histoire sociale qui cherche à définir les inégalités que des membres de l’UMR TEMOS se sont trouvé·es confronté·es à des attaques, stigmatisé·es pour leurs recherches et ce qu’ils/elles sont. En novembre 2020, un colloque en ligne sur les 50 ans du Mouvement de Libération des Femmes a été piraté et interrompu par des cyberharceleurs néo-nazis. En février 2021, une enseignante-chercheuse, #Nahema_Hanafi, a été accusée par « l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires » de faire « l’éloge de la cybercriminalité » pour avoir analysé les motivations énoncées par les cyber-escrocs ivoiriens, puis nommément exposée sur des sites d’extrême-droite. Les entraves, intimidations et instrumentalisations de ce type se sont multipliées ces dernières années. Les auteur·es de ces attaques sont justement ceux/celles qui se plaignent d’être soi-disant empêché·es dans leurs recherches par une prétendue mainmise des « islamo-gauchistes » sur l’Université. Mme Vidal, dont la fonction est précisément de protéger la communauté universitaire de ces ingérences extrémistes, prend le parti des agresseurs.

      En cela, il nous apparaît non seulement nécessaire de défendre le principe épistémologique d’indépendance de la science à l’égard des pouvoirs politiques, économiques ou religieux, condition d’une pratique scientifique objective, mais aussi de justifier le rôle politique de la science de participer à l’avènement d’un monde à la fois plus lucide et, de ce fait, plus juste.

      https://temos.cnrs.fr/actualite/temos-et-les-libertes-academiques

    • Islamo-gauchisme : une étude du CNRS pointe un « piège » pour le gouvernement

      Après les déclarations de Frédérique Vidal, une enquête du CNRS montre comment l’exécutif a offert une “exposition inespérée” à un néologisme promu par l’extrême droite.

      Aussi préoccupée par cette question que demandeuse d’une enquête en la matière, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal devrait lire avec attention cette étude produite par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur l’emploi de l’expression “islamo-gauchisme”. Elle y constaterait, éléments objectifs à l’appui, qu’en réclamant un “bilan” sur “l’islamo-gauchisme” à l’université, elle a surtout contribué à populariser un néologisme, surtout utilisé sur Internet comme un “instrument de lutte idéologique” par l’extrême droite.

      Côté méthode, cette étude menée par le Politoscope du CNRS et rendue publique ce dimanche 21 février, a utilisé un outil permettant d’analyser “plus de 290 millions de messages à connotation politique émis depuis 2016 entre plus de 11 millions de comptes Twitter”. Un système permettant de cartographier avec précision les tweets mentionnant cette expression et d’étudier les communautés militantes qui l’utilisent, et de quelle façon.
      Surreprésentation de l’extrême droite

      “Le premier constat que l’on peut faire est que les comptes qui se sont le plus impliqués dans la promotion d’‘islamo-gauchisme’ depuis 2016 sont tous idéologiquement d’extrême droite. Le second constat est qu’il y a une forte majorité de comptes suspendus”, note David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et auteur de l’étude. Autre point soulevé par l’article, le caractère marginal de cette expression qui, entre le 1er août 2017 et le 30 décembre 2020, n’a concerné que 0,26% du total des comptes Twitter analysés.

      Au-delà des débats sur l’origine du terme et sur sa réalité scientifique, l’étude démontre que l’expression “islamo-gauchiste” est essentiellement utilisée pour dénigrer et/ou disqualifier un adversaire. Le néologisme est ainsi “employé dans un contexte d’hostilité entre communautés politiques et non de discours programmatique, prosélyte ou de débat politique. Une analyse plus complète du contenu de ces tweets hostiles montre que les notions les plus associées à ‘islamo-gauchisme’ sont celles de traître, d’ennemi de la République, d’immoralité, de honte, de corruption ainsi que de menace, d’insécurité, de danger, d’alliance avec l’ennemi et bien sûr de compromission avec l’islamisme radical”, énumère David Chavalarias.

      Un phénomène que l’on peut mettre en parallèle avec d’autres méthodes de disqualification prisées sur Twitter, comme celles d’affubler son adversaire politique d’un patronyme oriental pour souligner sa compromission avec l’islamisme.

      “Nous sommes donc sur un terme utilisé pour ostraciser et dénigrer un groupe social particulier tout en en donnant pour l’opinion publique une image anxiogène et associée à un danger imminent. Son utilisation a pour but de polariser l’opinion publique autour de deux camps déclarés incompatibles entre lesquels il faudrait choisir : d’un côté les défenseurs du droit et des valeurs républicaines, de l’autre les traîtres aux valeurs françaises et alliés d’un ennemi sanguinaire”, poursuit le chercheur, soulignant que la communauté politique la plus ciblée à travers ce terme est la France insoumise ainsi que celle de Benoît Hamon et de ses sympathisants.
      Une “exposition inespérée”

      L’étude souligne également que la multiplication des mentions du terme “islamo-gauchisme” sur le réseau social est fortement liée à une pratique bien connue de ceux qui suivent le militantisme en ligne : l’astroturfing. Une méthode prisée par l’extrême droite consistant à multiplier les comptes bidon dans le but d’accroître la visibilité d’une thématique ou d’une fake news.

      “Avoir plus de la moitié de comptes suspendus parmi les plus prolixes sur ‘l’islamo-gauchisme’ est donc une prouesse et un marqueur très significatif de comportements abusifs et malveillants”, souligne l’étude.

      Pour résumer, nous avons affaire à un terme qui est massivement utilisé comme un outil de dénigrement, dont la visibilité a été artificiellement augmentée sur Twitter et qui était jusqu’il y a peu un anathème marginal prisé par l’extrême droite. Or, cela n’a pas empêché le néologisme de se retrouver cité à trois reprises en moins de six mois par un ministre du gouvernement Castex.

      Et c’est en s’appropriant ce vocabulaire que le gouvernement est tombé dans un piège, selon l’étude. Car en l’adoptant et en focalisant l’attention sur le danger “islamo-gauchiste” qui guetterait les universités, le gouvernement a offert à ce terme polarisateur une “exposition inespérée”.

      Pour schématiser l’effet des polémiques sur la masse des messages étudiés, les chercheurs utilisent l’image de “la mer”, décrit comme un “ensemble de comptes qui ne sont pas suffisamment politisés pour être associés à un courant politique particulier mais qui échangent néanmoins des tweets politiques”. Résultat : “les ministres du gouvernement ont réussi à faire en quatre mois ce que l’extrême droite a peiné à faire en plus de quatre années : depuis octobre, le nombre de tweets de “la mer” mentionnant ‘islamo-gauchisme’ est supérieur au nombre total de mentions entre 2016 et octobre 2020”.

      Cette explosion de la visibilité de ce néologisme s’apparente à un jeu “extrêmement dangereux” pour le chercheur, dans la mesure où cette “mer” de comptes s’intéressant au débat public est dorénavant “amenée à problématiser les enjeux politiques à partir des idées de l’extrême droite”. D’autant que la France n’est pas un cas isolé concernant l’entrisme des concepts extrêmes dans le corps social, à l’image du travail de longue haleine abattue par l’alt-right américaine et dont la réalisation la plus emblématique à ce jour s’est concrétisée par l’invasion du Capitole.

      “Il n’y a pas de ‘en même temps’ dans le monde manichéen de l’alt-right qui s’attaque aux personnalités avant de s’attaquer aux idées”, conclut l’étude. Avant de prévenir un gouvernement qui se perçoit comme un rempart contre l’extrême droite : “pour ne pas perdre en terrain ennemi, la meilleure stratégie est de ne pas s’y aventurer”.

      https://www.huffingtonpost.fr/entry/une-etude-du-cnrs-sur-lexpression-islamo-gauchisme-pointe-le-piege-qu

    • Derrière « l’islamo-gauchisme » : les semaines à venir sont celles de tous les dangers

      Don’t feed the troll. Depuis des mois, des collègues bien intentionné·es et un brin condescendant·es soutiennent qu’il ne faut pas faire de publicité aux attaques en « islamo-gauchisme », en « militantisme » et autres « dérives idéologiques » qui fleurissent de toutes parts. « Ne tombez pas dans le piège de députés en mal de notoriété », « ne venez pas perturber avec vos histoires la sérénité de l’examen par le Conseil constitutionnel de la loi de programmation de la recherche », « ne déposez pas de plainte en diffamation », « ne jouez pas à vous faire peur » : il faudrait que, du côté de la rédaction d’Academia, l’on recense tous les bons conseils qu’ont bien voulu prodiguer des collègues, des chef·fes d’établissement et des parlementaires.

      Jusqu’il y a peu, certain·es semblaient même croire que cette stratégie de l’autruche pouvait être tenable. Ils et elles y croient peut-être encore, d’ailleurs, quand on voit à quel point, depuis quelques jours, la ministre Vidal sert de paratonnerre facile à la CPU et au CNRS, alors même que c’est le président de la République, ses principaux ministres, la quasi-intégralité de la droite parlementaire et une bonne partie des député·es de la majorité qui sont désormais convaincu·es que des militant·es grimé·es en scientifiques dévoient le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche en « cassant la République en deux ». Nous sommes malheureusement déjà entré·es dans l’étape d’après, désormais, celle dont nous décrivions le processus il y a trois mois à partir de l’expérience de la dissolution du CCIF : ce qui est en jeu ces jours-ci, en effet, ce n’est plus le fait de savoir si des « dérives idéologiques » traversent l’ESR car cela, les principaux titulaires du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif en sont désormais convaincus. La seule chose sur laquelle on hésite encore au sommet de l’État, c’est sur la manière de mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, les conséquences à tirer de cette nouvelle conviction partagée.

      Formaliser la défense de « l’université républicaine »

      Dans les couloirs du parlement et dans certains cabinets ministériels, en effet, d’âpres discussions sont en cours pour trouver les « bons » moyens de sauver « l’#universalisme_républicain » dans les universités. C’est à cet aune qu’il faut comprendre les dernières sorties de la ministre : ce qui est notable dans l’intervention de Frédérique Vidal sur CNews, ce n’est pas tant le fait qu’elle légitime de manière abjecte les attaques en « islamogauchisme » que le fait qu’elle ressente le besoin de défendre publiquement un traitement des « dérives idéologiques » dans l’ESR qui soit interne, c’est-à-dire qui se fasse par les instances de l’ESR elles-mêmes. Dans son passage sur CNews, autrement dit, Vidal ne s’adresse pas aux Français·es, ni à la communauté universitaire ; elle sait mieux que quiconque quelles sont les discussions en cours et cherche à peser sur les parlementaires et sur le gouvernement, pour imposer ce qui lui semble être le meilleur compromis entre la prétendue nécessité de sauver l’université des communautarismes et des militantismes qui l’assailliraient, d’une part, et l’obligation de respecter les libertés académiques, d’autre part.

      C’est pour cette raison que nous sommes déjà « à l’étape d’après » : les débats en cours, au sein des pouvoirs exécutif et législatif, ne sont plus désormais que des débats d’ingénierie juridique et administrative. Des débats de forme, autrement dit, car sur le fond, il existe, d’ores et déjà, un accord général sur le fait qu’il faut agir. Il faut agir, pensent-ils ou pensent-elles, car il faut apporter une réponse à « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique », pour reprendre la formule employée dans un récent communiqué de l’association Qualité de la science française (QSF) qui est particulièrement représentatif de ce qui est devenu, au sein des cercles du pouvoir en France, la représentation très majoritaire des deux plaies qui submergeraient l’ESR, à savoir la censure et, « plus largement », le militantisme.

      Or, si la ministre a jugé utile de défendre publiquement, ces jours-ci, « sa » solution contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR, c’est parce qu’elle sait que les discussions à ce propos sont en train de s’emballer. Le moment est charnière, en effet : nous sommes au tout début de l’examen, par le Sénat, du projet de loi confortant le respect des principes de la République – actuellement en commission, puis, à partir de la fin mars, en hémicycle – et la droite, qui y est majoritaire, est tentée d’introduire dans ce texte des dispositions sur l’ESR, comme elle a tenté de le faire à l’Assemblée. Non pas les dispositions grossières qu’ont pu proposer les député·es LR il y a quelques semaines1, mais des dispositions qui s’attaqueraient à ce qu’ils et elles conçoivent comme étant le fond du problème, à savoir – on ne se lasse pas de la formule de QSF – « la question urgente des nouvelles formes de censure et d’intolérance qui se sont manifestées ces dernières années, ainsi que, plus largement, des rapports entre valeurs morales, engagement politique et activité scientifique ».

      Les scenarii possibles

      Ce qui est presque amusant, c’est que pour répondre à une telle « question urgente », tout ce beau monde tâtonne. Juridiquement parlant, en effet, lutter contre les « dérives idéologiques » dans l’ESR est particulièrement complexe à mettre en forme, du fait de la protection constitutionnelle des libertés académiques. Academia a appris, par exemple, que le cabinet de Marlène Schiappa (en novembre dernier), puis les rapporteurs du projet de loi confortant le respect des principes de la République (ces dernières semaines), avaient sollicité Vigilance Universités à propos des mesures à prendre concernant l’ESR, mais que les membres de ce collectif – aujourd’hui débordé·es sur leur droite par l’Observatoire du décolonialisme – ont été incapables de se mettre d’accord sur la moindre proposition légistique concrète.

      Alors, comment va se mettre en forme, sur le plan juridique et administratif, la lutte contre les « dérives idéologiques » à l’université ? Il est peu probable que l’on pénalise certaines recherches et mette en prison les enseignant·es et chercheur·ses qui ne se conformeraient pas à ces interdictions. Il n’y a guère que Xavier-Laurent Salvador pour oser le proposer, il y a quelques jours sur Public Sénat, lorsqu’il comparait les études décoloniales avec le négationnisme pénalement réprimé :

      Les libertés académiques, « ce n’est pas un droit opposable à la loi. Lorsque Faurisson se lançait dans un enseignement négationniste, personne ne s’est posé la question de savoir si, oui ou non, cela relevait de sa liberté académique ».

      Non, les choses se passeront d’une manière un peu plus subtile, si l’on peut dire, et le scénario le plus probable qui se dessine désormais est le suivant, en deux pans : l’organisation d’un déni de la scientificité de certaines recherches et de certains enseignements, pour contrer le « militantisme » ; la mise en place d’un délit pénal spécial, pour contrer les « censures ».

      1) S’agissant du premier pan, la solution qui se prépare consiste non pas à pénaliser des recherches et des enseignements, mais à chercher à les exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques. Un précédent papier d’Academia décrivait déjà cette dynamique, qui passe par une négation de scientificité, au travers du renvoi de certaines recherches et de certains enseignements au statut d’« opinions » ou d’« idéologies ». C’est très exactement ce que soutient la tribune d’un collectif de 130 universitaires parue dans Le Monde du 22 février :

      « Il y a bel et bien un problème dans l’enceinte universitaire, mais ce n’est pas tant celui de l’« islamo-gauchisme » que celui, plus généralement, du dévoiement militant de l’enseignement et de la recherche », qui produirait une « pseudo-science ».

      Sur ce point, on observe qu’un accord assez large est en train de se forger autour de cette option, qui présente le double avantage de préserver une régulation interne au champ académique – en conformité apparente avec les libertés académiques – tout en donnant un outil pour lutter contre la prétendue « expansion des militantismes dans l’université ». C’est cette stratégie que poursuivait Frédérique Vidal lorsqu’elle a annoncé une « enquête » du CNRS ou de l’Alliance Athena. C’est cette même stratégie que défendent les 130 universitaires de la tribune précitée, lorsqu’ils et elles en appellent au Hcéres pour lutter contre « la contamination du savoir par le militantisme ».

      L’idée de recourir au Hcéres est la plus inquiétante, car elle vient vérifier toutes les craintes que l’on pouvait avoir concernant l’usage politique croissant qui risque d’être fait de cette autorité, dont la majorité des membres, rappelons-le, est nommée par le pouvoir exécutif hors de toute proposition émanant des organismes de l’ESR (12 membres sur 23, auxquel·les il faut ajouter les deux représentants parlementaires). Il aura donc suffi de quelques mois après la nomination du conseiller d’Emmanuel Macron à la tête de cette autorité pour que nous arrivions déjà à une croisée de chemins : dès lors que les libertés académiques offrent aux enseignant·es et aux chercheur·ses une protection constitutionnelle – aussi imparfaite soit-elle – contre les immixtions extérieures, le HCERES se trouve structurellement condamné à être le réceptacle de toutes les pressions politiques sur les recherches et les enseignements menés. C’est la raison pour laquelle, rappelons-le aussi, la nomination de Thierry Coulhon représentait – et représente encore – la mère de toutes les batailles, justifiant le dépôt, début janvier, d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, à propos duquel Academia fera prochainement un point d’étape.

      2) Ceci dit, à côté de cette instrumentalisation administrative des critères de la scientificité, il existe encore et toujours une vraie tentation d’investir le terrain pénal. À partir du moment où les titulaires des pouvoirs exécutif et législatif sont persuadés que l’ESR produit de la « censure », à partir du moment où une député de la majorité peut raconter en hémicycle, sans être démentie par quiconque, que « les partisans des thèses indigénistes, sur l’intersectionnalité » (?) « excluent tout autre débat » et que « c’est leur intolérance et une forme de totalitarisme intellectuel qu’il nous faut combattre » (Anne-Christine Lang, 3 février 2021), alors il est inévitable qu’un équivalent de l’amendement Lafon ou de l’amendement Benassaya soit de nouveau mis sur le tapis un de ces prochains jours.

      Car qui peut être pour les entraves aux débats universitaires ? Qui pourrait s’opposer à la pénalisation des entraves à l’exercice des missions de services public de l’enseignement supérieur ? On a déjà répondu plusieurs fois à ces questions sur Academia, encore récemment, si bien qu’on ne reviendra pas ici, une fois encore, sur les dangers immenses qui accompagnent les tentatives de ce type. Rappelons simplement, à titre général, que les deux tentatives ces quatre derniers mois d’introduire un délit nouveau en ce sens sont caractéristiques d’une véritable surenchère sécuritaire en cours, telle qu’on l’a connue dans d’autres domaines, mais qui, appliquée à l’université, se retournera contre les étudiantes et les étudiants en premier lieu, mais aussi contre l’université en général et contre les libertés académiques. C’est bien simple : le débat universitaire n’a en réalité pas besoin d’être protégé par un durcissement de l’arsenal répressif qui prétend faussement venir à son soutien, car les risques qui y sont associés sont bien supérieurs aux dangers auxquels il prétend répondre.

      De ce point de vue, d’ailleurs, il faut être bien aveugle à tout ce qui se joue aujourd’hui sur les terrains juridique et administratif, pour juger qu’il est opportun de comparer les atteintes aux libertés académiques actuellement en préparation, d’une part, avec la polémique qui a accompagné, sur les réseaux sociaux, la parution de l’essai Race et sciences sociales de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, d’autre part. Soutenir, comme le font d’excellent·es collègues dans une tribune publiée hier, que « beaucoup de chercheurs, a fortiori lorsqu’ils sont précaires, ont désormais peur de s’exprimer dans un débat où l’intensité de l’engagement se mesure à la véhémence de la critique et où l’attaque ad hominem tient lieu d’argument », et qualifier cette polémique de « menaces » pour les libertés académiques au même titre que toutes celles qui sont vraiment en cours, c’est alimenter directement le sentiment irrationnel d’insécurité concernant les débats dans l’ESR aujourd’hui. Et le faire dans le contexte législatif actuel, à quelques jours des débats sur le projet de loi confortant le respect des principes républicains, c’est proprement irresponsable : certain·s, au gouvernement et au parlement, n’attendent que cela pour en tirer des conséquences juridiques.

      https://academia.hypotheses.org/31344

    • Démission de Frédérique Vidal : la pression monte !
      https://universiteouverte.org/2021/02/24/demission-de-frederique-vidal-la-pression-monte

      "Nous en sommes là !!

      Libé met en Une la tribune de « Vigilance Université », collectif réactionnaire ami de « l’observatoire du décolonialisme », qui prétend que nous refuserions le « débat scientifique contradictoire » ! 1/10..."
      https://twitter.com/UnivOuverte/status/1364890298694983681

      " L’air de rien, les universalistes ont mis de l’eau dans leur vin, donnant raison à leurs critiques. Plus d’accusations sordides d’islamogauchisme, retour à la dénonciation d’une « cancel culture » fantasmée, qui permet de poser à la défense des libertés académiques …"

    • Une vague de pyromanie

      Une nouvelle polémique vient de naître chez nos voisins français, lancée dimanche sur CNews, la Foxnews hexagonale. L’islamo-gauchisme gangrène-t-il les universités ? Oui, estime la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui entend confier au CNRS (!) une enquête sur la question. Mardi, à l’Assemblée, elle pointait aussi du doigt les études postcoloniales.

      La réponse a été cinglante : les présidents des universités réunis ont appelé la ministre à laisser l’islamo-gauchisme, cette « pseudo-notion », « aux animateurs de CNews » ou « à l’extrême droite qui l’a popularisée », tandis que le CNRS dénonçait « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de ‘race’ ».

      Tentative de #diversion d’une ministre peu présente sur les difficultés du corps enseignant en temps de pandémie ou celles des étudiant·e·s faisant entendre leur précarité fin janvier à Paris ? Forme de chasse aux sorcières, plutôt, nourrie à la fois par le contexte d’adoption de la loi sur le séparatisme et une présidentielle approchant à grands pas. On sait combien les chercheurs sur l’islam sont observés à la loupe, en particulier quand ils ne sont pas Gilles Kepel mais Olivier Roy ou François Burgat. Combien l’islamo-gauchisme est devenu soupçonnable – de collusion avec l’ennemi, l’islamisme radical – au point qu’un sociologue dénonce un « #néo-maccarthysme ».

      Citoyen·nes, député·es, associations : jusqu’ici, cette production sémantique aléatoire a servi à disqualifier (la gauche de) la gauche préoccupée de discriminations. Avec l’intervention de la ministre, elle étend son territoire à la recherche, qui régulièrement produit des analyses (sur les rapports sociaux de pouvoir, l’égalité des chances, la mémoire historique) contrant les puissantes manœuvres néolibérales destinées à défaire les fondements humanistes de notre démocratie. Et, à l’ère des fake news triomphantes, qui fournit des moyens de #résistance_intellectuelle. La suspicion exprimée par sa propre ministre de tutelle est de taille à ébranler profondément ceux-ci.

      Lors de leur récent face-à-face, Gérald Darmanin qualifiait Marine Le Pen de « molle » face au « péril islamique ». L’enjeu n’est donc pas seulement culturel, il est aussi politique : le « ni de droite ni de gauche » macronien de 2017 a vécu, et c’est la carte identitaire qui sera brandie pour la présidentielle de 2022. Quitte à prendre cinq millions de musulmans en tenailles d’une rhétorique boute-feu.

      https://lecourrier.ch/2021/02/18/une-vague-de-pyromanie

    • If You Thought the Culture War in the US and UK Was Dumb, Check Out France’s

      French politicians are proudly using a new term – originally coined by the far-right – to paint left-wing academics as sympathetic to Islamist terrorists.

      On the 17th of October, the day after French school teacher Samuel Paty was beheaded outside his school, threats from France’s far-right began to rain down on liberal academics across the country.

      Éric Fassin — a professor of sociology at the University of Paris 8 who had written a blog arguing the reaction to terror attacks “must at all costs avoid falling into their trap” of becoming a “conflict of civilisations” — became a lightning rod for their anger.

      “Traitor” wrote one far-right supporter on Twitter; “collaborator” added another. But one individual known in the neo-Nazi scene struck a more chilling tone with an overt death threat: “I’ve put you on my list of assholes to decapitate when it begins”.

      Fassin is among a group of French academics that supposedly embody the concept of “Islamo-gauchisme” (Islamo-leftism), a term suggesting an alliance between extremist Islamists and left-wing academics that had until recently only been used in neo-Nazi circles. The insult is levelled at those whose so-called “woke” theories point out the discrimination suffered by Muslims in France, where deep-set discrimination touches hiring, housing, policing and beyond — paralleling culture wars currently raging in the US and the UK.

      The term has found its way into the lexicon of prominent members of the French government. “Islamo-gauchisme is an ideology which, from time to time, leads to the worst,” Education Minister Jean-Michel Blanquer told French radio station Europe 1. Then Gérarld Darmanin, France’s right-leaning Minister of the Interior, used the term in the National Assembly, referring to “intellectual accomplices” in terrorist acts.

      On Sunday, events took a dramatic turn. Frédérique Vidal, the University Minister, went on TV channel CNews and denounced how Islamo-gauchisme “plagues society as a whole” and pledged to launch an investigation into academic research considered in breach, particularly postcolonial studies.

      “They are in the minority and some do it to carry radical ideas or militant ideas … always looking at everything through the prism of their desire to divide, to fracture,” she said, likening it to an alliance between Mao Zedong and Ayatollah Khomeini.

      The comments have sparked outrage. On Tuesday, France’s Conference of University Presidents called for the debate “to be elevated” and that the government should not talk “nonsense.” On Wednesday, the French National Centre for Scientific Research, who Vidal said should carry out the investigation, criticised the “political exploitation that is... emblematic of a regrettable instrumentalisation of science.” On Thursday, daily newspaper Libération dedicated its front page to the debacle, quipping that Vidal had “lost her faculties”.

      However, for Fassin, and numerous other academics across France, the efforts to target them are cause for serious concern and could pose a very real danger. “This is very worrying,” he told VICE World News. “This is a political attempt to control knowledge. One imagines that it will not succeed, but the effect sought is intimidation. Above all, it helps to justify repression.”

      Frédéric Sawicki, professor of political science at Paris 1 University Panthéon-Sorbonne, said he felt “targeted” by the move. “If you declare yourself hostile to the ban on the wearing of the veil or to the organisation of a mandatory minute of silence in schools after a terrorist attack,” he said. “You are therefore an accomplice and as a consequence, you become an ‘Islamo-left-winger’!”

      “I am outraged,” he added. “The French Republic, except during the period of the Vichy regime, has always protected academic freedom. The Minister should protect this freedom at the foundation of any democracy.”

      Eyebrows have also been raised at the timing of the move by Vidal, with protests in response to the widespread problem of sexual assault on campus and huge numbers of students forced into financial uncertainty during the pandemic – leading to snaking queues for the subsidised university canteens.

      “The minister’s words are just a political diversion to make us forget her catastrophic management of higher education and research,” said Léon Thébault, a student at SciencesPo University Paris. “If Frédérique Vidal put as much energy into fighting these problems as she does into the media show, we wouldn’t have any more students living in precarity. She is out of touch with universities and students.”

      Michel Deneken, president of the University of Strasbourg, said the underlying motives behind Vidal’s announcement are purely political. “The regional and presidential elections are on the horizon,” he said. “The government is using this as a way to capture the support of the right. [Right-wing daily newspaper] Le Figaro writes every day about Islamo-gauchisme every day now.”

      French Muslim campaign groups express little doubt that it is an attempt to flirt with the far-right. “One has the impression that every week they want to find a new reason to talk about Islam,” said Sefen Guez Guez, a lawyer for the Collective Against Islamophobia in France (CCIF).

      But the French government’s crackdown on campuses also extends to legislation to limit research that is deemed unacceptable. The Senate last month adopted a bill setting the research budget for French universities, and while it is yet to pass through the National Assembly, critics say will curtail student protests and put freedom of research at stake by requiring it to “align with the values of the republic.”

      Rim-Sarah Alouane, a French legal academic and PhD candidate in comparative law at the University Toulouse Capitole, said “the vast majority of people working in academia are shocked and terrified for the future of research in this country”. She added that French academia has been “falling apart” due to budget cuts and lack of recruitment.

      For Alouane, it’s the latest in a long line of tightening of civil freedoms, including the controversial separatism law – aimed at tackling the Islamist terrorism that has grown since 2015 but labelled Islamophobic by rights groups – that was passed by the National Assembly, and the Global Security law, which at the end of last year proposed banning the filming of police, despite several high-profile cases of police violence.

      “You need to integrate this kind of announcement into a broader scope which is the hyper securitisation of our society, that is processed by limiting civil liberties on the ground of national security and public order,” she said.

      It comes as part of a wider reckoning in France, with “woke” leftist theories on race, gender and post-colonialism said to be imported from the US and the UK the target of the government’s ire. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ Blanquer said in October.

      Philippe Marlière, professor of French and European Politics at University College London, says that those Anglophone countries are themselves facing battles over freedom of speech, “wokeness” and so-called “cancel culture” at universities.

      “I think that there’s a bit of a deja-vu with what’s happening in the UK,” he said. “But the French situation is far worse. In the UK, the attacks remain quite implicit, but in France the government is trying to taint the personalities and reputations of academics. These are highly dangerous means that is the usual approach of the far right.”

      Marlière, who has himself been the target of far-right attacks – including in a recent article claiming he “has not ceased to work to promote racialist ideology” – warns there could be serious repercussions for this approach.

      “France is in complete denial when it comes to race,” he said. “Islamo-gauchisme is of course an insult. It’s almost a physical aggression because you put people at risk. What is remarkable is that it’s becoming more mainstream.”

      The Ministry of Higher Education, Research and Innovation did not respond to a request for comment. But government spokesman Gabriel Attal said on Wednesday that French President Emmanuel Macron has “an absolute attachment to the independence of teacher-researchers.”

      https://www.vice.com/en/article/jgq9m4/if-you-thought-the-culture-war-in-the-us-and-uk-was-dumb-check-out-frances

    • Aux sources de l’« islamo-gauchisme »

      Le philosophe #Pierre-André_Taguieff revient sur les origines d’un concept qu’il a contribué à forger. Selon lui, les usages polémiques discutables du terme ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’il désigne un véritable problème : la #collusion entre des groupes d’extrême gauche et des #mouvances_islamistes de diverses orientations.

      En France, à entendre les clameurs qui montent de l’arène politico-médiatique, le nouveau grand clivage serait celui qui oppose les « islamo-gauchistes » aux « islamophobes ». Cependant, rares sont ceux qui s’assument soit en tant qu’« islamo-gauchistes », soit en tant qu’« islamophobes », sauf par provocation. L’« islamophobe » ou l’« islamo-gauchiste », c’est toujours l’autre. Ces termes d’usage polémique sont des hétéro-désignations. Mais il serait naïf de reprocher à des termes politiques d’être polémiques. En les employant, on vise à stigmatiser un individu ou un groupe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

      Face aux « islamophobes » se tiendraient donc les « islamo-gauchistes », censés être islamophiles. Mais l’opposition est faussement claire. Il y a en effet de très nombreux citoyens français, de droite et de gauche, qui considèrent que l’islamisme, sous toutes ses formes, constitue une grave menace pour la cohésion nationale et l’exercice de nos libertés. Peuvent-ils être déclarés « islamophobes » ? C’est là, à l’évidence, un abus de langage et une confusion entretenue stratégiquement par les islamistes eux-mêmes. Ils sont en vérité « islamismophobes », et ils ont d’excellentes raisons de l’être, au vu des massacres commis par les jihadistes, du séparatisme prôné par les salafistes et des stratégies de conquête des Frères musulmans. Mais ils n’ont rien contre l’islam en tant que religion, susceptible d’être critiquée au même titre que toute religion. Quant aux « islamismophiles » d’extrême gauche, ils sont de deux types : il y a d’abord ceux qui, sur les réseaux sociaux, applaudissent les attaques jihadistes, ensuite ceux qui, intellectuels ou acteurs politiques, s’efforcent de justifier le comportement des islamistes en arguant que ces derniers ne font que réagir aux discriminations dont sont victimes les musulmans.

      À lire aussiEn finir avec l’« islamo-gauchisme » ?

      Il est de bonne méthode de revenir au moment de la formation de l’expression « islamo-gauchisme » en langue française. Il se trouve que, sur la question, j’ai joué un rôle, ce qui me permet d’intervenir en tant que témoin direct. C’est à partir de mes enquêtes, au début des années 2000 alors que débutait la seconde Intifada, sur des manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment ceux de la LCR (devenue en 2009 le NPA), que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme », forgée par mes soins. Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis ».
      Valeur descriptive

      L’expression « islamo-gauchisme » avait sous ma plume une valeur strictement descriptive, désignant une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause universelle. Elle intervenait dans ce qu’on appelle des « énoncés protocolaires » en logique. J’ai utilisé l’expression dans diverses conférences prononcées en 2002, ainsi que dans des articles portant sur ce que j’ai appelé la « nouvelle judéophobie », fondée sur un antisionisme radical dont l’objectif est l’élimination de l’Etat juif. Pour ne prendre qu’un exemple, dans mon article synthétique intitulé « L’émergence d’une judéophobie planétaire : islamisme, anti-impérialisme, antisionisme », publié dans la revue Outre-Terre, j’évoque la « mouvance islamo-gauchiste » en cours de formation.

      Il faut par ailleurs être d’une insigne mauvaise foi pour laisser entendre, comme le font certains aujourd’hui sur les réseaux sociaux, que je voulais par là assimiler insidieusement islam et islamisme, alors que tous mes écrits sur la question témoignent du contraire. Je n’allais pas forger, pour éviter de donner prise aux lectures malveillantes, une expression juste mais un peu lourde du type « islamismo-gauchisme », qui n’aurait d’ailleurs pas empêché des gens de mauvaise foi de s’indigner.
      « Judéo-bolchevisme »

      Que, mise à toutes les sauces, l’expression ait eu par la suite la fortune que l’on sait, je n’en suis pas responsable. Mais ses usages polémiques discutables ne doivent pas empêcher de reconnaître qu’elle désigne un véritable problème, qu’on peut ainsi formuler : comment expliquer et comprendre le dynamisme, depuis une trentaine d’années, des différentes formes prises par l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche se réclamant du marxisme (ou plutôt d’un marxisme) et des mouvances islamistes de diverses orientations (Frères musulmans, salafistes, jihadistes) ? Pourquoi cette imprégnation islamiste des mobilisations « révolutionnaires » ?

      Ecartons pour finir un argument fallacieux, souvent repris sur les réseaux sociaux, qui consiste à rapprocher, pour la disqualifier, l’expression « islamo-gauchisme » de l’expression « judéo-bolchevisme ». Lorsqu’elle s’est diffusée, au début des années 20, dans certains milieux anticommunistes et antisémites, l’expression « judéo-bolchevisme » signifiait que le bolchevisme était un phénomène juif et que les bolcheviks étaient en fait des Juifs (ou des « enjuivés »). Il n’en va pas du tout de même avec l’expression « islamo-gauchisme », qui ne signifie pas que le gauchisme est un phénomène musulman ni que les gauchistes sont en fait des islamistes. L’expression ne fait qu’enregistrer un ensemble de phénomènes observables, qui autorisent à rapprocher gauchistes et islamistes : des alliances stratégiques, des convergences idéologiques, des ennemis communs, des visées révolutionnaires partagées, etc.

