Emma Goldman - Wikiwand

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  • A propos d’#Emma_Goldman dont je suis en train de lire l’autobiographie (une œuvre juste énorme sur une vie de militantisme) :

    https://www.wikiwand.com/fr/Emma_Goldman

    Suite à l’article de @bastamag sur la répartition des richesses, :

    https://www.bastamag.net/milliardaires-medias-democratie-europe-fortunes-davos

    j’avais eu l’idée de publier ici un extrait du chapitre "Une leçon d’économie politique".

    Contexte :
    Peu après son arrivée aux États-Unis, Emma Goldman qui n’a que 16 ans, est embauchée dans une usine de Rochester, chez Garson & Meyer. Elle y coud de lourds manteaux pendant dix heures et demi par jour pour 2,50 dollars par semaine. Les conditions matérielles sont meilleures qu’en Russie où Emma avait déjà travaillé à la confection de gants et on la persuade qu’elle travaille maintenant dans une usine modèle. Mais le travail est plus dur, les journées sont épuisantes et il règne dans ces ateliers une discipline de fer.
    Dix-huit ans ont passé depuis cette première expérience de la vie en usine aux États-Unis. Pendant toutes ses jeunes années dans son pays d’adoption, Emma Goldman a connu toutes les vicissitudes d’une vie militante entièrement dévouée aux luttes de la classe ouvrière en portant les idéaux de la cause anarchiste. De retour à New York en 1903, Emma Goldman est sollicitée pour organiser des meetings de soutien à John Turner, anarcho-syndicaliste britannique, fondateur et secrétaire général du « Shop Assistants’ Union (syndicat du personnel de vente des magasins). John Turner eut le triste privilège d’être la première personne frappée d’interdiction par une loi fédérale anti-anarchiste adoptée par le Congrès le 3 mars 1903.

    La Free Speech League m’avait demandé de visiter un certain nombre de ville pour défendre le combat en faveur de John Turner. J’avais reçu par ailleurs deux autres invitations, l’une des ouvriers de la confection à Rochester et l’autre des mineurs en Pennsylvanie. Les tailleurs de Rochester étaient en conflit avec les usines de confection, dont celle de Garson & Meyer. L’invitation à venir parler aux esclaves salariés de l’homme qui avait autrefois exploité mon travail pour 2,5 dollars la semaine me paraissaient étrangement significative. Je me réjouis aussi de profiter de profiter de l’occasion pour revoir ma famille.

    Emma Goldman séjourne donc chez sa demi-sœur Helena. Alors qu’une réunion familiale vient de prendre fin après le départ des invités, Emma et Helena poursuivent la conversation jusqu’à l’aube.

