• « La difficulté de se faire entendre est absolue » : l’hôpital public, laboratoire de nouvelles formes de protestation
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/22/la-difficulte-de-se-faire-entendre-est-absolue-l-hopital-public-laboratoire-

    Les soignants tentent de maintenir l’attention sur leur long mouvement social, pour exister face à celui contre les retraites. [dans l’article il est écrit tout autre chose : "creusant leur propre sillon en marge du mouvement contre la réforme des retraites.", ndc]

    Arrêts de travail simultanés, « grève du codage », démissions administratives coordonnées… Faute de pouvoir interrompre la prise en charge de leurs patients, les soignants en lutte multiplient depuis plusieurs mois les actions médiatiques originales, faisant de l’hôpital public un laboratoire des nouvelles formes de protestation, et creusant leur propre sillon en marge du mouvement contre la réforme des retraites.
    « La difficulté de se faire entendre est absolue, il faut être imaginatif, explique le docteur Anne Gervais, l’une des représentantes du Collectif inter-hôpitaux, le groupe de médecins qui vient d’orchestrer la démission de près de 1 200 chefs de service de leurs fonctions d’encadrement. Avec nos faibles forces, on a eu une percée médiatique qui n’est pas mal. »

    L’opération, qui a obtenu un large écho dans les médias, sera de nouveau mise en scène le 27 janvier, lorsque les lettres de démission seront adressées aux directions des établissements. Quelques jours plus tard, le 2 février, médecins et personnels paramédicaux seront invités à réaliser des chaînes humaines autour de leurs hôpitaux.
    Le 14 février, jour de la Saint-Valentin, sera l’occasion d’une « déclaration d’amour à l’hôpital », avec la tenue de la troisième manifestation parisienne depuis septembre. Celle-ci devrait être couplée avec un concert, à même de susciter l’intérêt des chaînes de télévision. Les jets de blouses blanches au sol, notamment lors de cérémonies de vœux, devraient quant à eux se poursuivre.

    « Tous les codes sont brisés »
    En plein conflit sur la réforme des retraites, il s’agit pour les organisateurs du mouvement de ne pas disparaître. « Cela fait dix mois qu’on a commencé et rien n’a bougé. Comment faire avec un gouvernement qui ne discute pas et qui n’a aucune culture du compromis ? », demande, dépité, Hugo Huon, le président du Collectif inter-urgences. Ces derniers mois, le groupe – qui représente quelque 260 services d’urgences en grève – a multiplié les « coups », quitte parfois à dérouter ses partenaires syndicaux.

    Le 3 juin 2019, plusieurs soignants de l’équipe de nuit des urgences de l’hôpital parisien Lariboisière se sont retrouvés simultanément en arrêt de travail, relançant l’intérêt pour un mouvement menacé d’enlisement. « Alors que les syndicats sont restés sur des modes de gestion des conflits très anciens, l’approche du collectif est nouvelle. Avec eux, tous les codes sont brisés », commente, enthousiaste, Patrick Pelloux, le président de l’Association des médecins urgentistes de France.
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    Certaines actions n’ont cependant pas fait l’unanimité. Lorsque le 2 juillet 2019, sous les fenêtres du ministère de la santé, à l’issue d’une manifestation, plusieurs soignants disent s’injecter de l’insuline (de l’eau en réalité), une substance qui peut faire baisser drastiquement le taux de sucre dans le sang et être mortelle à forte dose, des responsables syndicaux, CGT notamment, crient à « l’irresponsabilité ».
    « On n’avait pas contrôlé la communication, personne n’a su comment réagir, regrette aujourd’hui Hugo Huon, tout en relativisant l’échec de l’épisode. Il y a des gens qui récupèrent nos actions, ça veut dire que certaines ont bien marché. »

    « On va faire du bashing »
    Certaines actions locales reçoivent une audience inespérée. A Valence, au tout début du mouvement, les infirmières des urgences ont par exemple tourné un clip musical (« Y’a colère dans le cathéter ») pour dénoncer les suppressions de postes et le manque de moyens. La vidéo, devenue l’hymne des manifestations des hospitaliers, affiche aujourd’hui près de 16 millions de vues sur YouTube. « Je ne suis pas sûr que ça ait changé grand-chose, reconnaît cependant Virginie Turrel, une infirmière du service. On a fait TF1, France 2, M6 mais le directeur ne nous a pas rencontré pour autant. Il n’a vu que les médecins. » Le service est aujourd’hui toujours en grève.

    Pour peser sans arrêter de soigner, les médecins de plusieurs hôpitaux ont choisi à l’automne de ne plus transmettre les informations permettant à leur établissement de facturer à l’Assurance-maladie les actes réalisés. Une rétention du codage qui a fait débat au sein du corps médical et qui suscite le mécontentement des directions.
    Dans une lettre adressée le 20 décembre 2019 aux directeurs des départements médico-universitaires de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch, le directeur général du groupe, a évalué l’impact de cette action « entre 285 et 300 millions d’euros » à la mi-décembre, pour les trois mois précédents.

    Pour se faire entendre, les organisateurs du mouvement ont aujourd’hui dans le viseur la campagne pour les élections municipales. « L’hôpital va être le sujet important des municipales », prédit Patrick Pelloux. « On va attaquer fort, on va faire du bashing », promet Hugo Huon, qui annonce également la sortie le 12 février d’un livre de témoignages sur les conditions de travail à l’hôpital.

    #grève_du_codage #santé #hôpital