• Viols, harcèlement : des étudiants de Sciences-Po Paris témoignent sur Facebook


    Depuis quelques jours, des dizaines d’étudiantes et d’étudiants de l’établissement parisien racontent sous couvert de l’anonymat des agressions sexuelles dont ils ont été victimes.
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    Les plus grandes écoles parisiennes ne sont pas épargnées par la misogynie, le sexisme, le harcèlement, ni même les agressions sexuelles. Sciences-po ne fait pas exception à la règle. Depuis plusieurs jours, des dizaines et des dizaines d’étudiantes, suivies par des étudiants, se confient sous couvert de l’anonymat via les groupes Facebook des différentes promotions. Habituellement, ces groupes ne sont utilisés par les étudiants que pour parler de leurs cours, des événements à venir, ou encore pour obtenir des conseils et de l’aide de camarades. Leur usage s’en trouve désormais bouleversé.

    Tout a basculé mercredi soir, sur le groupe de la promo 2 024. Un témoignage anonyme, partagé à plusieurs reprises, raconte le viol d’une étudiante de première année. « En première année, j’ai été violée. Je n’ai réussi à mettre ce mot là-dessus que très récemment. Encore aujourd’hui, je ressens beaucoup d’angoisse quand je le croise à Sciences-po et que je sens son regard sur moi. »

    Ce message va entraîner une véritable vague de témoignages. Trois jours plus tard, on estime à au moins 200 le nombre de posts, publiés essentiellement dans les groupes d’étudiants de première, deuxième et troisième années. Pour préserver leur anonymat, les étudiants transfèrent leurs mots par messagerie privée à des amis, qui se chargent ensuite de les diffuser dans les groupes. « Certains font référence à des événements vécus dans le cadre de Sciences-po, d’autres sont totalement indépendants. Mais à notre âge, l’école représente une part importante de notre vie », confie Mathilde*, étudiante en troisième année.

    « J’ai dit non, tout doucement. Je ne sais pas s’il m’a entendue. Je sais juste qu’il ne m’a pas écoutée. Je sais juste qu’à ce moment-là, il m’a violée », écrit une étudiante dans un autre post. Certaines victimes ont accepté de transmettre au Parisien des extraits de leurs messages, mais en soulignant qu’elles redoutaient d’être identifiées.
    « Les victimes sont partout »

    L’anonymat total - aucune victime et aucun agresseur ne sont cités - explique aussi cet effet boule de neige. Les faits décrits sont particulièrement graves. Ils concernent des cas de harcèlement, de viols. Des faits de pédocriminalité y seraient également décrits. « Cette année, pendant ma troisième année, j’ai été agressée sexuellement par un étudiant duquel je refusais les avances depuis pourtant quelques mois, publie une troisième étudiante. J’étais en boîte, il m’a empoigné le postérieur et il m’a embrassée. Comme ça, comme si de rien n’était. »

    Mathilde fait également partie des étudiantes qui ont décidé de sortir du silence, pour raconter le viol dont elle a été victime. « J’ai vécu des choses qui étaient très difficiles à partager. Lorsque j’ai vu les premiers témoignages, je me suis dit que je voulais contribuer à cet élan. J’ai pu échanger ensuite avec des personnes qui avaient subi des agressions tout aussi graves que la mienne. On se rend compte que les victimes sont partout. »

    Les récentes polémiques ne seraient pas étrangères à cette vague de témoignages. « Le contexte joue forcément, explique Mathilde. Nous sommes plus de deux ans après #MeToo, l’affaire Polanski a joué énormément, poursuit l’étudiante. À Sciences-po, on ne s’en est pas remis, il y avait de la colère. La volonté de témoigner s’est faite de façon très spontanée. »
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    Dans un long message publié vendredi sur Facebook, le collectif féministe de l’école, « Garçes », a appelé les étudiantes à se rassembler, « à être en colère, à hurler, à manifester ».

    La direction de Sciences-po, qui n’a pas encore réagi officiellement sur le sujet, n’était pas joignable samedi. Des courriels de soutien auraient tout de même été envoyés de façon informelle auprès de plusieurs étudiants. L’école dispose depuis cinq ans d’une cellule de veille pour la prévention du harcèlement sexuel. Celle-ci travaille à la bonne information des étudiants sur cette thématique. Elle propose aussi un accueil aux étudiants qui en auraient besoin et peut « proposer une protection des personnes et mettre en place un dispositif d’accompagnement nécessaire à la situation », ou encore signaler aux instances disciplinaires les faits lorsque cela est nécessaire.

    « En réalité, très peu d’étudiants ne se tournent vers cette cellule », confie une étudiante. Difficile, quand on est victime d’une agression, de pousser la porte des administrations pour se faire aider. Encore plus lorsque le traumatisme demeure grand. Ce que raconte une victime sur un groupe Facebook : « Il me faudra encore plus d’un an pour sortir du déni. Encore quatre ans après, le mot « viol » résonne en moi, me ronge, sans que je réussisse néanmoins à me l’approprier. »

    « Sciences-po est de bonne volonté, ils ont lancé des initiatives mais, dans les faits, ça ne sert pas à grand-chose, appuie Mathilde. Les situations sont tellement complexes. Souvent, les victimes ne souhaitent même pas porter plainte. Les témoignages montrent qu’elles sont dans la majorité des cas agressées par un ami, un parent, un proche, un camarade… L’agresseur est connu et agit souvent avec une malveillance inconsciente, qui n’excuse rien. » Et qui n’empêche plus de témoigner.