    À peine endormie, je fus réveillée par un coursier m’apportant un pli. Dans un demi-sommeil, je jetai d’abord un coup d’œil à la fin de la lettre et, à ma grande surprise, je vis qu’elle était signée « Garson ». Je la lus plusieurs fois pour m’assurer que je ne rêvais pas. Il exprimait sa fierté qu’une fille de sa race et originaire de sa ville soit parvenue à atteindre une renommée nationale ; il se félicitait de ma présence à Rochester et aurait été honoré de m’accueillir sans tarder à son bureau.
    Je tendis la lettre à Helena. « Lis-la, lui dis-je, et tu verras combien ta petite sœur est devenue importante. » Après l’avoir parcourue, elle me demanda : « Alors que vas-tu faire ? » J’écrivis au verso de la lettre : « M. Garson, quand j’ai eu besoin de vous, je suis venue vous voir. » De nature anxieuse, ma sœur s’inquiétait de la suite. Que voulait-il et qu’allais-je dire ou faire ? Je l’assurai que ce n’était pas difficile de deviner ce que voulait M. Garson, mais que j’avais néanmoins l’intention de l’obliger à me le dire en personne et devant elle. Je le recevrais dans son agence et me conduirais avec lui « comme il convient à une dame ».
    L’après-midi même, M. Garson arriva dans sa calèche. Je n’avais pas vu mon ancien employeur depuis dix-huit ans et, pendant tout ce temps, je n’avais guère pensé à lui. Quand il entra, pourtant, chaque image de chaque horrible mois passé dans son usine défila devant mes yeux aussi nettement que si c’était arrivé la veille. Je revis l’atelier et son bureau luxueux, le bouquet d’American Beauties sur la table, la fumée blanche de son cigare s’élevant en de superbes volutes et, moi, debout et tremblante qui attendait que M. Garson daignât remarquer ma présence. Toute la scène me revint à l’esprit et je l’entendis encore m’apostropher rudement : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? »En contemplant ce vieil homme qui se tenait devant moi, son chapeau de soie à la main, je me rappelai jusqu’au moindre détail. L’émotion me gagna en pensant à l’injustice et à l’humiliation que subissaient ses ouvriers, au surmenage et à l’épuisement de leur existence. J’eus le plus grand mal à réfréner mon envie de lui montrer la porte. Je n’aurais pu proposer à M. Garson de s’asseoir même si ma vie en eût dépendu. Ce fut Helena qui lui offrit une chaise – faisant ainsi bien plus que ce qu’il avait fait pour moi dix-huit ans plus tôt.
    Il s’assit et me regarda, s’attendant apparemment à ce que je parle en premier. « Et bien, que puis-je pour vous ? » finis-je par lui demander. Ces mots durent lui rappeler quelque chose et parurent le dérouter. « Voyons donc, rien du tout, chère Mlle Goldman, répondit-il au bout d’un moment. Je voulais simplement m’entretenir agréablement avec vous. — Très bien » répliquai-je et j’attendis. Il raconta qu’il avait travaillé dur toute sa vie, « exactement comme votre père, Mlle Goldman ».Il avait économisé sou après sou, accumulant aisi un peu d’argent. Il poursuivit : « Vous ignorez peut-être combien c’est difficile d’économiser. Mais demandez à votre père. Il travaille dur, c’est un homme honnête et il est connu comme tel dans toute la ville. À Rochester, il n’y a pas d’homme plus respecté et jouissant d’autant d’estime que votre père. »
    Je l’interrompis :
    « Un instant, M. Garson, vous oubliez quelque chose. Vous avez omis de mentionner que vous avez économisé avec l’aide d’autrui. Vous avez pu mettre chaque sous de côté parce que des hommes et des femmes travaillaient pour vous.
    -- Oui, bien sûr, dit-il d’un air contrit. Nous avons des « bras » dans notre usine mais tous gagnent bien leur vie.
    -- Et ces « bras », ont-ils pu tous ouvrir des usines avec leurs économies mises de côté sou après sou ? »
    Il convint qu’ils ne le pouvaient pas pour la raison qu’ils étaient ignorants et dépensiers. « Ce que vous voulez dire, c’est qu’ils étaient comme mon père, des ouvriers honnêtes, n’est-ce pas ? Vous qui avez parlé de mon père de manière si élogieuse, vous n’allez certainement pas l’accuser d’être dépensier. Or, bien qu’ayant travaillé toute sa vie comme un galérien, il n’a rien mis de côté et ne peut pas ouvrir d’usine. Pourquoi croyez-vous que mon père et d’autres restent pauvres alors que vous, vous avez réussi ? C’est parce qu’ils n’ont pas eu la prévoyance de rajouter à leurs ciseaux les ciseaux de dix autres, d’une centaine ou même de plusieurs centaines d’autres, comme vous l’avez fait. Ce n’est pas en économisant sous après sou que les gens s’enrichissent ; c’est le travail de vos « bras » et leur impitoyable exploitation qui ont créé vos richesses. Il y a dix-huit ans, lorsque je me tenais devant vous comme une mendiante pour réclamer une augmentation de salaire d’un dollar et demi, mon ignorance était excusable, pas maintenant qu’on crie sur les toits la vérité des rapport entre travail et capital. »
    Il resta assis à me regarder. « Qui aurait pu imaginer que cette jeune fille de mon atelier deviendrait une aussi grande oratrice ? » finit-il par dire. « Certainement pas vous ! Répliquai-je. Et elle n’en aurait pas eu la possibilité si vous aviez eu gain de cause. Mais revenons à votre invitation à me recevoir dans votre bureau. Que voulez-vous ?
    Il commença par expliquer que les travailleurs avaient des droits. Il avait reconnu le syndicat et ses revendications (tant qu’elles étaient raisonnables) et avait introduit dans son usine de nombreuses améliorations dans l’intérêt de ses ouvriers. Mais les temps étaient difficiles, et il avit essuyé de lourdes pertes.Si seulement les ronchonneurs parmi ses salariés voulaient entendre raison, patienter un peu et accepter des compromis, tout pourrait se régler à l’amiable. « Ne pourriez-vous pas dans votre discours soumettre ces arguments aux hommes, suggéra-t-il, et les amener à mieux comprendre mon point de vue ? Votre père et moi sommes de grands amis, Mlle Goldman ; je ferais n’importe quoi pour lui s’il avait des ennuis – lui prêter de l’argent ou l’aider de quelque manière que ce soit. Pour ce qui est de sa brillante fille, je vous ai déjà écrit combien je suis fier que vous soyez de ma race. J’aimerais le prouver en vous offrant un petit cadeau. Mlle Goldman, vous êtes une femme maintenant, vous devez aimer les belles choses. Dites-moi ce que vous préféreriez.
    Ses mots ne me mirent pas en colère. Probablement parce que sa lettre m’avait fait anticiper une telle offre. Ma pauvre sœur m’observait de ses yeux tristes et inquiets. Je me levai sans mot dire de ma chaise. Garson fit de même, et nous restâmes là, face à face, son visage ratatiné arborant un sourire sénile.
    « Vous vous êtes adressé à la mauvaise personne, M. Garson. Vous ne pouvez pas acheter Emma Goldman.
    -- Qui parle d’acheter ? s’exclama-t-il. Vous faites erreur ; laissez-moi vous expliquer... »
    Je l’interrompis : « Inutile. Je présenterai toute explication qui s’impose à vos ouvriers qui m’ont invitée à intervenir ce soir. Je n’ai rien de plus à vous dire. Veuillez partir. »
    Chapeau de soie à la main, il se faufila hors de la pièce suivi par Helena qui l’accompagna jusqu’à la porte.
    Après mûre réflexion, je pris la décision de ne pas évoquer son offre au meeting. Je craignais que cela n’embrouille la question centrale, à savoir le conflit salarial, et réduise éventuellement les chances d’un accord favorable aux salariés. De plus, je voulais éviter que les journaux de Rochester s’emparent de l’histoire qui aurait fait déborder d’eau leurs moulins colporteurs de ragots. Le soir, en revanche, je racontai aux ouvriers le coup d’essai de Garson en matière d’économie politique, reprenant l’explication qu’il avait fournie sur la façon d’acquérir sa fortune. Mon auditoire s’en amusa copieusement, ce qui constitua l’unique résultat de la visite de Garson.