      C’est ainsi qu’on observe, d’une part, que des militants marxistes-léninistes passés au terrorisme, tel Carlos, se sont rapprochés des milieux islamistes, jusqu’à se convertir à l’islam en version Al-Qaïda et à prôner un front islamo-révolutionnaire « contre les Juifs et les croisés ». Et que, d’autre part, des islamistes se sont ralliés au drapeau du tiers-mondisme, puis à celui de l’altermondialisme (tel Tariq Ramadan), avant de donner dans le postcolonialisme et le décolonialisme pour accuser les sociétés démocratiques occidentales de « racisme systémique ». C’est ainsi qu’un pseudo-antiracisme importé des campus étatsuniens, représentant une nouvelle forme de racialisme militant désignant « les blancs » comme les seuls racistes, est devenu à la fois un moyen d’intimidation et un puissant instrument de mobilisation, principalement d’une partie de la jeunesse.

      Les querelles de mots ne doivent pas nous empêcher de voir la dure réalité, surtout lorsqu’elle contredit nos attentes ou heurte nos partis pris.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/10/26/aux-sources-de-l-islamo-gauchisme_1803530

    • Une quatrième raison de la nécessaire démission de Frédérique Vidal

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’Université et la France ».

      Aux trois raisons qui d’emblée rendaient nécessaire la démission de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à la suite de ses déclarations sur CNews et dans le Journal du Dimanche et de sa décision de demander au CNRS d’enquêter sur la présence de l’ « islamo-gauchisme » au sein de l’Université, s’en ajoute maintenant une quatrième.

      Comme il fallait s’y attendre de premières listes de dénonciation circulent. Julien Aubert, député LR du Vaucluse, en avait pris l’initiative dès l’automne en stigmatisant nominativement des universitaires.

      Dans la course à l’échalote identitaire qui met désormais en compétition le Rassemblement national, Les Républicains et La République en marche l’extrême-droite ne pouvait pas rester à la traîne. Sur l’un de ses sites un individu livre donc à la vindicte publique « 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’Université et la France ».

      Il ne s’agit de nuls autres que les signataires de la pétition publiée par Le Monde et demandant la démission de la ministre. Tant qu’à faire il eût été plus honnête de parler des 17 000 « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » puisque la pétition a aujourd’hui recueilli ce nombre de signataires – et ceux-ci continuent d’affluer.

      La lecture de cette liste de « gauchistes complices de l’islam radicale, etc. » est en elle-même assez comique. S’y retrouvent pêle-mêle des universitaires dont la plupart n’ont jamais écrit une ligne sur l’islam, la décolonialité, les genres ou je ne sais quelle autre phobie du bloc identitaire dont se réclame désormais sans fard la macronie, mais protestent tout simplement contre l’atteinte ministérielle à la liberté académique. Il y a en elle un côté inventaire à la Prévert désopilant quand on connaît les personnes mises en cause.

      Une fois de plus il se vérifie que les obsédés de l’ « islamo-gauchisme » et autres fadaises identitaristes parlent de choses qu’ils ne connaissent précisément pas ni ne comprennent.

      C’est par exemple ce qui les a amenés à auditionner à l’Assemblée nationale, le 1er mars, Bernard Lugan, enseignant à l’Université nationale du Rwanda de 1972 à 1983, puis à l’Université Lyon-III de 1984 à 2009, négationniste du caractère prémédité du génocide des Tutsi en 1994, polygraphe apprécié de Saint-Cyr et des nostalgiques de l’apartheid pour son insistance sur l’explication ethniciste du politique en Afrique à défaut de l’être par la corporation des historiens africanistes patentés, pour qu’il livre son expertise sur… l’opération Barkhane, en dépit de son ignorance complète du Sahel.

      Alors que l’Université et le CNRS abritent, à défaut d’ « islamo-gauchistes », nombre d’excellents spécialistes de la région, toutes disciplines, toutes générations et, horresco referens, tous genres confondus, dont le député France insoumise Bastien Lachaud s’est fait un malin plaisir de rappeler quelques noms à la présidente de la commission de la Défense nationale et des forces armées.

      Nous en sommes là.

      L’#idéologisation du savoir vient bel et bien du gouvernement, à l’initiative du président de la République lui-même, dans le cadre de la stratégie de sa réélection en 2022, comme le soulignent un nombre croissant d’observateurs de la vie politique française. J’avais moi-même parlé de maccarthysme après les déclarations de Jean-Michel Blanquer, dans ma tribune du Monde du 31 octobre.

      Au train où nous allons il faudra bientôt parler de lyssenkisme.

      Quoi qu’il en soit, Frédérique Vidal, déjà désavouée par la Conférence des présidents d’Université, l’alliance Athéna et la direction du CNRS à la suite de ses déclarations délibérées et destinées à complaire à son maître présidentiel, va devoir désormais exercer sa tutelle ubuesque sur des institutions qui vont accorder (on ne peut imaginer qu’elles se dérobent) leur protection fonctionnelle à une partie de leur personnel livrée à la haine en ligne, au harcèlement moral, voire – qu’à Dieu ne plaise – à des agressions physiques commises par quelque tête brûlée, à la suite des déclarations irresponsables qu’elle a elle-même faites et réitérées.

      Choisira-t-elle d’attendre qu’un quelconque groupe Charles Martel casse la gueule de Christelle Rabier, Sophie Wanich, Eric Fassin, Samuel Hayat et autres « islamo-gauchistes » pour qu’elle tire les conséquences de son cynisme électoral ?

      Ce gouvernement commence à sérieusement puer les années trente…

      https://blogs.mediapart.fr/jean-francois-bayart/blog/030321/une-quatrieme-raison-de-la-necessaire-demission-de-frederique-vidal

    • Islamo-gauchisme : « Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française »

      Près de 200 universitaires du monde anglophone, parmi lesquels #Arjun_Appadurai, #Judith_Butler, #Frederick_Cooper et #Ann_Stoler, et plusieurs organisations universitaires dénoncent la « chasse aux sorcières » menée par la ministre Frédérique Vidal.

      –-

      Nous écrivons pour exprimer notre profonde consternation devant la récente requête de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, demandant au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) de diligenter une enquête sur les agissements « islamo-gauchistes » dans les universités françaises.

      Nous regrettons qu’après le passage par le gouvernement français d’une loi sur le « séparatisme » ayant déjà accentué la stigmatisation de musulmans en France, ce soit désormais aux universitaires d’être accusés de polariser les débats publics. L’idée que l’on puisse surveiller des enseignants-chercheurs sous prétexte du « dévoiement militant de la recherche » est dans les faits une menace directe de censure qui nous inquiète à plus d’un titre.

      Tout d’abord, l’Etat n’a ni le droit ni la compétence pour censurer les travaux d’universitaires qui s’appuient sur leur expertise pour contribuer à l’avancée du savoir dans nos sociétés. C’est un précédent dangereux qui ne saurait être toléré dans une société démocratique.
      Fanon, Sartre, Bourdieu…

      L’argument selon lequel des universitaires, soi-disant « islamo-gauchistes », risquent de diviser la société est dans les faits un effort visant à diffamer nos collègues. Cette #attaque est de surcroît justifiée au nom de la protection de la République face à l’alliance supposée entre une partie de la gauche et un groupe religieux.

      Nous ne pouvons manquer de souligner la résonance avec les plus sombres moments de l’histoire française, et notamment avec un discours attaquant les « judéo-bolcheviques » qui déjà servait à créer l’#amalgame entre engagements politiques et religieux.

      Par ailleurs, les approches actuellement sous le feu de la critique ont été directement inspirées par quelques-unes des plus brillantes figures de la tradition philosophique, littéraire et sociologique française. En tant que chercheurs travaillant aux États-Unis et ailleurs, nous sommes redevables intellectuellement envers la France pour avoir contribué par ses universités à l’émergence de penseurs tels que #Frantz_Fanon, #Albert_Memmi, #Hélène_Cixous, #Aimé_Césaire, #Paulette_Nardal, #Jean-Paul_Sartre, #Pierre_Bourdieu, #Louis_Althusser, #Jacques_Derrida et #Michel_Foucault.

      La plupart de ces figures n’étaient pas seulement des penseurs, mais aussi des individus impliqués dans des #luttes_politiques prolongées pour rendre nos sociétés meilleures. Ces #intellectuels_engagés sont devenus les piliers des diverses approches qui sont désormais attaquées sous le nom de « #post-colonialisme. »

      Censure

      Qu’un pays qui a tant contribué à faire avancer la #pensée_critique tourne ainsi le dos à son #patrimoine_national n’est pas seulement alarmant, c’est aussi dénué de vision à long terme. Nous ne demandons pas que tout le monde embrasse ces approches et reconnaisse leurs mérites, mais simplement que les universitaires français puissent en débattre et les partager avec leurs étudiants, si tel est leur bon vouloir.

      Enfin, ceux qui gouvernent l’enseignement supérieur feraient mieux de chercher des solutions concrètes au problème de la #discrimination_raciale en France, plutôt que de se lancer dans une chasse aux sorcières contre des chercheurs. Las, plutôt que de soutenir des universitaires afin de faire avancer la lutte commune pour l’égalité, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche les menace de censure.

      Plutôt que de répondre à la souffrance des étudiants dans un contexte de pandémie globale, ou aux problèmes économiques auxquels est confrontée l’éducation publique, Frédérique Vidal et ses collègues désignent des enseignants comme la principale #menace pesant sur les universités françaises.

      De nombreux signataires de la présente tribune ont bénéficié de leurs échanges prolongés avec des universités françaises, que ce soit avec des individus ou au niveau institutionnel. Nous souhaitons que cette collaboration avec nos collègues français se poursuive dans un esprit de débat ouvert et libre. C’est pourquoi nous attirons à nouveau votre attention sur les graves #dangers que ces menaces de censure font peser sur la #liberté_académique.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/04/islamo-gauchisme-nous-ne-pouvons-manquer-de-souligner-la-resonance-avec-les-

      –—

      Liste des signataires :
      https://docs.google.com/document/d/1sAvvdgTRQgx-L5XaiX2e8g76Y1hjJkxDeBRudgq3Lrg/edit

    • L’université menacée par « l’islamo-gauchisme » ? Une cabale médiatique bien rodée

      Problème public numéro un à l’université ? Depuis les déclarations de la ministre Frédérique Vidal face à Jean-Pierre Elkabbach autour des « universités en proie à "l’islamo-gauchisme" » (un des thèmes de « l’interview-tribune » de CNews), et ses velléités de commander une enquête sur le prétendu phénomène dans les facultés françaises, le sujet est traité partout dans les grands médias. Enième illustration de la capacité de ces derniers à co-construire un problème public en grossissant et déformant les faits convoqués en plus de balayer les positions du CNRS d’un revers de main, l’épisode nous invite à nous repencher sur une précédente séquence, ayant largement labouré le terrain de la cabale politico-médiatique actuelle : le « Manifeste des 100 » publié dans Le Monde en octobre 2020, et pour ce qui concerne Acrimed, ses dites « preuves à l’appui », composées majoritairement d’articles de presse.

      « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités » (Une du Figaro, 12/02), « alliance entre Mao Tsé-Toung et l’ayatollah Khomeini » (Jean-Pierre Elkabbach, CNews, 14/02), « peste intersectionnelle qui ronge les facs » (Raphaël Enthoven, Twitter, 16/02), « Nos facs sont-elles gangrénées par l’islamo-gauchisme ? » (« Grandes gueules, RMC, 17/02), « Islamisme à l’université : faut-il confier l’enquête au principal suspect ? » (Le Point, 17/02), « "Islamo-gauchisme" à l’université : comment Frédérique Vidal s’est piégée » (L’Express, 19/02), « Islamo-gauchisme : la ministre persiste » (en Une du JDD, 21/02), « Islamo-gauchisme dans les universités : "Il n’y a pas lieu de faire de polémique", selon Vidal » (en interview chez RTL, 22/02), « Islamo-gauchisme : il faut sauver la soldate Vidal » proclame Franz-Olivier Giesbert qui parle lui de « totalitarisme » (Le Point, 25/02), « Universités : les nouveaux fanatiques » (LCI, 27/02)… Une nouvelle séquence de chasse aux sorcières médiatique, coproduite avec une partie de la classe politique et du gouvernement (ministre de l’Enseignement supérieur en tête), s’est déroulée en ce mois de février 2021 sur les plateaux des chaînes d’info, dans les pages de certains quotidiens nationaux et d’une grande partie de la presse magazine, en passant par les comptes Twitter des éditocrates, gagnant une nouvelle fois l’ensemble du paysage médiatique.

      Si tous les médias ne versent pas dans le même degré d’outrances, et si certains (rares) ont même (enfin) l’idée d’inviter des chercheurs jusqu’alors inaudibles dans l’espace du débat autorisé, le sujet de « l’islamo-gauchisme » – et de sa prétendue omniprésence dans les universités françaises – occupe bel et bien le haut de l’agenda. La mécanique est alimentée par d’innombrables dépêches AFP, occupées à titrer sur la moindre « petite phrase » de responsable politique, par d’intarissables « débats » et par de multiples interviews, conduites par d’infatigables journalistes tribuns… sans compter les tribunes et pseudo « enquêtes », en passant par les instituts de sondage, qui ne résistent pas à entretenir la machine médiatique (savamment sollicités par les médias eux-mêmes) en fabriquant l’opinion qu’ils prétendent sonder [1].

      Les émissions de service public n’y coupent pas non plus : « Islamo-gauchisme : entre opportunisme politique et débat scientifique » titre la matinale de France Culture (23/02), « Enquête ouverte sur "l’islamo-gauchisme" à la fac » annonce « C à vous » (France 5, 17/02) dans une discussion avec… Gérald Darmanin ; « Islamo-gauchisme : fantasme ou réelle menace politique ? » demande encore « C ce soir » (France 5, 17/02) ; « Islamo-gauchisme : la polémique » titre à son tour « C l’hebdo » (20/02), « Islamo-gauchisme à l’université : fantasme ou réalité ? » radotent « Les Informés » (France Info, 18/02), « Islamo-gauchisme : Frédérique Vidal s’invite au cœur du débat politique » ose le 20h de France 2 (21/02). Revenant sur les propos de la ministre, France Inter en fait même son « mot de la semaine » (21/02), dont le « décryptage » est confié au fin analyste et expert Renaud Dély, éditorialiste sur France Info et Arte [2]. Et le 26 février, à peine deux minutes avant la fin de l’interview matinale, Nicolas Demorand (France Inter) demande à Gabriel Attal, porte-parole de LREM, s’il « estime que "l’islamo-gauchisme" gangrène l’université […], oui, non ? »

      Pendant ce temps, les problèmes structurels qui frappent de plein fouet l’université (manque de moyens et des postes pérennes, précarité voire détresse économique et morale des étudiants, etc.) sont relégués au second plan dans les grands médias, les angles morts révélés par ce genre d’obsessions éditoriales se multipliant. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) par exemple, menée par le gouvernement actuel et encore combattue par « 114 universités et écoles, 330 labos, 30 collectifs de précaires, 157 revues, 16 sociétés savantes, 47 séminaires, 39 sections CNU et 11 sections CoNRS, 54 évaluateur·trices de l’HCERES… » [3], reste ainsi plus que jamais « d’actualité » dans les faits, quoique négligée et traitée de manière superficielle par une grande partie des médias dominants. Car rien n’y fait : déformant ou hypertrophiant certains "faits" d’actualité encore plus que d’ordinaire, la focale médiatique construit « l’islamo-gauchisme à l’université » et les théories intersectionnelles ou décoloniales comme un problème public de premier plan. Ainsi Le Figaro peut-il se fendre de trois Unes sur le sujet entre le 12 et le 26 février, et Le Point y consacrer pas moins de trois éditoriaux dans son numéro du 25 février, dont celui de BHL qui a tranché du haut de sa superbe : « Un spectre hante les universités et que ce soit celui de l’islamo-gauchisme n’est pas douteux. Que les universités […] ne puissent elles-mêmes s’y dérober et devenir je ne sais quels territoires perdus de la pensée critique me semble également l’évidence. »

      Un terrain médiatique labouré de longue date : le cas du « Manifeste des 100 »

      Il faut dire que ce discours contre l’université française (et les études post-coloniales en particulier) a gagné en amplitude depuis l’assassinat de Samuel Paty. En octobre 2020 s’étaient en effet déjà multipliés les tribunes alarmistes, les éditos survoltés et les Unes tapageuses. Et depuis, les stars de l’info n’ont de cesse d’entretenir le même climat anxiogène à coups de questions désinformées, comme ce 1er février où Léa Salamé interrogeait Gérald Darmanin :

      Si on parle de ce qui se passe dans nos universités françaises, ces idées racialistes, indigénistes, qui viennent des campus américains, cette idéologie... idée différentialiste, aujourd’hui, elle n’a pas gagné selon vous dans les universités françaises ? Vous n’avez pas l’impression qu’elle gagne du terrain chaque jour ?

      Les « polémiques » et « controverses » actuelles ne sauraient donc être abordées sans rappeler combien le terrain médiatique est labouré de longue date par des « entrepreneurs de cause », reçus à colonnes ouvertes et micros branchés.

      Revenons ainsi sur un cas emblématique. Le 31 octobre 2020, une centaine d’universitaires (auxquels se sont ajoutés cent-cinquante-huit nouveaux signataires) publiaient dans Le Monde une tribune en soutien à Jean-Michel Blanquer, lequel dénonçait au micro d’Europe 1 un « islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’université » [4]. Les signataires reprenaient alors à leur compte ces graves accusations. Ils s’alarmaient en outre d’un « militantisme parfois violent » et d’un « déni » des universitaires (en général), et d’une « liberté de parole tend[ant] à [se] restreindre de manière drastique » à l’université. Que pointaient-ils du doigt ? « L’islamisme », et plus diversement « les idéologies indigéniste, racialiste et "décoloniale" (transférées des campus nord-américains) » qui nourriraient une « haine des "blancs" et de la France ». Des « idéologies » dont les signataires s’attachaient à montrer la matérialisation en-dehors de l’université, en pointant notamment « le port du voile […] qui se multiplie ces dernières années ». En conclusion, ils demandaient à la ministre Frédérique Vidal « de mettre en place des mesures de détection des dérives islamistes [à l’université], de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République ».

      Des « preuves à l’appui » médiatiques

      L’histoire aurait pu en rester là : une prise de position dans les pages « idées » d’un grand quotidien, comme il y en a des dizaines chaque semaine. Mais les signataires du « Manifeste » sont allés plus loin, en créant un site internet sur lequel ils revendiquent — entre autres — de mobiliser des « preuves » à l’appui de leur propos. Ce qui était « opinion » deviendrait ainsi « faits », comme on peut le lire sur la page d’accueil du site : « […] Tous les éléments rassemblés sur ce site depuis la publication du Manifeste en témoignent : articles de presse, livres, témoignages, mais aussi exemples de connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants. […] Parlons moins mais parlons vrai. Parlons des faits. »

      Or il s’avère que le corpus des « preuves » en question est presque exclusivement constitué d’articles et d’émissions publiés et diffusées majoritairement dans les grands médias : 47 articles, cinq livres, trois émissions de radio et un documentaire [5]. Ce qui ne pouvait manquer d’interpeller un observatoire des médias comme Acrimed [6]. « Parlons des faits. » Dont acte. Nous nous sommes donc attelés à analyser et objectiver le corpus fourni : les articles/émissions cités s’appuient-ils sur des données scientifiques, statistiques et sur un ensemble d’éléments à même d’étayer les accusations contre l’université française dans son ensemble ? Quel statut ont ces articles ? Sont-ce des enquêtes, des reportages ou des tribunes et des commentaires ? Quel est le statut de leurs auteurs ? Comment présentent-ils les travaux en sciences sociales incriminés ? Les relayent-ils seulement ? Etc.

      Le nombre important d’articles laissait penser que les universitaires s’étaient donné la peine de bien faire leur travail ; qu’ils avaient puisé dans un corpus hétérogène (où le commentaire se nourrit de l’enquête et des statistiques) et pluraliste (où les journaux d’opinion côtoient les journaux d’information et d’investigation). Et pourtant…

      Vous avez dit « preuves » ?

      Sauf erreur de notre part, il n’y a tout simplement aucune statistique ou étude empirique approfondie sur l’invasion des théories dites « indigénistes » ou « racialistes », encore moins sur les prétendues « connivences entre des islamistes patentés et certains universitaires et chercheurs militants », pas plus que sur la restriction « drastique » de « la liberté de parole » à l’université. Ces questions sont pourtant au centre du propos du « Manifeste ». Vous avez dit « preuves » ?

      Une absence d’autant plus problématique que les différents articles du corpus usent (et abusent) de qualificatifs soulignant la progression, en nombre et en intensité, de ce qui est présenté comme une « menace » ou un « danger ». Entre autres : « montée croissante des pensées racialiste, décolonialiste et indigéniste » qui « inquiète de nombreux étudiants et parlementaires » (Le Figaro, 10 janvier 2021) ; « le politiquement correct et l’affirmation du droit des minorités se sont largement répandus dans les facultés » (L’Opinion, 30 octobre 2019) ; « l’emprise croissante d’un dogme qui […] ignore la primauté du vécu personnel et dénie la spécificité de l’humain » (Le Monde, 25 septembre 2019) ; « En quelques années, les théories intersectionnelles se sont imposées dans les amphis des sciences sociales » (Marianne, 12 avril 2019) ; « l’influence grandissante de l’islamo-gauchisme sur la faculté » (Causeur, 20 novembre 2017)…

      Une menace grandissante sans statistique ? Et pour cause [7]…

      Mais cette absence de données chiffrées ne suffit évidemment pas à rejeter en bloc les « preuves à l’appui » du Manifeste. Une autre interrogation peut alors porter sur le nombre d’enquêtes et de reportages dans le corpus. Et force est de constater que le journalisme d’investigation n’y a pas bonne presse…

      Les tribunes ou formats apparentés (communiqués, éditos…) arrivent largement en tête : près de la moitié des articles (21 sur 47), auxquels il faut ajouter les interviews (8). Ils sont suivis des chroniques (ou d’articles non basés sur un reportage) signées de journalistes « maison » (13). En résumé, seuls cinq articles se basent sur une enquête. Et encore reste-t-il à souligner la déontologie pour le moins approximative qui les caractérise, notamment en termes de pratique du contradictoire et de pluralité des sources (voir en annexe 1, une courte analyse de l’une des enquêtes). Ces enquêtes se résument bien souvent à l’interview de quelques enseignants, étudiants et militants (dont on ne sait pas comment ils sont sélectionnés, ni à quel point ils sont représentatifs ou illustratifs de l’objet de l’article) et/ou à la retranscription de propos entendus durant un évènement. Le tout est rarement contextualisé et circonstancié. Quel statut accorder en effet à une invective lancée par un étudiant à un enseignant durant un cours ou un séminaire, ou à des tensions et conflits entre militants lors d’une réunion ? Dans quelle mesure peut-on parler d’une tendance régulière ou croissante à l’université, et si c’est bien le cas, dans quelles proportions ?

      Plus généralement, il est pour le moins significatif qu’aucun article scientifique publié dans une revue à comité de lecture (faisant appel à des pairs et à des relecteurs extérieurs pour évaluer l’article) ne vienne « appuyer » une tribune d’universitaires. Pour gage de sérieux scientifique, peut-être ses auteurs se contentent-ils des cinq livres référencés sur leur site, qui font la part belle à l’essai et qui ne s’éloignent guère de leur espace intellectuel de prédilection. L’un d’eux est ainsi écrit par un des premiers signataires du « Manifeste » (Pierre-André Taguieff, à l’origine du « concept » d’« islamo-gauchisme »), qui occupe également une bonne place dans les articles de presse « à l’appui » : une fois comme auteur, deux fois dans des entretiens donnés au Figaro et une fois avec un extrait de l’un de ses essais. Un deuxième ouvrage « preuve » (constitué, en guise d’enquête, de « témoignages et verbatim […] recueillis lors de colloques, de sessions universitaires ou de rassemblements associatifs ») est rédigé par Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni. Tous deux écrivent pour Causeur. La première apparaît à plusieurs reprises dans les articles de presse du corpus. Et le second est, en plus de ses fonctions universitaires (chargé de cours à l’Essec, doctorant en philosophie à l’ENS), banquier d’investissement et conseiller politique LR… Les autres livres sont : un essai de Pascal Bruckner, que l’on ne présente plus (et qui a préfacé l’ouvrage d’Anne-Sophie Nogaret et Sami Biasoni…) ; un essai de Fatiha Boudjahlat, habituée des colonnes de Causeur et Valeurs actuelles ; un ouvrage du sociologue Manuel Boucher, dont une tribune publiée dans Marianne figure également dans le corpus, dans laquelle il s’en prend à Clémentine Autain (députée du groupe La France insoumise) qui serait dans « une logique munichoise servant les intérêts des extrémistes nationalistes ». Sic.

      Vase clos : des médias d’opinion (de droite) massivement mobilisés

      L’impression de vase clos se poursuit lorsque l’on regarde d’un peu plus près les médias mobilisés, ainsi que la circulation entre ses signataires et les intervenants des articles de presse. Sur les 50 auteurs des 47 articles, on dénombre 26 auteurs universitaires [8], parmi lesquels… 22 sont logiquement signataires du « Manifeste des 100 ». Ainsi, on ne s’étonne guère que plus de la moitié des articles (28) comporte au moins une référence à un signataire de la tribune, ou que leur auteur se retrouve dans une autre « preuve à l’appui ».

      Ensuite, il est à noter que près de la moitié des articles (20) proviennent de médias d’opinion, marqués à droite voire à l’extrême droite : Figarovox (5), Le Point (7), L’Opinion (3), Causeur (2), Atlantico (2), Le Figaro (1).

      En deuxième position du corpus figurent une diversité de sources intermédiaires (12 au total), que l’on ne peut soupçonner d’être en opposition à ce peloton de tête. On y trouve d’abord cinq articles de médias dédiés à l’information ou à la discussion « intellectuelle » : le « portail des livres et des idées » Nonfiction livre quatre contributions (en réalité une contribution en quatre parties, du même auteur : un sémanticien… François Rastier), la cinquième venant d’une revue électronique de philosophie « dévolue à la présentation et l’analyse des nouveautés éditoriales publiées en langue française » (Actu Philosophia). Quatre autres articles de cette deuxième catégorie viennent ensuite de médias qui se destinent à la réponse à l’actualité, à l’opinion ou à la demande politique : une plateforme se définissant comme un « organisateur de débats pressants » (Persuasion), une « agence intellectuelle » se disant « d’inspiration réformiste » (Telos), un observatoire du « conspirationnisme » (Conspiracy Watch) et un blog (Mezetulle). Les trois derniers sont signés du journal satirique Charlie Hebdo, par deux fois, et d’une association, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

      Enfin, une troisième et dernière catégorie est composée de médias classés « au centre » ou « à gauche » (15 au total) : Le Monde (5), Marianne (5), Libération (3), Télérama (1) et L’Obs (1).

      À propos de ce panorama, on remarquera que les médias les plus représentés contribuent activement depuis au moins une décennie à construire le « problème » de l’islam et de l’immigration dans le débat public, et à fustiger sans discontinuer les « obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », pour reprendre la formule placardée en Une de Marianne (avril 2019) : trois thématiques dont ces médias font régulièrement leurs choux gras, quand elles ne sont pas érigées en obsessions éditoriales [9]… En témoignait (encore) dernièrement la Une du Point [10] (14 janvier 2021), agitant comme des épouvantails les « déboulonneurs », « indigénistes », la « gauche racialiste » mais également « l’écriture inclusive ».

      Si d’autres médias et acteurs politiques (du côté de la gauche républicaine notamment) se sont appropriés ce sujet, une récente étude statistique de l’Ina [11] corrobore d’ailleurs le rôle joué par cette (petite) poignée d’entrepreneurs médiatiques – chroniqueurs ou titres de presse – dans la légitimation et la promulgation du pseudo « concept » d’« islamo-gauchisme » et partant, dans la banalisation de son usage dans le débat public :

      À compter de cet événement [l’attentat contre Charlie Hebdo], le terme [« islamo-gauchisme »] trouve ses entrepreneurs de cause : un petit nombre de journalistes le convoqueront désormais à l’envi, contribuant à en ritualiser l’usage. Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, surtout, mais aussi Éric Zemmour, Alexandre Devecchio, Étienne Gernelle et Michel Onfray à la fin de l’année 2015, forment ce personnel médiatique rassemblé autour d’un petit nombre de titres — Le Figaro, Le Point, Marianne.

      Autant dire qu’au total, ce corpus est l’incarnation d’une information et d’idées qui circulent en vase clos [12] : forte homogénéité des médias mobilisés qui répond à l’homogénéité toute aussi importante des auteurs des articles. En résumé, les opinions de ces universitaires (notamment les plus médiatiques d’entre eux) ne pouvaient que rencontrer celles des médias qui en assurent déjà la visibilité et la promotion…

      Un corpus qui révèle davantage les biais ordinaires du journalisme dominant que des « preuves » factuelles

      Sans même mentionner la part non négligeable de productions du corpus dans lesquelles on peine à trouver le moindre lien avec la problématique initiale (l’université) [13], il faut enfin souligner combien les différents articles de presse et émissions mis en avant sont avant tout des « preuves à l’appui » des travers ordinaires du journalisme dominant. Un journalisme notamment marqué par l’affranchissement quasi systématique du contradictoire, entre autres règles professionnelles de base : ainsi les termes du débat ne sont-ils quasiment jamais interrogés, les travaux universitaires incriminés rarement cités, et le pluralisme… piétiné (dans le cas des cinq enquêtes figurant dans le corpus).

      Et quand il ne s’agit pas de tribune (un format qui ne permet pas la contradiction), il n’est pas rare que les interviews soient d’une complaisance à l’égard des intervenants (voir deux exemples en annexe 2), n’ayant d’égal que la disqualification violente et arbitraire des chercheurs, étudiants et universitaires taxés contre leur gré [14] d’« indigénistes » ou d’ « identitaires ». Souvent en leur absence, et plus encore en leur présence : car lorsque ces derniers ont la rare occasion de présenter leur point de vue, on peut apprécier les conditions dans lesquelles ils sont reçus…

      Reportons-nous pour cela à l’une des trois émissions de France Culture citées « à l’appui » du Manifeste : « Signes des temps » (25 octobre 2020), consacrée à « la crise dans l’enseignement et crise de la gauche après l’assassinat de Samuel Paty ». Une émission bien connue d’Acrimed puisque nous l’épinglions déjà dans notre article consacré à la traque médiatique des « islamo-gauchistes », comme une illustration exemplaire d’ « interrogatoires journalistico-policiers en règle », durant laquelle Marc Weitzmann [15] est rapidement sorti de son rôle de présentateur pour endosser celui de procureur contre Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant Unef. En effet, si les trois autres intervenants avaient eu droit à des questions ouvertes les invitant à rebondir sur les termes de leurs propres écrits, Mélanie Luce s’est vue sommée de répondre à une série d’accusations. Le tout enrobé de sous-entendus, amalgames et suspicions à son encontre (voir en annexe 3).

      Ainsi la question du pluralisme dans les différentes productions médiatiques « à l’appui » se joue-t-elle autant dans l’absence – ou la disqualification immédiate – de contradicteurs que dans les cadrages à sens unique du débat. L’escroquerie des « preuves à l’appui » est de taille lorsque l’on constate que France Culture (dont trois émissions sont citées dans le corpus, et dans lesquelles on peut aisément repérer des nuances et contre-arguments au propos du « Manifeste »), a pourtant beaucoup produit sur la question. Notamment, une série documentaire de l’émission « LSD » en quatre épisodes (« Les débats de société à l’assaut de l’université », quatre heures au total), n’apparaît pas dans les « preuves à l’appui », alors qu’elle donne à voir ce que la pratique d’un (vrai) pluralisme, incluant donc les chercheurs concernés, apporte à la salubrité du débat public.

      *

      Ainsi les amalgames et les analyses fourre-tout (« islamisme », travaux « décoloniaux/racialistes », port du voile, etc.) cachent-ils donc très mal le caractère hautement politique du « Manifeste », appuyé par et sur une série d’articles loin d’être « factuels » ou « neutres ». Tous répondent en réalité d’un raisonnement circulaire, qui pourrait se résumer comme suit : « Il existe un danger "islamiste" et "racialiste" à l’université. La preuve ? Nous le dénonçons. »

      Le problème n’est pas tant que ce monde d’entre-soi puisse se satisfaire d’une circulation intellectuelle et médiatique en circuit fermé : ils ont évidemment le droit de penser ce qu’ils veulent, et de le dire publiquement ! C’est finalement le pluralisme des idées et des opinions dans les médias dominants qui est en jeu, et son déséquilibre structurel flagrant. De même que l’appauvrissement en continu du débat public. Il est ainsi pour le moins surprenant, de la part d’universitaires et chercheurs censés être au fait des courants de pensée et des discussions et controverses académiques nécessaires à la progression de la connaissance, de les voir rabattre un ensemble de recherches en sciences humaines et sociales à une « haine des "blancs" » ou à des traces suspectes d’« islamo-gauchisme »… Encore plus surprenant d’accuser des adversaires de faire œuvre d’idéologie et non de science, de sacrifier les idéaux de la recherche pure sur l’autel de leur militantisme – une conception en outre épistémologiquement douteuse de la « neutralité » absolue du savant – tout en déroulant d’un autre côté une litanie de jugements éminemment marqués idéologiquement, sans avoir recours au moindre travail scientifique rigoureux — ou en ignorant superbement les travaux existants. Le tout en recevant les soutiens d’Emmanuel Macron, en mobilisant les analyses d’une conseillère régionale du Val-d’Oise, ou encore en étant signataires de l’appel des 80 intellectuels contre le « décolonialisme » aux côtés d’Alain Finkielkraut et… Bernard de la Villardière.

      De tels discours bifaces et autres pétitions de convictions pourraient ainsi faire sourire s’ils ne s’inscrivaient pas dans une offensive politico-médiatique d’ampleur. Et dont les conséquences dépassent en réalité de loin le bavardage hors sol : ainsi des attaques concrètes contre la recherche, son autonomie et les libertés académiques voient-elles le jour, depuis la mission d’information sur les « dérives idéologiques à l’Université » réclamée par deux députés LR, jusqu’à l’enquête souhaitée au plus haut sommet de l’État par la ministre Frédérique Vidal [16]. Une croisade médiatico-politique, décuplée depuis les attentats de 2015, qui montre plus que jamais les dangers d’un fonctionnement médiatique donnant, à travers un ensemble de mécanismes, le primat à « l’opinion » sur l’information et la connaissance scientifique.

      https://www.acrimed.org/L-universite-menacee-par-l-islamo-gauchisme-Une

    • « L’éthique de la recherche, c’est la capacité à distinguer les enjeux, à ne pas glisser de la théorie vers l’idéologie »

      Face au mélange entre science et politique, au refus du #pluralisme, les chercheurs doivent pouvoir échanger de façon argumentée et réfutée, en s’employant à « éviter les #fractures et les #enclaves », explique le géographe Jacques Lévy dans une tribune au « Monde ».

