• Ils jouent avec nos vies : ne les laissons pas faire !

    Le néolibéralisme autoritaire n’a pas changé de visage le 12 mars au soir, avec le discours de Macron. Vendredi 13 a été un vendredi noir pour l’Université. On nous annonçait que tout allait fermer, on était un peu rassurés. Mais rien ne fermera. C’est ça la dure loi de leur marché : l’économie et les intérêts politiciens avant nos vies.

    Je ne crois pas avoir contracté le Covid-19, mais je suis malade. Malade de constater un peu plus chaque jour cette évidence : même en période de crise sanitaire majeure, la santé et la vie des personnes passent bien après les intérêts politiques et économiques, après les petites stratégies politiciennes, après la notoriété des institutions ou les caprices égoïstes de quelques Assis et puissants. Au maintien ubuesque des élections municipales qui fait encourir un danger à des millions de personnes et qu’il convenait évidemment de reporter – quelle indécence que de projeter de tenir un second tour à un moment de crise sanitaire aigüe avec des centaines de morts ! – à ce maintien qui fait honte à toute la classe politique, s’ajoute une tartufferie magistrale qui promet de devenir un drame. Il convient de la dénoncer avec force et d’y mettre un terme : on nous annonce que toutes les universités seront fermées lundi 16 mars alors que la très grande majorité seront ouvertes aux dizaines de milliers de personnels qui y travaillent et qui vont continuer à se contaminer allègrement et ainsi augmenter la charge sur des hôpitaux débordés qui sont déjà contraints de faire des choix cornéliens entre les patients qu’il faut ou que l’on peut sauver. D’autres pays européens ont su prendre les mesures qui s’imposaient. Macron qui en appelait à une action au niveau de l’Europe, n’a pas même su mettre notre pays au niveau de précaution et de sécurité que nos voisins les plus proches ont eu la sagesse d’adopter.

    Je résume la situation dans les universités :

    1. Macron annonce la fermeture de toutes les universités le 12 au soir. A Strasbourg nous sommes enfin rassurés. Toute la semaine avait été rythmée par des messages d’alerte sur des cas de personnels et d’étudiants qui sont confinés et ne bénéficient pas de tests. Les mesures élémentaires n’était pas prises, la contamination circulait librement entre Mulhouse et Strasbourg et au moins un syndicat du supérieur s’inquiétait d’une situation devenue irrationnelle en raison d’un manque criant de coordination entre l’ARS, le Rectorat et les Préfectures. Quant au président de l’Université de Strasbourg, il restait désespérément silencieux. Une semaine de retard dans l’expression, une semaine de retard dans les prises de décision. Aussi mal conseillé que Macron.

    2. Le vendredi 13, espoir et patatras ! Tout ferme, mais on reste ouvert. Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, interprète « fermeture » dans un sens très limité : certes, il faudra "cesser de recevoir des usagers dans le cadre des activités de formation », mais « les autres activités administratives ainsi que les laboratoires de recherche ont vocation à être maintenues afin de permettre la continuité pédagogique et le maintien de la recherche. » Voir le détail ICI.

    3. Toujours ce 13 mars, avant même que les recommandations de la ministre ne soient officielles, de nombreux CHSCT d’établissement se réunissent. Il s’agit des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail que Macron a supprimés en 2017 avec sa Réforme du code du travail, mais qui survivent encore pour quelque temps dans la Fonction publique d’Etat. Ce vendredi 13 les représentants des personnels qui siègent dans les CHSCT sont confrontés à une situation inédite : alors qu’ils émettent des avis de fermeture des établissements, ils font face à des positions pré-définies des équipes présidentielles et de leur administration qui anticipent les recommandations de Vidal et font pression sur eux pour qu’ils valident la poursuite de toutes les activités dans les universités, y compris en présentiel pour les tâches administratives et de recherche, et ceci conformément aux recommandations à venir de la ministre : « les personnels sont invités à venir travailler en respectant les mesures barrières ».

    Résultat des votes, en de multiples endroits : les CHSCT qui ont pu, comme à Strasbourg, obtenir le constat d’un premier désaccord avec l’administration, vont devoir travailler à obtenir au plus vite un second désaccord pour que le constat d’un « désaccord sérieux et persistant » avec l’employeur ouvre la possibilité de saisir l’inspection et le CHSCT ministériel – lequel, entre parenthèse, n’a pas encore été réuni par la Ministre alors que la situation l’impose en urgence extrême. Pendant ce temps, les personnels administratifs, les chercheurs et les enseignants, tout comme les doctorants et même certains étudiants de master seront autorisés à venir travailler en respectant les mesures de protection usuelles.

