• La presse papier en plein collapsus

    « Presstalis en règlement judiciaire, arrêt de la publicité, non
    paiement du solde éditeurs, plan social massif, tout menace de ruine
    le secteur que Bercy veut rénover mais sans rien changer.

    (…)

    La distribution de la presse, plus exactement les messageries
    Presstalis et non son concurrent, les MLP, sont, une nouvelle fois, en
    faillite. Et le gouvernement va encore intervenir pour sauver le
    système. Les pouvoirs publics, à l’écoute du Monde et du Figaro,
    conditionnent leur soutien financier à la mise au point d’un plan qui
    associera encore étroitement les quotidiens et les magazines.

    Dérogation exceptionnelle du procureur de la République

    En 2018, Bercy avait sauvé Presstalis, en octroyant via le FDES, un
    compte spécial du Trésor, un prêt de 90 millions d’euros à Presstalis
    qui ne sera pas plus remboursé que les précédents. Le gouvernement
    avait aussi décidé d’affecter les 9 millions d’euros du fonds de
    modernisation de la presse, destinés aux quotidiens comme L’Humanité, La Croix, Libération, aux messageries contrôlées par de grands
    industriels.

    Alors que toute autre société serait partie – avec près de 500
    millions d’euros de fonds négatifs, un milliard de dettes et une perte
    de 70 millions d’euros fin 2019 – en liquidation, Bercy veut placer
    Presstalis en règlement judiciaire d’ici le 26 mars. Pour mieux céder
    une partie de ses actifs aux actionnaires qui l’ont conduite à sa
    perte. Comme en règle générale, un actionnaire n’a pas le droit de
    reprendre l’entreprise qu’il a gérée s’il l’a conduite à sa
    disparition, le tribunal de commerce de Paris sollicitera une
    dérogation spéciale au procureur de la République pour contourner
    cette interdiction.

    (…)

    Le gouvernement, lui, se montre terre à terre. Il tient compte du
    principe de réalité et considère que Le Monde dans les mains de Xavier Niel, Le Figaro dans celles du groupe Dassault, le Parisien et Les Echos dans le giron de Bernard Arnault constituent de puissants relais d’influence. Le Monde sait se montrer indispensable au pouvoir et rend des services quand on le sollicite. C’est à la demande explicite du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle), rattaché à Bercy, que Xavier Niel s’est porté acquéreur de France Antilles, entreprise en cours de liquidation contre le versement de 8 millions d’euros. C’est aussi lui qui a mis la main sur Nice Matin évinçant le groupe Safar, propriétaire de Valeurs Actuelles, jugé plus inconséquent.

    (…)

    L’hostilité de ces magazines au plan gouvernemental s’est encore
    renforcée quand ils ont appris que Le Monde restait redevable d’une
    ardoise de 4,6 millions d’euros correspondant à la contribution
    volontaire de 2018, tout comme Czech Media Investment (CMI de
    l’oligarque Daniel Kretinsky) qui doit encore 2 millions d’euros. 25
    millions d’euros débloqués par le CIRI pour les diffuseurs
    Ces éditeurs ont-ils les moyens financiers de leur indépendance ?

    Comme ils ne veulent pas et ne peuvent pas prendre en charge les 100 millions d’euros que va coûter le plan de licenciement de près de 750 personnes, voire d’un millier si l’on intègre les salariés et
    intérimaires des filiales et des sous-traitants, ils semblent
    condamnés à accepter ce plan. Ils sont d’autant plus tenus par le
    gouvernement qu’ils repoussent toute idée de liquidation directe. Le
    CIRI finance, le CIRI décide. C’est toujours la même loi qui veut que
    ce soit le payeur qui soit le donneur d’ordre.

    (…)

    L’État mène donc sa barque et assure qu’il fera « comme toujours, son devoir », c’est-à-dire qu’il apportera 50 % des sommes nécessaires à la mise en place du plan social, soit 50 millions d’euros. Une partie de cette somme sera prélevée sur la « filière presse », le fonds qui devait être alloué à la presse quotidienne régionale. Celle-ci ne bénéficiera donc pas de la réduction de la TVA qu’elle sollicite.

    Le gouvernement fait, là encore, preuve de pragmatisme politique : il
    aide ceux qui le suivent dans sa démarche et pénalise ceux qui s’en
    abstiennent. Comme la presse régionale pouvait, d’après la nouvelle
    loi, distribuer les quotidiens nationaux mais qu’elle ne l’a pas fait,
    il est logique, selon lui, qu’elle assume sa part du fardeau.

    (…)

    Pour eux, la gravité de la situation économique actuelle impose de
    resserrer la coopération à tous les niveaux entre les éditeurs. Le
    naufrage de Presstalis coïncide avec la plus grande crise économique à laquelle la presse écrite soit confrontée et il faudra solliciter de
    nouvelles aides des pouvoirs publics toujours conditionnées à une
    participation des éditeurs . Quand l’épidémie de coronavirus ne
    concernait encore que la Chine, Bernard Arnault décida que le groupe
    LVMH cesserait tout investissement publicitaire dans les médias
    pendant six mois. Il a été immédiatement suivi par le groupe Kering de François Pinault. Depuis, tous les annonceurs ont suspendu sine die leurs achats dans les médias. La situation ressemble à celle de 1991, où la publicité avait, en raison de la guerre du Golfe, déserté la
    presse et n’était jamais revenue.

    (…)

    Cette politique de la terre brûlée a des conséquences directes sur les
    revenus des diffuseurs de presse comme ceux des imprimeurs qui, à
    l’instar du groupe Maury, pourraient recourir rapidement au chômage
    partiel. C’est toute la filière presse, dans son ensemble, qui
    souffre. Les ouvriers des messageries Presstalis l’ont compris et ont
    commencé, depuis vendredi à bloquer les circuits de distribution. Le
    Parisien et les quotidiens nationaux ont été bloqués en province. Si
    les syndicalistes savent qu’ils ne pourront pas s’opposer à la
    disparition de Presstalis , ils veulent, d’une part, préserver autant
    de postes qu’ils peuvent, et de l’autre, assurer aux ouvriers
    licenciés qu’ils pourront bénéficier d’une rémunération jusqu’au jour
    où ils liquideront leur retraite. Ce qui suppose de réévaluer à la
    hausse les 200 000 euros qui avaient été prévus, en moyenne, par la
    gouvernance de Presstalis pour chaque ouvrier licencié. La
    revendication est exorbitante dans le monde du travail mais au regard des 196 millions d’euros que l’Etat a versé à Presstalis depuis deux ans, elle prend sa justification (...)."

    Les ventes au numéro moyenne 2019 (chiffres acpm) ; une baisse globale supérieure à 10%

    Les quotidiens nationaux :

    Le Monde (35 828 exemplaires - 10,4% ) ,

    Le Figaro (24551 ex., 37329 ex. - 13,47% avec les suppléments magazines),L

    Libération (12984 ex. - 12,37%,

    Aujourd’hui en France (82366 ex- 12,76%)

    Le Parisien Aujourd’hui en France (136 844 ex.- 11,7%)

    L’Equipe ( 98438ex. - 13,47%) Les Echos (7848 ex. - 11,42%).

    (Voir la suite des ventes réelles des autres titres dans l’article original sur The
    Conversation) :

    https://blogs.mediapart.fr/emmanuel-schwartzenberg/blog/070320/la-presse-papier-en-plein-collapsus