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      Une des effets dommageables de la prise de position de Frédérique Vidal sur l’ « islamo-gauchisme » à l’université a été de permettre à ses détracteurs d’inverser son propos et de porter la charge sur les lanceurs d’alerte. Pourtant, il existe bien des motifs d’#inquiétude sur la relation entre la société et ses chercheurs, et pas seulement en sciences sociales. Pour y voir plus clair, distinguons trois plans : celui des théories, celui du mélange des genres et celui du pluralisme.

      Les théories qui cherchent à expliquer le monde sont nombreuses et tant mieux ! L’une d’elles se fonde sur une vision communautaire du social : elle se représente la société comme une constellation de groupes aux appartenances non choisies et irréversibles. La fameuse « #intersectionnalité » consiste en une #essentialisation des #identités, qu’on peut éventuellement croiser, mais sans les remettre en question. Cette école de pensée tente de sauver le #structuralisme_marxiste, dans lequel la communauté de #classe était centrale, en ajoutant de nouvelles « structures » à un édifice qui se lézarde, pris à contre-pied par l’irruption des #singularités_individuelles. On peut préférer, dans le sillage de Norbert Elias (1897-1990), le paradigme de la « société des individus », qui décrit un monde où les individus acteurs prospèrent de conserve avec une société postcommunautaire. La différence entre ces deux conceptions est patente, mais on ne peut s’en plaindre. Cela, c’est le débat, sain parce que libre et transparent, qui caractérise la démarche scientifique.

      Création de monstres

      Le danger apparaît avec le mélange des genres entre science et #politique. Roger Pielke (The Honest Broker, Cambridge University Press, 2007, non traduit) a montré, à propos des débats sur le climat, que lorsqu’un sujet est marqué à la fois par des controverses scientifiques et des oppositions politiques fortes, les deux dissensus peuvent s’épauler et créer des monstres : le militant choisit l’hypothèse qui l’arrange pour se parer de la #légitimité_scientifique, tandis que le chercheur se mue subrepticement en un politicien sans scrupule. Les chercheurs sont aussi des citoyens et ils ont bien le droit de l’être. Leurs expériences personnelles peuvent être des ressources pour la connaissance.

      Si la conscience que les registres ne doivent pas se fondre les uns dans les autres fait défaut, les savants se muent tout bonnement en #idéologues d’autant plus déplaisants qu’ils s’abritent derrière leur statut. On voit fleurir des #novlangues dignes du 1984 de George Orwell, lorsque, au nom de la science, l’ « antiracisme » couvre un nouveau type de racisme, ou lorsque la « démocratie éco logique » vise une dictature des écologistes intégristes. L’enquête qu’ont menée les chercheurs britannique et américain Helen Pluckrose et James Lindsay (Cynical Theories, Pitchstone Publishing, 2020, non traduit) montre que des revues universitaires prestigieuses acceptent aisément de publier des textes délirants dont on aimerait pouvoir rire mais qui sont animés par une idéologie de la haine intercommunautaire et n’hésitent pas à traiter de « négationniste » toute prise de position divergente.

      Le troisième plan est sans doute le plus grave. Il s’y déroule une attaque frontale contre la démarche scientifique et un refus du pluralisme des idées. De la « #positionalité » (l’autoanalyse par le chercheur de biais liés à sa position sociale) déjà ambiguë, on est passé à la #standpoint_theory, un oxymore qu’on peut traduire par la « théorie-point de vue », qui décrète que l’ « #objectivité_forte » ne peut être atteinte que si le chercheur s’appuie sur sa propre #expérience. Seules les femmes peuvent parler des femmes, seuls les Noirs peuvent parler des Noirs, et c’est ainsi que les women studies ou les black studies désignent, par défaut, à la fois l’objet d’études et l’identité du chercheur. Une épistémologie ubuesque dans laquelle l’histoire des temps reculés devient impossible même si l’on s’intéresse aux dominés et où le travail de terrain et l’observation participante sont bannis. C’est une technique pour discréditer les travaux qui dérangent, rappelant la stalinienne opposition entre « science bourgeoise » et « science prolétarienne .

      Un contrat exigeant signé avec la société

      Cette fois, c’est l’appartenance ou non à une communauté définie par un principe biologique, le sexe ou la race, qui arme les censeurs. La #cancel_culture, cette posture de l’annulation et de l’#annihilation, s’appuie sur la tradition puritaine américaine qui, en dénonçant des blasphèmes, cherche à intimider, parfois à brutaliser les récalcitrants.

      Il y a donc plusieurs dangers, qu’il ne faut pas confondre. C’est justement cela le principal risque : le #glissement, de la théorie vers l’idéologie et de la désinvolture vers la #négation_de_l'autre. L’#éthique de la recherche réside au contraire dans la capacité à distinguer les enjeux différents. Le contrat que les chercheurs signent avec la société en s’engageant à construire autant qu’il est possible, par leur observation et par leur raison, des #vérités_objectives est exigeant. Ceux qui le déchirent minent la confiance de nos concitoyens. Ce contrat est subtil et il ne peut être vérifié que dans la pratique incessante d’échanges argumentés et réfutés, dans le monde de la recherche, mais dans l’ensemble de la société qui, elle aussi, nous écoute, nous lit et nous évalue. Le #tournant_éthique que nous vivons se manifeste à chaque fois qu’on peut imaginer une proportionnalité entre #liberté et #responsabilité. Ce tournant concerne les puissants et les puissances, mais tout autant chaque individu.

      Face à une société états-unienne tristement clivée, l’Europe peut montrer l’exemple en s’employant à éviter les fractures et les enclaves de manière que tous puissent continuer à parler à tous. De ce nécessaire dialogue les sciences du social comme celles du monde biophysique ou les mathématiques ne peuvent s’affranchir.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/02/l-ethique-de-la-recherche-c-est-la-capacite-a-distinguer-les-enjeux-a-ne-pas
      #Jacques_Lévy

    • #Etienne_Balibar : « Le conflit fait partie des lieux du savoir »

      Alors que le gouvernement reproche aux universitaires leur militantisme, le philosophe s’interroge : quel rapport y a-t-il en sciences sociales entre la nécessité de prendre parti et celle du savoir pour le savoir ? L’université doit, plus que par le passé, ouvrir ses portes et ses oreilles à l’extérieur de la société.

      On peut trouver effarant (c’est mon cas) que les ministres de l’Education et de l’Enseignement supérieur, encouragés du sommet, soient allés ramasser dans un caniveau idéologique une épithète aux sinistres résonances pour lancer dans l’Université et au CNRS une campagne d’épuration.

      On peut s’inquiéter (c’est mon cas) de la vitesse avec laquelle s’accomplit le démantèlement de la recherche publique autonome, à travers l’austérité budgétaire et la généralisation des crédits ciblés (et contrôlés) « par objectifs ».

      On peut se désoler (c’est mon cas) de voir les porte-parole de la « qualité de la science française » vouloir interdire à nos étudiants de participer à de grands courants internationaux d’innovation et de pensée critique, censés attenter aux valeurs républicaines, nous enfermant ainsi dans le provincialisme et le chauvinisme.

      On peut – alors même qu’on défend, comme je le fais, la légitimité des études de « race », de « genre », de « classe », de « culture postcoloniale », ainsi que toutes leurs intersections – savoir mettre en garde contre les amalgames sans fondement historique et les interdits de parole sectaires aux marges de l’Université.

      On peut (ce qui est mon cas) regretter de voir des sociologues et historiens, qui avaient contribué par des travaux de référence à la critique des inégalités et des exclusions sociales ou nationales, rallier avec aigreur le camp du #conservatisme et du #corporatisme_intellectuels.

      Mais tout ceci ne fait pas avancer la question épistémologique : Quel rapport y a-t-il, dans le champ desdites sciences humaines et sociales, entre la nécessité de prendre parti, et celle du savoir pour le savoir (le seul qui mérite ce nom, en vérité) ? Voici que se pose à nouveau la question de Max Weber dans ses conférences de 1919 (1) : Quelle est la « vocation » de la science ? En quoi diffère-t-elle de la « vocation » de la politique ? Or la solution qu’il proposait alors : « #neutralité_axiologique », séparation des deux « éthiques » (de la #conviction et de la #responsabilité) s’est avérée impraticable.

      Je vois quatre raisons à cela. Elles dessinent comme une unité de contraires, dans laquelle nous avons à tracer notre route, sans céder sur aucune exigence.

      Non aux institutions de #monologue

      Premièrement, l’Université et ses centres de recherches ne peuvent plus être des institutions de monologue. Elles doivent, plus que par le passé, ouvrir leurs portes et leurs oreilles à l’extérieur de la société, ou mieux de la cité. Nul ne conteste qu’il faille étudier, transmettre des savoirs, s’exercer à l’argumentation rationnelle : tout cela se fait dans des salles de classe et de séminaires. Mais l’objet lui-même, dont on recherche l’intelligibilité, est par définition au-dehors et surtout il est irréductiblement conflictuel, car nous ne vivons pas (et ne vivrons pas de sitôt) dans une cité « harmonieuse ». Pour qu’il y ait chance de l’appréhender et de le comprendre, ce conflit ne doit pas seulement faire l’objet d’une enquête ou d’une analyse à distance. Il doit s’introduire dans les lieux du savoir à travers ses acteurs réels, à moins que les chercheurs eux-mêmes ne partent à l’aventure pour les retrouver (par exemple dans une « jungle » ou dans un « quartier »). Comme aurait pu le dire Foucault, il faut faire sortir (les enseignants, les étudiants, les chercheurs) et laisser entrer (les manifestants avec ou sans gilet, les « militants », c’est-à-dire les citoyens actifs). Il faut leur donner la parole dans les enceintes réservées au discours. On sait que c’est presque impossible, mais des protocoles doivent pouvoir être expérimentés pour cela.

      Avec le lieux entre l’idéologie. C’est une banalité. Le problème est que l’idéologie est toujours déjà dans la place sous une forme plus ou moins « dominante ». Poser que le socle indiscutable du savoir économique est l’anticipation rationnelle des opérateurs de marché, ou que la connaissance sociologique se rejoue indéfiniment entre l’individualisme méthodologique et la solidarité organique, ou que l’objet commun de la psychologie et de la pédagogie est l’adaptation, ou que le sens de la modernité historique est la sécularisation du religieux, ce ne sont pas que des postulats, ce sont des prises de parti qui s’étayent sur des rapports de pouvoir. Naturellement il y en a d’autres, plus ou moins reconnues suivant les époques. Une institution de savoir vivante, capable d’accueillir l’inconnu, devrait se fixer comme objectif (y compris dans les instances nationales d’évaluation) de débusquer systématiquement les paradigmes « incontestés » pour les remettre en discussion. Souvenons-nous de l’épisode désastreux qui a vu l’interdiction d’une section « Economie et société » au Conseil national des universités (CNU), et dont nous payons le prix à l’heure du « quoi qu’il en coûte » …

      Aiguiser la #conflictualité

      Mais le conflit des idéologies scientifiques (comme disait Canguilhem) et des idéologies de savants (comme disait Althusser) n’est peut-être pas le cœur du problème. On pourrait croire, une fois de plus, que la conflictualité n’est que dans l’objet, ou dans les « investissements » du savoir par les intérêts, les engagements de ses porteurs. Mais pas dans le concept, qui est le cœur même du savoir. Rien n’est plus faux. Le savoir parvient au concept non pas en se protégeant de la conflictualité mais en l’aiguisant, en l’intensifiant autour de grandes alternatives « ontologiques », forçant à choisir entre des conceptions incompatibles de la nature des choses ou des êtres. L’histoire de la vérité n’est pas dans la synthèse, même provisoire, mais dans l’ascension polémique, vers les points d’#hérésie de la #théorie. C’est l’évidence en économie, dans les sciences humaines, dans les sciences de l’environnement, et peut-être au-delà – par exemple en biologie dans la théorie de l’évolution.

      Enfin, plus profondément, il y a ceci que le savoir n’est pas sans sujet(s). Ceci n’est pas un défaut de la #connaissance_scientifique, c’est sa condition de possibilité, en tout cas dans toutes les sciences qui ont une dimension anthropologique (et peut-être dans d’autres). Pour connaître il faut « s’avancer » subjectivement dans le champ où on se trouve déjà situé, avec tout le bagage des caractères (comme disait Kant) qui nous font « ce que nous sommes » (par construction historique et sociale, bien évidemment), car il n’y a pas de subjectivité « transcendantale ». Mieux, il faut s’avancer vers le point de trouble dans l’identité où chaque sujet se loge tant bien que mal avec sa « différence », qu’il s’agisse de masculinité et de féminité (ou d’autre « sexe » encore), de blanchité et de noirceur (ou de quelque autre « couleur »), de compétence et d’incompétence intellectuelle, de croyance ou d’incroyance « religieuse », pour en faire un analyseur des effets de société qui nous enferment, nous orientent et nous repoussent. Car si nul (le) ne peut absolument choisir sa place dans la cité, en raison même des rapports de domination qui la traversent, aucune place n’est pourtant assignable une fois pour toutes. Faire ainsi de la différence anthropologique vécue et reconnue et de son incertitude propre l’instrument de dissection du corps politique que nous sommes collectivement, et faire de l’analyse des mécanismes qui la produisent et la reproduisent le moyen d’en relativiser les effets normatifs, ce n’est peut-être pas la voie royale de la science, mais c’en est certainement un passage obligé. On pense ici à ce que Sandra Harding appelle « l’#objectivité_forte », incluant la connaissance de son propre sujet. C’est dire à quel point les positivismes font fausse route.

      Des modèles coûts-bénéfices prévisionnels aux comités d’experts…

      Le chemin qui nous attend est donc très difficile. J’ai fait ma carrière de professeur dans une époque que, rétrospectivement, on pourrait être tenté de qualifier de « bénie ». Les conflits étaient très durs, mais les interdits professionnels de guerre froide n’avaient plus cours. La « valeur de la science » était peu contestée. Mai 68, qui avait voulu secouer l’académisme et faire exploser les frontières, laissait beaucoup de déceptions, mais nourrissait de sa ferveur et de ses fureurs nombre de « programmes », dans lesquels se formèrent les jeunes chercheurs d’aujourd’hui, dont la moitié végète d’un contrat court à un autre. Notre classe dirigeante n’est plus en effet une bourgeoisie au sens historique du terme : elle n’a ni projet d’hégémonie intellectuelle ni point d’honneur artistique. Il ne lui faut (du moins le croit-elle) que des modèles coûts-bénéfices prévisionnels, des programmes d’éducation « cognitifs » et des comités d’experts. C’est pourquoi, pandémie et révolution télématique aidant, elle prépare activement la liquidation des départements de sciences sociales et d’humanités, ou même de sciences théoriques. Qui veut noyer son chien l’accuse alors de la rage (« l’islamo-gauchisme », le « militantisme », « l’idéologie »). De toutes nos forces, comme intellectuels, comme citoyens, nous devons résister à ce démantèlement des outils du savoir et de la culture. Mais pour ce faire, nous devons aussi ouvrir les yeux sur les révolutions dont a besoin l’institution, et les mettre en discussion parmi nous sans pudeurs ni présupposés.

      (1) Max Weber, le Savant et le Politique, nouvelle traduction et introduction par Catherine Colliot-Thélène, éditions La Découverte, Paris 2003.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/etienne-balibar-le-conflit-fait-partie-des-lieux-du-savoir-20210309_YFL47

      Et ici :
      https://seenthis.net/messages/905530

    • Attaques contre des universitaires : le SNESUP-FSU écrit à la ministre F. Vidal

      Publié le : 12/03/2021

      Paris, le 12 mars 2021

      Madame la Ministre,

      Le #SNESUP-FSU, attaché aux libertés académiques indispensables pour faire avancer les débats scientifiques suivant des démarches partagées, comme aux institutions garantissant ces libertés, déplore leur mise en cause dans des interventions médiatiques politiques qui ont abouti à fragiliser l’Université et à attiser les tensions de toutes parts.

      Vous avez exprimé récemment votre attachement sans faille à la protection de l’ensemble des enseignants-chercheurs et des agents du ministère.

      À notre connaissance, vos déclarations ont été très vite suivies de l’attribution de la protection fonctionnelle à des enseignants de l’IEP de Grenoble dont les noms ont été diffusés sur internet accompagnés de propos injurieux ou accusatoires.

      En parallèle un grand nombre d’enseignants du supérieur sont exposés de façon similaire depuis une quinzaine de jours sur un site web qui les accuse d’être « complices de l’Islam radicale » (sic) et de « pourrir l’université et la France ». Certains de nos collègues craignent en conséquence pour leur intégrité. Les organismes et les établissements disposent des éléments sur cette attaque calomnieuse. Un certain nombre ont informé leurs agents concernés de leur soutien et des démarches à suivre pour bénéficier de la protection prévue par l’article 11 de la loi 83-634, notamment pour la prise en charge de frais d’avocat ou pour des mesures spécifiques suite à des menaces. Mais les autres n’ont pas alerté leurs agents. Le retrait de la page diffamant les agents aurait été demandé à son auteur et à son hébergeur mais à ce jour les propos diffamatoires sont toujours visibles.

      Fin novembre un tweet du député Julien Aubert toujours accessible en ligne désignait déjà nommément sept collègues « coupables » d’« islamo-gauchisme ». D’après la question écrite n° 21254 d’un sénateur1 une maitresse de conférences ainsi visée a essuyé un refus d’octroi de la protection fonctionnelle de la part de la présidence de son établissement sur la base d’une consultation de vos services.

      Face à ces discordances, le SNESUP-FSU rappelle que le droit des agents à être défendu par l’administration n’est pas à géométrie variable. La loi prévoit l’obligation de les défendre indépendamment de l’origine des attaques. La circulaire du 2 novembre 2020 sur le renforcement de la protection des agents publics rappelle que la PF est une obligation pour l’employeur public pour ne pas laisser l’agent sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à son intégrité. Elle indique qu’« en cas de diffamation, de menace ou d’injure véhiculée sur les réseaux sociaux visant nominativement un fonctionnaire ou un agent public, il est demandé à l’employeur d’y répondre de manière systématique », et elle poursuit par des actions concrètes à entreprendre.

      La circulaire enjoint chaque administration à communiquer largement à ses agents sur les dispositions prises – ce qui reste donc à concrétiser – et à mettre en place un dispositif permettant de recenser les attaques, les protections fonctionnelles accordées et refusées, et les mesures de protection mises en œuvre. Par conséquent le SNESUP-FSU souhaiterait avoir connaissance du dispositif mis en place, et du bilan des actions entreprises qui devait être transmis début 2021 au ministère chargé de la FP.

      La circulaire demande aux ministres de garantir la mobilisation à tous les niveaux de l’administration en ajoutant « nous vous demandons de vous assurer que les agents concernés bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur ». C’est pourquoi le SNESUP-FSU vous demande donc de vous assurer que c’est bien le cas pour les agents du ministère victimes des attaques précitées, qu’un bilan des mesures prises et des éventuels refus de protection soit établi et lui soit communiqué (ou diffusé).

      Nous attirons enfin votre attention sur la situation des étudiants, notamment les doctorants, qui se retrouveraient attaqués ou menacés dans le cadre de leur participation à des travaux de recherche ou de formation sous la responsabilité d’une administration. Il importe qu’ils sachent compter sur le soutien de celle-ci même en l’absence de lien contractuel. À cet effet, nous souhaiterions savoir la nature de la protection sur laquelle ils peuvent compter et les modalités pour en bénéficier.

      Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’assurance de notre haute considération.

      Anne ROGER - Christophe VOILLIOT
      Co-secrétaires généraux du SNESUP-FSU

      Philippe AUBRY
      Secrétaire général adjoint du SNESUP-FSU

      https://www.snesup.fr/article/attaques-contre-des-universitaires-le-snesup-fsu-ecrit-la-ministre-f-vidal

    • Au soldat du déni Frédérique Vidal, la patrie résistante

      « Une #diversion et un #ballon_d’essai » : c’est ce que j’ai répondu quand on m’a demandé mon avis sur le commentaire de F. Vidal sur CNews. Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps de réfléchir à l’aune des persistances dans l’attaque contre les universités. Le #déni doit cesser : à nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      « Une diversion et un ballon d’essai » : c’est ce que j’ai répondu à la journaliste du Monde (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) quand elle m’a demandé, mardi 16 février 2021, mon avis sur le commentaire de Frédérique Vidal sur CNews, repéré par Martin Clavey (The Sound of Science). J’ai aussi précisé que je n’avais pas écouté son discours. Que je ne pouvais plus lire, ni écouter Frédérique Vidal, ma ministre de tutelle depuis plus de trois mois — car il en allait de ma santé mentale.

      Mais il en va désormais de la #sécurité de toute une profession.

      Mon métier d’historienne des sciences étant d’analyser des controverses, prenons le temps d’y réfléchir, à l’aune d’une connaissance approfondie acquise par la chronique quotidienne d’une grève universitaire sur academia.hypotheses.org (https://academia.hypotheses.org/newsletters) et commençons par rappeler que l’Assemblée nationale vient d’adopter, en première lecture, un des projets de loi les plus racistes (https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/02/16/frederique-vidal-lance-une-enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite_607) portés par un gouvernement depuis Vichy ; et un autre projet de loi « Sécurité globale » (https://academia.hypotheses.org/30630) qui constitue, par ses termes, une atteinte majeure aux #libertés_publiques.

      Faire diversion

      Une diversion d’abord, bien réussie. Quelques jours plus tôt, Frédérique Vidal avait fait l’objet d’une sévère mise en cause publique au Sénat (https://academia.hypotheses.org/30821), à l’occasion d’un débat « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » à l’initiative de Monique de Marco groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture.

      Le réquisitoire était implacable : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’aide alimentaire ; la moitié des étudiant·es disent avoir des difficultés à payer leurs repas et leur loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de santé mentale, comme de l’anxiété ou de la dépression.

      Face à cela, les mesures prises par le MESRI sont insuffisantes ou plutôt dérisoires, inégalitaires ; les services universitaires complètement débordés. Pierre Ouzoulias, à cette occasion, a d’ailleurs clairement établi l’importance du #définancement du budget « #Vie_étudiante » : 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante » supprimés en novembre 2019 ; 100 millions d’euros de crédits votés en 2018 et 2019, finalement non affectés.

      Les longues files devant les distributions alimentaires trouvent dans cette politique budgétaire continue leur origine : le gouvernement ; qui a préparé la catastrophe sociale, n’a pas cherché depuis le confinement à la contrecarrer.

      Sans budget supplémentaire, Frédérique Vidal réussit également à contrecarrer toute réflexion collective sur l’aménagement des examens et des concours, jusqu’à intervenir dans une procédure judiciaire au nom de la « qualité des diplômes ».

      Ces réflexions, que nous menons tous et toutes dans des collectifs restreints, sont indispensables pourtant pour limiter les inégalités, réduire le stress qui ont conduit des étudiant∙es à se suicider et surtout mieux concentrer nos efforts sur les contenus de formation, autrement plus indispensables pour la « génération sacrifiée » ; au-delà des inégalités, nous voyons se profiler déjà de graves conséquences psychopathologiques du confinement (https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/psy/consequences-psychopathologiques-du-confinement).

      Mais les étudiant∙es ne sont pas les seul∙es à faire les frais de cette politique dont la Ministre est la première VRP, sans les responsabilités qui vont avec : siège vacant depuis le début de son mandat au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de son propre ministère ; des circulaires sans fondements, tendant uniquement à éloigner la communauté universitaire des campus.

      Pour couronner le tout, elle fait voter une loi de programmation de la recherche (LPR) —censée être une loi de finances, mais sans postes ni crédits supplémentaires — en pleine épidémie, qui s’emploie méthodiquement à attaquer l’indépendance de l’université et, en poursuivant l’expérience Parcoursup, à limiter sinon anéantir la formation universitaire supérieure publique.

      Une diversion donc, mais aussi un ballon d’essai.

      Il faut sans doute avoir suivi un an de préparation et de vote de la LPR, dans toutes ses étapes comme l’a fait le blog de veille Academia.hypotheses.org, pour comprendre que les récents propos de la Ministre sont l’exacte réplique de la demande faite par Julien Aubert et Damien Abad le 25 novembre dernier demandant la création d’une « mission d’information parlementaire sur les dérives idéologiques intellectuelles dans les milieux universitaires », où l’on repérait déjà l’anathème attrape-tout islamogauchistes.

      Pour ces compagnons de la première heure de Gérald #Darmanin, il s’agissait tout à la fois de sauver le soldat #Blanquer de la mission d’enquête parlementaire « #Avenir_lycéen » (diversion) et de préparer le terrain pour leur camarade Ministre, qui mitonnait déjà sa loi « #Principes_républicain » (ballon d’essai).

      Au lieu d’une agitation, il s’agissait ainsi d’une étape dans une séquence commencée avec les voeux de #Marion_Maréchal-Le Pen (https://academia.hypotheses.org/27305), dont les idées sont reprises par #Emmanuel_Macron le 10 juin, accusant des universitaires de « casser la République en deux » (https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430) et continuée avec #Jean-Michel_Blanquer qui, le 28 octobre, met en cause les universitaires devant le Sénat (https://academia.hypotheses.org/27386), à qui la frange « Printemps républicain » des Républicains, emboîte le pas. À l’appui de leur démarche, une tribune d’universitaires (https://academia.hypotheses.org/27264) est opportunément parue un mois plus tôt, invitant le pouvoir à organiser une police politique des universités.

      Le soldat du déni

      Quel ballon d’essai lance donc Frédérique Vidal qui persiste encore ce dimanche (https://www.lejdd.fr/Politique/exclusif-vidal-persiste-sur-lislamo-gauchisme-je-veux-une-approche-rationnelle) dans ce que les organismes scientifiques jugent au mieux absurde ?

      Pour le comprendre, il faut mettre en résonance deux choses : sa pratique législative, d’une part, dans son lien étroit avec l’Élysée ; les objectifs qu’elle s’était donnée avec la précédente loi, d’autre part.

      Du côté de la pratique législative, nous pouvons résumer son action comme mue par un « #déni_de_démocratie permanent ».

      Avec Academia, à l’occasion d’une table-ronde (https://academia.hypotheses.org/26788) qui s’est tenue entre les votes Assemblée et Sénat de la LPR, nous avons pu mesurer combien la ministre avait fait fi de toutes les avis et recommandations des instances consultatives, depuis la consultation des agents de l’ESR, des organismes, des organisations syndicales représentatives.

      Le plus flagrant est la mise sous le tapis de l’avis du Conseil Économique, Social et Environnemental (https://www.lecese.fr/travaux-publies/contribution-du-cese-au-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-re), pourtant voté à l’unanimité, par la CGT et le Medef. La 3e Assemblée de la République avait en effet établi un constat initial assez proche du Ministère, mais en tirait des conclusions bien différentes : pour le CESE, il faut des milliards d’euros, tout de suite, des recrutements là encore massifs.

      Pour comprendre les vues diamétralement opposées, il suffit de comprendre qu’outre les avis obligatoires des instances, le gouvernement s’est dispensé d’une étude d’impact (https://academia.hypotheses.org/24589) en bonne et due forme. Le projet politique n’a jamais été « analysons correctement les données du problème posé par l’ESR et tirons-en des conclusions », mais « mettons en œuvre notre plan (https://academia.hypotheses.org/9135), et établissons une stratégie et une communication pour la mener à bien ».

      Quelle était la stratégie ?

      Zéro budget, zéro création de postes, voire passe-passe budgétaire divers avant la fin du quinquennat. La stratégie de communication, digne d’un Ministère de la Vérité, a consisté à marteler « 25 milliards » sur tous les plateaux de télévision avant la fin du quinquennat Macron ; ou à parler de création de postes, quand il y multiplication de statuts précaires, mais pas de budget pour les financer non plus.

      La tactique consiste elle à opérer par coups de force à la fin du processus législatif, par le biais d’amendements votés par une « #nuit_noire » d’octobre (https://academia.hypotheses.org/27401) : suppression de la qualification, en affaiblissant ainsi le Conseil national des universités, organe représentatif des universitaires ; création d’un délit pénal, aggravé en commission mixte paritaire en « délit d’atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements », puni de 3 ans de prison et de 45 000€ d’amendes.

      Et pour parachever le dispositif, sans considération pour conflit d’intérêt, faire nommer le Conseiller présidentiel à la tête de ce qui doit devenir l’instrument de l’achèvement de la mise au pas des universités : le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur.

      En un mot, faire croire à une politique budgétaire favorable pour les universités alors qu’il s’agit de fragiliser encore leur capacité d’action, leur autonomie et leur rayonnement à l’international. Frédérique Vidal, en bon petit soldat de la macronie, fait un sans faute. Sur tout, sauf sur un point de détail, censuré (https://academia.hypotheses.org/29702) par le Conseil constitutionnel comme « cavalier législatif » : le délit pénal.

      Abattre la résistance

      Pourquoi Frédérique Vidal sort-elle tout cela de son chapeau maintenant ?

      Que cherche-t-elle, à vouloir distinguer des déviances au sein de l’université ?

      Y a-t-il une volonté, sous prétexte de séparer le « savoir » des « opinions » de venir contrôler ce qui s’y dit et s’y fait ?

      Sur ce sujet, l’introduction d’un #délit_pénal d’un type nouveau représente un vrai danger, sous forme de première étape. Avec le projet de loi « Principes républicains », il s’agit donc d’ajouter un volet « universités » et de donner les moyens judiciaires à l’État macronien de faire plier ce qui représente un lieu historique de la formation critique des citoyens et des enseignant∙es des premiers cycles.

      Avec le délit pénal, c’est la fin des #franchises_académiques arrachées à l’exécutif au Moyen-Âge, et protégeant les campus universitaires des incursions non-autorisées du pouvoir exécutif.

      Déjà, on voit bien comment la fermeture des établissements d’enseignement supérieur depuis près d’un an semble moins résulter d’une gestion de l’épidémie que de buts politiques moins glorieux, comme celui de briser toute contestation. Les forces de police s’invitent désormais dans des espaces qui leur étaient interdits sans autorisation, comme jeudi dernier à Nanterre (https://www.parisnanterre.fr/espace-presse/message-de-la-presidence-19-02-2021-1004292.kjsp), lors d’un hommage à un étudiant qui s’était suicidé. Pour ce qui touche à la formation des enseignantes et des enseignants, les menaces se font toujours plus pressantes : il n’est que de voir, après de longues années à retirer des heures de formation aux universitaires, la nouvelle expérimentation qui fait la « une » du site web du Ministère de l’Education Nationale : l’annonce qu’à titre expérimental, dans vingt-deux académies, on va retirer de l’université les étudiants et les étudiantes destinées à devenir professeur∙es des écoles, pour les former, pendant trois ans, dans des lycées, avec très peu de cours à l’université. En confiant leur formation à des professeur∙es du secondaire, beaucoup moins en phase avec la recherche critique faute de temps à y consacrer et à l’inverse beaucoup plus soumis aux pressions de leur ministère, qui s’exercent par toute une série de relais (rectorats, inspecteurs, conseillers pédagogiques), il s’agit ni plus ni moins de retirer aux universités l’influence qu’elles exercent sur les jeunes citoyennes et citoyens en formant leur esprit critique.

      Les agents publics de l’ESR, victimes d’injure, de diffamation, voire de menaces de mort, n’ont pas le soutien de leur hiérarchie dont bénéficient les agents de police, même en cas de fautes lourdes. La #protection_fonctionnelle, outil important des libertés académiques, ne constitue plus un bouclier pour préserver l’indépendance des agents publics.

      Il ne reste donc plus qu’une chose à faire pour compléter l’arsenal répressif, après avoir rogné les franchises universitaires et limité l’usage de la protection fonctionnelle : remettre le délit pénal « pour atteinte à la tranquillité et au bon ordre des établissements » (https://academia.hypotheses.org/28160) — qualification tellement vague qu’un courriel professionnel pourrait suffire à faire entrer l’universitaire ou l’étudiante un peu critique dans le radar des délits.

      Pour cela, Frédérique Vidal peut compter sur les mêmes sénateurs qui l’ont aidée en octobre : le président de la commission culture, et le rapporteur pour avis du projet de loi « Principes républicains ». Ces parlementaires et ceux qui ont déjà voté leurs amendements l’ont déjà prouvé : ils haïssent l’université, n’envisagent pas une seconde que l’émancipation de son milieu social et la formation à l’esprit critique relèvent des missions de l’université.

      Pour ces esprits chagrins, il faut empêcher de nuire les étudiant∙es et ceux — ou plutôt celles — qui ne partagent pas leurs idées. Pour cela, tous les moyens seront bons : même un vote à 1h du matin, entre une poignée de sénateurs. Frédérique Vidal le sait. Mardi, devant l’Assemblée nationale (https://www.soundofscience.fr/2671), c’est un signal déjà envoyé aux sénateurs et aux sénatrices par Blanquer, agissant pour le compte du président de la République : les universitaires sont complices (https://academia.hypotheses.org/29291) ; elles sont donc coupables. Empêchez-les de nuire, en les arrêtant et en les emprisonnant si besoin.

      De toute cette séquence commencée il y a un an, ce que je retiens, c’est que les institutions universitaires, qui ont jusqu’à présent fait confiance à leur tutelle ― de façon mesurée mais réelle ― doivent saisir que le danger est réel ; que le déni doit cesser.

      La Ministre encore en poste, pilotée de toutes les façons au plus haut sommet de l’État par l’Elysée et le HCERES n’a plus rien à perdre. Le président de feue la République entend assouvir son désir de faire taire toute opposition, surtout si elle émane des puissants mouvements civiques en branle depuis l’an passé qui exigent une société plus juste pour tous et toutes.

      Le déni doit cesser.

      Depuis la présidence #Sarkozy et le vote de la loi dite « #Libertés_et_responsabilités_des_universités », les gouvernements successifs s’en prennent frontalement aux universitaires et aux étudiant⋅es en sous-finançant délibérément le service public de l’enseignement supérieur et la recherche, en en limitant l’accès, en nous imposant ainsi des conditions de travail indignes, des rémunérations horaires inférieures au SMIC (https://connexion.liberation.fr/autorefresh?referer=https%3a%2f%2fwww.liberation.fr%2fchecknews) et désormais en affamant les étudiant∙es — conduisant l’ensemble de la communauté universitaire dans une situation de mépris et de souffrance intolérable.