    Quand on connaît un peu les difficultés organisationnelles et matérielles des universités, appauvries par des décennies de cure austéritaire, quand une administration n’est pas en mesure de vérifier qu’un sous-traitant procède au bon nettoyage et à la désinfection des locaux, quand on va autoriser la présence de chercheurs et doctorants dans des bâtiments alors que des personnels chargés de la sécurité sont confinés, quand des représentants des personnels reçoivent en ce moment même des demandes d’exercice de droit de retrait pour lundi matin, on ne se pose plus de questions : on ferme et c’est tout ! Et si les présidences ne veulent pas prendre ces mesures élémentaires, il faudra considérer que la décision de maintien des activités en présentiel qu’ils imposent constitue en elle-même une mise en danger des personnels et, dans les présentes circonstances d’épidémie incontrôlée, il conviendra d’appeler chacune et chacun à exercer son droit de retrait.

    Soulignons que la responsabilité pénale de l’employeur, et donc des présidents d’université, est totalement engagée : ils ont une obligation légale de sécurité à l’endroit de tous les personnels de l’université. Les tribunaux pourront être saisis si, par malheur, on devait constater des décès provoqués par des contaminations qui ont eu lieu après le 16 mars. Toute équipe présidentielle qui aura refusé d’appliquer les avis des CHSCT portera une responsabilité pénale de mise en danger de ses personnels et une responsabilité morale d’avoir aggravé l’encombrement des hôpitaux et d’avoir ainsi possiblement causé la mort de dizaines de personnes. C’est pourquoi tous les représentants, élus et militants, syndicaux ou non, ont aujourd’hui un rôle majeur à jouer. Un rôle d’alerte, d’information, de conseil, mais aussi une responsabilité dans les positions qu’ils adoptent dans les CHSCT, dans toutes les autres instances, à tous les niveaux du dialogue social avec l’administration et même dans le cadre des luttes en cours contre les réformes qu’ils combattent.

    Enfin la situation dans le primaire et le secondaire est aussi grave qu’à l’université. On protège les élèves et non les personnels. Et si on ne protège pas les personnels on met en danger des élèves. Car les personnels des écoles et des universités ont des enfants. Dans le secondaire on multiplie les réunions et formations en présentiel. C’est irresponsable. Les décisions prises par Blanquer puis par Vidal, qui est en plein accord avec les passages en force des présidents dans les CHSCT, le non respect de leur rôle et des avis qu’ils formulent, tout ceci doit être connu et vigoureusement dénoncé. Alors que les mesures de distanciation sociale sont préconisées par tous les scientifiques, le contexte actuel de montée exponentielle des cas de contamination, bien décrit ICI, exige des mesures fortes, au moins pour les trois semaines qui viennent.

    Ils jouent avec nos vies : ne les laissons pas faire ! Demain je n’irai pas voter. Lundi je n’irai pas à l’université.

    Pascal Maillard

    PS 1 : Ce billet a été écrit et publié avant les annonces du Premier ministre. Je fais le choix de ne pas le réécrire, ni de le modifier. Il me semble conserver une part de sa pertinence et de son actualité. Je le prolonge un peu.

    Bien sûr le passage en stade 3 devrait contraindre les labos à fermer vraiment et les présidents devraient revoir leur position. Mais ce n’est pas gagné. J’ai vu hier, avant le CHSCT strasbourgeois, des chercheurs, directeurs de labos et divers médaillés s’activer pour obtenir le maintien de leur activité. Ces demandes sont légitimes pour tous les labos et projets ayant des objets de recherche en lien direct ou indirect avec le Covid-19.