    Emma Goldman
    Vivre ma vie (une anarchiste au temps des révolutions)
    Éditions L’Échappée
    Traduit de l’anglais par Laure Batier et Jacqueline Reuss

    • @sombre, c’est pas de moi mais c’est assez utile pour taguer.

      Dans un autre style (plus court, un peu romancé) et sur une autre meuf qui ose aller contre les désirs de Lénine :

      Sylvia Pankhurst - Librairie Libertalia
      https://librairielibertalia.com/web/sylvia-pankhurst.html

      Artiste, journaliste, féministe, communiste de gauche, anticolonialiste et antifasciste, Sylvia Pankhurst (1882-1960) a œuvré toute sa vie en faveur de l’émancipation.
      Figure du mouvement des suffragettes avec sa mère Emmeline et sa sœur Christabel, elle affronte de nombreux séjours en prison. En 1914, elle délaisse les salons progressistes pour les rues misérables d’East London. Elle dirige alors le plus important journal antiguerre d’Angleterre, transforme des pubs en crèches, crée des restaurants à prix coûtant et des cliniques pédiatriques.
      Camarade d’Emma Goldman, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Alexandra Kollontaï et Angelica Balabanova, militante de la IIIe Internationale, elle contribue à la fondation du Parti communiste britannique avant d’en être exclue parce qu’elle refuse de suivre la ligne.
      Elle se consacre ensuite à la lutte contre la montée du fascisme et soutient le peuple éthiopien face à Mussolini.
      En reliant l’émancipation des femmes à celle des classes laborieuses et des peuples colonisés, Sylvia Pankhurst annonce la pensée intersectionnelle d’aujourd’hui.

      Autrice et traductrice, Marie-Hélène Dumas a notamment écrit Lumières d’exil(Joëlle Losfeld) et Journal d’une traduction (éditions iXe).

      Première biographie en français.