      À la #souffrance s’ajoute désormais une certaine folie induite par le double-discours gouvernemental, privilégiant la #diversion à la saisie du problème de la #pauvreté_étudiante. Radicaliser le débat public en désignant un bouc émissaire pour engendrer une peur panique participe de la fabrication du déni des réalités sociales et politiques quotidiennes de nos concitoyennes et de nos concitoyens, des jeunes particulièrement et donne une réelle assise à un pouvoir autoritaire.

      Mais un autre déni doit cesser, si on entend encore appliquer les principes constitutionnels de la République : la réactivation d’un #ordre_colonial et patriarcal.

      À force de nier quotidiennement les droits humains élémentaires des réfugiés, d’organiser des contrôles au faciès dès l’adolescence, en humiliant les gens du voyage, en stigmatisant au sein de l’institution scolaire les enfants et les mères, de ne pas sanctionner les comportements et des crimes racistes au sein des forces de police — capables, rappelons-le, de mettre à genoux des lycéens pendant de longues heures, rejouant ainsi une scène de guerre coloniale — l’État français entend reconstituer sur son sol même une classe de sous-citoyens et de sous-citoyennes, privées des droits communs.

      La dissolution d’une association de lutte contre les discriminations, au prétexte de « complicité » de faits non avérés, se comprend ainsi : il faut désormais abattre toutes les tentatives de résistance antiraciste, féministe et de défense des libertés publiques non comme des facteurs d’émancipation mais une opposition néfaste.

      Désormais, à lire la séquence qui a commencé sur CNews et qui a « persisté » dans le Journal du dimanche hier, c’est l’université dans son ensemble qui représente une telle force de #résistance. À nous de choisir si nous, service public de la République, résisterons.

      Christelle Rabier, maîtresse de conférences, EHESS (Marseille)

      1- Voir par exemple : « Le Roy le veult ! » — Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      2- Expression reprise à Anthony Cortès (Marianne) https://www.marianne.net/societe/education/frederique-vidal-la-ministre-de-lenseignement-superieur-maitre-dans-lart-d

      3- Pour lire une analyse sur l’avis cf. https://academia.hypotheses.org/25936

      4- Seuls 500 millions sont mis sur la table– soit 10 fois poins que ce que le CESE jugeait urgent de budgeter. Pour information, le Crédit impôt recherche, important dispositif d’ “optimisation fiscale”ou refus d’impôt, représente plus de deux fois le budget annuel du CNRS, masse salariale incluse.

      5- Sur le traitement différentiel des agents entre fonctions publiques et l’usage de la protection fonctionnelle comme protection politique des affidés, voir les deux billets Protection fonctionnelle : cas d’école et Courrier à la ministre : Mesure de protection de la santé et de la sécurité d’une enseignante-chercheuse.

      6- Sur le déni du sexisme universitaire, à commencer par ’invisibilisation active du travail des femmes universitaires, conceptualisé en 1993 par Margaret W. Rossiter, comme “Effet Matilda” : Margaret W. Rossiter, « L’effet Matthieu Mathilda en sciences », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 11 | 2003, mis en ligne le 16 février 2010, consulté le 22 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/cedref/503 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cedref.503. Voire également Cardi Coline, Naudier Delphine, Pruvost Geneviève, « Les rapports sociaux de sexe à l’université : au cœur d’une triple dénégation », L’Homme & la Société, 2005/4 (n° 158), p. 49-73. DOI : 10.3917/lhs.158.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2005-4-page-49.htm - à l’origine de la naissance du collectif Clashes contre les violences sexistes et sexuelles à l’université.

      7- Sur ce sujet douloureux, voir Fassin Didier, 2011, La force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Editions du Seuil ; Brahim Rachida, 2021, La race tue deux fois : une histoire des crimes racistes en France (1970-2000), Paris, Éditions Syllepse, ainsi que le documentaire de David Dufresne, Un Pays qui se tient sage, 2020.

      https://blogs.mediapart.fr/christelle-rabier/blog/230221/au-soldat-du-deni-frederique-vidal-la-patrie-resistante#at_medium=cu

      #ordre_patriarcal

    • Islamophobie ou islamo-gauchisme : l’indignation à géométrie variable de Frédérique Vidal

      La ministre de l’Enseignement supérieur défend promptement les universitaires accusés d’islamophobie quand elle tarde à apporter son soutien aux professeurs désignés comme « islamo-gauchistes ».

      Le gouvernement défend-il plus les enseignants-chercheurs qui vont dans son sens politique ? Depuis plusieurs semaines, des universitaires sont affichés publiquement, tantôt pour islamophobie, tantôt pour islamo-gauchisme. Force est de constater que la réponse du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pas égale face à ces prises à partie ad hominem.

      Quand deux enseignants-chercheurs de l’IEP de Grenoble, Klaus Kinzler et T., sont la cible d’un affichage sur les murs de l’établissement les traitant de « fascistes » et d’« islamophobie » le 4 mars, le communiqué de condamnation de l’acte par Frédérique Vidal ne se fait pas attendre plus de quatre jours. De même, la direction de l’IEP se range derrière ses personnels et saisit le procureur de la République.

      Par contre, quand #Pascal_Praud désigne la directrice du laboratoire Pacte prise dans la polémique de Sciences-Po Grenoble au sujet de Klaus Kinzler, Anne-Laure Amilhat Szary, comme « militante » et livre son nom dans son émission du 9 mars dernier, sa ministre de tutelle ne publie aucun communiqué, malgré la virulente campagne de calomnies qui a suivi par les propos de l’animateur de CNEWS. « Je me sens fortement soutenue par mes tutelles, l’université Grenoble Alpes, le CNRS et l’IEP, déclare la principale intéressée à Libération. Il faut laisser du temps à l’enquête et je le comprends, mais je reçois des menaces de mort depuis ce week-end et je suis préoccupée pour notre pays que l’on puisse jeter en pâture le nom d’une professeure des universités et celui de son laboratoire sans qu’il y ait d’intervention publique immédiate pour les défendre dans les médias. » Les messages sur les réseaux sociaux l’accusent en effet « d’#islamo-fascisme » et d’avoir lancé « une #fatwa » à l’encontre de ses deux collègues de l’IEP Grenoble, ce que les faits contredisent tout à fait.

      Cet embrasement sur le thème d’un supposé « islamo-gauchisme » au sein des universités françaises a été attisé par la ministre Frédérique Vidal elle-même. En février, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait, sur CNEWS déjà, son intention de commander « une enquête » au CNRS portant sur « l’islamo-gauchisme » dans les facs. Très vite, une pétition de chercheurs et universitaires va « demander avec force la démission de Frédérique Vidal ». Les 600 premiers signataires de cette pétition vont se retrouver affichés sur un site sous le titre « Liste des 600 gauchistes (et quelques autres) complices de l’islam radical qui pourrissent l’université et la France », sans que cela n’émeuve le ministère rue Descartes. Comme dans le cas de l’affaire de l’IEP de Grenoble, ce sont les tutelles qui vont faire le travail, accordant la #protection_fonctionnelle à leurs personnels pour prendre en charge les frais de justice, comme à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Le CNRS a aussi saisi le procureur de la République sur ces faits. Finalement, le 9 mars, lors d’une réunion du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), Frédérique Vidal fera lire un message condamnant « l’attitude de certains sites et organisations politiques, adoptant la même attitude envers des universitaires au prétexte qu’ils ont participé à une pétition. Sur ce dernier point, je soutiens sans réserve le signalement effectué à l’initiative du CNRS ». Un soutien à bas bruit médiatique au nom d’une position de principe réitérée au Sénat le lendemain.


      https://twitter.com/VidalFrederique/status/1369667352497958917

      Franck Loureiro, secrétaire général adjoint du Sgen-CFDT, s’inquiète de cette dérive consistant à attaquer les chercheurs personnellement en raison de leur thème de recherche. « Cela demande une réaction forte du gouvernement. Il faut protéger les libertés académiques sans rentrer dans une forme de choix en fonction de la couleur politique des personnes », plaide-t-il avant de reconnaître que cette indignation sélective a été tant le fait « du gouvernement, de certains parlementaires que, parfois, de certains collègues ».

      https://www.liberation.fr/politique/islamophobie-ou-islamo-gauchisme-lindignation-a-geometrie-variable-de-fre

    • « Le Klu Klux Klan en aurait rêvé ! » Ce que les #paniques_morales sur les universités révèlent de la #propagande d’extrême-droite

      Les universités n’ont jamais eu bonne presse avec les journaux conservateurs. Espaces de contestation et de critique, particulièrement depuis la massification d’après-Seconde Guerre Mondiale et les mouvements sociaux de la fin des années 1960 et des années 1970, ces institutions se sont révélées, pour une part importante d’entre elles, très résistantes aux tentatives d’entrée et d’emprise du militantisme conservateur ou réactionnaire — même si quelques-unes d’entre-elles sont fameuses pour avoir accueilli des groupes et des intellectuels essentiels de la droite radicale. Il y aurait certainement une histoire à faire des paniques morales agitées concernant ces espaces, qui s’y prêtent bien, étant fréquentés par une partie bien définie de la population et relativement coupés du reste des sphères sociales, mais un tel effort dépasserait les ambitions de ce billet pour Academia.

      Une actualité insistante

      Une chose toutefois claire — et que j’ai discutée ailleurs (https://racismes.hypotheses.org/209) — est le fait que l’année 2019 voit en France une résurgence d’un tel cycle de #paniques, dont la fin de l’année 2020 et le début de l’année 2021 semblent être un pic : pas un jour ne passe ou presque sans qu’un article discutant, qui la mise en place d’une cérémonie de remise de diplômes réservée aux personnes LGBT dans une université états-unienne (https://www.lepoint.fr/monde/a-columbia-une-remise-de-diplomes-pour-chaque-minorite-18-03-2021-2418406_24) — où la pratique existe pourtant depuis plusieurs décennies —, qui un conflit mineur au sein d’une salle de classe quant aux conditions acceptables d’utilisation d’une injure raciste (https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/10/30/a-l-universite-d-ottawa-le-mot-qui-ne-doit-jamais-etre-prononce_6057913_4500) — particulièrement en ce qui concerne la lecture de textes employant ces termes — qui d’un débat concernant le programme à enseigner dans un cours (https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/non-l-antiquite-n-etait-pas-raciste-20210311). Les personnes ayant tenté sans succès l’attention des médias sur la situation des universités, notamment concernant les ravages de l’austérité et de la précarité tant sur les usagers que les travailleurs de ces institutions, ressentiront sans doute une pointe de jalousie face à cet intense intérêt pour la question de la composition du syllabus du cours de littérature médiévale de l’université de Leicester (https://www.lepoint.fr/culture/cancelculture-quand-l-universite-de-leicester-decolonise-ses-programmes-24-0), par exemple, au moment même où l’avenir des départements de lettres est remis en cause en France (https://twitter.com/JulienGossa/status/1371816497274888197) car ils constitueraient un « aller simple pour le chômage ».

      Dans ce contexte médiatique survolté, l’association Qualité de la science française (https://www.qsf.fr/2021/03/16/le-climat-dintimidation-a-luniversite-ne-peut-pas-perdurer) s’interroge « sur la place à réserver au sein des universités à des manifestations consacrées à la défense ou à la promotion de certaines #valeurs (telles les « semaines de l’égalité ») ». Car, ajoute-elle, « Les valeurs sont par définition des objets polémiques ».

      C’est précisément ce qui va m’intéresser ici, à savoir la place que tient en particulier le thème de la « #ségrégation » dans le registre de la dénonciation des initiatives pro-diversité ou anti-racistes, spécifiquement dans les universités, tel qu’il se déploie dans ces paniques morales. Une interjection souvent entendue en ce sens se résume ainsi à « Le Klu Klux Klan en a rêvé, les universitaires l’ont fait ! » (https://twitter.com/Eric_Anceau/status/1372085529437745158), reprenant la vieille accusation bien connue de « #racialisme », selon laquelle dans une société largement post-raciste, les seules personnes faisant exister encore le racisme seraient d’une part quelques marginaux racistes en pleine débandade, et de l’autre un groupe bien plus dangereux, que seraient les antiracistes « obsédés de la race ».

      Cette accusation se retrouve sur le temps long dans la littérature conservatrice : dans son fameux Sanglot de l’Homme Blanc, l’essayiste #Pascal_Bruckner nous avertissait déjà de ce qu’il pensait être le risque de la valorisation de la diversité :

      "Perçue alors comme infériorité, la différence est vue désormais comme distance infranchissable. Poussée dans sa logique extrême, cet éloge de l’autarcie aboutit aux politiques discriminatoires de triste renom : qu’est-ce d’autre en effet que l’apartheid sud-africain, sinon le respect de la spécificité pris au pied de la lettre, jusqu’au point où l’autre est si distinct de moi qu’il n’a plus le droit de m’approcher ? On sait qu’à Pretoria la règle du « chacun chez soi et tout le monde sera content » est une religion d’État."

      Le fait que le texte en question ait été écrit une décennie avant l’abolition de l’apartheid permet de saluer toute la finesse de l’analyse. Mais il en ressort la présence durable d’une crainte, réelle ou feinte — et au vu des craintes face au cosmopolitisme ou au multiculturalisme que l’auteur énonce dans son texte par la suite, ce caractère feint est une hypothèse à prendre au sérieux — face au fait que le principal moteur d’une résurgence du racisme soit finalement les antiracistes eux-mêmes. Cela explique les exclamations paniquées devant la moindre initiative visant à transformer en dispositifs de politiques publiques des principes antiracistes : « Le KKK en aurait rêvé ! ».

      Il faut certes reconnaître la profonde méconnaissance de l’histoire des effets politiques du groupe terroriste états-unien, de son agenda, et de l’actualité de son militantisme et de celui d’organisations partageant ses idées qui suinte du discours de Pascal Bruckner. En effet, il sous-entend que le KKK n’existerait plus ou que ses idées ne pourraient être déduites que de débats de plusieurs décennies, quand non seulement l’organisation, en déclin, existe et parle encore, mais de surcroit des organisations partageant ses idées ont pignon sur rue. La plus célèbre — le #Council_of_Conservative_Citizens — organise des meetings publics, où elle invite des politiciens de premier plan, aux campagnes desquels elle participe, et publie des journaux : il est très facile de savoir ce que pense le mouvement ségrégationniste aux États-Unis, puisqu’il n’a pas disparu. Un élément néanmoins marquant, c’est la façon dont les expressions de choc moral et les cris d’orfraie de l’essayiste français se font de façon paradoxale l’écho d’éléments de propagande issus, précisément, de ces milieux radicaux.

      Inverser les valeurs

      On aurait tort d’ignorer, dans le discours de ces nouveaux prophètes réactionnaires, la tradition intellectuelle états-unienne suprémaciste blanche. Comme je viens de le préciser, il est en effet possible de lire et d’entendre des analyses d’intellectuels issus du mouvement suprématiste blanc états-unien, auquel se rattache le KKK, de façon régulière : le mouvement dispose depuis longtemps de ses presses, de ses think tanks, etc. Comme le rappelle le philosophe Jason Stanley dans son ouvrage How Fascism Works, l’extrême-droite états-unienne a depuis plusieurs décennies considéré la lutte contre l’institution universitaire comme une mission de premier plan. Le rôle de l’activiste #David_Horowitz, analysé par Stanley, peut être considéré central dans de telles attaques, notamment via son organisation, #Students_for_Academic_Freedom :

      "Le but de Students for Academic Freedom est de faire la promotion de l’embauche d’enseignants ayant un point de vue conservateur, un effort présenté comme une promotion de la « #diversité_intellectuelle et de la liberté académique dans les universités américaines », d’après la #Young_America_Foundation [autre organisation de droite proche de SAF]. Pendant les dernières décennies, #Horowitz a été une personnalité marginale dans la #droite_radicale états-unienne. Plus récemment, ses tactiques et objectifs, parfois sa #rhétorique, sont entrées dans le #langage_commun, où les attaques envers le « #politiquement_correct » sur les campus sont devenues banales."

      La stratégie de David Horowitz évoquée ici est définie par ce dernier dans une note stratégique qu’il a rédigée pour le Sénateur Républicain Jeff Sessions en 2012 : intitulée « Viser le cœur plutôt que la tête », la note développe une méthode consistant à faire haïr le camp adverse à l’électorat plutôt que de gager sur les atouts du programme que l’on défend. Pour Horowitz, le camp progressiste parvenant à se représenter comme ayant le surplomb moral, il fallait au contraire développer « une #campagne_émotionnelle qui mette nos agresseurs [les Démocrates] sur la défensive ; qui les attaque sur le même plan moral, leur attacher l’#image des méchants ».

      Il n’est dès lors pas étonnant que sur le long terme, les entreprises militantes que cet activiste a développées s’appuient sur une #inversion_des_valeurs. Comme le fait remarquer Jason Stanley, les propositions concrètes portées par les groupes du type de ceux soutenus par Horowitz n’est pas une extension des libertés, mais une réduction de celles-ci : « Les attaques depuis la droite montrent clairement le désir même de la droite de contrôler ce sur quoi on a le droit de travailler. Dans le genre classique de la propagande démagogique, la tactique consiste à attaquer des institutions représentant la #raison et le débat ouvert, au nom de ces mêmes idéaux ». Ce qui explique que les organisations soutenues par Horowitz, qui font toutes appel à la liberté et au débat dans leurs noms, publient également régulièrement des listes d’enseignants jugés déviants à remettre en cause : en 2016, #Turning_Point_USA, un groupe similaire, lançait la plateforme « #Professor_Watchlist » (https://academia.hypotheses.org/2684), qui visait à effectuer une liste de « #professeurs_dangereux ». Horowitz avait lui-même inauguré le modèle en publiant un ouvrage sur « les 101 professeurs les plus dangereux des États-Unis », puis en créant le répertoire « #Discover_the_Networks », suivant le même objectif.

      L’un des éléments les plus structurants du discours de la droite horowitzienne consiste très tôt à mettre en avant la façon dont l’antiracisme sur les campus universitaires reviendrait à réactiver une ligne de couleur par ailleurs effacée, particulièrement dans le cadre des débats sur les politiques d’affirmative action visant à accroître la diversité sur les campus : « Le KKK en rêvait ! », commence-t-on alors à s’émouvoir dans une droite qui, peu de temps avant, continuait dans certaines parties du pays à élire des représentants issus des rangs du même KKK, et qui prendrait bientôt l’habitude de recevoir des soutiens financiers de ses héritiers. Cette image d’une université qui, croyant bien faire, réactiverait des clichés et surtout développerait des pratiques incompréhensibles, devient en tant que telle un élément de propagande de cette même extrême-droite : dans un document d’ »analyse » pour un think tank suprématiste blanc, le « #Geopolitical_Studies_Institute », un auteur expliquait ainsi le mouvement #Black_Lives_Matter comme suit :

      "Nous avons remarqué que des jeunes gens éduqués – avec des diplômes supérieurs à la licence – sont surreprésentés parmi les militants #BLM. Une explication possible – outre le fait que les départements de lettres et de sciences sociales sont de plus en plus des machines à #endoctrinement gauchistes – est qu’il y a une relation positive entre le #neuroticisme [un trait de personnalité associé aux émotions fortes en psychologie] et le succès universitaire, particulièrement combiné à un haut niveau de conscience de soi (contrôle des impulsions et suivi des règles). C’est peut-être parce que l’#anxiété agit comme motivateur de la diligence ou parce que le neuroticisme implique un plus grand désir de connaître la nature du monde de façon certaine, et donc de croire que l’on peut y accéder via les études supérieures."

      Traduit en autre chose que le sabir pseudo-scientifique original, le raisonnement revient à dire qu’à la fois le désir de faire des études et la propension à participer à un mouvement social antiraciste n’est explicable ni par l’état de la société, ni par une position idéologique avec laquelle il est possible d’être en désaccord, mais qui se discute au moins, mais en réalité par une sorte de défaut fondamental de la personnalité des personnes qui s’y prêtent. L’auteur explique un peu plus haut qu’un tel phénomène aurait lieu du fait d’un changement évolutionnaire dans l’espèce humaine lié à l’#industrialisation, qui conduirait à la disparition des processus darwiniens naturels réduisant la prévalence de tels traits dans la population. On retrouve facilement les vieilles marottes eugénistes et spencériennes qui portent la droite radicale dans toute son histoire moderne.

      Une telle lecture psychologisante et médicalisante de « la religion de la justice sociale » est longtemps restée enfermée dans les champs de la pseudo-science raciale, mais trouve à la fin des années Obama une place accueillante sur la chaîne de télévision #Fox_News, où un segment quasi-quotidien, « La folie des campus », animé par le présentateur vedette #Tucker_Carlson, vient documenter quasi-quotidiennement des non-événements censés éclairer les #dérives_universitaires, montées de façon unilatérale autour d’une histoire simpliste dans laquelle les « antiracistes gauchistes extrémistes » sont toujours des « fous » et des « méchants », tandis que leurs « victimes » sont toujours de libres-penseurs modérés souhaitant seulement « discuter d’idées ». C’est à cette même époque que des intellectuels états-uniens proches de ces idées, auto-qualifiés du label peu flatteur mais ironiquement bien trouvé d’#Intellectual_Dark_Web prennent l’habitude de se qualifier de « #libéraux_classiques » (classical liberals), tout en travaillant comme l’illustrait le commentateur politique #Michael_Brooks dans son propre décorticage du mouvement, #Against_the_Web, à mettre à l’agenda des positions violemment réactionnaires et antiscienti (fiques renvoyant aux vieilles marottes de la « science raciale », et plus généralement du rappel à l’ordre :

      "Ils défendent tous l’ordre économiste capitaliste sur le plan domestique, et l’hégémonie impérialiste américaine internationalement. Ils se voient comme les défenseurs d’une construction floue (et franchement incohérente historiquement) qu’ils appellent « l’Occident ». Ils défendent tous ce qu’ils imaginent être « la biologie » contre les féministes, et au moins certains d’entre eux, comme #Sam_Harris – qui fait la promotion de #Charles_Murray, intellectuel odieusement d’extrême-droite et aux préjugés explicites – prennent une position similaire sur le sujet de la race. Plus encore, dans l’ensemble de ces sujets, l’#IDW promeut des perspectives qui naturalisent ou mythologisent des relations de pouvoir historiquement contingentes – entre patrons et travailleurs, hommes et femmes – ce sont des réactionnaires à l’ancienne."

      Pas étonnant dès lors que ces « progressistes classiques » soient rapidement devenus les progressistes préférés de la droite états-unienne, et commencent à devenir des lumières pour une partie de la droite européenne.

      Liaisons dangereuses

      Les représentations des paniques morales de 2021 sont directement tributaires de la littérature des « #progressistes_classistes ». Avec une précision millimétrique, les mêmes affaires sont traduites, diffusées, et discutées dans les mêmes termes, devenant l’un des produits les plus populaires d’exportation des États-Unis vers la France. La multiplication d’ »enquêtes » sur « la #folie_des_campus », accusant la « #génération_offensée » que seraient les jeunes et les « endoctrineurs » que seraient leurs enseignants de « créer de toutes pièces » un antiracisme « racialiste » qui se mettrait à agiter des polémiques « imaginaires », qui est désormais une obsession bien fixée d’une partie de la presse, n’est pas sans faire écho non seulement aux paniques qui agitaient la presse générale états-unienne il y a cinq ans. Les raisons en sont certainement nombreuses, et on ne peut pas entièrement ignorer le fait que, dans la machine du clickbait et de l’info en continu, des affaires qui ne nécessitent pas beaucoup d’enquête — et, disons-le, pas beaucoup de #déontologie non plus, comme l’a bien illustré la récente affaire de Sciences Po Grenoble dans laquelle la parole d’une partie au conflit a été érigée immédiatement en vérité face à laquelle aucune perspective dissonante ne devait être entendue, sont une bonne matière première. Cette même matière sert apparemment désormais des discours pour qui les fondements constitutionnels de la République Française — liberté, égalité, fraternité — poseraient problème, à l’université notamment.

      Enquêter à l’université, aller chercher les conditions de vie et de travail des gens qui y sont, comprendre l’imbroglio administratif qui conduit à la dégradation progressive de cette institution est fastidieux et fait peu vendre, par rapport au fait de multiplier des Unes sensationnalistes suivant une recette bien établie et facile à reproduire. Mais – et c’est particulièrement ironique face à l’accusation de ressembler au discours d’organisations terroristes comme le KKK – cette logique qu’elle provienne de contraintes, de conviction, ou de malveillance, conduit irrémédiablement à se calquer petit à petit sur les analyses et à l’agenda que, de longue date, le mouvement suprématiste blanc états-unien a mises en avant sur ces questions.

      https://academia.hypotheses.org/31676

    • Courrier de la ministre Vidal (22.03.2021) :

      A propos de la « #Liste des #600_gauchistes complices de l’islam radicale qui pourrissent l’université et la France » publiée sur le blog de #Philippe_Boyer :
      https://philippe-boyer.eu/liste-des-600-gauchistes-complices-de-lislam-radicale-qui-pourrissent

      Comme dit Claire Sécail sur twitter :

      « C’est aussi à la vitesse de réaction que l’on reconnait un foutage de gueule. »

      https://twitter.com/clairesecail/status/1374055660531429379

    • Derrière la polémique sur l’« islamo-gauchisme », la ministre Vidal isolée comme jamais

      Imaginée par une poignée de conseillers de Frédérique Vidal, la #polémique sur l’« islamo-gauchisme » a servi de paravent à une ministre isolée comme jamais du monde académique, des réalités étudiantes mais aussi de sa propre administration.

      Ses conseillers lui avaient promis de marquer, enfin, l’agenda politique. De ce point de vue, l’opération est réussie. Absente du débat public depuis le début de la crise sanitaire, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal a provoqué un tollé en déclenchant, en pleine pandémie, un débat sur « l’islamo-gauchisme » dans les universités.

      L’instant d’une polémique – qui l’a soudainement amenée à défendre le contraire de ce qu’elle prétendait penser à l’automne –, la ministre a même réussi à reléguer au second plan les critiques sur son défaut de gestion de la crise. Oublié aussi son isolement du monde académique, des réalités étudiantes ainsi que de sa propre administration. Fin novembre, son ministère a été marqué par la démission fracassante du directeur général de la recherche et de l’innovation. Mais de cet événement aussi inédit que parlant sur l’état du ministère, il n’a pas été question sur les plateaux de télévision. De l’art de faire #diversion.

      En recommandant à leur patronne d’attaquer bille en tête la communauté universitaire, les quelques conseillers de Frédérique Vidal à la manœuvre n’avaient en revanche pas anticipé l’ampleur des protestations qui s’élèveraient contre elle.

      Les pétitions appelant sur tous les tons à sa démission se multiplient – celle issue d’une tribune publiée le 21 février 2021 dans Le Monde cumulant même, à ce jour, plus de 22 000 signatures individuelles d’universitaires. Consternés, des intellectuels du monde entier volent désormais au secours de leurs collègues français (lire cette tribune de L’Obs). Jamais une ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche n’avait autant fait l’unanimité contre elle. Signe que l’heure est grave, des organisations scientifiques d’habitude discrètes affichent désormais leur désaccord.

      Alors que Frédérique Vidal avait demandé, le mardi 16 février 2021, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « un bilan de l’ensemble des recherches », pour mieux séparer ce qui relèverait de la science et du militantisme, le CNRS a répondu que « l’islamogauchisme n’est pas une réalité scientifique ». L’organisme de recherche a condamné « les tentatives de #délégitimation de différents champs de la recherche ».

      Même la conférence des présidents d’université s’est exprimée en des termes peu habituels : « Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi. »

      Du côté syndical aussi, le front est large. La FSU (Syndicat national des chercheurs scientifiques et Syndicat national de l’enseignement) et Sud (Recherche et Éducation) ont appelé au départ de la ministre. La CGT estime que « la ministre doit retirer ses déclarations et présenter ses excuses aux personnels, annuler ses velléités d’inspection politique de la recherche ». Et l’Unsa d’attaquer : « Cela fait des mois que les universitaires se dépensent sans compter pour assurer la continuité du service public de l’enseignement supérieur. La plupart sont épuisés. Est-ce pour renforcer l’attractivité du métier d’enseignant-chercheur que l’on stigmatise des pans entiers de la recherche ? »

      Avant même la polémique sur « l’islamo-gauchisme », la communauté universitaire s’était émue, cet automne, des attaques faites aux libertés académiques lors de l’examen puis du vote de la Loi de programmation de la recherche (LPR). Les premiers à avoir demandé la démission de Frédérique Vidal ont été les membres de la Commission permanente du conseil national des universités (CP-CNU), une instance aux deux tiers élus et se prononçant sur le recrutement et la carrière des enseignants-chercheurs.

      Déjà le 7 novembre 2020, ils estimaient que Frédérique Vidal devait quitter ses fonctions, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. La CP-CNU y déplorait le fait de ne jamais avoir été entendu lors de la préparation de la LPR. L’ultime affront, celui poussant cette instance à demander pour la première fois de son existence la démission d’un ministre, étant le vote au Sénat, tard dans la nuit du 28 au 29 octobre 2020 et avec le soutien du gouvernement, de deux amendements sulfureux.

      Le premier sanctionne de trois ans de prison l’occupation en réunion d’un bâtiment universitaire. Le second passe outre l’expertise du CNU pour la qualification des professeurs et marque le début de la même expérimentation pour les maîtres de conférences, remettant totalement en cause l’organisme qui délivre ladite qualification, le CNU.

      « En touchant à la question de l’autonomie de la production des savoirs vis-à-vis du pouvoir politique (quel qu’il soit) et aux libertés académiques, ainsi qu’au cadre national du recrutement des enseignants-chercheurs, ces amendements confirment le mépris dans lequel la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche est tenue depuis des mois en France », s’est alors alarmée l’organisation.

      Sylvie Bauer, présidente de la CP-CNU, se souvient de sa stupeur en découvrant la position du gouvernement : « À maintes reprises, le cabinet et la ministre nous avaient promis qu’ils ne toucheraient pas au CNU et au recrutement des enseignants chercheurs, ils ont menti. » Une manière de faire si brutale qu’elle a choqué jusqu’à Cédric Villani, ancien représentant des universitaires chez LREM. 

      Le député de l’Essonne a même voté contre la #LPR. Dans une lettre publiée au lendemain du vote, il dénonce la réforme, sur le fond comme sur la forme. Au sujet de la criminalisation de l’occupation des facs, il écrit : « En tant que député, je trouve inconcevable qu’une telle disposition soit prise sans débat à l’Assemblée ; en tant qu’universitaire, je ne puis voter pour une telle limitation de nos précieuses libertés académiques. »

      Depuis, la colère de la CP-CNU n’est pas redescendue. « La seule fois où j’ai vu Frédérique Vidal depuis 2017, c’était en mars 2020. Nous étions en pleine mobilisation contre la LPR. Elle nous a engueulés parce que des profs exerçaient leur droit de grève. Elle s’est plainte que personne ne la soutienne », se rappelle Sylvie Bauer. Un récit confirmé par Fabrice Planchon, vice-président de la CP-CNU. Un échange tendu puis un appel à démission plus tard, les liens entre le ministère et l’instance ont complètement été rompus.

      La CP-CNU n’est pas la seule instance à avoir gardé un amer souvenir des discussions autour de la LPR. Patrick Lemaire, biologiste et président du collège des sociétés savantes académiques de France, se souvient d’une curieuse « #garden_party » organisée à l’été 2020 dans les jardins du ministère en guise de « concertation ». « C’était un drôle de mélange. Frédérique Vidal était là, debout, usant de l’argument d’autorité pour nous convaincre du bien-fondé de sa loi. Quand on la contredisait, elle pouvait devenir plus constructive mais ne remettait jamais en question son projet. Elle ne voulait rien changer à son texte, mais mieux l’expliquer. »

      Un autre invité se souvient auprès de Mediapart d’un « one-women show d’une heure et demie », du buffet, du beau jardin et de l’impression de s’être rendu à une réunion pour rien : « Nous, on aurait préféré être assis, à une table, pouvoir échanger calmement, échanger des dossiers. Ça ne s’est pas fait mais ça voulait peut-être dire que, pour elle, il n’y avait déjà plus grand-chose à discuter. »

      Pour dénoncer les attaques faites aux libertés académiques et le manque de dialogue social avec le ministère, les syndicats ne s’adressent d’ailleurs plus à Frédérique Vidal mais passent directement par le premier ministre. Même chose pour les décisions pour lutter contre la précarité étudiante, qui sont annoncées depuis l’Élysée.

      Toutes les organisations de l’arc syndical ont écrit, au moins à trois reprises, à Matignon sur l’unique mois de novembre 2020. Le 5 novembre, contre la fermeture des établissements. Le 9 novembre, contre un amendement sénatorial durant l’examen de la LPR, depuis retoqué par la commission paritaire mixte, visant à inscrire dans la loi que « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République ». Le 16 novembre, la CGT, la FSU, FO, la CFDT, le SNPTES, Sud et l’Unsa reprenaient la plume pour demander un rendez-vous urgent à Jean Castex après le vote au Sénat des deux amendements, « validés par Frédérique Vidal » sans « consultations préalables », sur l’occupation des facs et la qualification des professeurs.

      La démission fracassante d’un directeur d’administration

      Plus particulièrement, Anne Roger, co-secrétaire générale du SNESUP-FSU, décrit des relations avec la ministre totalement dégradées. « C’est simple, on n’a pas de discussion avec elle. Notre dernier rendez-vous avec le cabinet remonte à quatre mois, il n’y avait ni la ministre, ni le directeur, ni le directeur adjoint de son cabinet. C’était juste pour nous calmer », souffle la représentante syndicale. Selon elle, les rendez-vous sont « des grand-messes qui ne sont pas exactement le lieu du débat. Et à plusieurs reprises, lors de ces réunions, en multilatérales ou au CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche), elle vient, fait son topo, écoute un peu puis part et laisse son cabinet gérer la fin de la réunion. En fait, l’important pour elle, c’est de dire, pas d’écouter. »

      Cette absence d’écoute est aussi ressentie par le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT), qui vient d’ailleurs de remporter une bataille judiciaire contre le ministère. Le tribunal administratif de Paris a ordonné, le 8 mars, en référé, à Frédérique Vidal de convier le syndicat aux réunions de suivi du protocole d’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières des agents du ministère jusqu’en 2027.

      Début 2021, la ministre avait unilatéralement décidé d’écarter des réunions de suivi la FERC-CGT (la fédération à laquelle est affilié le SNTRS-CGT), qui s’était opposé publiquement au protocole d’accord. Or, cette décision « porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale », a estimé le juge des référés.

