• D’Alger à Yaoundé, le retour au pays de Rodrigue

    Parti pour l’Europe, le jeune Camerounais n’a jamais réussi à traverser la Méditerranée. Après des années passées au Maroc et en Algérie, il a décidé de rentrer dans son pays.

    Bien sûr, ce n’est pas le retour dont il avait rêvé, mais au moins est-il toujours en vie. Tant d’autres ont péri pendant le voyage, engloutis par la Méditerranée. A 35 ans, dont huit en exil pour tenter d’atteindre l’Europe, Rodrigue rentre dans son pays, le Cameroun, riche d’une aventure qu’il ne regrettera jamais, explique-t-il depuis Yaoundé, où il a retrouvé sa famille.

    Il y a neuf ans, à l’été 2011, il était parti, comme tant d’autres, avec en tête la vague idée d’un eldorado européen – France, Italie ou Espagne – où il pourrait travailler et envoyer de l’argent à sa famille. Aujourd’hui, il reconnaît qu’il « ne [savait] rien de la traversée ».

    Bloqué en Algérie et au Maroc

    Du Cameroun, il a pris la route vers le Maroc, où il a passé quatre ans. La première année, il essaie de traverser la Méditerranée tous les mois. Mais chaque fois, il est arrêté par les autorités, parfois en pleine mer. Au fil du temps, il ralentit le rythme des tentatives, faute de moyens et d’énergie. Il vivote de petits boulots dans l’informel. Quand les ennuis avec la police le rattrapent, il doit alors quitter le Maroc pour l’Algérie voisine.

    Là, quatre nouvelles années s’écoulent. Comme de nombreux Subsahariens, il travaille sur les chantiers de construction, souvent des cités-dortoirs qui sortent de terre un peu partout dans ce pays en pleine crise du logement. Rodrigue vit à « Derwisha », une maison de deux étages en périphérie d’Alger qui accueille une trentaine de migrants. Là, il retrouve un peu de convivialité, la musique et les saveurs du pays aussi. Mais la vie reste dure, loin de sa famille, dans une société repliée sur elle-même.

    La décision du retour

    Fin 2018, il prend la décision de rentrer, épuisé par ce voyage sans fin, l’éloignement, toutes ces nuits passées sur les chantiers, cette vie sous les radars avec les autres migrants. Mais pour que son souhait devienne réalité, il lui faut d’abord attendre que son patron lui paye son dernier chantier. C’est chose faite en mars. Rodrigue reprend la route en sens inverse avec ses économies de huit années : 2 500 euros. Jusqu’à Tamanrasset, dans le sud algérien d’abord, puis vers le Niger, le Nigeria et enfin le Cameroun. Une semaine de voyage sans grande difficulté, explique-t-il.

    Il débarque à Douala, chez sa sœur Béatrice, avant Yaoundé, où il retrouve enfin ses parents, sa femme et ses enfants. L’accueil est émouvant : « Tout le monde m’attendait. Les cris, les pleurs. Ils étaient trop contents. Surtout, je suis revenu en bonne forme. Ils avaient vu tout ce qui s’est passé en Libye. » Ils l’avaient imploré de revenir.

    Se construire une nouvelle vie

    Durant ses huit années d’absence, la vie au Cameroun n’a pas tellement changé. Les portraits de Paul Biya, président depuis trente-huit ans, couvrent toujours les murs du pays. Pour Rodrigue, aîné de la famille, la pression est forte : c’est sur lui que reposent toutes les attentes. « Chez nous, le premier fils, c’est comme la tête du train. Comme la locomotive qui dirige les autres. Ça implique trop de choses, trop de responsabilités », reconnaît-il. Avec les économies qu’il a réunies pendant son exil au Maghreb, il décide de se lancer dans un projet avicole. Pour cela, il a acheté plus de 300 poussins, qu’il a installés dans la ferme de sa voisine.

