« l’inexcusable erreur » de l’agence française CFI

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  • Journaliste emprisonné au Bénin : « l’inexcusable erreur » de l’agence française CFI
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    Le journaliste béninois Ignace Sossou.
    Facebook

    Au Bénin, trois tweets peuvent conduire en prison. C’est ce qui est arrivé au journaliste d’investigation Ignace Sossou, condamné à dix-huit mois ferme après avoir été discrédité par Canal France international (CFI), une agence de développement des médias financée en grande partie par le Quai d’Orsay. « Cette histoire est folle, tant par la démarche insensée de CFI que par la détention arbitraire de ce journaliste qu’elle a provoquée », considère William Bourdon, l’un des avocats de M. Sossou avec Elise Le Gall et Henri Thulliez. Ensemble, ils demandent sa libération, à l’unisson d’une longue liste d’organisations de défense des médias, de Reporters sans frontières (RSF) à Amnesty International en passant par Internet sans frontières.
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    Les faits se sont déroulés peu avant les fêtes de Noël. Le matin du 19 décembre, Ignace Sossou, journaliste à Bénin Web TV et collaborateur de plusieurs collectifs comme le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et le Réseau 3i (Initiative, Impact, Investigation), est interpellé à son domicile par des agents de l’Office central de répression de la cybercriminalité, puis placé en garde à vue. Le 24 décembre, il est condamné à dix-huit mois de prison ferme et 200 000 francs CFA (305 euros) pour trois tweets et des posts sur Facebook, considérés par la justice béninoise comme du « harcèlement par le biais de moyens de communications électroniques ».
    « Une arme braquée sur la tempe »
    Le 18 décembre, le journaliste avait posté sur Facebook et Twitter des propos attribués au procureur de la République, Mario Metonou (auteur de la plainte), lors de son intervention au sein d’une conférence organisée à Cotonou par CFI pour débattre des « fake news ». Ces trois messages, aujourd’hui effacés, critiquaient l’attitude du pouvoir béninois vis-à-vis de la liberté d’expression. Selon un document que s’est procuré Le Monde Afrique, les propos du procureur rapportés par Ignace Sossou sur Internet sont les suivants : « La législation béninoise telle qu’elle est n’offre pas une sécurité judiciaire aux justiciables », « La coupure d’Internet le jour du scrutin du 28 avril est un aveu de faiblesse des gouvernants » et « Le Code du numérique, c’est comme une arme qui est braquée sur la tempe de chaque journaliste ».
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    Le jour de l’arrestation d’Ignace Sossou, CFI adresse une lettre au ministre béninois de la justice, dans laquelle elle prend ses distances avec le journaliste. « Nous sommes désolés qu’un journaliste peu scrupuleux ait profité de ce moment privilégié pour tenter de faire un buzz aux dépens de M. le Procureur », s’excuse ce courrier, signé du directeur Afrique de CFI, assurant que « ces phrases tronquées et sorties de leur contexte ne reflétaient pas la teneur des échanges tenus lors des débats ».

    Le 2 janvier, CFI a publié un autre communiqué reprenant cette fois les propos tenus par le procureur, tout en continuant de reprocher à Ignace Sossou d’avoir été « incomplet » dans ses écrits. RSF s’est appuyé sur ce document pour attester de la véracité des phrases prononcées par Mario Metonou lors de l’atelier de formation initié dans le cadre du lancement du projet Vérifox Afrique, dont l’objectif est de « répondre aux besoins des médias africains pour lutter contre la prolifération des fausses informations ». Selon RSF, les propos retranscrits par le journaliste permettent d’établir « mot pour mot, à quelques exceptions près, les expressions utilisées par le procureur ».
    Le président accusé de virage autoritaire
    C’est finalement le 8 janvier, face au tollé provoqué par la détention du journaliste, que CFI a présenté ses excuses à Ignace Sossou et s’est indignée d’avoir été instrumentalisée dans cette affaire. L’agence a ensuite demandé « la libération de M. Sossou dans les plus brefs délais » et s’est séparée des deux collaborateurs auteurs de la lettre au ministre de la justice « à l’origine de cette inexcusable erreur » contre Ignace Sossou, qui avait déjà été condamné à un mois de prison avec sursis en août 2019 pour « publication de fausses nouvelles » après avoir révélé une affaire d’évasion fiscale visant des hommes d’affaires béninois et français via des comptes offshore.
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    Elu en avril 2016, le président Patrice Talon est accusé d’avoir opéré un virage autoritaire dans ce pays habituellement salué pour sa démocratie et autrefois surnommé le « quartier latin d’Afrique de l’Ouest ». « Depuis son accession au pouvoir, les activités de l’opposition sont très peu couvertes par la télévision d’Etat et les médias sont sous étroite surveillance, écrit RSF dans son rapport. Des “notes de cadrage” définissant des angles de traitement relevant très largement de la communication pro-gouvernementale sont envoyées aux rédactions après certains conseils des ministres. »