      Devant le tribunal administratif, le représentant du ministère a soutenu que la FERC-CGT n’avait pas été lésé puisque aucune réunion n’avait jusqu’ici été organisée, ni même programmée, avec les autres organisations syndicales. Ce qui est faux, une première réunion du comité de suivi ayant même été organisée le 5 février, selon nos informations. Interrogé sur ce mensonge, le cabinet de la ministre nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas répondre (voir notre « Boîte noire »).

      Même impression de désinvolture au CHSCT du ministère. Alors qu’elle préside cette instance, Frédérique Vidal ne s’est jamais rendue à aucune des réunions. S’il est habituel que les ministres se fassent excuser, « vu la crise sanitaire, il aurait été logique qu’elle montre un peu d’intérêt… », grince une membre du CHSCT. Un avis de l’instance, en date du 6 novembre 2020, laisse transparaître un agacement général : « Les représentants du personnel du CHSCT MESR attendent que la ministre montre un intérêt à l’instance qu’elle préside, en y faisant acte de présence, ne serait-ce qu’une fois. »

      D’autant plus que le CHSCT semble être baladé, de réunions exceptionnelles en délais incompressibles, dans une urgence permanente. Tous les membres se souviendront de cette réunion du 18 décembre 2020 à 15 heures, dernier jour avant les vacances de Noël. Ils y ont été convoqués à la dernière minute, la veille à 17 heures. « Prendre son service dans cet état de stress et de panique constitue à l’évidence un danger grave et imminent pour tous les personnels, mais également et par voie de conséquence pour les étudiants », relève d’ailleurs l’avis du CHSCT.

      Lors de cette réunion fut discutée la mise en place d’une circulaire permettant le retour progressif des étudiants à l’université à partir du 4 janvier 2021, par groupe de dix. La circulaire, rendue publique le samedi 19 décembre, était censée être applicable dès la rentrée. Impossible, pourtant, pour la plupart des universités, de mettre en place de telles dispositions mal ficelées et diffusées pendant les vacances scolaires. Par ailleurs, la circulaire contrevenait à un décret qui n’a finalement été modifié que le 9 janvier 2021, cinq jours après le début de la soi-disant rentrée. « À chaque fois on râle, mais ça n’a aucun impact, souffle la membre du CHSCT. Même avec la crise, on pourrait mieux anticiper et réfléchir. »

      « Aux États-Unis, ils se sont organisés dès le mois de mai 2020 pour l’année universitaire 2020-2021, avec des cours en ligne, des programmes allégés. Nous aussi, on aurait pu le faire, mais Frédérique Vidal ne nous a pas écoutés », abonde Bruno Vallette.

      Ce mathématicien a bien connu Frédérique Vidal à l’université de Nice, où la ministre a passé l’intégralité de sa carrière : étudiante puis maître de conférences en 1994, professeure des universités en 2002 (elle n’a officiellement jamais encadré de thèse), directrice de l’UFR Sciences en 2009 et, enfin, présidente de l’université à partir de 2012, jusqu’à son entrée au gouvernement en 2017.

      Élu d’opposition (Snesup) au conseil d’administration, Bruno Vallette retient des mandats de Frédérique Vidal, arrivée à la présidence d’une université désorganisée et exsangue financièrement, une gestion « “en bonne mère de famille”, comme elle le disait elle-même, mais de manière autocratique, toute seule, au nom de l’efficacité ». « Elle sait mieux que les autres. Je trouve au ministère sa manière de fonctionner à l’université de Nice », insiste le professeur, désormais à l’université Paris-XIII.

      Son passage à la présidence de l’université de Nice n’a pas laissé un mauvais souvenir qu’à ses opposants. « Je n’avais aucun a priori négatif. Je savais qu’elle avait publié dans des revues prestigieuses et elle a, d’ailleurs, été accueillie de façon tout à fait conviviale », se rappelle Frédéric Torterat, l’un des maîtres de conférences rattachés à une équipe de recherche supprimée brutalement en 2017 sous la présidence de Frédérique Vidal. « On ne s’y attendait pas, j’ai dû partir à l’université de Montpellier, complète-t-il. On était 15 à 16 enseignants chercheurs et deux fois plus de doctorants et on a tous dû changer d’unité, et pour certains changer d’université. Elle ne nous a même pas prévenus, c’est assez irrespectueux. »

      Pour l’ancienne directrice de cette unité de recherche, « ce fut un traumatisme ». Nicole Biagioli, aujourd’hui professeure émérite à l’université de Nice, se rappelle de la manière avec laquelle son travail de plusieurs années a été anéanti : « Mme Vidal a fait voter par le conseil d’administration – sauf les élus FSU – la suppression de mon laboratoire en refusant de le faire évaluer scientifiquement, alors que tout était prêt pour la visite de l’HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Je n’en ai jamais été avisée par Mme Vidal, c’est sa collègue en charge de la visite pour le HCERES qui m’a appris la suppression du laboratoire. Au niveau réglementaire, elle a le droit de le faire mais la moindre des choses aurait été de nous prévenir… » Un récit confirmé par Chantal Amade-Escot, déléguée scientifique pour les sciences de l’éducation auprès du HCERES de 2015 à 2018 et professeure émérite à l’université de Toulouse…

      Aujourd’hui, Nicole Biagioli estime que « Mme Vidal n’est ni formée ni intéressée par les langues, les lettres et les sciences humaines. Il y a chez elle une certaine forme de mépris pour ces matières ».

      Rue Descartes, où l’ambiance s’est alourdie au fur et à mesure de l’aggravation de la crise sanitaire, l’explosion a finalement eu lieu le 25 novembre 2020. #Bernard_Larrouturou, alors directeur général de la recherche et de l’innovation (DGRI), l’une des deux directions d’administration centrale, démissionne avec fracas.

      Il s’en explique à ses anciens collègues dans un courrier, sans mâcher ses mots. « Cette démission a été pour moi une décision difficile, et même douloureuse… Je ne m’y suis résolu que parce que l’isolement, entretenu par la direction du cabinet, par la ministre, avec laquelle les directeurs généraux n’ont eu aucun échange depuis plus de six mois, et les difficultés aiguës qui persistent depuis un an et demi en matière de relations de travail entre le cabinet et les services ont installé un véritable empêchement, voire une impossibilité, pour la conduite des actions que la DGRI doit porter », dénonce-t-il dans une lettre de trois pages, dont des premiers extraits avaient été dévoilés par Libération et que Mediapart publie ci-dessous en intégralité.

      Dans son courrier, qui est remonté jusqu’à l’Élysée, Bernard #Larrouturou déplore notamment l’isolement de la ministre avec ses équipes. Il y raconte, par exemple, comment « elle a traité avec mépris et humilié des personnes de la DGRI ou lorsqu’elle a exigé arbitrairement la mise à pied de tel cadre de nos équipes… ». Interrogé sur le contenu de cette missive accablante, Frédérique Vidal n’a pas répondu non plus.

      Des relations compliquées avec les parlementaires

      « Le rythme des cabinets a toujours été caractérisé par l’urgence mais, ce qu’il y a de nouveau depuis l’arrivée de Frédérique Vidal, c’est qu’il est de plus en plus fréquent que le cabinet court-circuite les directions et aille directement voir les agents, ça peut créer de grandes tensions », relève Sylvie Aebischer, responsable CGT Educ’action pour l’administration centrale qui compte plus de 3 300 agents.

      À l’hiver 2018, lors d’un CHSCT, des délégués du personnel et le médecin de prévention alertent sur la situation au sein du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante. Un rapport est commandé à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR). Ses résultats remis le 26 mars 2019, auxquels Mediapart a eu accès, font notamment état « de situations collectives de #souffrance_au_travail ». Les inspecteurs pointent du doigt une surcharge de travail, des conflits éthiques, « des relations au travail compliquées, avec des problèmes liés au soutien jugé parfois insuffisant de la hiérarchie, régulièrement encartée ou empêchée, parfois mis en fragilité par un pilotage peu clair ».

      L’une des douze recommandations de l’inspection était de formaliser les rapports avec le cabinet. Signée en juillet 2019, une charte prévoit depuis l’organisation de réunions régulières entre les directeurs d’administration et le cabinet pour fluidifier les relations. Une tentative qui se soldera par un échec, comme en témoigne la démission de Bernard Larrouturou l’année suivante.

      Au Parlement aussi, les relations avec la ministre sont tout sauf fluides. Au Sénat, une séquence reste gravée dans les mémoires. Le 7 avril 2020, Frédérique Vidal renvoie dans les cordes le sénateur communiste Pierre Ouzoulias qui lui demande pourquoi les biologistes de Marseille ne sont pas dotés d’un cryo-microscope électronique pour étudier le SARS-CoV-2.

      Ces biologistes n’ont qu’à se déplacer à Nice où se trouverait justement un « magnifique microscope » au sein du « Centre commun de microscopie appliquée (CCMA) », répond avec assurance la ministre. Frédérique Vidal, biochimiste de formation, rappelle qu’elle a fait toute sa carrière à Nice – « je connais donc bien le sujet », glisse-t-elle, avec certitude. Sauf que son explication est fausse : l’équipement niçois ne comporte aucun cry-microscope capable d’aider les biologistes à élucider la structure moléculaire du virus, relève le journaliste spécialisé Sylvestre Huet sur son blog.

      Frédérique Vidal « répond souvent avec beaucoup de désinvolture », regrette le député d’opposition Régis Juanico (Génération·s), membre de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée. « Elle nous répond souvent avec suffisance en se référant à son passé de présidente d’université. Cela lui permet de disqualifier les élus qui ne seraient pas d’accord avec elle », ajoute-t-il. Le parlementaire relève aussi que la ministre « n’a jamais répondu » aux conclusions de son rapport parlementaire, co-rédigé avec Nathalie Sarles (LREM), sur Parcoursup.

      « En audition, on a le sentiment qu’elle ne se sent pas concernée », abonde la députée communiste Marie-George Buffet, membre de la même commission. Lors de l’audition du 10 novembre 2021, dans le cadre du rapport sur l’impact qu’a eu le Covid sur les jeunes et les enfants, l’élue de Seine-Saint-Denis a relevé que, « contrairement à d’autres ministres », Frédérique Vidal « répétait des éléments de langage sans répondre réellement ». « Est-ce qu’elle pensait que cette audition n’avait pas d’importance ? Est-ce que la problématique des étudiants ne l’intéresse pas ? », s’interroge la députée.

      Le député LREM Bruno Studer, qui préside la commission, voit les choses autrement : « Je lance régulièrement des missions d’information qui portent sur la recherche et à chaque fois le cabinet se met à disposition des parlementaires. La ministre vient régulièrement devant la commission », témoigne-t-il. Il précise que Frédérique Vidal « est une ministre technique, pas politique », raison pour laquelle elle n’aurait donc pas « tous les codes ».

      « Les choses se sont tendues ces dernières semaines avec ces histoires d’islamo-gauchisme », reconnaît le député de la majorité, en expliquant avoir lui-même été étonné par l’ouverture de cette séquence. « Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Ça m’a surpris de sa part et je lui ai dit, je suis plutôt en désaccord. Ce ne sera pas la première fois que je trouve que des ministres ont des expressions maladroites. »

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

      Plusieurs interlocuteurs datent une vraie rupture à partir du remplacement du directeur de cabinet de la ministre, le 4 mai 2020, par un ancien du cabinet de Manuel Valls à Matignon. La nouvelle conseillère presse de Frédérique Vidal est également la fondatrice des « #Jeunes_avec_Valls », micro-mouvement créé en décembre 2016 pour accompagner la candidature de l’ancien premier ministre à la primaire du PS.

      Beaucoup s’interrogent aussi sur la place croissante occupée par le conseiller spécial de la ministre, un certain #Graig_Monetti, qui cumule aussi avec les fonctions de chef de cabinet. Le trentenaire, qui connaît bien Frédérique Vidal depuis ses années étudiantes à l’université de Nice, où il a présidé l’antenne locale du syndicat étudiant de la Fage, a gravi un à un les échelons de son cabinet. En juin, il a aussi été élu adjoint au maire de Nice Christian Estrosi, avec une délégation à la jeunesse. Ce qui n’est pas sans créer une certaine confusion : on peine parfois à discerner au nom de qui (le ministère ou la mairie de Nice) il intervient dans certains dossiers universitaires.

      Selon un fin connaisseur de la rue Descartes, « Frédérique Vidal a écarté les autres et n’écoute plus que lui ». Cela n’a pas empêché l’actuel président de la Fage, Paul Mayaux, de prendre quelques distances avec le ministère.

      Son syndicat a même appelé à la mobilisation intersyndicale du 26 janvier 2021. « Ce n’est pas leur stratégie politique. Si même eux y vont, c’est un signe qu’il y a une absence totale d’écoute de la part du gouvernement », glisse une responsable syndicale étudiante sous le couvert de l’anonymat. Paul Mayaux confirme : « Effectivement, ce qui s’est passé le 26 janvier, ce ne sont pas des choses qui arrivent souvent. Il y a urgence et même si parfois le cabinet examine certaines de nos propositions, on n’a pas été entendus au bon moment sur la crise des étudiants. C’était trop tard et trop faible, même si on ne nie pas que quelques mesures ont été prises dans le bon sens. »

      En dehors des Jeunes avec Macron, logiquement du côté du gouvernement, les autres organisations de jeunesse sont nettement plus critiques. Frédérique Vidal est « méprisante » et « infantilisante » avec les étudiants, notamment dans son expression publique, dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef. Lors d’un énième retour symbolique à l’université, le lundi 11 janvier 2021, à Cergy-Université, la ministre glisse, selon Le Monde : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria. »

      « On ne demande pas juste sa démission, on veut un vrai changement politique », affirme Mélanie Luce dont l’organisation s’est opposée farouchement aux trois grandes réformes de Frédérique Vidal : Parcoursup, qui instaure la sélection à l’entrée de l’université, « Bienvenue en France », qui multiplie les frais d’inscription pour les étudiants étrangers, et la LPR, qui réforme en grande partie l’université et la recherche française.

      La crise du Covid et sa gestion chaotique par le ministère de l’enseignement supérieur puis la polémique autour de l’islamo-gauchisme ont été les attaques de trop. « Nous, notre priorité, c’est comment aider les étudiants à sortir de cette crise. On demande 1,5 milliard d’euros mais ça n’avance jamais. La solution pour sortir un peu la tête de l’eau, c’est d’augmenter les APL et les bourses du Crous, on le répète sans cesse mais on a l’impression de ne pas être entendus », souffle la présidente de l’Unef. En ce qui concerne les bourses, la refonte du système Crous promise par l’exécutif ne vient pas. Et pour les APL, une réforme a bien eu lieu, mais elle désavantage les jeunes travailleurs et les étudiants en apprentissage.

      « Des milliers d’étudiants font la file pour pouvoir manger. On attendait des aides qui soient à la hauteur de la crise, de la précarité et de la détresse psychologique qu’on voit tous les jours. À la place, on a eu une nouvelle polémique sur l’islamo-gauchisme. C’était tout, sauf ce qu’on attendait… », souffle Ulysse Guttmann-Faure, qui préside l’association Co’p1, fondée en octobre 2020 par six étudiants parisiens pour distribuer de la nourriture aux étudiants précaires.

      L’étudiant, dont l’association rassemble désormais 300 bénévoles, note qu’il « a fallu des mobilisations dans la rue et des suicides pour que la ministre nous entende ». « Et encore…, reprend-il, il y a eu de petites avancées, mais c’était trop tard et pas suffisant ». Les files d’attente, le soir, à la banque alimentaire ne désemplissent effectivement pas.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/220321/derriere-la-polemique-sur-l-islamo-gauchisme-la-ministre-vidal-isolee-comm

      Citation :

      Plutôt qu’une expression « maladroite », la séquence sur l’islamo-gauchisme a été réfléchie sur un coin de table par une poignée de membres de l’entourage de la ministre, ainsi que nous l’ont indiqué plusieurs témoins. Cette orientation correspond aussi à la recomposition d’un cabinet, qui a connu un turn-over impressionnant ces dernières semaines. « Cette stratégie ne correspond pas à ce que Frédérique pense », veut croire un de ses proches.

    • Communiqué de presse de l’#Action_française suite à leur action contre l’hôtel de région Occitanie (25.03.2021) (https://www.midilibre.fr/2021/03/25/toulouse-deux-membres-daction-francaise-tentent-de-sintroduire-au-sein-du-) :

      –-> où on peut voir, comme l’a identifié Pierre Plottu sur twitter, que « l’Action française a donc diffusé un communiqué pour revendiquer cette action.
      Il s’y appuie notamment sur les propos de votre collègue, Mme la ministre Vidal, sur un prétendu l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités pour la justifier. »


      https://twitter.com/pierre_plottu/status/1375188878630477831

      Repris aussi sur le blog academia :
      https://academia.hypotheses.org/31962

    • « Combien d’attaques contre la science faudra-t-il pour briser le silence ? »

      Des procès en islamo-gauchisme à la disparition annoncée de l’Observatoire de la laïcité, les volontés de faire taire toute pensée critique se multiplient dangereusement, alertent Albert Ogien et Sandra Laugier.

      Il est des #silences qui sont plus accablants que des milliers de discours. Il y eut d’abord celui qui a entouré la publication de la liste rouge des enseignants-chercheurs « islamo-gauchistes », accusés de « gangréner » l’Université en faisant de la politique plutôt que de la science. Il y eut ensuite celui qui a accompagné le rejet de la candidature d’une personnalité scientifique de renom (#Nonna_Mayer) à la présidence de Sciences Po, après qu’elle a été publiquement réprouvée au nom de son engagement en faveur des exclus. Et puis est venu celui qui entoure la disparition annoncée de l’#Observatoire_de_la_laïcité, que la secrétaire d’Etat à la citoyenneté Marlène Schiappa présente comme une simple formalité, le mandat de sa direction arrivant à expiration. Et maintenant la course à l’échalote des sénateurs pour remporter le prix de l’amendement le plus sévère apporté à la loi confortant le respect des principes de la République. Bien sûr, quelques voix se sont élevées pour condamner chacune de ces attaques écœurantes contre le droit et la pensée, mais elles sont elles-mêmes déconsidérées ou ignorées, comme une discordance dans l’indifférence convenue et majoritaire des politiques, des médias et des intellectuels.

      Une étrange confrérie de traqueurs-censeurs

      Ces silences sont autant de reculs et d’abdications face à la #violence qu’exerce cette étrange confrérie de militants qui réunit des personnes venant d’horizons idéologiques différents et partageant une même volonté : disqualifier, rendre inaudibles, voire interdire les voix qui leur déplaisent et contestent leur autorité. Leur principale occupation et obsession consiste à dénicher et détruire la moindre intervention publique ou expression qui signale une compréhension des problèmes politiques et sociaux du présent ; notamment des revendications et souffrances des groupes de population qui subissent des inégalités, des discriminations, des dénis de citoyenneté, au nom d’une ascendance dont la légitimité reste suspecte – « les Noirs et les Arabes » pour parler clair. Et petit à petit, la #traque et l’#opprobre ont gagné d’autres thèmes présentés comme autant de manifestations de #dégénérescence : les études décoloniales, l’écriture inclusive, les études de genre, l’emploi du mot de « racisé », les réunions non-mixtes…

      Discréditer la recherche

      Cette inquisition permanente, inimaginable encore il y a quelques mois, a aujourd’hui une cible prioritaire : ceux et celles qui disposent de titres universitaires et d’une parole publique, et qu’elle accuse de minorer les graves menaces que ferait peser l’islamisme sur la paix civile et les libertés individuelles. Mais la lutte contre le terrorisme doit-elle se mener sur ce front ? En s’en prenant à la production de connaissance, elle s’avilit. Ses agents ne s’embarrassent plus d’aucune considération pour les torts infligés aux personnes ou aux organisations qu’ils livrent en bloc à la vindicte – ou aux injures sur des réseaux sociaux mobilisés à leur profit et dont la force de frappe est incommensurable à celle de la recherche.

      Leur but est que les travaux scientifiques soient discrédités sur un #soupçon, que les enseignements soient marginalisés avant si possible d’être interdits, avec toutes les conséquences de cette mise en cause sur les vies et carrières d’universitaires qui travaillent simplement à maintenir la recherche française au niveau des standards internationaux. C’est que, n’en déplaise à nos censeurs, les questions du #racisme_systémique, des violences faites aux femmes, du #sexisme et de l’#homophobie, mais aussi du désastre climatique et de la souffrance animale (questions qu’on croyait plus consensuelles mais depuis incluses, pour faire bon prix, dans le paquet) sont reconnues dans le monde académique global alors que de vieilles résistances font, en France, qu’elles restent polémiques.

      Une peur viscérale de l’islam

      Ce qui est étrange est que ce front des bien-pensants se construit sur une #peur viscérale de la religion musulmane, à laquelle il prête des propriétés qui en feraient l’ennemi irréductible de la modernité démocratique. Cette peur alimente la crainte fantasmatique de l’organisation d’une cinquième colonne qui occuperait déjà les « territoires perdus de la République », attendant son heure pour frapper et déloger les nationaux. Et chaque meurtre commis au nom de l’Etat islamique (quelle que soit la réalité de cette allégeance) est une occasion de raviver la suspicion. Dès lors, évoquer et analyser les #injustices, les #discriminations, l’#exclusion ou le #harcèlement_policier subis par « l’ennemi de l’intérieur » revient à pactiser ou trahir.

      Pour faire taire ceux et celles qui doutent sincèrement d’une telle menace de l’islam, une solution ne serait-elle pas de documenter, de quantifier et d’exposer publiquement le danger ? Cela ferait normalement tomber les réticences. Mais voilà : aucune information ne filtre qui permettrait de confirmer les craintes des apeurés. La seule indication qui vient périodiquement donner un peu de crédit à cette accusation est celle, livrée sans aucun détail, du nombre d’attentats qui auraient été déjoués par les services de renseignements sur le territoire français. Parfois, la mise en scène de l’arrestation d’un ou une « terroriste » dont, la plupart du temps, on est bien en peine de savoir exactement quel objectif il ou elle poursuivait.

      Nous sommes donc tous censés savoir que nous vivons dans un état d’alerte permanent sans en être vraiment alertés. Un peu comme nous traversons la crise sanitaire sans être jamais associés aux mesures prises par une poignée de « sachants » autoproclamés qui décident seuls de ce qui est bon pour en finir avec le Covid 19, avec le succès qu’on sait. Les avertis qui se sont arrogé le droit d’organiser la riposte se posent de même en surplomb de la République. Les premières victimes de ces sentinelles sont tous ces citoyens qui sont ramenés à une identité musulmane sans qu’on ne leur demande leur avis, sauf quand on les somme de prendre position contre les attentats (eux à la différence des autres, comme si c’était moins évident). On a beau jurer ne pas vouloir faire d’amalgame entre musulman et islamiste radical, le moindre signe d’appartenance à cette communauté est vu comme un péril pour la nation. Ce qui est choquant dans cette volonté d’ostraciser un groupe social est le fait qu’elle méprise totalement les sensibilités individuelles et gomme la diversité des croyances et des opinions qui s’y expriment.

      Extension du domaine de la #suspicion

      Et dans un saut épistémique propre à tous les régimes autoritaires et promoteurs de l’#ignorance, cette suspicion s’étend en deuxième lieu à tous ceux qui, dans les milieux de la recherche et de l’enseignement, s’efforcent de prendre la juste mesure du danger djihadiste et introduisent des distinctions et des clarifications qui en dressent un tableau réaliste. Un tel saut a été effectué par les gouvernements qui au Brésil, aux Etats-Unis, en Hongrie, en Pologne ou en Turquie ont allié la misogynie, l’homophobie, les discriminations ethniques et le climato-scepticisme de leurs politiques à la suppression des recherches sur les femmes, les sexualités, le racisme ou l’environnement ; par l’ex-président Trump, qui tout en multipliant les mesures discriminatoires et soutenant ouvertement les violences contre les Noirs a voulu faire réécrire les manuels scolaires pour y minorer l’histoire de l’esclavage ; et en France, par la violence inédite d’un gouvernement contre les universitaires qui observent les discriminations qui travaillent la société française.

      Ce saut est révélateur : il s’agit de décourager la #pensée_critique et l’#argumentation_rationnelle, immédiatement traînées dans la boue des réseaux et dans la mêlée des plateaux TV ou radio – où les quelques chercheurs qui se risquent encore à faire entendre des éléments de connaissance se retrouvent mis sur un pied d’égalité avec des idéologues ignorants du domaine. Cette situation honteuse, qui rappelle les mauvaises heures du maccarthysme, s’explique ici par une haine conjuguée des recherches et des objets/sujets de ces recherches. Ce phénomène est connu des spécialistes du genre. Il prend ces derniers temps l’allure ultra glauque d’un #assaut concerté mené par des ministres et des intellectuels alliés, par calcul politique incertain, pour faire taire toutes les voix, des plus vives au plus modérées, qui les rappellent aux exigences minimales de l’égalité. Voilà qui nous oblige à briser ce silence.

      https://www.nouvelobs.com/idees/20210415.OBS42801/combien-d-attaques-contre-la-science-faudra-t-il-pour-briser-le-silence.a

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : « On ne peut pas nous accuser d’être des #militants »

      Face aux attaques contre les sciences humaines et sociales, accusées de diffuser un discours « islamo-gauchiste » à l’université, des universitaires angevines (Maine-et-Loire) sortent du bois et prennent la parole. Retour sur une polémique pas nouvelle, mais qui, depuis quelques mois, rebondit sur la scène politico-médiatique.

      Elles ont décidé de prendre la parole. Parce qu’elles ont des choses à dire et qu’elles en ont gros sur le cœur, surtout après les attaques visant #Nahema_Hanafi, leur collègue, maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporain à l’Université d’Angers, après la publication de son ouvrage consacré aux « brouteurs ».

      Elles, ce sont ces universitaires angevines, dont le champ de recherches s’applique aux sciences humaines et sociales, confrontées aux attaques et aux accusations d’ « islamo-gauchisme » à l’université. De quoi parle-t-on ? Quel est le problème ? Décryptage.

      Pourquoi des responsables politiques visent-ils l’université ?

      La polémique concernant l’universitaire angevine Nahema Hanafi n’est pas tombée du ciel. Tout le monde garde en tête les déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Dans un entretien sur CNews , le 14 février, elle a demandé une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui gangrènerait l’université.

      Avant de persister, tout en tentant de réduire la portée de son propos, puisqu’elle s’est montrée bien incapable de définir cette notion. Elle a été soutenue par certains de ses collègues. En réalité, elle avait été largement devancée par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Pas plus précis, mais bien plus vindicatif contre les « ravages » à l’université.

      À chaque fois, ces sorties ont provoqué une levée de boucliers des chercheurs, en particulier du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS.

      Cette attaque contre l’université est une antienne régulièrement reprise à droite comme à gauche, avec des relais forts comme le Printemps républicain dont le cofondateur, #Gilles_Clavreul, dénonce la pensée décoloniale. Idéologiquement proche de ce courant, qui défend une conception très restrictive de la laïcité, l’ancien Premier ministre socialiste #Manuel_Valls avait ouvert les hostilités au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris.

      Dans une première déclaration au Sénat, deux semaines après, il avait lancé : « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. » Quelques semaines plus tard, en janvier 2016, il avait poussé plus loin cette réflexion, lors d’un hommage aux victimes. « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. »

      À l’origine de la récente polémique visant Nahema Hanafi et ses travaux, l’Observatoire du décolonialisme, fondé par des enseignants linguistes, historiens et médiévistes, creuse ce même sillon.

      Pourquoi la polémique touche- t-elle l’#Université_d’Angers ?

      Parce qu’un membre de cet Observatoire, #Hubert_Heckmann, maître de conférences en littérature du Moyen Âge à Rouen (Seine-Maritime) a publié, le 2 février, une tribune, sur le site internet de l’hebdomadaire Le Point , fustigeant le travail de Nahema Hanafi.

      Maîtresse de conférences en histoire moderne et contemporaine au sein de l’institution angevine, cette dernière est l’autrice d’un livre, L’arnaque à la nigériane, spams, rapports postcoloniaux et banditisme social , consacré aux « brouteurs », ces cyberescrocs spécialisés dans l’escroquerie à l’avance de frais.

      Pour Hubert Heckmann, l’universitaire angevine fait, dans son ouvrage, « en connaissance de cause, l’éloge d’un système criminel ». Des mots, comme un procès d’intention, qui ont trouvé un écho dans les milieux d’extrême droite.

      « L’article issu des travaux de l’Observatoire du décolonialisme et des théories identitaires », comme il est présenté, devient alors le terreau d’une haine sans filtre contre Nahema Hanafi. Une #haine déversée sur les réseaux sociaux et la section commentaires du site.

      La maîtresse de conférences encaisse, mais elle a décidé de porter plainte. Le parquet d’Angers a ouvert une enquête préliminaire. « Ces attaques ont suscité chez moi une vive émotion », exprime-t-elle.

      Bien sûr, il y a les insultes racistes, mais Nahema Hanafi s’alarme aussi de « voir attaqués, par des membres de l’université, des champs d’études et des méthodologies – celles des sciences sociales – pourtant essentiels à la compréhension de nos sociétés ».

      Qu’est-ce qu’on reproche aux sciences humaines et sociales ?

      Car, au fond, la question est là. Au-delà du « cas » Nahema Hanafi, tout un pan des recherches universitaires actuelles est actuellement remis en cause, autant par le monde politique que par le monde universitaire.

      Un opprobre grossi, déformé, récupéré, amplifié par la caisse de résonance des réseaux sociaux, et qui contribue, aujourd’hui, à un sentiment d’insécurité des enseignantes et enseignants investis dans ces recherches.

      « La période est tellement difficile pour nous que l’on se doit de faire attention aux paroles qui vont être portées publiquement, relève Marie Sonnette, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université d’Angers, qui travaille, notamment, sur les rapports de pouvoirs et de genre. Le moindre mot de travers peut nous porter préjudice. On se demande comment on va pouvoir continuer à faire notre métier. » Elle a d’ailleurs été contrainte de suspendre un temps son compte Twitter après des attaques groupées.

      Un métier qui, pour rappel, consiste à explorer et enseigner des disciplines liées à la réalité humaine, dans toute sa pluralité. Un métier qui, justement, en raison de cette pluralité, amène à investir des champs nouveaux, à l’aune de travaux, d’ici et d’ailleurs. Comme les études de genres, développées aux États-Unis.

      « Les sciences humaines et sociales aident à mieux comprendre le monde, plaide Chadia Arab, géographe à l’Université d’Angers et chargée de recherches au CNRS, qui travaille, notamment, sur les migrations et le genre. Elles servent aussi à expliquer les dysfonctionnements de ce monde, les inégalités produites par ce monde. Et je pense que c’est cela qui fait peur aux politiques. » Pas seulement les politiques…

      Ces recherches sont-elles le porte-voix d’un #militantisme ?

      Chadia Arab réfute ne serait-ce que l’idée. « Nous sommes tout le temps évalués, tout le temps éprouvés par la rigueur scientifique, il faut en tenir compte. On ne peut pas nous accuser d’être des militants en sciences sociales ni, pour aller vite, d’être des islamo-gauchistes. »

      Pour Katell Brestic, docteure en études germanophones à l’Université d’Angers, qui mène, notamment, des études postcoloniales et transnationales, c’est clair : « La valeur de nos recherches est scientifique, au même titre que celles d’un biologiste ou d’un généticien. Simplement, on ne travaille pas sur l’ADN avec des pipettes dans un laboratoire, mais sur d’autres formes de matériaux, qu’on analyse après, avec des grilles scientifiques précises. »

      Aujourd’hui, confrontées à un débat qui n’a plus rien d’apaisé, les universitaires angevines que nous avons interrogées sont inquiètes. Pour leurs champs de recherches, pour la liberté académique, pour l’avenir. Pour elles.

      « D’éminents confrères du monde entier ont récemment signé une tribune pour nous soutenir, souligne Marie Sonnette. Ils concluent en disant qu’ils seront prêts à accueillir les chercheurs qui ne pourront plus mener leurs recherches en France. Et ça, ça nous fait extrêmement peur. »

      https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/angers-49000/islamo-gauchisme-a-l-universite-on-ne-peut-pas-nous-accuser-d-etre-des-

    • Ecole de #Marion_Maréchal: anatomie d’un fiasco

      Lancé il y a trois ans, l’#Issep, qui se voulait le « Sciences-Po » de la droite de la droite, vivote. Loin de la communication à outrance, l’école recrute surtout parmi le microcosme des proches de l’ancienne députée frontiste.

      « Avez-vous déjà entendu parler de la “blanchité hégémonique” (les Blancs responsables de tous les malheurs du monde), du “racisme systémique” (l’État et la société française seraient intrinsèquement racistes) ou encore de la séparation du monde entre “dominants (blancs) et racisés” ? Sûrement trouvez-vous ces concepts délirants et dangereux. Eh bien sachez qu’aujourd’hui ces “thèses” sont très répandues voire enseignées dans de nombreuses écoles et universités du supérieur. »

      Dans un courrier de quatre pages envoyé le 16 avril à un fichier de 10 000 personnes, Marion Maréchal, qui entend bien profiter des polémiques sur « l’islamo-gauchisme » censé « gangrener » l’université, fait un vibrant appel aux dons pour son école de sciences politiques, l’Issep (Institut de sciences sociales, économiques et politiques), créée il y a trois ans à Lyon.

      « L’Issep est l’un des seuls remparts contre le terrorisme intellectuel qui sévit en France […] Si votre vœu le plus cher pour vos enfants ou petits-enfants est qu’ils fassent de belles études, il faut agir maintenant. Aussi modeste soit-il, votre geste peut changer l’avenir de notre cher pays », affirme l’ancienne députée FN.

      Elle décrit des facs où règnent des « commissaires du peuple d’un nouveau genre qui n’hésitent pas à utiliser la violence ou la menace » contre les mal-pensants. Pour achever de vaincre les dernières réticences, Marion Maréchal rappelle les déductions fiscales propres à ce type de dons.

      Initiés par le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, puis réactivés par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal, les débats autour de « l’islamo-gauchisme », les études de genre ou décoloniales à l’université semblent une formidable opportunité pour l’entreprise de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen.

      Ces controverses, aussi artificielles soient-elles, offrent une soudaine légitimité au discours de l’extrême droite, qui n’a pendant longtemps pas dépassé ce cercle militant.

