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  • Nommer la violence d’Etat | Didier Fassin
    https://www.liberation.fr/france/2020/01/28/nommer-la-violence-d-etat_1775798

    En refusant de reconnaître la banalité et la gravité des violences policières sur l’ensemble de la société, les autorités de l’Etat se rendent de facto complices des exactions des forces de l’ordre...

    En encourageant et en récompensant les usages inappropriés de la force, en évitant de les faire sanctionner en interne ou dans les tribunaux, et finalement en récusant même leur existence, le gouvernement fait ainsi des violences policières une violence d’Etat.

    On ne saurait s’en étonner. La police, en France, n’est pas au service des citoyens. Selon l’European Social Survey, elle est même en Europe celle qui manifeste la plus grande méfiance à leur encontre. Elle se considère comme étant au service de l’Etat, mais cette subordination administrative se transforme de fait en allégeance politique. La police n’a pas de comptes à rendre à la société, dont elle refuse tout regard extérieur, mais au pouvoir en place, quel qu’il soit. Ainsi se développe une relation pernicieuse dans laquelle le gouvernement accorde toujours plus à des forces de l’ordre dont il a besoin pour réprimer ses opposants, tandis que ces dernières se servent de lui pour obtenir des privilèges, comme le maintien de leur régime spécial de retraite, et garantir leur impunité, lorsqu’apparaissent des déviances aussi graves soient-elles. Au lendemain de la demande de déontologie par le président de la République, le principal syndicat des gardiens de la paix menaçait : « Si nos collègues venaient à être injustement condamnés, nous saurons ce qu’il nous reste à faire. » Le gouvernement est ainsi à la fois le bénéficiaire de la répression policière, qui lui permet de restreindre la liberté de manifester, et l’otage du segment le plus radical des forces de l’ordre, qui exige d’être soustrait à la règle démocratique.

    Jusqu’à récemment, on avait pu ignorer cette #violence_d’Etat car elle frappait essentiellement les quartiers populaires et leurs habitants, pour la plupart d’origine immigrée, auxquels elle imposait un traitement d’exception. Désormais, on ne le peut plus guère, car elle s’abat sur l’ensemble de la société, ou tout au moins sur celles et ceux qui protestent contre la politique conduite par un gouvernement qui, par faiblesse autant que par arrogance, croit que l’autoritarisme peut pallier sa perte d’autorité. Hier atteinte aux droits de certains, elle est aujourd’hui atteinte aux droits de tous.