    La #débrouille au quotidien

    Une grande partie des Camerounais se heurtent au même casse-tête : gagner suffisamment d’argent pour vivre, ou survivre. Pour y parvenir, on se livre au « #jonglage », le cumul de plusieurs #petits_jobs. Le frère de Rodrigue, Olivier, est chauffeur de taxi depuis un an « en attendant de trouver un bon travail ». La semaine, il roule pour le propriétaire de la voiture, le samedi, c’est pour lui. « Mais c’est pas avec mes 100 000 francs CFA en fin de mois [152 euros] que je peux faire un projet », avoue-t-il.

    Du côté de Rodrigue, le projet des poussins a tourné court. Entre la chaleur, les problèmes d’eau et de nourriture, il a perdu les trois quarts de ses volailles. Alors il a décidé de retourner dans son village cultiver la terre pour gagner un peu d’argent. Il aimerait ensuite faire du commerce entre l’Algérie et le Cameroun. Faire venir du shampoing, des parfums, du thé, très prisés ici. Mais pour cela, il faut une mise de départ.

    Passer le témoin

    Rodrigue aimerait aussi raconter, convaincre les plus jeunes de rester. Eux qui n’ont qu’une seule idée en tête : rejoindre l’Europe. Mais partager le vécu de la migration n’est pas chose facile. Les cadavres abandonnés dans le désert, la peur, la solitude, les camarades disparus en mer sont des souvenirs tenaces. « Les jeunes veulent vivre mieux, quelque chose de nouveau. Mais c’est juste une question de moyens, en fait. S’ils trouvaient du travail ici, ils resteraient », pense-t-il. Lui aussi pourrait tenter de repartir en Europe un jour, mais légalement. « Comme un clandestin », plus jamais. Face à tous ces fantasmes sur la migration, face aux attentes des proches, aux difficultés du quotidien, « il faut être courageux pour rentrer », tient-il à ajouter.

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/19/photo-d-alger-a-yaounde-le-nouveau-depart-de-rodrigue_6030096_3212.html
    #errance #migrerrance #parcours_migratoire #itinéraire_migratoire #Cameroun #migrations #Maroc #Algérie #retour_au_pays #travail #Derwisha

    ping @_kg_

  • « Il n’y a plus d’avenir ici » : en Afrique australe, les ravages du changement climatique
    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/19/il-n-y-a-plus-d-avenir-ici-en-afrique-australe-les-ravages-du-changement-cli

    Depuis cinq ans maintenant, toute la pointe sud du continent africain, où les températures grimpent deux fois plus vite que sur le reste du globe, souffre d’un important déficit de pluies. Petits paysans et grands exploitants, éleveurs, hôteliers, enseignants… Tous sont touchés.

    A genoux sur le plan financier, le Zimbabwe est de loin le pays le plus fragilisé par le changement climatique dans la région. Ici, la sécheresse s’ajoute à une liste inexorable de difficultés économiques : inflation, pénuries de liquidités, d’essence, de médicaments, d’eau, d’électricité… La vie quotidienne a viré au cauchemar. Au total, 60 % des 15 millions d’habitants du Zimbabwe sont actuellement en situation d’insécurité alimentaire. Dans le district de Buhera (est), ce chiffre atteint même 80 %, selon une responsable locale, Patience Dhinda.

    Extraits :
    👉 45 millions de personnes – un nombre record – menacées par la famine en Afrique australe à cause de la sécheresse, des inondations et des difficultés économiques, selon l’ONU. « Cette crise de la faim atteint des proportions jamais vues », a averti mi-janvier Lola Castro, la responsable régionale du Programme alimentaire mondial (PAM).
    👉 Depuis cinq ans maintenant, toute la pointe sud du continent africain, où les températures grimpent deux fois plus vite que sur le reste du globe, souffre d’un important déficit de pluies.
    👉 A genoux sur le plan financier, le Zimbabwe est de loin le pays le plus fragilisé par le changement climatique dans la région
    👉 En Zambie, les fonds manquent pour répondre aux besoins des 2,3 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire sévère . Le PAM n’a reçu qu’un tiers des 36 millions de dollars nécessaires. Dans ce contexte, les gens sont prêts à tout…
    👉 Seul espoir : les petits agriculteurs qui ont fait le pari de la diversification agricole, optant pour des légumes nutritifs et utilisant des techniques agricoles adaptées au changement climatique.

    #afrique #environnement #écologie #climat #agriculture