      « L’Issep étant né d’un constat négatif porté sur l’enseignement supérieur et en particulier les filières en sciences sociales – i.e. la baisse du niveau moyen des formations avec notamment l’abandon progressif des humanités et le militantisme associé, voire le sectarisme idéologique, qui sévissent trop souvent dans les établissements privés ou universitaires – les dérives et les violences du courant islamo-gauchiste ne font que conforter notre diagnostic et légitiment un peu plus notre existence, ce qui incite de nombreux Français à soutenir notre projet », assure d’ailleurs auprès de Mediapart Jacques de Guillebon, coprésident du conseil scientifique de l’Issep, également directeur de la rédaction du magazine L’Incorrect.

      Depuis son inauguration en juin 2018, l’Issep, qui se voulait une « vitrine » pour la « bataille culturelle » de la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, aurait pu profiter d’un climat politique a priori favorable. Et pourtant, l’établissement, censé démontrer que l’ancienne députée du Vaucluse pouvait être une cheffe d’entreprise loin de la vie politique, vivote péniblement.

      Malgré un lancement sous une forêt de micros et de caméras, les débuts de « l’institut » ont été des plus laborieux. L’Issep n’a d’abord reçu l’agrément ministériel l’autorisant à s’afficher en tant qu’établissement privé du supérieur qu’en janvier 2019, plusieurs mois après son ouverture. En cause, un dossier administratif longtemps incomplet, l’école étant incapable de fournir au rectorat les informations administratives de base, comme l’avait raconté à l’époque une enquête de l’émission de télévision « Quotidien ».

      Dans la déclaration d’ouverture de l’Issep, transmise au rectorat de Lyon, Marion Maréchal promettait ainsi plus de 400 heures d’enseignement et une équipe d’une vingtaine de professeurs. Fin septembre, son dossier ne contenait plus que 90 heures de cours et apportait des informations lacunaires sur à peine six professeurs, comme l’avait révélé le magazine Challenges.

      Le « diplôme » de l’Issep n’a surtout aujourd’hui aucune valeur dans l’enseignement supérieur et n’offre aucune équivalence. Le tour de passe-passe, avancé lors de la création de l’école, consistant à nouer un partenariat avec une université européenne pour obtenir une équivalence de diplôme n’a pas marché.

      « Au-delà de la reconnaissance du diplôme, il est important d’avoir des partenaires de qualité afin de crédibiliser la pédagogie de notre école, répond l’Issep. Aujourd’hui, nous avons une antenne de l’Issep à Madrid, et des partenariats avec l’université de Saint-Pétersbourg en Russie et l’université du Saint-Esprit à Kaslik au Liban. » Ce qui signifie qu’aucune université européenne n’a souhaité associer son nom avec ce qui ressemble fort à une coquille vide.

      Celui qui a œuvré au partenariat entre l’Issep et l’université de Saint-Petersbourg, l’historien #Oleg_Sokolov, spécialiste de Napoléon, est aujourd’hui en prison depuis novembre 2019 après avoir tué et démembré son épouse de 24 ans, également son ancienne étudiante.

      Une affaire pour le moins embarrassante pour l’image de l’Issep, même si l’école n’y est évidemment pour rien. Le choix de s’adjoindre, cette année, les services du professeur de droit #Jean-Luc_Coronel_de_Boissezon, aujourd’hui renvoyé devant le tribunal correctionnel pour son implication, en mars 2018, dans une opération de l’extrême droite pour déloger des grévistes de la faculté de droit de Montpellier, pose par ailleurs question.

      Proches des identitaires, lui et son épouse, #Patricia_Margand, sont accusés d’avoir « activement participé à la mise en place » du commando, selon la juge d’instruction chargée du dossier, comme l’ont révélé Mediacités et Mediapart.

      « Nous avons fait le choix de lui confier un cours, parce que nous considérons cette histoire de l’université de Montpellier comme particulièrement injuste et politiquement orientée. C’est un professeur reconnu, qui a mené durant 30 ans une carrière irréprochable, et a toujours été apprécié par ses étudiants. Il a été la victime de bloqueurs d’extrême gauche outranciers et violents, laissés libres de leurs actions par un préfet qui n’a pas voulu prendre ses responsabilités », répond à ce propos Jacques de Guillebon.

      Le principal échec de l’école, qui n’a formé en trois ans que 230 étudiants, la majorité en formation continue (c’est-à-dire en suivant des cours quelques week-ends par an), est ailleurs. Il tient dans l’incapacité de recruter au-delà d’un tout petit cercle militant ou amical, comme a pu l’établir Mediapart. À chaque rentrée, Marion Maréchal est d’ailleurs obligée de battre le rappel pour trouver de nouvelles recrues.

      Un microcosme consanguin

      À cet égard, le pari de convaincre la bourgeoisie lyonnaise conservatrice d’inscrire ses enfants à l’Issep est un échec cuisant. « Nos étudiants ont des profils très variés, et la majorité n’a jamais eu d’engagement politique. Ils viennent de toute la France et de filières très diverses, allant de l’écogestion au droit, en passant par l’histoire ou des écoles d’ingénieur », affirme Jacques de Guillebon.

      Sauf que l’Issep, qui se targuait de concurrencer les instituts de sciences politiques, ne « forme » en réalité que des militants identitaires ou des proches de Marion Maréchal.

      Une certaine idée du « pluralisme » maintes fois mis en avant par la directrice de l’école, Marion Maréchal, qui n’a cessé de mettre en scène son retrait de la vie politique et sa distance avec le RN présidé par sa tante.

      L’examen de la liste que Mediapart s’est procurée des 35 étudiants inscrits en formation continue cette année – il existe deux promotions – est à ce titre édifiant.

      Un premier groupe d’élèves est constitué d’élus ou de membres du #RN de la région lyonnaise : #Enzo_Dubois est le référent #Génération_nation, la branche jeune du RN à Voiron ; #Antonia_Dufour est une ancienne conseillère départementale RN du canton de Monteux ; #Mathilde_Robert, qui milite au parti depuis ses 15 ans, était aussi candidate du RN aux municipales 2020 à Vienne (Isère) au côté d’#Adrien_Rubagotti, qui fait d’ailleurs, lui aussi, partie de la même promotion Issep.

      Le deuxième cercle est celui des militants de Génération identitaire (#GI), mouvement dissous en mars par le ministère de l’intérieur pour plusieurs motifs, dont la provocation à la « discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison » de leur origine, mais aussi pour présenter dans sa forme et son organisation « le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».

      Sous son nom civil, #Anne-Thaïs_du_Tertre, on trouve la très médiatique #Thaïs_d’Escufon, porte-parole du groupuscule dissous et qui a fait parler d’elle pour avoir participé au happening identitaire – les militants de GI avaient déroulé en haut d’un immeuble une banderole contre « le racisme anti-Blanc » – en marge de la manifestation contre les violences policières place de la République, en juin 2020.

      Le président de GI, #Clément_Gandelin, dit « #Galant », fait aussi partie des « étudiants » de l’école de Marion Maréchal. Condamné en première instance à six mois de prison ferme, 2 000 euros d’amende et une privation de ses droits civiques pour une durée de cinq ans, dans l’affaire de l’opération anti-migrants à la frontière franco-italienne, en 2018, avant d’être relaxé par la cour d’appel de Grenoble, « Galant » avait déjà été condamné pour des faits de violence en marge d’une rencontre sportive.

      #Corentin_Merdy est lui aussi un militant bien connu de GI à Toulouse. Il a participé à l’action du groupe place de la République et a été interpellé au côté de Thaïs d’Escufon – une photo les immortalise ensemble dans le fourgon de police.

      Le troisième groupe est constitué de militants identitaires et de catholiques traditionalistes. On peut y classer #Alexis_Forget, qui tient la librairie identitaire #Les_Deux_Cités, à Nancy, et écrit régulièrement dans L’Incorrect, le journal de Jacques de Guillebon.

      La chroniqueuse à Sud Radio #Stella_Kamnga, qui se présente comme « citoyenne contre la désinformation » (et qu’on peut voir ici débattre à Sud Radio avec sa camarade de promotion Thaïs d’Escufon), fait elle aussi partie des étudiants de l’Issep cette année. L’engagement politique de certains, plus anonymes, se comprend assez rapidement en consultant leurs pages personnelles sur différents réseaux sociaux.

      Le dernier groupe, à l’intersection des groupes précédents, est constitué de « fille de », de « femme de » ou, pour un cas, de « mari de ». Il est intéressant en ce qu’il révèle l’étroitesse de la galaxie Marion Maréchal, en décalage total avec l’incroyable attention que lui accordent les médias depuis plusieurs années.

      La militante RN #Mathilde_Robert, précédemment citée, est ainsi non seulement l’épouse du conseiller régional RN #Thibaut_Monnier, grand ami de Marion Maréchal et cofondateur de l’Issep, mais elle est aussi la fille de #Sophie_Robert, candidate RN à la mairie de Saint-Étienne et vieille connaissance de la famille Le Pen. Cette dernière soutient tellement l’école que trois autres de ses filles sont dans la même formation. Une formation continue, qui leur permet de suivre de « vraies » études par ailleurs ou d’exercer un métier.

      #Anne-Sophie_Legauffre est, quant à elle, la compagne du conseiller régional #Antoine_Mellies, lui aussi proche parmi les proches de Marion Maréchal et qui a assuré lors du lancement de l’école les relations avec la presse.

      Autre étudiant en formation continue, #Benoît_Marion, imprimeur lyonnais de 43 ans, n’est autre que le mari d’#Agnès_Marion, candidate RN à la mairie de Lyon et qui gravite depuis des années dans la sphère des catholiques traditionalistes lyonnais proches de #Bruno_Gollnisch.

      Trois ans après sa création, l’Issep, qui affirme dans le courrier envoyé le 16 avril vouloir « former la jeunesse de notre pays, préparer l’élite de demain pour relever la France », forme donc surtout le microcosme consanguin des amis de Marion Maréchal. Une certaine idée de la relève.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/100521/ecole-de-marion-marechal-anatomie-d-un-fiasco#at_medium=custom7&at_campaig

  • Un conseiller d’Emmanuel Macron a déjeuné secrètement avec Marion Maréchal en octobre à Paris
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/27/un-conseiller-d-emmanuel-macron-a-dejeune-secretement-avec-marion-marechal-e


    Marion Maréchal et Bruno Roger-Petit ont tous deux confirmé avoir déjeuné ensemble en octobre.

    Bruno Roger-Petit, conseiller mémoire du chef de l’Etat, a invité la nièce de Marine Le Pen et figure de l’extrême droite identitaire dans un restaurant parisien.

    Le déjeuner a eu lieu le 14 octobre, à la brasserie Le Dôme, à Paris. Bruno Roger-Petit, l’un des plus anciens collaborateurs d’Emmanuel Macron à l’Elysée, et Marion Maréchal, ex-députée du Vaucluse, ont partagé un repas, dans le petit salon confidentiel de cette brasserie de Montparnasse où l’on peut entrer par l’arrière de l’établissement et s’attabler loin des regards indiscrets. C’est là d’ailleurs que François Mitterrand donnait rendez-vous à sa fille, Mazarine, dans les années 1980, après l’école, lorsque le grand public ignorait encore son existence.
    Selon un habitué du restaurant, qui n’avait pas vu la petite-fille de Jean-Marie Le Pen entrer, le déjeuner s’est terminé à 14 heures. Le conseiller du président a payé l’addition, et ni le compte rendu des échanges ni la tenue de cette rencontre n’ont filtré hors de l’Elysée.

    • Ancien admirateur de François Mitterrand, Bruno Roger-Petit, lui, a suivi la campagne présidentielle d’Emmanuel #Macron pour le magazine Challenges avant d’entrer à l’Elysée. Depuis, il pousse le président à « trianguler », comme il dit. Avant la prochaine présidentielle, il veut piocher des propositions dans les thèmes fédérateurs des uns et des autres et transgresser les clivages traditionnels pour séduire des électeurs du camp adverse, ou ceux qui ne sont pas acquis naturellement.
      Il évoquait même sa curieuse formule dans une note adressée au président de la République, le 15 novembre 2019, dont Le Monde a eu connaissance. Roger-Petit lui proposait de « #trianguler avantageusement les positions de tous [ses] adversaires » en célébrant le 200e anniversaire de la mort de Napoléon, en mai 2021, en compagnie de Vladimir Poutine – manière selon lui d’« obliger » les pro-Russes français, présents à droite et à gauche, à « saluer l’initiative ».

      Décourager droite et gauche traditionnelles

      « BRP » entretient d’ailleurs des liens assez privilégiés avec Geoffroy Lejeune, ami très proche de Marion Maréchal et directeur de la rédaction de #Valeurs_actuelles https://seenthis.net/messages/876106, l’hebdomadaire de la #droite_identitaire, depuis que, encore journaliste, le conseiller l’avait rencontré sur un plateau de la chaîne i-Télé (devenue #Cnews en 2017).
      Le conseiller de l’Elysée a d’ailleurs l’habitude de tester des formules sur son ami de Valeurs. L’idée, c’est d’installer dans l’opinion un tête-à-tête entre la « Macronie » et l’#extrême_droite, afin de décourager droite et gauche traditionnelles avant la prochaine présidentielle. C’est encore Roger-Petit qui, en octobre 2019, avait organisé l’entretien du président de la République avec Valeurs afin d’évoquer, pour la première fois, la laïcité, le droit d’asile, l’immigration et l’islam. C’est aussi le conseiller élyséen qui avait organisé avec Geoffroy Lejeune la remise de la Légion d’honneur de Michel Houellebecq à l’Elysée, en avril 2019.

      On avait eu le « progressisme » et l’"émancipation". Quant à une réhabilitation de Pétain qui picore à droite et à l’extrême droite, le copyright est en attente. Idem pour la touche souverainiste du « Nous, Français » qui est le slogan actuel de campagne de cet ex-chevenementiste.

      Alain Minc : « Désormais chacun sait où se situe Macron, c’est un chevènementiste européen »

      https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/alain-minc-desormais-chacun-sait-ou-se-situe-macron-c-est-un-chevenementist

      Tout ça montre que pour l’instant le capitalisme français n’a pas d’autre canasson. Même si des fuites en provenance du groupe Canal + attribuent à Bolloré l’intention d’utiliser Cnews pour faire gagner MLP.

      #cuisine

  • Jean-Marie Le Pen dissout ses micropartis
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/24/jean-marie-le-pen-dissout-ses-micropartis_6064404_823448.html

    Jean-Marie Le Pen a engagé la dissolution de Cotelec et Promelec, deux micropartis qui ont servi au financement des campagnes électorales de l’extrême droite pendant près de trente ans. Le signe d’un retrait des affaires politiques, mais également du durcissement des règles de financement électoral.

    Depuis sa création, en 1991, Cotelec (pour « cotisation électorale ») était au cœur du financement des campagnes du Front national. Fin 2013, Jean-Marie Le Pen y a associé une seconde association, Promelec. Ces deux micropartis fonctionnaient comme des banques pour les campagnes du FN : ils prêtaient de l’argent aux candidats RN, souvent à des taux importants (entre 5,5 % et 6,5 %). Pour se financer, Cotelec et Promelec empruntaient de l’argent à des sympathisants, voire au FN lui-même, mais à des taux moins importants (3 %).

    Les candidats frontistes, qui dépassent presque toujours le seuil de 5 % des voix, étaient quasi certains d’être remboursés par l’Etat. Cotelec gardait donc près de 3 % de marge sur chaque prêt. Un mécanisme rentable, qui a permis à Cotelec de survivre depuis 1991. Et à Jean-Marie Le Pen de garder la main sur le financement des campagnes, même après avoir été exclu du Front national, son microparti étant indépendant.

    Mais le mécanisme s’est progressivement grippé. Certains candidats n’ont pas remboursé Cotelec qui, fin 2018, traînait des dettes de dix ans. Le Rassemblement national (RN) lui-même a longtemps été dans l’incapacité de rembourser 4,3 millions d’euros accordés par Cotelec pour la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Pour obtenir satisfaction, Jean-Marie Le Pen a dû demander sa créance directement auprès du ministère de l’intérieur, en la prélevant sur les 5,2 millions de financement public annuel que touche le RN. Une fois ce versement effectué au printemps, Cotelec a pu rembourser ses multiples créanciers, avant le 30 juin.

    Car, pour prêter, Cotelec empruntait beaucoup : fin 2018, il y avait pour plus de 5 millions d’euros d’emprunts. Près de la moitié de la somme (2,3 millions) était répartie entre 448 personnes physiques, qui prêtaient à 3 % d’intérêt autant par militantisme que par « confiance en Jean-Marie Le Pen et en sa signature », selon l’entourage de l’ancien leader du Front.

    Changement de réglementation
    Mais 2 millions d’euros provenaient d’un emprunt de 2014 auprès d’une société chypriote, Vernonsia Holdings Ltd, obtenu grâce à un oligarque russe, Konstantin Malofeev. Fin 2018, Cotelec devait également 79 000 euros à des fédérations départementales du RN et 600 000 euros à la SCI Clergerie Hugo, une société civile immobilière détenue à 90 % par le RN, qui possédait l’argent de la vente du siège du FN.
    […]

    #paywall

  • Comment la police veut combattre les black blocs , Jean-Marc Leclerc
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-la-police-veut-combattre-les-black-blocs-20201218

    Des black blocs marchant devant un scooter en feu, lors de la manifestation des « gilets jaunes », le 12 septembre à Paris. Xeuhma/Hans Lucas via AFP

    ENQUÊTE - Le combat qui s’engage pour tenter de contenir les #casseurs sera de longue haleine. Plusieurs options sont sur la table.

    « Force reste à la loi. Plusieurs centaines de casseurs étaient venues pour commettre des violences. La stratégie de fermeté anticasseurs - 142 interpellations et encadrement du cortège - a permis de les en empêcher, de protéger les commerçants ». Le tweet volontariste du ministre de l’Intérieur après la #manifestation parisienne du 12 décembre dernier contre la loi « sécurité globale » masque une autre réalité : pour parvenir à ce résultat, il a fallu mettre sur le terrain trois policiers ou gendarmes par casseur. Il y avait 500 casseurs sur le pavé parisien ce samedi-là et 3 000 membres de forces de l’ordre, dont une moitié mobilisée sur l’essaim des enragés venus en découdre.

    « Près de 150 interpellations dans un cortège de 5 000 manifestants, c’est bien, mais après les gardes à vue, l’essentiel des interpellés échappera à une peine effective, faute de preuves suffisantes, aux yeux des magistrats du siège », spécule un professionnel du #maintien_de_l’ordre.


    Comment l’épisode Notre-Dame-des-Landes sert de laboratoire à la Chancellerie, Paule Gonzalès
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-l-episode-notre-dame-des-landes-sert-de-laboratoire-a-la-chanceller
    Des forces de l’ordre face à des zadistes, le 17 mai 2018. GUILLAUME SOUVANT/AFP

    DÉCRYPTAGE - À l’époque, les parquets de Nantes et de Saint-Nazaire étaient confrontés à des difficultés aujourd’hui récurrentes dans les manifestations.


    Classique : Au “Figaro”, un journaliste [Jean-Marc Leclerc] qui connaît très bien l’Intérieur, 28/11/11
    https://www.telerama.fr/medias/au-figaro-un-journaliste-qui-connait-tres-bien-l-interieur,75644.php
    ...désigné en 2011 par un ministre de l’intérieur comme "personnalité qualifiée" pour être membre d’un "groupe de travail sur l’amélioration du contrôle et de l’organisation des bases de données de la police [!]"...

    #police #renseignement_opérationnel #black_bloc #justice #Judiciarisation

    #paywall (il doit manquer des morceaux)

    • Clappings, fumigènes, « ACAB »... Dans les manifestations, l’influence des supporteurs « ultras » au sein du black bloc, Abel Mestre (...)
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/19/violences-pendant-les-manifestations-des-supporteurs-de-football-ultras-deso

      Les supporteurs de football radicaux sont de plus en plus présents dans le cortège de tête. Le phénomène s’est amplifié pendant le mouvement des « gilets jaunes », puis avec celui contre la loi « sécurité globale ».

      A première vue, la scène est classique. Le 28 novembre, lors de la manifestation parisienne contre la loi « sécurité globale », des manifestants affrontent les forces de l’ordre, comme c’est devenu la règle à chaque manifestation depuis le mouvement contre la loi travail, en 2016. Ils font partie du cortège de tête et sont adeptes de la stratégie du black bloc, où des militants radicaux se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie revêtent une tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris, afin de ne pas être identifiables. Mais, si l’on s’attarde sur les détails, ce qu’il se passe ce jour-là semble incongru. La charge se fait derrière une banderole qui est bien particulière : elle représente un portrait de Diego Maradona, joueur de football argentin et idole d’une partie de la gauche, mort trois jours plus tôt.

      Cette irruption du football dans une manifestation politique n’est pas anecdotique. Elle marque les liens forts qui unissent depuis plusieurs années, notamment à Paris, une partie des supporteurs radicaux des tribunes, les ultras, et ceux du mouvement social. Les « ultras » – qui soutiennent de manière collective et organisée leur équipe avec des chants, des slogans et des scénographies, pour qui la violence est acceptée mais n’est pas une fin en soi, contrairement aux hooligans – étaient ainsi présents dans les cortèges contre la loi travail il y a un peu plus de quatre ans, pendant le mouvement des « gilets jaunes » en 2018-2019 et, donc, cette fois-ci contre la loi « sécurité globale ». Edouard (le prénom a été changé), la petite trentaine, supporteur du PSG et qui manifeste dans le cortège de tête, confirme : « Il y a pas mal d’ultras qui viennent des tribunes. Cette fois-ci, c’est dans de plus fortes proportions : il y en avait 30 à 50 en première ligne aux dernières manifs. »

      Plus encore que numériquement, l’influence ultra se note dans certains codes repris dans les cortèges : des chants rythmés par des clappings (comme le chant Siamo tutti antifascisti, « nous sommes tous antifascistes »), la généralisation des fumigènes (utilisés par les seuls cheminots dans les années 1990) et, surtout, le mot d’ordre « ACAB ». Cet acronyme signifie « All Cops Are Bastards » (« Tous les flics sont des bâtards »). On peut le retrouver dans sa déclinaison numérique (« 1312 », selon l’ordre des lettres dans l’alphabet), voire dans une version « horaire » avec, parfois, des rassemblements convoqués à 13 h 12. Il est peu à peu devenu un signe transversal de ralliement et de sentiment antipolice.

      Des codes « spectaculaires »

      Au départ, ACAB est une chanson d’un groupe skinhead londonien, The 4-Skins, sortie au début des années 1980. La première fois que des ultras le reprennent sur une banderole, c’est à Padoue, en Italie, dans les années 1990. Sa déclinaison numérique est quant à elle l’idée des supporteurs de Livourne. « Les ultras importent des codes, une nouvelle manière de faire. Ces codes sont repris car ils sont spectaculaires dans l’espace public, encore plus dans une manifestation, explique au Monde Sébastien Louis, docteur en histoire contemporaine, spécialiste du supportérisme radical. Chez les ultras, il y a une cohésion de groupe, où le collectif est mis en avant par rapport aux individualités. Il y a aussi des personnes prêtes à aller au contact, qui sont disposées à la violence. C’est quelque chose que les militants d’extrême gauche n’ont pas, à part dans les manifs. »

      Olivier Laval, ancien ultra parisien, qui collabore à Encré dans la tribune, revue spécialisée sur ce thème, détaille : « Les ultras ont une aptitude à faire face aux forces de l’ordre. Aucun segment de la population n’est autant confronté au maintien de l’ordre qu’eux. Quand, toutes les semaines, tu vois des CRS ou des gendarmes mobiles, ils ne t’impressionnent plus. Ils savent se fondre dans la masse pour ne pas se faire repérer, leur mode opératoire est fait de petits groupes mobiles. »

      Le sigle « ACAB » est, en tout cas, passé des tribunes aux cortèges. La multiplication des affaires de violences policières, aussi bien pendant les manifestations qu’en dehors, joue ainsi un rôle de ciment pour des contestations protéiformes qui dépassent les structures traditionnelles syndicales et partidaires. Les images d’affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations peuvent également attirer des supporteurs au départ peu politisés, pour qui le réflexe « antiflic » reste une base de la culture ultra.

      Ce mélange des genres n’est pas nouveau. Il est même consubstantiel aux ultras. Cette mouvance est née dans l’Italie de la fin des années 1960. Pour la première fois, des jeunes tifosi s’organisent au sein de groupes aux noms provocateurs comme les Fedayn (AS Roma) ou les Brigate rossonere (« brigades rouges et noires ») du Milan AC. Certains d’entre eux reprennent même le geste mimant le pistolet P38, comme dans les cortèges de la gauche extraparlementaire de l’époque. « Il s’agit davantage d’une source d’inspiration et d’une récupération des noms et des symboles que de l’expression immédiate d’une culture politique. Les ultras ne sont pas des courroies de transmission des organisations extraparlementaires qu’ils parodient », nuance Sébastien Louis, dans son livre référence Ultras, les autres protagonistes du football (Mare et Martin, 2017).

      En près de cinquante ans, les interactions entre ultras et contestation politique ont cependant évolué, voire ont changé de nature : en Europe, les idées d’extrême droite ont peu à peu gagné les esprits, en particulier en Italie (Vérone, Lazio Rome, entre autres) ou encore en Grèce. Au Moyen-Orient, les ultras ont joué un rôle important lors de la révolution égyptienne de 2011 contre le régime d’Hosni Moubarak. Ces supporteurs deviennent, ici ou là (Turquie, Tunisie…), des acteurs politiques évoluant hors des structures institutionnelles.

      Une « porosité limitée »

      En France, dans la géographie des virages ultras, Paris est une exception. Pourquoi certains ultras viennent-ils aujourd’hui dans le cortège de tête ? La polarité entre les tribunes Auteuil du Parc des Princes (dont les abonnés sont souvent issus des quartiers populaires et ont, au fil du temps, assumé un discours antiraciste) et Boulogne (où de nombreux supporteurs, par le passé, étaient d’extrême droite) a joué il y a quelques années le rôle d’un catalyseur, d’un accélérateur de conscientisation politique.

      Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir aux années 2005-2010 et à la « guerre des tribunes parisiennes ». Les ultras d’Auteuil prenant de plus en plus de poids, les incidents et les affrontements se multiplient et s’intensifient avec leurs rivaux de Boulogne, en particulier les hooligans. Jusqu’au 28 février 2010, où une bagarre entre les deux tribunes laisse un blessé grave, Yann Lorence, du kop de Boulogne. Il mourra après trois semaines de coma. A la suite de ces événements, le président du PSG de l’époque, Robin Leproux, met en place son plan de sécurisation du stade, les ultras se retrouvant « à la rue ». Edouard se souvient : « L’antagonisme avec Boulogne a radicalisé une minorité à Auteuil. C’est comme ça que j’ai rencontré des militants, en allant traîner à Ménilmontant [quartier parisien où les antifascistes sont implantés]. »

      Sébastien Louis confirme : « Paris est un cas spécifique en raison de l’opposition entre les Tigris Mystic [groupe de la tribune Auteuil, aujourd’hui dissous] et Boulogne, de la violence qui a continué autour du stade [en 2010]. » Il poursuit : « C’est vrai qu’il y a des signes de politisation, comme la banderole à Auteuil dénonçant la politique extrêmement répressive de la Chine contre les Ouïgours [en 2019], mais il faut rester prudents. Certains ultras fréquentent des activistes de gauche, ils se nourrissent. Mais la porosité est limitée. Peu d’ultras sont militants et peu de militants sont ultras. » En clair : si des ultras participent à certaines manifestations, la grande majorité se tient très éloignée de la politique. Certains préfèrent ainsi les actions caritatives, comme à Saint-Etienne où ils distribuent des colis alimentaires.

      « Rupture générationnelle »

      Il n’empêche. La situation des tribunes parisiennes a contribué à l’émergence d’une nouvelle génération de militants, dont l’Action antifasciste Paris-Banlieue (AFA) est la composante la plus connue. « Il y a eu une rupture générationnelle dans le mouvement antifasciste parisien, confirme Marco (le prénom a été changé), 33 ans, qui évolue dans ces milieux. Avant, c’était très influencé par le punk rock et les redskins [skinheads d’extrême gauche], la CNT [Confédération nationale du travail] était hégémonique. Le nouveau mouvement antifa naît avec une génération tournée vers le stade, notamment à Auteuil, qui est fortement implantée en banlieue et qui a plus une culture rap. Le lien se fait au moment de “la guerre des tribunes”, où des gens du stade sont venus avec les antifas pour aller trouver les mecs de Boulogne. » A en croire certains activistes du cortège de tête, il y a aujourd’hui une « agrégation » entre les militants « autonomes, des “gilets jaunes”, des gens qui viennent du stade. Et les antifascistes font le lien ».

      Il est vrai qu’une des particularités de l’AFA est d’être à la confluence de ces divers mouvements. Ses militants théorisent l’idée d’« autodéfense populaire », qui entend combattre, selon leur terminologie, « les aspects fascistes » du régime politique français, notamment, selon eux, les violences policières dans les quartiers populaires ou la « justice de classe ». Une répression qui s’exprime, toujours selon ces militants, d’abord dans les quartiers populaires mais aussi envers les supporteurs de football, avant de se généraliser à l’ensemble du mouvement social. En découle une convergence des objectifs contre un système qui s’incarne dans un adversaire commun : le policier.

    • « Le black bloc est difficile à cerner, il s’agrège et se défait au gré des événements » , Sylvain Boulouque, historien, 29 avril 2019
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/29/le-black-bloc-un-ensemble-heterogene-aux-traditions-politiques-bigarrees_545

      Plusieurs générations et traditions politiques cohabitent au sein de cette mouvance qui pratique l’émeute urbaine pour lutter contre le capitalisme, explique l’universitaire Sylvain Boulouque dans une tribune au « Monde ».

      Tribune. Depuis maintenant une vingtaine d’années, dans de nombreuses manifestations et partout dans les démocraties libérales, un nouveau groupe est apparu dans les cortèges : le black bloc, qui se présente comme une nouvelle pratique de l’anticapitalisme, en réplique aux nouveaux moyens de surveillance et de contrôle, et aux mutations de l’économie mondiale.

      Le black bloc est avant tout une pratique manifestante. Formés de plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui se masquent le visage et se couvrent de vêtements noirs, ces groupes cherchent à faire reculer les barrages policiers et à ouvrir un trajet non officiel aux manifestations. Ils assument et s’efforcent de banaliser un niveau de violence urbaine impliquant des risques élevés, tant pour les membres des forces de l’ordre que pour eux-mêmes, et pour les manifestants de base pris dans les affrontements.

      De plus en plus souvent mixte – la présence de femmes y est en augmentation –, le black bloc est difficile à cerner, tant politiquement que socialement.
      Au-delà de l’aversion commune envers le « capitalisme », il recrute sur des bases plus affinitaires que strictement idéologiques. Il s’agrège et se défait au gré des événements. Défiant l’ordre public, il s’en prend à tout bien matériel susceptible de symboliser le libéralisme économique et laisse derrière lui, inscrits au fil des dégradations, des slogans souvent rédigés dans une veine sarcastique.

      Anonymat

      Le black bloc n’a pas pignon sur rue. Si des appels explicites à l’émeute urbaine circulent et peuvent être relayés, notamment sur certains sites et sur les réseaux sociaux, ils ne sont pas signés et, comme la tenue noire, renvoient à l’anonymat. Ses membres, sauf exception, ne revendiquent jamais ouvertement leur participation.
      Pour pouvoir se mettre en ordre de bataille, le black bloc bénéficie de la bienveillance des autres manifestants qui, sans prendre part aux affrontements, protègent sa formation. Le « cortège de tête », informel, avec lequel il n’a pas de démarcation claire, est à la fois son refuge et sa protection.

      Dans ces groupes, plusieurs générations et plusieurs factions politiques cohabitent. Les plus anciens ont transmis l’expérience acquise depuis les années 1970. Si dans les deux décennies suivantes, les actions violentes sont devenues moins fréquentes, la culture de l’émeute n’a pas pour autant disparu.

      Anarchisme

      En Europe, ces pratiques renaissent à Gênes (Italie) en 2001 puis à Evian (Haute-Savoie) en 2003. Une nouvelle vague d’émeutiers émerge à Strasbourg, puis à Poitiers en 2009, rejoints ensuite par une frange des participants aux « zones à défendre » de Notre-Dame-des-Landes (loire-Atlantique) et de Sivens (Tarn) entre 2014 et 2018.
      S’y mêlent certains manifestants contre la « loi travail » en 2016, des participants aux mouvements universitaires de 2018, jusqu’à la « casse » d’ampleur du 1er mai 2018. Il semble falloir compter aujourd’hui aussi avec le ralliement de « gilets jaunes ».

      Le black bloc forme donc un ensemble hétérogène aux traditions politiques bigarrées, comme le résume le slogan « Beau comme une insurrection impure », renvoyant au mélange des appartenances et des révoltes. Il bénéficie de la mansuétude voire du soutien tacite d’une partie de la gauche radicale anticapitaliste.

      Les groupes se réclamant de l’anarchisme sont une composante importante, comme l’indiquent les drapeaux noirs et noir et rouge ainsi que le « A » cerclé bombé sur les murs. A la frontière entre anarchisme et marxisme, les différents courants héritiers de « l’autonomie » des années 1980, refusant les formes traditionnelles de la contestation politique, sont très présents.

      De manière toujours informelle et déterminée par des choix individuels, des membres et des sympathisants de diverses déclinaisons du marxisme, se réclamant pour quelques-uns du maoïsme et pour d’autres du trotskisme, participent aussi aux affrontements. Cette porosité – impensable jusque dans les années 1990 – s’explique par l’affaiblissement des barrières idéologiques, les solidarités de terrain l’emportant sur les appartenances politiques.

      Patchwork idéologique

      L’explication est à chercher dans leurs engagements spécifiques et notamment dans la sociabilité associative.
      Toujours sans aucune généralisation possible, les émeutiers peuvent appartenir à des nébuleuses variées : antifascistes radicaux, membres de collectifs contre les violences policières, aide aux migrants, écologie radicale, collectifs féministes, groupes de « solidarité internationale » avec les Palestiniens et les Kurdes, par exemple. La pratique sportive joue aussi un rôle, des sports de combat jusqu’au football, notamment à travers les clubs de supporteurs des villes ouvrières ou des quartiers populaires.

      Loin du cliché sur les émeutiers issus prioritairement des milieux intellectuels, le black bloc actuel est beaucoup plus divers dans sa composition sociale. Si les premières analyses des participants au début des années 2000 montraient un haut niveau d’études, les différents éléments aujourd’hui recueillis soulignent une présence plus forte des milieux populaires.

