Glenn Albrecht, gentleman « fermosophe »

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  • Glenn Albrecht, gentleman « fermosophe »
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    Glenn Albrecht a deux passions : observer les oiseaux et inventer des mots. Son goût de la langue lui vient de sa mère, « femme au foyer, qui adorait les mots croisés et le Scrabble ». Mais si l’homme, 67 ans ce mois-ci, se régale à créer des néologismes, il y voit aussi une stratégie politique. « Ce que nous faisons subir à la Terre est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Cela crée en nous des émotions pour lesquelles nous n’avons pas encore de mots. Or, si nous voulons agir, il faut pouvoir les décrire précisément », affirme-t-il. Une assertion que ne démentira pas le philosophe français Baptiste Morizot, pour qui « les néologismes sont des cartes pour explorer autrement le monde qui vient ».
    Le sentiment sans nom

    Se décrivant lui-même comme un « fermosophe » – farmosopher, en anglais, contraction de farmer et philosopher –, l’Australien est devenu célèbre en inventant le concept de « solastalgie ». « La solastalgie, c’est le sentiment de perte que vous ressentez lorsque le lieu que vous avez toujours connu n’existe plus. C’est avoir le mal du pays dans son propre pays. » La création du mot est née pour lui d’une nécessité.

    Le glossaire qui accompagne son livre en réunit une bonne vingtaine. Certains sont poétiques – « mermérosité », état d’inquiétude anticipant la mort possible du monde familier –, d’autres plus politiques – « sumbiocritique », forme de critique sociale, culturelle et littéraire dont les critères de jugement sont l’interdépendance des humains et de la vie non humaine. Et l’un d’eux, à l’instar de la solastalgie, pourrait connaître un joli succès : le « symbiocène », autrement dit l’ère qui succédera, si tout se passe bien, à l’actuel anthropocène, période à partir de laquelle l’activité humaine a commencé à modifier l’histoire de la Terre.
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    « Au symbiocène, l’empreinte des humains sur la Terre sera réduite au minimum, et toutes les activités humaines seront intégrées dans les systèmes vitaux », détaille-t-il. Y croit-il vraiment ? Glenn Albrecht n’est pas naïf. Il sait bien que l’« écoagnosie » (le fait qu’une personne ignore son environnement ou soit indifférente à l’écologie) reste très prégnante et que la dynamique économique mondiale ne permettra pas aisément d’inverser la tendance. Mais il se veut « un optimiste sans relâche ».

    Sa détermination ne va pas sans certaines contradictions, ni sans une vision binaire, parfois caricaturale. « Nous sommes à l’aube d’une troisième guerre mondiale, une guerre “émotionnelle” entre les créateurs de la Terre et ses destructeurs », affirme-t-il ainsi, début mars, sur France Culture.

    Le jeune philosophe Pierre Charbonnier, auteur d’une récente histoire environnementale des idées politiques (Abondance et liberté, La Découverte, 464 pages, 24 euros), l’épingle aussitôt d’un tweet ironique : « Les gentils, les méchants, pas de machines ni d’institutions au milieu. On est bien équipés pour aborder le problème, c’est évident. » Le « fermosophe », il est vrai, ne développe guère de pensée politique. Mais il propose un récit, des mots à conquérir, des imaginaires à construire. Par ces temps de catastrophisme écologique, ce n’est pas négligeable.

    #Symbiocène