      Cette « sédimentation » insurrectionnelle repose également sur des cultures musicales partagées. Si les plus anciens ont baigné dans l’atmosphère du punk rock anglais, les générations récentes ont de nouvelles références, où les paroles et les concerts soulignent la détestation de l’ordre social.

      Les références historiques mises en avant témoignent aussi de ce patchwork idéologique : la Révolution française, la Commune de Paris restent incontournables mais s’y ajoutent les révoltes contemporaines. Les slogans utilisés soulignent le caractère bigarré d’une mouvance où se mêlent le vocabulaire propre aux banlieues, les clins d’œil aux séries télévisés, mais aussi la reprise d’aphorismes de René Char, comme « Agir en primitif et prévoir en stratège ».

      Le black bloc souligne l’hétérogénéité des formes de l’anticapitalisme contemporain. Ses participants sont pour beaucoup des enfants de la démocratisation scolaire. Majoritairement issus des banlieues proches et plus marginalement des centres-villes, beaucoup se sont formés à la politique sur les bancs de l’université.
      Les métiers qu’ils exercent recoupent en grande partie les classes moyennes. Ils renouvellent une volonté de rupture avec le fonctionnement de la société actuelle et s’inscrivent dans une forme de continuité, comme si les « enragés » d’hier étaient devenus les « ingouvernables » d’aujourd’hui.

      #anticapitalisme #black_bloc #analyse #histoire

    • Black blocs : qu’est-ce que la « violence légitime » ?
      https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/05/09/black-blocs-qu-est-ce-que-la-violence-legitime_5296478_4401467.html

      La violence est un état de fait, elle est aussi un problème de droit, analyse le professeur de philosophie Thomas Schauder. Sans une certaine dose de violence, l’ordre peut-il être respecté ? Et sans violence, l’ordre pourrait-il être renversé ?

      #violence_politique #violence_légitime

    • Black bloc : « La multiplication des manifestations a offert à certains l’occasion d’apprendre le cycle provocation-répression », Sylvain Boulouque, Historien
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/21/black-bloc-la-multiplication-des-manifestations-a-offert-a-certains-l-occasi

      Tribune. Contrairement à ce qui est généralement affirmé, le black bloc n’est pas un mouvement politique, mais une pratique manifestante, apparue d’abord dans la mouvance autonome allemande et qui s’est depuis développée dans la gauche émeutière européenne. L’un des premiers Schwarzer Blocks est apparu à Frankfurt, le 1er mai 1980. Il s’agissait d’un groupe anarchiste manifestant le visage découvert.

      L’expression est ensuite reprise par la police allemande pour désigner les autonomes tentant d’empêcher les expulsions des squats. Elle connaît une réappropriation positive dans les années 1990 et se dessine sous sa forme actuelle. Le black bloc est aujourd’hui une pratique manifestante internationale qui se retrouve aussi bien à Hongkong, à Barcelone, à Santiago…

      Les émeutiers ne se revendiquent pas forcément de cette mouvance. Cette pratique prend une tonalité particulière en France parce qu’elle s’inscrit dans la continuité de deux siècles d’émeutes urbaines depuis la Révolution française. En France, actuellement, de l’observation du phénomène black bloc, quelques constantes se dégagent.

      Une force capable de défier l’Etat

      Le bloc se constitue en avant ou dans le cortège au début ou au cours des manifestations. Pour se développer, il doit bénéficier d’un effet de surprise, d’un terrain et d’un milieu favorables. Le bloc se forme au sein d’une foule plutôt bienveillante, parfois appelée, en fonction de sa place dans la manifestation, « cortège de tête ». Il lui sert de zone de protection et de refuge. Ses participants s’habillent de noir pour rester dans l’anonymat et éviter toute personnalisation, par refus du principe du chef et parfois même par romantisme révolutionnaire.

      Les émeutiers se pensent et se constituent comme une force capable de défier l’Etat. Ses membres affirment une forme de désobéissance civile. Ils rejettent les manifestations imposées par les pouvoirs publics et s’inscrivent dans une logique révolutionnaire visant à rompre avec les pratiques dites réformistes des manifestations pacifiques. Le recours à la violence est une de ses expressions possibles. Il est l’affaire de choix individuels ; tous les manifestants physiquement présents au sein du bloc ne participent pas à l’émeute ou à des actions violentes, mais se montrent solidaires ou refusent de condamner les choix des autres.

      Force est de constater que les actions du black bloc ne sont médiatisées que lorsque certains de ses participants ont recours à la violence. Ainsi, peu de commentateurs ont fait état de l’existence d’un « pink bloc » lors de la manifestation féministe du 23 novembre 2019 à Paris ; personne, ou presque, n’a relevé qu’à Hambourg, le 6 décembre dernier, un black bloc de plus de 3 000 personnes a manifesté pacifiquement pour afficher sa solidarité avec cinq manifestants incarcérés lors de précédentes manifestations pour des actions violentes.

      Des émeutiers pas tous issus de la catégorie des CSP +

      Inversement, les dégradations sont filmées en direct avec une forme de fascination, voire une certaine délectation. Elles sont ensuite reprises en boucle et font l’objet d’une avalanche de déclarations politiques, traduisant les discours sécuritaires qui viennent étayer des projets de lois ou des discours politiques dans les traditions des mouvements de droite conservatrice ou nationaliste, sur lesquels se greffe une pseudo-analyse du phénomène black bloc, souvent éloignée des réalités sociopolitiques.

      Les émeutiers appartiendraient tous à la catégorie des CSP +, seraient des enfants de bonnes familles, voire des enfants d’enseignants. Or, excepté quelques cas isolés, rien ne permet de valider ces hypothèses. Régulièrement brandi par une partie de la sphère politique de gauche et de droite, le thème des provocations policières – les « casseurs » seraient manipulés pour discréditer les mouvements revendicatifs, voire certains d’entre eux seraient des policiers – relève, pour l’essentiel, de la fantasmagorie.

      Cette fantasmagorie rejoint des thèses avancées principalement par le Parti communiste français pour qualifier les actions des autonomes dans les années 1970, sans qu’aucune preuve n’ait été apportée, hormis la réalité de certaines infiltrations à des fins de surveillance. Dans la même logique, une partie de la mouvance antifasciste est parfois incriminée par l’extrême droite, qui, par un procédé rhétorique, cherche à jeter l’opprobre sur le mot même.

      Un reflet de l’évolution d’une partie de la société

      Si les tenues et les pratiques manifestantes peuvent parfois être proches et si quelques manifestants participent à ces actions, rien ne prouve que la majorité des militants qui se revendiquent « antifas » participent aux violences. L’accusation de laxisme de la justice bute sur la réalité des faits. Des dizaines de personnes ont été condamnées à des peines de prison ferme et plusieurs centaines ont été frappées d’interdiction, avec des mises à l’épreuve, de manifester ou de se rendre dans les villes le jour des manifestations depuis 2016.

      Ces débats biaisés empêchent de comprendre la nature et la transformation du phénomène. En effet, si le black bloc est une pratique manifestante, cherchant à renvoyer l’Etat à ses propres contradictions, il est aussi un reflet de l’évolution d’une partie de la société, la renvoyant à sa propre violence. La forme du black bloc semble en mutation, un reflet et une conséquence de la déshumanisation et de la crise sociale, d’une part, et de l’augmentation des violences policières, d’autre part.

      Comme la pratique émeutière se diffuse in situ, par l’expérimentation de la rue, la multiplication des manifestations a offert à de nouvelles générations l’occasion d’apprendre le cycle provocation-répression. Les anciennes générations cohabitent avec de nouvelles, dont le profil évolue. On assiste à un élargissement générationnel – des mineurs aux cinquantenaires –, quantitatif, et à une diffusion géographique du nombre de personnes pouvant potentiellement participer aux émeutes.

      L’émergence d’une nouvelle forme de conflictualité

      Les blocs se formaient principalement dans quelques îlots (Paris, le Grand-Ouest). Aujourd’hui, dans toutes les grandes villes se produit ce type d’action. Socialement, une mutation s’opère. Les informations qui émergent suite aux différents procès et aux comparutions immédiates montrent que toutes les catégories sociales se retrouvent devant la justice. Aux profils majoritairement d’étudiants et d’ouvriers qui composaient les accusés auparavant succèdent, devant les tribunaux, des individus aux situations encore plus précaires.

      Ils viennent non des centres-villes mais des banlieues et, plus encore, des périphéries. La socialisation politique évolue. Les nouveaux émeutiers se sont forgé une opinion de manifestation en manifestation. Les slogans et graffitis qui accompagnent les émeutes se sont modifiés. L’anticapitalisme demeure, mais le caractère sarcastique et symbolique des attaques s’est réduit, sans avoir totalement disparu.

      Cette mutation traduit l’émergence d’une nouvelle forme de conflictualité, illustration d’une rupture interne dans la violence politique et sociale, subie comme exprimée. Le caractère jusque-là codifié des émeutes tend à disparaître. La tendance actuelle est bien plus inscrite comme une forme de révolte contemporaine qui, faute de perspectives, verse dans le nihilisme.

      #autonomes #anticapitalisme #précaires

  • Contrôle des chômeurs
    https://www.dalloz-actualite.fr/flash/controle-des-chomeurs-jour-de-carence-aide-juridictionnelle-ajouts-

    Voilà, tout en votant le budget pour l’année 2021, on en profite pour rajouter quelques cartouches contre cette engeance que sont les chômeurs et les chômeuses (qui bien évidemment ne pensent qu’à gratter du pognon) :

    Contrôle des chômeurs Introduit par le Sénat, l’article 73 bis crée un droit de communication pour les agents de Pôle emploi chargés de la répression des fraudes. Ces agents pourront obtenir auprès d’un certain nombre d’organismes ou d’entreprises les documents et informations nécessaires aux vérifications. L’idée est notamment d’obtenir les relevés bancaires et téléphoniques des allocataires soupçonnés de fraudes.

    Si d’autres organismes avaient ce droit de communication, jusqu’ici, Pôle emploi n’en disposait pas. La mesure, suggérée par la Cour des comptes (v. Dalloz actualité, 8 sept. 2020, art. P. Januel), avait plusieurs fois été repoussée en 2015 et 2016, compte tenu des atteintes à la vie privée et des mobilisations contre l’amendement. Les députés ont adopté l’article conforme, aucun amendement n’ayant été déposé.

    Par ailleurs, l’article 46 terdecies donne à ces agents l’accès au fichier des assurances vie (Ficovie) quand l’article 54 undecies donnera aux agents de l’Agence de services et de paiement l’accès au fichier des comptes bancaires (Ficoba).

    #Chômage #Contrôle_des_chômeurs #Pôle_emploi

    • Pendant ce temps, l’Assemblée vote le budget pour l’année 2021. Et les députés en profitent pour faire passer des petites mesures comme ça, notamment en matière de renforcement du contrôle des chômeurs. Comme on peut le lire sur Dalloz, l’article 73 bis crée un droit de communication pour les agents de Pôle Emploi. Concrètement, cela signifie que les agents chargés de la répression des fraudes pourront désormais demander et obtenir des documents aux banques ou les relevés téléphoniques des chômeurs. Face à la crise qui s’annonce à cause du Covid-19, c’était sûrement le moment.

      https://www.liberation.fr/politiques/2020/12/18/le-controle-des-chomeurs-discretement-renforce_1809027

      Nous en sommes au point où même des piliers de l’ordre social comme Le Monde ou Ration sont conduit à manifester ici où là (police, démocratie, contrôle « inégalités ») quelques inquiétudes.

    • Pôle emploi obtient de nouveaux pouvoirs pour combattre la fraude
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/19/pole-emploi-obtient-de-nouveaux-pouvoirs-pour-combattre-la-fraude_6063941_82

      Le projet de loi de finances 2021 permet à l’opérateur public d’avoir accès à de nouvelles informations, telles que les relevés bancaires, sur des chômeurs soupçonnés d’avoir triché.

      De nouvelles armes viennent d’être fournies à Pôle emploi pour combattre la fraude. Définitivement adopté, jeudi 17 décembre, par le Parlement, le projet de loi de finances (#PLF) 2021 permet, en effet, à l’opérateur public de réclamer de nouvelles informations sur des demandeurs d’emploi soupçonnés d’avoir triché – principalement dans l’optique de percevoir indûment des allocations. Parmi les éléments qui lui seront communicables, il y a notamment les relevés bancaires et les #données_de_connexion liées à la téléphonie mobile.

      Cette extension du champ de contrôle découle de deux dispositions. L’une a été adoptée le 4 décembre au Sénat, grâce à un amendement porté par des élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Elle vise à conférer à Pôle emploi un pouvoir dont bénéficient déjà les Urssaf et d’autres organismes de Sécurité sociale : le « droit de communication ». L’objectif est d’autoriser la transmission de renseignements émanant d’entreprises comme les établissements de crédit, les fournisseurs d’énergie ou les opérateurs de téléphonie, « sans que s’y oppose le secret professionnel, notamment bancaire » , précise l’amendement. Ainsi, Pôle emploi sera en mesure de vérifier l’authenticité des documents fournis par un chômeur et l’exactitude des déclarations que celui-ci a faites afin de se voir verser des prestations.

      Recommandation de la Cour des comptes

      Ce droit de communication sera exercé exclusivement par les agents assermentés de Pôle emploi chargés de prévenir et de lutter contre la fraude – soit environ un peu de plus cent personnes. Il ne pourra pas être invoqué dans le cadre du contrôle de la recherche d’emploi ou du recouvrement d’indus – ces sommes perçues en trop par le demandeur d’emploi, à la suite d’erreurs qui ne sont pas toujours de son fait. Il s’agit de « ne pas laisser croire que certains profitent du système »(merci ! ndc], a justifié le sénateur Jean-Louis Lagourgue (Les Indépendants, La Réunion), durant les débats au Palais du Luxembourg.

      Cette initiative fait suite à une recommandation émise à plusieurs reprises par la #Cour_des_comptes. Dans un rapport publié en septembre, la haute juridiction avait, à nouveau, préconisé que Pôle emploi se voit octroyer le droit de communication « dont sont dotés, depuis déjà douze ans, avec des résultats démontrés », plusieurs organismes de Sécurité sociale.

      L’autre mesure qui étoffe les prérogatives de l’opérateur public résulte d’un amendement défendu par le gouvernement et adopté le 13 novembre à l’Assemblée nationale. Il offre la faculté aux limiers de Pôle emploi « d’avoir accès au fichier de contrats d’assurance-vie (le Ficovie) », a expliqué Olivier Dussopt, le ministre délégué aux comptes publics.

      Ces dispositions ont suscité très peu de discussions devant les deux chambres du Parlement. Au Sénat, le groupe communiste et républicain avait présenté un amendement pour supprimer l’article relatif à l’accès au Ficovie. Sans succès. De son côté, Sophie Taillé-Polian, sénatrice écologiste du Val-de-Marne, avait déclaré, le 10 décembre, que « pour certains, tout est permis, tandis que d’autres sont en permanence surveillés et culpabilisés », en faisant allusion aux compétences supplémentaires attribuées à Pôle emploi. Des propos tenus à l’occasion de l’examen d’un autre texte de loi et non pas du PLF 2021.

      Relative indifférence

      Cette relative indifférence semble montrer que les mentalités – ou le climat – ont évolué. En 2015, le gouvernement Valls avait envisagé d’élargir le droit de communication aux agents assermentés de Pôle emploi. Un amendement allant dans ce sens devait être glissé dans le projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, porté par François Rebsamen, alors ministre du travail. Finalement, l’exécutif s’était ravisé et avait retiré l’amendement en question, avant même qu’il ne soit débattu dans l’hémicycle. « Le ministre s’est rendu compte que ça n’avait pas été assez concerté », avait alors indiqué à l’AFP l’entourage de M. Rebsamen, ajoutant que le ministre ne souhaitait pas que la mesure soit « interprétée comme une volonté de stigmatiser les chômeurs ».

      Selon la Cour des comptes, le montant des préjudices que Pôle emploi a « subis » ou « évités » au titre des fraudes s’est élevé à 212 millions d’euros en 2019, « soit 4,6 fois plus qu’en 2010 ». Le nombre de demandeurs d’emplois incriminés a progressé dans les mêmes proportions durant la période, pour atteindre 18 368 l’an passé.

      #fraude #droit_de_communication #chasse_aux_pauvres

  • La maire de Marseille, Michèle Rubirola, annonce démissionner pour raisons de santé
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/15/la-maire-de-marseille-michele-rubirola-annonce-sa-demission_6063475_823448.h

    Où l’on apprend que #Rubirola n’aime pas la tambouille électorale :

    « Benoît et moi, c’est un peu le yin et le yang. Il est très politique ; moi, je n’apprécie pas la tambouille électorale. Fonctionner en binôme, déléguer, faire confiance, c’est une vision écolo de la politique. J’aimerais porter une autre façon d’être maire »

    #Marseille

    • Sa démission était annoncé mi-octobre par le même journal
      « Tu es au courant que je ne reste que trois mois ? » : à Marseille, les débuts déroutants de Michèle Rubirola
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/10/14/tu-es-au-courant-que-je-ne-reste-que-trois-mois-a-marseille-les-debuts-derou

      Elue en juin, la maire écologiste s’interrogeait encore en octobre sur son rôle et laissait alors souvent la main à son premier adjoint, #Benoît_Payan.

      Qui est Benoit Payan, le futur plus jeune maire de Marseille ?
      https://www.challenges.fr/politique/benoit-payan-l-interi-maire_742197

      Depuis juillet dernier, Benoit Payan était maire officieux de Marseille. Il pourrait être, lundi prochain, maire officiel, ce qui aura le mérite de simplifier les choses. A 42 ans, il serait le plus jeune maire de Marseille, coiffant un autre socialiste, Gaston Deferre, au poteau d’une année – ce dernier ayant été élu à 43 ans.

      Benoît Payan
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Benoît_Payan

      Désolé, cette page a été récemment supprimée (dans les dernières 24 heures)

      15 décembre 2020 à 16:49 Cédric Boissière discuter contributions a protégé Benoît Payan [Créer=Autoriser uniquement les administrateurs] (expire le 18 décembre 2020 à 16:49) (Attendons son élection)

      15 décembre 2020 à 16:49 Cédric Boissière discuter contributions a supprimé la page Benoît Payan (Ne répond pas aux critères d’admissibilité)

      15 décembre 2020 à 16:33 Wikisud82 discuter contributions a créé la page Benoît Payan (Nouvelle page : ’’’Benoît Payan’’’ est un homme politique français. Premier adjoint à la maire de Marseille Michèle Rubirola de juillet à décembre 2020, il assure ces fonctions par…) Balises : Modification par mobile Modification par le web mobile Modification sur mobile avancée

      24 juillet 2020 à 15:11 Enrevseluj discuter contributions a supprimé la page Benoît Payan (Décision communautaire)

      24 juillet 2020 à 15:01 Axelcortes13 discuter contributions a créé la page Benoît Payan (Création de la Page et de 3 sections plus d’une Infobox) Balise : Éditeur visuel

      2 février 2020 à 14:59 OT38 discuter contributions a supprimé la page Benoît Payan (Page supprimée suite à une décision communautaire)

      [je vois pas plus d’historique, ndc]

      Pas du coin, sauf brèves incursions, je suis certain qu’on entendra du "Cochon de Payan", du " Payan ! Au bagne !" et d’autres compliments idoines dans la ville un de ces quatre. Mais peut-être en existe-t-il déjà ?
      #PS

    • Municipales à Marseille : les raisons du succès de l’écologiste Michèle Rubirola , Gilles Rof (Marseille, correspondant) et Solenn de Royer, 01 août 2020, Màj le 04 août 2020
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/08/01/municipales-marseille-les-raisons-du-succes-de-l-ecologiste-michele-rubirola

      Une note de la Fondation Jean-Jaurès, que dévoile « Le Monde », met en évidence le rôle joué par une « classe moyenne et supérieure éduquée » dans la victoire du Printemps marseillais.

      Et « l’inconcevable » se produisit à Marseille. Médecin et conseillère départementale écologiste, Michèle Rubirola, âgée de 63 ans, totalement inconnue du grand public il y a six mois, a été élue maire de la deuxième ville de France, le 4 juillet, après vingt-cinq ans de règne de Jean-Claude Gaudin. Comment ce basculement historique a-t-il pu se produire et pourquoi ? Dans une épaisse note dévoilée par Le Monde, intitulée « Comment la gauche néomarseillaise a éjecté la bourgeoisie locale ? » , la Fondation Jean-Jaurès – qui s’est penchée sur les résultats des deux tours des élections municipales – donne quelques clés.

      Le think tank progressiste [et youplaboum] analyse ainsi la montée en puissance de la « gauche culturelle » dans cette commune de 870 000 habitants, dont une partie s’est renouvelée au cours des dernières années. S’ils concèdent que la #gentrification reste un phénomène « homéopathique (…) peu susceptible de faire bouger les équilibres locaux » , et qu’il serait « absurde d’attribuer aux seuls #néo-Marseillais la victoire » de Michèle Rubirola, le géographe Sylvain Manternach et l’essayiste Jean-Laurent Cassely soulignent le « rôle moteur » joué par une « classe moyenne et supérieure éduquée » dans le succès du Printemps marseillais.

      Comme à Lyon ou à Bordeaux, qui ont vu le triomphe des écologistes, un électorat « rajeuni, culturellement favorisé et mobile » a eu raison d’un électorat de notables, plus âgés et installés dans les beaux quartiers, ou alors issus de la petite bourgeoisie. Le vote pour le Printemps marseillais a été ainsi d’autant plus fort dans les quartiers qui ont vu leur population changer depuis une quinzaine d’années, notent les auteurs de la note. Les trois arrondissements qui ont connu un renouvellement de plus de 30 % de leur électorat (le 1er, le 6e et le 2e) ont tous les trois donné au Printemps marseillais des scores supérieurs à 30 % au premier tour, soit 6 points au-dessus de sa moyenne (23,44 %).

      Elan de centre-ville, militant et dégagiste

      L’arrondissement le plus renouvelé, le 1er, est celui qui offre au Printemps marseillais son meilleur score, avec une majorité absolue de 54,7 % des voix dès le premier tour, écrivent Sylvain Manternach et Jean-Laurent Cassely. A l’inverse, poursuivent-ils, dans les arrondissements d’« autochtones », « là où une plus forte part des électeurs est restée stable par rapport à la précédente élection, le score du Printemps marseillais est de 7 à 9 points en dessous de sa moyenne de premier tour ».

      L’analyse de la Fondation Jean-Jaurès relève également avec justesse [oh ben dis donc] que le Printemps marseillais a obtenu ses meilleurs scores dans les quartiers les plus centraux de la ville – un territoire clairement défini qui chevauche les 1e, 5e et 6e arrondissements. Le 1er est « peuplé d’#étudiants et d’#intellectuels_précaires » , le 5e a été gagné par le processus de gentrification et le 6e est plus bourgeois. « C’est aussi dans ces quartiers et arrondissements que réside une #classe_moyenne alternative à la petite bourgeoisie traditionnelle votant à droite », observent les auteurs de la note.

      Dans l’hypercentre, l’émergence d’une force politique homogène traduit « un vote de militants de gauche, porté par les populations diplômées et d’intellos précaires du centre-ville, proches des nombreux collectifs et associations bâtis autour de l’écologie, de la mixité sociale, de l’aménagement urbain ». Un vote qui, dans un contexte d’#abstention « historiquement élevée » – 64 % au second tour à Marseille –, voit son poids électoral prendre « une importance stratégique jamais acquise dans un scrutin jusqu’à présent ».

      L’analyse des bureaux les plus favorables au Printemps marseillais fait clairement émerger un cercle d’un ou deux kilomètres de diamètre dont l’épicentre est le quartier de #la_Plaine. Dans cette zone d’habitat dense, où prédominent les immeubles typiques en « trois fenêtres marseillais » , prisés par les nouveaux arrivants, une dizaine de bureaux ont voté à près de 80 % pour les listes de Michèle Rubirola au second tour. De cet élan de centre-ville, militant et dégagiste, la Fondation Jean-Jaurès différencie un vote d’adhésion au Printemps marseillais plus centriste, dont une partie est « Macron-compatible » .

      Rejet de l’équipe sortante

      « Un vote émanant de quartiers préservés qui subissent de plein fouet l’urbanisation et la #bétonisation de Marseille, lié à une population nouvellement arrivée qui, installée dans les quartiers de bord de mer, se confronte géographiquement et socialement à la bourgeoisie locale historique dont elle ne partage ni les valeurs ni la vision de la ville », explique la Fondation. Une bourgeoisie de néo-Marseillais « plus moderne et plus mobile » qui rêve d’une ville enfin en phase avec ses attentes dans les domaines de la propreté, du transport et du confort urbain.

      Les quartiers qui donnent de très bons scores au Printemps marseillais sont aussi ceux où s’est cristallisé le rejet de l’équipe sortante, dont Martine Vassal, la candidate Les Républicains, est l’héritière. Les arrondissements du centre-ville ont vécu très directement deux des crises majeures du dernier mandat du maire sortant, Jean-Claude Gaudin. D’une part, les effondrements de la #rue_d’Aubagne, le 5 novembre 2018, qui ont fait huit morts et ouvert une crise du logement indigne frappant directement près de 4 000 délogés – et donc beaucoup d’électeurs –, notamment en centre-ville.

      Mais aussi la « bataille de la Plaine », affaire plus locale mais à la forte capacité de mobilisation. Une violente polémique autour d’un projet de rénovation de la place Jean-Jaurès (6e), brutalement imposé par la municipalité. Le chantier, débuté en octobre 2018, est toujours en cours. Il a transformé ce lieu de vie du centre-ville alternatif en un chaos de travaux à ciel ouvert qui n’a fait qu’accentuer la colère des habitants contre l’équipe en place. Le poids de cette opération d’aménagement controversée se lit dans les résultats du premier tour. Avec un électorat moins renouvelé que celui des quartiers voisins (26,73 % de nouveaux inscrits de plus de 24 ans), la Plaine a donné au Printemps marseillais un de ses meilleurs scores (41,7 %).

      L’étude du vote dans le 3e secteur, remporté par Michèle Rubirola en personne, est sûrement celle qui apporte le plus de valeur à l’analyse de la Fondation Jean-Jaurès. On y voit le poids du Printemps marseillais dans une trame de rues en complète transformation dont la colonne vertébrale est le boulevard Chave. Cette artère jusqu’alors somnolente voit éclore, depuis quelques années, bars et restaurants nocturnes, épiceries paysannes et commerces branchés.

      Basculement géographique inédit

      Le vote pour le sénateur Bruno Gilles (ex-Les Républicains, LR), vainqueur sans discontinuer des municipales dans ce secteur depuis 1995, apparaît comme repoussé vers une ceinture périphérique, par l’avancée de ce « nouveau Marseille ». Il illustre un « Marseille d’avant » qui s’appuie plus fortement sur des réseaux traditionnels, notamment à travers les comités d’intérêt de quartier, les clubs de boulistes ou de sport. Ce territoire prend naissance au-delà du Jarret, sorte de périphérique marseillais, et des voies de la gare Saint-Charles, et reste encore à l’écart du nouvel épicentre dynamique. L’étude observe ainsi « une ligne de séparation assez nette entre le Marseille dense des immeubles anciens, qui vote à gauche, et un Marseille périphérique, pavillonnaire et des immeubles plus récents, résidences ou grands ensembles, au nord et à l’est ».

      Les auteurs observent en revanche que « l’élan réformateur du Printemps marseillais » a rencontré moins d’écho dans le sud de la ville, « où s’est installée de longue date une #bourgeoisie plus économique que culturelle », ou à l’est, « où s’épanouit une version plus périurbaine de la vie marseillaise ». Même si certaines enclaves du sud, notamment autour du port de la Pointe-Rouge, que l’étude définit comme un « micromarché immobilier très prisé des nouveaux arrivants », se sont montrées plus favorables au changement. Il s’agit d’un basculement géographique inédit du centre de gravité de la gauche marseillaise.

      A l’échelle de la ville, outre la rupture entre nord et sud, encore clairement visible à travers le vote favorable à Martine Vassal au premier tour, concentré au sud d’une ligne prolongeant le Vieux-Port, c’est une opposition entre gauche de centre-ville et droite périphérique que dessine la victoire de Michèle Rubirola. Les quartiers qui votent LR sont « pour la plupart moins denses, peu mixtes socialement et ethniquement et adoptent un modèle périurbain » qui s’appuie sur l’utilisation de la voiture.
      Reflet de cette « gauche de centre-ville », le Printemps marseillais n’a d’ailleurs pas convaincu le gros de l’électorat populaire, notamment celui des #quartiers_nord de Marseille. A l’instar des autres métropoles, dans lesquelles les listes écologistes et citoyennes ont fait campagne, le discours des candidats du Printemps marseillais s’est principalement adressé aux habitants plutôt favorisés, en tout cas culturellement, et vivant dans le centre-ville. « Les militants des listes écologistes et citoyennes n’ont pas su appréhender les attentes des quartiers excentrés à forte composante immigrée », résument les auteurs.

  • Opinions politiques et syndicales, religion, santé : l’élargissement de trois fichiers policiers provoque l’inquiétude
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/10/opinions-politiques-et-syndicales-religion-sante-l-elargissement-de-trois-fi

    Le ministre de l’intérieur assure qu’il s’agit de les adapter à la lutte contre le terrorisme. Le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Yves Veyrier, étudie la possibilité d’un recours. L’histoire commence à faire du bruit, dans un contexte déjà tendu par la proposition de loi « sécurité globale » et le texte « séparatismes ». Mercredi 9 décembre, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), Yves Veyrier, a écrit à la ministre du travail, Elisabeth Borne, pour lui faire part de sa « stupéfaction » et de ses (...)

    #activisme #religion #[fr]Règlement_Général_sur_la_Protection_des_Données_(RGPD)[en]General_Data_Protection_Regulation_(GDPR)[nl]General_Data_Protection_Regulation_(GDPR) #profiling #syndicat #CNIL (...)

    ##[fr]Règlement_Général_sur_la_Protection_des_Données__RGPD_[en]General_Data_Protection_Regulation__GDPR_[nl]General_Data_Protection_Regulation__GDPR_ ##LaQuadratureduNet

  • Covid-19 : le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, dans le viseur des sénateurs
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/09/covid-19-le-directeur-general-de-la-sante-jerome-salomon-dans-le-viseur-des-

    Le directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, a-t-il fait pression pour modifier un rapport d’experts recommandant au gouvernement d’avoir à disposition un milliard de masques en cas de pandémie, alors que lui-même venait d’en commander seulement 100 millions ? C’est ce que semble penser la commission d’enquête du Sénat, chargée de tirer les leçons de la crise sanitaire, qui doit dévoiler ses conclusions jeudi 10 décembre, à l’occasion d’une conférence de presse.

    Selon plusieurs sénateurs, qui ont pu avoir accès, les 7 et 8 décembre, aux conclusions de la commission d’enquête, M. Salomon a bien tenté de modifier un avis remis en août 2018 à l’agence Santé publique France (SPF) par Jean-Paul Stahl, professeur de maladies infectieuses au CHU de Grenoble.

    Tu m’étonnes qu’ils discutent et décident de tout ce qui touche à la pandémie en Conseil de (Secret)-Défense, maintenant…

  • Projet de loi « séparatismes » : des mesures anti-musulmans et liberticides totalement inacceptables
    https://ricochets.cc/Projet-de-loi-separatismes-des-mesures-anti-musulmans-et-liberticides-tota

    L’arbre de la loi Sécurité globale ne doit pas cacher la forêt touffue des mesures autoritaires de ce régime policier. Le mouvement contre la loi de Sécurité globale oublierait-il un peu trop les quartiers populaires, les musulmans et les gilets jaunes ? Les organisations politiques de gauche veulent-elles garder la main, sur le fond comme sur la forme, pour éviter tout mouvement d’émancipation autonome et plus radical que leurs demandes limitées toujours méprisées par le régime ? Les contestations (...) #Les_Articles

    / #Procès,_justice,_répression_policière_ou_judiciaire, #Ras-le-bol, #Médias_et_expressions, #Violences_policières, Fichage et (...)

    #Fichage_et_surveillance
    https://www.infolibertaire.net/fascisme-et-etat-policier-une-lettre-dantonin-bernanos
    https://www.alternatives-economiques.fr/brutalisation-maintien-de-lordre-liee-a-transformation-de/00094768
    https://www.frustrationmagazine.fr/gentrification-mouvement-securite-globale
    https://blogs.mediapart.fr/amal-bentounsi/blog/011220/loi-de-securite-globale-pourquoi-l-application-uvp-urgence-violences
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/07/projet-de-loi-separatisme-le-conseil-d-etat-donne-son-feu-vert-malgre-quelqu
    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/09/securite-globale-l-appel-a-manifester-samedi-ne-concerne-pas-paris_6062790_1

  • Potins de la macronie : Le général Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon ou la tentation d’une percée en politique
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/06/rechercher-un-homme-providentiel-c-est-dans-l-air-du-temps-le-general-pierre

    Depuis sa démission fracassante, en juillet 2017, l’ancien chef d’état-major des armées écrit des livres à succès et murmure à l’oreille des grands patrons.

    La petite assemblée a pris place sous les lustres du salon Cristal de l’hôtel Lutetia. Comme tous les ans, les auteurs des best-sellers de l’année précédente se retrouvent dans ce palace parisien pour un déjeuner organisé par L’Express et RTL. Ce 30 janvier 2019, François Hollande, pour Les Leçons du pouvoir (Stock, 2018), a été placé à la même table que son ancien chef d’état-major, le général Pierre de Villiers, auteur de Qu’est-ce qu’un chef ? (Fayard, 2018), connu pour avoir brutalement démissionné, en juillet 2017, après s’être opposé à Emmanuel Macron sur le budget des armées.

    Devant un saumon fumé aux baies roses, ces deux grands brûlés du macronisme échangent avec gourmandise sur les interminables séances de signature qui, de librairies en salons, leur permettent de sentir l’humeur du pays. Villiers observe combien les propos se sont peu à peu durcis contre le jeune président, devenu la cible des « gilets jaunes ». Hollande, ravi, s’enhardit : « “S’il était devant moi, je l’étranglerais !”, m’a confié une paisible retraitée. » Regard noir de l’ancienne ministre de la culture, Françoise Nyssen, assise à la même table. Le général sourit à Hollande : « Ah, si on nous avait dit, il y a deux ans, quand nous préparions des opérations, qu’on se retrouverait tous les deux ici, on aurait éclaté de rire ! »

    En croisant dans les couloirs du siège de l’état-major des armées, à Balard, la mince silhouette de ce général aimable et discret, peu de hauts gradés auraient en effet imaginé qu’il deviendrait cette figure courtisée et un auteur à succès. Son premier ouvrage, Servir (Fayard, 2017), s’est écoulé en France à 130 783 exemplaires, selon le panel GFK, le deuxième, Qu’est-ce qu’un chef ?, à 141 189 exemplaires. Le dernier en date, L’équilibre est un courage (Fayard, 320 pages, 22,50 euros), en librairie depuis le 14 octobre, a connu un joli démarrage, 30 000 exemplaires, avant le confinement.

    A chaque livre, les séances de dédicace s’éternisent, ferventes. On remercie le général pour son « courage », sa « droiture », pour « avoir rendu leur dignité aux soldats » et « dit non à Macron ». A la librairie Mollat de Bordeaux, le 28 octobre, des lecteurs ont pleuré en l’écoutant. « Ils pleurent sur la France, juge Pierre de Villiers. Ils disent : “Mon général, on marche sur la tête, tout fout le camp, on n’y comprend plus rien, où va-t-on ?” » Le député (Les Républicains, LR) de Haute-Marne François Cornut-Gentille se souvient de l’avoir accueilli dans sa circonscription, en février 2019 : « Il y avait des gens que je n’arrivais pas à situer politiquement et dont c’était la première réunion publique. Ils buvaient du petit-lait. J’ai compris alors qu’il se passait quelque chose autour de lui… Une attente… C’était palpable… »

    Cette attente a été mesurée par l’IFOP pour l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le 19 novembre. Vingt pour-cent des Français seraient prêts à voter en sa faveur s’il était candidat à la présidentielle. Un score non négligeable, même s’il ne s’agit pas d’intentions de vote, seulement d’un « potentiel électoral », qui évalue l’intérêt que suscite une personnalité, précise Jérôme Fourquet, le directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’institut de sondage. A titre de comparaison, l’humoriste Jean-Marie Bigard avait obtenu 13 % avant l’été, le philosophe Michel Onfray, 9 %. Un bémol, tout de même : 42 % des personnes interrogées disent ne pas connaître l’ancien chef d’état-major, en dépit de sa spectaculaire démission, il y a trois ans.

    Plan médias

    Ce 13 juillet 2017, le général ne se doutait de rien. Il sortait d’une réunion avec Emmanuel Macron et s’apprêtait à écouter sagement son discours, le premier depuis son élection, devant tout le gratin militaire, dans les jardins de l’hôtel de Brienne. Il sursaute en l’entendant dire, à propos des arbitrages budgétaires : « Il n’est pas digne d’étaler ces débats sur la place publique », et rappeler sèchement qui est « le #chef ». Humilié devant ses pairs, Villiers prend l’attaque en plein cœur. La veille, il avait quitté un conseil de défense houleux à l’Elysée et s’était plaint en termes fleuris, devant une commission de l’Assemblée nationale à huis clos, de la faiblesse du budget militaire. Malgré tout, il lui a bien fallu assister, le 14 juillet, debout et crispé aux côtés du président, au défilé sur les Champs-Elysées. Avant de démissionner, cinq jours plus tard. Deux cents militaires lui ont fait une haie d’honneur. Le général a attendu d’être dans sa voiture pour pleurer.

    A l’époque, l’affaire fait des vagues. Jamais un chef d’état-major n’a claqué la porte ainsi. Pierre de Villiers devient celui qui a dit « non » à Macron. Ce dernier comprend trop tard qu’il vient de faire d’un officier inconnu des Français le symbole d’une certaine conception du pays et de la fidélité à ses idéaux. « Il va nous faire chier maintenant, il va faire de la politique », soupirent alors plusieurs généraux.

    Pierre de Villiers, qui n’a plus aucun contact avec le chef de l’Etat, a beau nier tout esprit de revanche, ce 14 juillet 2017 reste une blessure. « Il n’est pas animé par la vengeance mais veut restaurer son honneur bafoué », juge l’ancien coordinateur du renseignement à l’Elysée, Didier Le Bret. De là à penser qu’il veut battre Macron sur son terrain, il n’y a qu’un pas. A dix-huit mois de la présidentielle, alors que le contexte politique n’a jamais été aussi volatil, l’intense plan médias du général a de quoi intriguer. D’autant que l’intéressé, et c’est la nouveauté du moment, se plaît à cultiver l’ambiguïté. Tranchée il y a un an, sa réponse ne l’est plus autant. « Je suis un officier, la politique n’est pas ma vocation, répète-t-il au Monde. Mais je ne peux plus dire avec fermeté que je ne fais pas de politique, parce que je ne peux nier que mon dernier livre est politique. » S’il assure qu’il ne s’agit pas pour autant d’un « marchepied pour une élection », Pierre de Villiers concède que la pression du public s’est accrue. « Pour les deux livres précédents, c’était : “Merci pour votre exemple, on a besoin d’une voix comme la vôtre.” Là, les gens disent : “Présentez-vous en 2022, ne nous abandonnez pas !” »

    Dans l’armée, beaucoup estiment toutefois qu’il n’est ni un homme de pouvoir ni un politique. Trop « boy-scout », pas assez florentin. Qu’avant de se faire humilier par Emmanuel Macron, il s’était fait « duper » par Hollande. « C’est un homme loyal et sincère, mais il a une confiance excessive dans la parole donnée », confirme un ancien du cabinet Le Drian à la défense. Didier Le Bret, qui l’a observé pendant les conseils de défense, décrit, à l’inverse, un homme « courageux », capable d’oser « dire la vérité », « le contraire d’un courtisan » mais « certainement pas un perdreau de l’année ».

    « Je suis un serviteur »

    Le général assume « ne pas être un homme de pouvoir », tout en revendiquant une « connaissance parfaite » de l’Etat. Il est vrai que, en dehors d’un commandement de quatre mois, en 2006-2007, pour l’OTAN en Afghanistan et d’un séjour de cinq mois au Kosovo, en 1999, il a passé l’essentiel de sa carrière dans les bureaux, à Paris. Douze ans à l’état-major de l’armée de terre, puis à la direction des affaires financières du ministère, où il a côtoyé plusieurs premiers ministres, « une année avec M. Raffarin, une année avec M. Villepin et presque deux avec M. Fillon », comme chef de son cabinet militaire à Matignon en 2008. « Le pouvoir, je l’ai connu. Je sais réfléchir à autre chose que la poudre à canon ! Mais je suis un serviteur, pas un billard à quatre bandes. »

    Sur le fond, Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon – son nom complet – est un militaire trempé très tôt dans le catholicisme social [sic] . Il croit aux vertus de l’exemple et veut réconcilier la France dans l’amour du prochain. Pour lui, l’armée est un laboratoire et un modèle d’intégration sociale. Si Macron rêve d’une France de start-up, lui la voit plutôt comme un bataillon, où l’on obéit « par amitié ». « La vraie richesse, c’est les autres, plaide-t-il, ce n’est pas un hasard si le chapitre de mon livre le plus important s’appelle comme ça. » Du coup, le général a assez peu goûté la « une » de Charlie Hebdo, le 25 novembre. Sous le titre « Villiers président », le dessinateur Salch le croquait avec « les oreilles du Général », « le képi du Maréchal » et « le programme de la 7e compagnie ».

    Son dernier livre dresse en effet une série de constats de « bon sens » – le mot revient souvent. L’auteur a des campagnes une image charmante, regrette « le bon sens paysan », le temps des lampes à huile et de la marine à la voile. Pour lui, « il y a dans notre société une culture du #travail minimal » ; la #famille « reste, de loin, la valeur sacrée dans la débâcle générale de nos croyances » ; la #patrie est « une notion jugée non comestible dans l’empire du politiquement correct ». Sur la boîte de son casoar, qu’il conserve pieusement, son binôme de Saint-Cyr a inscrit : « Mon âme à Dieu, mon corps à la patrie, mon cœur à la famille. » Il assume sans ciller Renaud Camus et sa peur du #grand_remplacement, sans même y mettre un guillemet.

    Politiquement, le général refuse de se situer, comme souvent à droite. « Moi, je suis différent, dit-il. Je ne me sens pas dans un parti. J’ai servi la gauche et la droite, c’est comme ça. Ma ligne de conduite, ma colonne vertébrale, c’est l’unité. » Tout en admettant être issu d’une famille de droite, il ne comprend pas les clivages politiques : « Pour moi, il n’y a qu’une réconciliation. » Ainsi reste-t-il très ami avec le général Bertrand de la Chesnais, candidat (malheureux) à Carpentras et soutenu par le Rassemblement national. Mais il entretient aussi d’excellentes relations avec François Hollande, Jean-Yves Le Drian ou Jean-Louis Borloo, qui « l’aime bien » et échange avec lui sur l’état du pays. « Il se voit comme quelqu’un qui va essayer de retisser le lien social, analyse l’eurodéputé (LR) Arnaud Danjean. Il est consensuel, très intégrateur. Ceux de droite et d’extrême droite qui seraient exclusivement tentés par son côté “mili” seraient déçus par sa modération. »

    Depuis son départ, l’ancien chef d’état-major des armées est devenu un objet de fantasme. En 2019, des « gilets jaunes » ont voulu voir en lui un recours : l’un des porte-parole du mouvement, Christophe Chalençon, l’aurait bien vu à Matignon. A gauche, Ségolène Royal lui a proposé − en vain − un livre de dialogue entre « un homme de droite et une femme de gauche » attachés à « l’ordre juste ». « J’aime ce que vous incarnez », lui a-t-elle glissé au téléphone.

    Mais c’est sans surprise à droite que ses courtisans sont les plus nombreux. Dans un parti divisé, sans leader, les élus LR sentent bien qu’il répond à un besoin d’autorité puissant dans la société. Arnaud Danjean reçoit des SMS de ses militants sur le thème, « Tu en penses quoi du général de Villiers ? » A Nice, le député (LR) des Alpes-Maritimes Eric Ciotti avoue, lui aussi, qu’on lui parle du général. Il a demandé à le rencontrer, comme de nombreux élus des Républicains, de Geoffroy Didier à Damien Abad en passant par Valérie Pécresse. Quelques mois avant les européennes de 2019, il a été approché par l’ex-numéro deux de LR, Virginie Calmels, qui venait de quitter le parti de Laurent Wauquiez. L’élue de Bordeaux lui a proposé un « ticket » à la tête d’une liste hors parti : à lui le régalien, à elle l’économie. Le général a demandé à réfléchir avant de décliner, invoquant notamment les réticences de son épouse, Sabine, très réservée sur un engagement politique.

    Rivalité fraternelle

    A la droite de la droite, où l’on ne nourrit aucune sympathie pour le général, son succès commence vaguement à inquiéter. Pas tant Marine Le Pen, même si 29 % de ses électeurs ont dit, dans le sondage IFOP, être tentés de voter pour lui. Le très catholique Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate et candidat à la présidentielle, a plus de raisons d’être attentif, mais il est convaincu que le général ne se présentera pas. « Villiers veut seulement participer au débat public », dit-il. Moins amène, le polémiste Eric Zemmour l’a exécuté en dix minutes sur CNews, le 6 octobre : « Il y a une double demande d’autorité et de patriotisme, et en France quand la patrie est en danger, on va chercher un général. Mais j’ai été frappé par le décalage entre l’attente d’un homme à poigne et de Villiers. C’est un homme de paix, une espèce de lieu commun consensuel assez étonnant. Ce n’est pas vraiment un Bonaparte, plutôt un dalaï-lama. »

    Un autre surveille son ascension médiatique : son frère Philippe. L’homme du Puy du Fou ne voit pas d’un très bon œil cette incursion sur son terrain, la politique. Officiellement, il affiche son « affection » pour son cadet et refuse de parler de compétition, quand Pierre vend trois fois plus de livres que lui. « Mon frère a une expérience personnelle riche et il voit le pays qui se délite, au bord de l’abîme, indique Philippe de Villiers. Finalement, on fait le même constat, lui et moi. »

    Dans la fratrie, quatre frères et une sœur décédée, la relation entre Philippe, 71 ans, et Pierre, 64 ans et père de six enfants, a toujours été complexe. Flamboyant, séducteur et bretteur, le premier a longtemps été une ombre encombrante pour le second. Même si cela n’a pas gêné sa carrière militaire, il a souffert d’être constamment associé à cet aîné aux idées si tranchées. « On me regarde de travers car je suis le frère de Philippe de Villiers ? Mais j’ai le droit d’exister, d’être moi-même ! », s’agace-t-il encore. Politiquement, tous deux partagent la même éducation, traditionnelle et catholique – « à la paysanne », résume Philippe –, un conservatisme certain et la passion du football. Mais Pierre, qui a préféré travailler avec Hollande qu’avec Sarkozy, est « plus tolérant, plus ouvert », juge l’un de ses amis. Avec un brin de perversité, Emmanuel Macron n’a rien arrangé en cajolant ostensiblement Philippe, alors qu’il avait humilié Pierre.

    A l’Elysée, où l’on redoute l’émergence d’un candidat « hors système » prêt à venir troubler le jeu présidentiel, le phénomène Villiers est suivi de près. « Ça fout la trouille », confiait un conseiller de Macron avant l’été, alors que les crises sanitaire et sécuritaire alimentent la défiance envers le pouvoir. Un stratège de l’exécutif croit d’ailleurs savoir que le général « se prépare ».

    De fait, la rumeur agite le microcosme, sans que rien ne vienne, à ce stade, l’étayer. L’intéressé, qui cloisonne avec une redoutable efficacité, jure qu’il ne rassemble pas une équipe, et concède seulement recevoir des « offres de services ». Une poignée de jeunes gens brillants et bien nés, orphelins de candidat, se plaisent en effet à lui délivrer quelques conseils. L’avocat et chroniqueur Charles Consigny, séduit par son côté gaullien, lui a fait passer une note. Il l’avait interrogé sur le plateau de l’émission télévisée de Laurent Ruquier, « On n’est pas couché », en novembre 2018. « Villiers avait même retourné Christine Angot ! », se souvient le chroniqueur.

    En société unipersonnelle

    Le général en est le premier surpris. Au lendemain de sa démission, il se demandait bien ce qu’il allait faire de sa vie. « Je n’ai jamais été seul, convient-il. C’était la première fois. » Il déménage de son bel appartement de fonction, aux Invalides, et cherche des revenus. Comme chef d’état-major des armées, il gagnait 10 000 euros net – de l’argent de poche pour un militaire nourri, logé, véhiculé –, mais il n’en touche, à la retraite, que la moitié. Il a heureusement quelques précieux contacts, dont Augustin de Romanet, le PDG du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), rencontré au cabinet de Jean-Pierre Raffarin, qui lui donne des conseils pour se reconvertir.

    Dès le 3 août 2017, le général fonde la société unipersonnelle « Pierre de Villiers », chez lui, dans sa ferme vendéenne, avec un capital de 1 000 euros, un objet social très large de conseil en stratégie, et s’attelle à l’écriture de Servir. Une quinzaine d’éditeurs l’avaient appelé après sa démission. Il choisit Fayard. Et réécrit un peu l’histoire. « Ça s’est passé par hasard, au sens où Sophie de Closets [la directrice de Fayard], la plus futée, m’a dit : “Je publierai le livre que vous voulez écrire.” Moi, je n’aime pas qu’on m’impose des choses. » En réalité, c’est Philippe de Villiers qui a négocié l’arrivée de son petit frère, en expliquant franchement qu’il avait besoin d’argent. D’où un premier à-valoir, quasi historique en France, de 400 000 euros.

    Chez Fayard, Villiers est édité par Nicolas Diat, un personnage, une sorte de Mazarin de l’édition. Ex-conseiller spécial de Laurent Wauquiez, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il a fait glisser son talent et son influence dans le monde de l’édition. C’est notamment lui qui a réussi à débaucher d’Albin Michel, en 2019, Philippe de Villiers, auteur prolifique de quelque 29 livres. Nicolas Diat est un homme discret, fin connaisseur de la droite catholique : il a ses entrées au Vatican, écrit de pieux ouvrages et a publié notamment celui du très conservateur et polémique cardinal Robert Sarah.

    Quand Servir sort, en novembre 2017, « j’avais eu zéro client, zéro contact », poursuit le général. Grâce au succès du livre, il entre en relation avec l’Association progrès du management et passe quelques demi-journées avec de petits entrepreneurs. « Vous faites une intervention sur un thème, ils vous posent des questions, c’est très sympa », se félicite Villiers. C’est alors que François Dalens, le patron de la branche française du Boston Consulting Group (BCG), le sollicite. Le BCG est l’un des trois leaders mondiaux du conseil en stratégie ; son bureau parisien conseille 60 % des entreprises du CAC 40. « Je voyais bien la richesse qu’il y avait à croiser les approches entre pensées militaire et civile, témoigne M. Dalens. Il m’a dit qu’il ne connaissait rien au monde de l’entreprise, je lui ai répondu que les problèmes des chefs sont souvent les mêmes. »

    Le général, devenu « senior advisor » du BCG, passe devant une commission de déontologie et prend l’engagement de ne toucher en rien au secteur de la défense. Il intervient un jour par semaine ou par mois, à son gré, auprès des clients du BCG ou en interne. Mais la nouvelle passe mal chez les militaires : le général de Villiers, apôtre de la souveraineté nationale, s’est vendu aux Américains ! Pas du tout, assure François Dalens, le bureau de Paris appartient à ses 70 directeurs français, qui travaillent avec des entreprises françaises, de Danone à L’Oréal.

    Le général a aussi confié ses intérêts à la communicante Claudine Pons, directrice à poigne de l’agence Les Rois mages et proche du criminologue et consultant en sécurité Alain Bauer. Elle organise ses conférences, lui prépare des « media trainings », qu’elle mène aux côtés de l’indispensable Nicolas Diat, et gère son agenda. En trois ans, Villiers a donné près de 110 conférences, dont 55 à titre gracieux, aux associations, aux grandes écoles, et 35 payantes, à de grandes entreprises – sans compter ses cours à Sciences Po. « Je suis complètement débordé, déclare-t-il, en souriant, je croule sous les propositions ! Les Rois mages m’aident, ils font office de cabinet. »

    « Formidable marketing »

    Le général en convient : « J’ai une vie qui est beaucoup plus confortable que celle que j’avais quand j’étais dans l’armée. Mais je n’ai pas envie du tout de faire fortune. Moi, je mène une vie normale, je prends le métro. L’argent est un mauvais maître. » Pierre de Villiers dit être resté simple, mais facture ses conférences 5 000 euros ; c’est aussi ce qu’il gagne au BCG par demi-journée. Il a obtenu de Fayard 150 000 euros d’à-valoir pour son second livre, 250 000 pour le troisième. Depuis octobre 2019, il est également administrateur du groupe Adeo (Leroy Merlin). « Mais je fais des dons importants, c’est aussi une façon de redistribuer ce que l’armée me donne, parce qu’une partie de mon succès est due à l’institution que je porte. » Il est effectivement membre de l’Association pour le développement des œuvres d’entraide dans l’armée (ADO) et lui verse, depuis ses succès éditoriaux, des dons « très significatifs ». « Je passe le voir tous les ans à la fin de l’année, rigole le général Robert Hérubel, délégué général de l’ADO, en lui souhaitant de faire un nouveau livre l’an prochain. »

    Le général mène ainsi gaillardement sa petite entreprise, entre Nicolas Diat et Claudine Pons, qui ne sont pas toujours d’accord. Le premier veut vendre des livres, et c’est plutôt réussi, mais, comme le confie un proche du général, « il est démangé par la politique et se veut un peu conseiller de l’ombre. D’ailleurs, il n’est pas mauvais. Il est drôle, intelligent, flatteur… » C’est Diat qui a trouvé le titre de L’équilibre est un courage, une citation obscure d’Albert Camus, et fait ajouter le bandeau « Réparer la France », qui colore sensiblement la démarche. Claudine Pons, pour sa part, préférait Halte au feu !, le titre du premier chapitre et le mot de la fin. D’après elle, « plus ils vont le tirer vers la politique, moins il va vendre de livres. C’est un mauvais calcul ». Chez les militaires, pareille réussite éditoriale stupéfie. « Il n’y a rien dans ses livres qui justifie des tirages comme ça, s’étonne un haut gradé. Formidable marketing de Fayard, qui active le vieux mythe français de l’homme providentiel. »

    Pierre de Villiers joue le jeu. Il sait à merveille répondre à côté, a bien compris qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment et pratique avec brio l’art de la digression. Mais il s’agace des pressions et reste soucieux de sa liberté, comme s’il redoutait que le phénomène lui échappe. « Personne ne me dictera quoi que ce soit, se cabre-t-il. On veut me fabriquer un personnage, je suis comme je suis. J’ai 64 ans, l’essentiel de ma vie est derrière moi, qu’on me foute la paix. » Mi-novembre, il a annulé « Le Grand Rendez-vous politique », d’Europe 1, au grand dam de son éditeur, et s’est réfugié dix jours en Vendée, pour souffler, aux côtés de son épouse, qui « l’empêche de prendre la grosse tête », selon les intimes du couple.

    Un signe de plus pour ceux qui doutent que le général, qui « déteste les diviseurs », soit prêt à descendre dans l’arène, en renonçant à sa popularité et à sa position en surplomb. En privé, Pierre de Villiers ne tait pas ses critiques envers Emmanuel Macron, ni ses inquiétudes pour le pays, mais se dévoile le moins possible. « Tout cela se jouera très tard », glisse-t-il. Mais le député LR Julien Aubert, qui l’a invité à prendre un café à l’Assemblée, a senti un homme peu à l’aise avec les codes politiques et n’aimant ni le conflit ni la compétition. « La politique a trop fait souffrir ma famille », répète le général. Il a d’ailleurs décliné l’invitation du député à venir débattre lors de l’université d’été de LR. « Je pense que c’est le genre de type qui se dit : “Si c’est la guerre civile, si le pays s’écroule, je suis là”, résume Aubert. Au fond, Villiers, c’est davantage Cincinnatus que Jules César : “J’ai le glaive mais je ne marcherai sur Rome que si Rome est menacée.” » Lui assure, agacé, qu’il « n’est pas le général Boulanger », le ministre de la guerre de 1886 qui, porté par l’émotion populaire, avait ébranlé la IIIe République – avant de se suicider.

    Son frère Bertrand, le propriétaire de la radio vendéenne Alouette FM, n’a aucun doute. « Son engagement est celui d’un citoyen, il n’a pas du tout l’intention d’entrer en politique, ce n’est pas sa nature profonde, et je le connais depuis soixante-quatre ans », sourit le troisième enfant de la fratrie. « Comme Philippe », Bertrand se dit surpris par « l’emballement » autour de Pierre, certes « quelqu’un de bien, d’intègre, et les gens le sentent ». Mais il y voit le signe d’un vide politique, d’un désarroi. Lui qui a préparé deux élections présidentielles pour son frère Philippe, en 1995 et 2007, sait les difficultés de l’entreprise. « Les sondages, c’est de l’écume, conclut-il. Le général de Villiers, c’est combien de divisions ? Rechercher un homme providentiel, c’est dans l’air du temps. De là à confier à Pierre les pleins pouvoirs… Ce n’est pas dans la tradition familiale. Nous, on est plutôt dans la résistance. »

    #encasdeguerrecivile #édition

  • Commission d’enquête Covid-19 : les députés pointent les défaillances au sommet de l’Etat
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/02/commission-d-enquete-covid-19-les-deputes-pointent-les-defaillances-au-somme

    La commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale a adopté son rapport, mercredi. Selon les informations du « Monde », les députés soulignent une série de manquements des pouvoirs publics en amont de la crise sanitaire et pendant.

    #in_retrospect

  • La discrimination par l’accent bientôt réprimée ? Une proposition de loi adoptée jeudi à l’Assemblée
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/26/une-proposition-de-loi-veut-lutter-contre-les-discriminations-fondees-sur-l-

    L’Assemblée nationale a largement adopté, jeudi 26 novembre, une proposition de loi réprimant les discriminations fondées sur l’accent, avec le soutien du gouvernement. Le texte, adopté en première lecture par 98 voix contre 3, vise à inscrire l’accent comme une des causes de discriminations réprimées par la loi, au même titre que la race, le sexe ou le handicap. La peine prévue pour ces discriminations s’élève à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

    Donc je référence fissa avant que ce soit interdit :
    https://www.youtube.com/watch?v=vpw3HBv1X5g

    • En france, pendant ce temps là, les hommes peuvent toujours violer des fillettes de 10 ans sans que ce soit qualifié de viol ou de crime.

      cassssetêxte

  • Loi sur la « sécurité globale » : pour les députés LRM, la réécriture de l’article 24 est « une humiliation »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/27/pour-les-deputes-lrm-la-commission-annoncee-par-darmanin-est-une-trahison-de

    Les députés de la majorité, qui ont voté à contrecœur cet article qui punit la diffusion malveillante d’images de policiers, considèrent la nomination d’une commission comme un court-circuitage.

    Déflagration dans la majorité. Deux jours à peine après le vote de la proposition de loi sécurité globale et de son décrié article 24 punissant la diffusion d’images de policiers dans une intention malveillante, le premier ministre, Jean Castex, a annoncé, jeudi 26 novembre, le lancement d’une commission indépendante chargée de réécrire l’article incriminé.

    Présidée par Jean-Marie Burguburu, président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ce comité de magistrats et autres « personnalités qualifiées », rendra ses travaux d’ici fin décembre, afin qu’ils soient intégrés à la discussion du texte au Sénat.

    Pour les députés qui ont voté cet article à contrecœur ou ont tenté, en vain, de l’amender, la pilule est amère. La colère gronde contre un comité vu comme un court-circuitage éhonté du Parlement. Si dans une lettre à ses troupes, Christophe Castaner dit sobrement avoir « fait part au premier ministre de [son] étonnement », dans la boucle Telegram interne des députés que Le Monde a pu consulter, on s’indigne.

    « L’insulte faite au Parlement et à la majorité est dévastatrice », s’exclame la présidente de la commission des Lois, Yaël Braun-Pivet (Yvelines). « C’est une humiliation », abonde Naïma Moutchou (Val-d’Oise), sa vice-présidente. « Nous ne sommes pas des paillassons sur lesquels on s’essuie », lance Aurore Bergé (Yvelines), tandis que le député Guillaume Kasbarian (Eure-et-Loir) s’étonne : « J’ai dû manquer une étape, on a changé le processus normal de construction de la loi ? » et qu’une autre élue encore se dit « en colère d’être traités comme une vulgaire serpillière ».

    • Pour rappel, la CNCDH a déjà donné son avis sur cet article 24 (et d’autres, mais qui n’ont pas l’air de faire l’objet de la commission) :
      https://seenthis.net/messages/888449

      « Il n’est pas possible qu’en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une telle proposition de loi soit adoptée tant elle est attentatoire aux droits et libertés et contraire à notre modèle de société. »

      […]

      Cet article « porterait une atteinte à l’exercice du droit à l’information et constituerait une entrave aux droits des victimes éventuelles, (…) par la menace d’intervention et de saisie de matériel et de poursuites qu’elle fait peser, tant sur les journalistes que sur les citoyens », selon la CNCDH.

    • Et c’est comme si seul l’article 24 posait problème mais c’est toute la loi qui est à jeter. Je me souviens pas comment s’appelle cette technique qui consiste à mettre des articles abusivement flippant en sachant bien qu’ils seront recalés mais qui servent à dissimulé d’autres parties de la loi qui posent problème mais passent faute de visibilité.

    • @mad_meg la porte dans le nez ?
      Sinon pour les larmes de crocodiles des députés à qui ont retire le travail législatif, un petit rappel :
      sur la XV législature il y a eu 160 projets de loi adoptés contre seulement 56 propositions de loi. Cela fait longtemps que les députés et les sénateurs ont un rôle mineur dans l’écriture de la loi.
      Sans compter les nombreuses propositions qui sont en fait pilotées par le gouvernement.

    • ce qui était le cas ici, ce qui permettait d’éviter l’avis du Conseil d’État, obligatoire pour les projets de loi.

      Tout le monde sait depuis le début que le texte est problématique, le Conseil d’État l’aurait évidemment souligné en pointant les différents points litigieux. Le gouvernement a cru jouer au plus fin en refourguant la patate à de fidèles Playmobils, puis s’est engagé à en soumettre un bout (et un seul, le fameux art. 24) au Conseil constitutionnel, avant de faire marche arrière devant la bronca et de sortir de derrière les fagots cette improbable commission totalement extra-constitutionnelle.

      En bousculant procédures, délais et accessoirement libertés fondamentales avec du n’importe quoi et des coups de menton, on en arrive même à braquer ses propres Playmobils contre soi.

      Mais quelle bande de branquignols !

    • L’article 24 de la loi sur la « sécurité globale » ouvre une crise politique
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/27/l-article-24-de-la-loi-sur-la-securite-globale-ouvre-une-crise-politique_606


      Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, s’est entretenu avec le premier ministre pour lui faire part de sa « grande émotion », partagée par les députés.
      STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

      Rétropédalage. Finalement, la commission indépendante voulue par le premier ministre, Jean Castex, ne sera pas chargée de réécrire l’article 24 de la proposition de loi sur la « sécurité globale » qui encadre la diffusion d’images de policiers, a annoncé Matignon à l’Agence France-Presse (AFP), vendredi 27 novembre.

      La « réécriture d’une disposition législative (…) ne saurait relever que du Parlement », a insisté Matignon. La commission, dont le résultat des travaux est attendu pour le 15 janvier 2021 « au plus tard », « pourra formuler des propositions de nature juridique, procédurale, ou relevant des champs de la formation, de l’éducation ou tout autre domaine qui lui apparaîtrait pertinent, s’agissant notamment des conditions de travail et d’intervention de la presse et des forces de l’ordre ». Elle sera chapeautée par le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marc Burguburu.

      Comment déjà ? ah oui ! #branquignols

  • La Commission nationale des droits de l’homme dénonce la dérive sécuritaire de la loi « sécurité globale »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/26/loi-securite-globale-la-commission-nationale-consultative-des-droits-de-l-ho

    L’institution, dont les avis ne sont pas contraignants, redit son inquiétude sur l’article 24 de la proposition de loi qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale mardi.

    C’est un texte qui ne passe pas. La proposition de loi sur la « sécurité globale » marque « une nouvelle étape de la dérive sécuritaire en France » et porte « atteinte à de nombreux droits fondamentaux », dénonce la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans un avis adopté jeudi. Dans un communiqué, Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH, s’alarme :

    « Il n’est pas possible qu’en France, pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une telle proposition de loi soit adoptée tant elle est attentatoire aux droits et libertés et contraire à notre modèle de société. »

    https://twitter.com/i/web/status/1331969808951336965
    📜| La #CNCDH adopte à l’unanimité l’avis sur la PPL relative à la sécurité globale #PPLSecuriteGlobale
    — CNCDH (@CNC Droits homme)

    L’institution, fondée en 1947, dont les avis ne sont pas contraignants, redit son inquiétude sur l’article 24 de la proposition de loi qui a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale mardi, avant son examen au Sénat.

    Le texte réprime d’un an de prison et 45 000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ».

    Cet article « porterait une atteinte à l’exercice du droit à l’information et constituerait une entrave aux droits des victimes éventuelles, (…) par la menace d’intervention et de saisie de matériel et de poursuites qu’elle fait peser, tant sur les journalistes que sur les citoyens », selon la CNCDH.

    L’institution s’inquiète également de « la rédaction vague des motifs admis pour recourir à des drones munis de caméra » et des « risques d’utilisation des drones à des fins d’intimidation ou de dissuasion ». « L’usage de tels drones, dans un contexte plus général de dégradation des relations police-citoyens, ne ferait qu’accroître la méfiance et la défiance de la population envers la police », estime la CNCDH. Par ailleurs, la Commission alerte sur un « télescopage inquiétant entre police nationale, police municipale et agents de sécurité privée ».

  • L’enquête pour viol concernant Christophe Girard, ex-adjoint à la culture à la Mairie de Paris, classée sans suite

    Les faits reprochés à l’ancien adjoint à la culture d’Anne Hidalgo et Bertrand Delanoë ont été considérés comme prescrits par la justice.

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/25/a-paris-l-enquete-pour-viol-concernant-christophe-girard-classee-sans-suite_


    Christophe Girard va-t-il faire son retour à la Mairie de Paris ? Accusé de viol, cet homme-clé de la politique et de la culture dans la capitale s’était « mis en retrait » du conseil municipal, le 18 août, au grand soulagement d’une partie de la majorité à laquelle il appartient. Trois mois plus tard, l’ex-adjoint à la culture de Bertrand Delanoë, puis d’Anne Hidalgo, peut se considérer comme blanchi, ou presque, dans cette affaire.

    La justice a en effet classé sans suite l’enquête préliminaire pour « viol par personne ayant autorité » qui avait été ouverte à l’époque, ont annoncé mercredi 25 novembre le parquet de Paris et l’avocate de Christophe Girard, Me Delphine Meillet, confirmant une information de Franceinfo. Les faits reprochés à l’ancien adjoint, qui remontaient aux années 1990, ont été considérés comme prescrits. « Si les faits dénoncés ou révélés dans la procédure engagée sont susceptibles de constituer une infraction, la prescription de celle-ci est acquise », indique l’avis de classement, daté du 23 novembre.

    « J’ai appris ces derniers mois la patience, et découvert la haine, commente aujourd’hui M. Girard. Mais j’ai confiance en la justice de mon pays. Ma probité est connue. »

    L’affaire avait éclaté le 16 août, dans le New York Times. Christophe Girard se trouve alors depuis des semaines au cœur d’une polémique sur l’appui qu’il a pu apporter au fil des ans à l’écrivain soupçonné d’actes pédocriminels Gabriel Matzneff.
    Article réservé à nos abonnés Lire aussi Christophe Girard, la chute d’un homme d’influence à la Mairie de Paris

    Violemment critiqué par les féministes, l’élu de 64 ans a dû lâcher un mois plus tôt sa casquette d’adjoint à la culture, pour redevenir simple membre du conseil municipal. Mais ces attaques ne sont rien à côté du coup de tonnerre du New York Times. Aniss Hmaïd y accuse Christophe Girard d’avoir abusé de lui quand il avait 16 ans, en 1990, et de l’avoir contraint à des rapports sexuels une vingtaine de fois au cours des années suivantes. En échange, affirme Aniss Hmaïd, Christophe Girard l’employait parfois comme domestique dans sa résidence d’été du sud de la France et lui obtenait des emplois temporaires chez Yves Saint Laurent, la maison de couture dont il était l’un des dirigeants.
    suite sous #paywall
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    "Pour les viols ayant été commis sur des mineurs, le délai de prescription est de 30 ans à partir de la majorité de l’enfant."
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Viol_en_France
    Si la victime avais 16 ans en 1990 il lui reste en fait 2 ans avant la prescription alors pourquoi la justice ne respecte pas la loi ?

    #viol #justice #prescription