    Mais la question n’est pas celle-ci. Elle est bien plutôt celle des raisons pour lesquelles des chercheurs n’imaginent pas possible un arrêt de leur structure. Plusieurs raisons permettent d’expliquer une telle attitude. Tout d’abord le contexte de concurrence et de compétition permanentes qui fait craindre aux chercheurs de perdre du temps, de l’argent, des contrats, des brevets, des appels à projet. Il faut rester compétitif dans la jungle de la recherche rentable. Ensuite le souci de ne pas mettre en difficulté stagiaires, étudiants et doctorants. Ça, c’est louable et on le comprend. Enfin l’incapacité à concevoir que l’université puisse s’arrêter pour quelques semaines, la sensation d’un vertige et l’angoisse métaphysique que peut susciter le vide à celles et ceux qui sont en permanence le nez dans le guidon. Pour les Biatss il y a encore une autre raison, que j’ai entendue hier de la bouche de l’un d’entre eux : je ne pourrai jamais rattraper le retard que je vais accumuler avec le télétravail. Le New management public semble avoir créé des instances surmoïques démesurées et développé des mécanismes de servitude volontaire tels que la cessation du travail est devenue tout simplement inconcevable. Il n’est pas étonnant qu’on peine tant à convaincre les collègues de se mettre en grève. Elle serait pourtant bien utile pour les rendre conscients de leur aliénation. Il y a une ironie terrible dans la présente situation, du moins pour celles et ceux qui ont oeuvré ces dernières semaines à mettre l’Université à l’arrêt : au moment où l’université va vraiment s’arrêter, pour des raisons de crise sanitaire, certains universitaires se battent pour que l’usine-école ou l’université-entreprise continue à tourner. Mais une chose risque fort de changer leur attitude et de les sortir brusquement de leur cécité ou de leur aliénation : la possibilité de la mort, celle d’un proche, d’un collègue, d’un ami... Le Covid-19 apporte avec lui une leçon de finitude, à défaut d’une expérience de la solidarité vraie.

    PS 2 : Mise à jour du 15 mars à 12h :

    Un arrêté vient d’être publié au JO : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/14/SSAZ2007749A/jo/texte

    Il est important et les décisions à prendre doivent s’y référer. L’alinea 3 de l’article 4 concerne les universités :

    "I. - Sont suspendus du 16 au 29 mars 2020 :
    1° L’accueil des usagers des structures mentionnées aux articles L. 214-1, L.227-4 et L. 424-1 du code de l’action sociale et des familles, à l’exception des structures attachées à des établissements de santé et de celles mentionnées au 4° de l’article R. 2324-17 du code de la santé publique ;
    2° L’accueil des usagers des établissements d’enseignement scolaire relevant du livre IV du code de l’éducation, à l’exception de ceux de son titre V, ainsi que l’accueil des usagers des services d’hébergement, d’accueil et d’activités périscolaires qui y sont associés ;
    3° L’accueil des usagers des activités de formation des établissements d’enseignement supérieur mentionnés aux livres IV et VII du même code.
    II. - Toutefois, un accueil est assuré par les établissements et services mentionnés aux 1° et 2° du I, dans des conditions de nature à prévenir le risque de propagation du virus, pour les enfants de moins de seize ans des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire. Les prestations d’hébergement mentionnées au 2° du I sont en outre maintenues pour les usagers qui sont dans l’incapacité de rejoindre leur domicile.

    III. - Le présent article est applicable au territoire métropolitain de la République."

    Je fais la lecture suivante : le gouvernement laisse toute latitude aux présidents de définir le niveau d’activité, d’ouverture ou de fermeture des établissements. Il refuse de prendre ses responsabilités et leur refile une patate chaude. Une seule chose est cadrée : l’accueil des usagers des activités de formation. Les usagers des activités de recherche (doctorants et pourquoi pas stagiaire et master) peuvent être autorisés à travailler dans les locaux.

    En l’absence de texte réglementaire sur TOUTES les autres questions (activité d’enseignement et de recherche, réunions, ouverture et fermeture des bâtiments), il appartient aux présidents de prendre les décisions qui s’appliquent à leur établissement, en tenant compte de l’avis des CHSCT.

    Des labos ont déjà pris des mesures de fermeture totale. Des universités aussi, en France comme à l’étranger. Harvard ordonne l’arrêt de toutes ses activités de recherche à compter de mercredi et pour une durée de 6 à 8 semaines. Vidal et notre gouvernement de dangereux incompétents et « amateurs » en tous genres prennent un décret qui protège uniquement une majorité des étudiants pour une durée de deux semaines (lire l’arrêté : du 16 au 29 mars) alors que toutes les autres dispositions sont prises jusqu’au 15 avril.

    En outre ils laissent ouverte la possibilité, voire l’obligation, pour les personnels de l’éducation et du supérieur, de se rendre sur leur lieu de travail.

    Je ne commente pas. Je constate la fronde énorme qui est en train de se lever partout, sur les réseaux sociaux et les listes de diffusion. Les droits de retrait vont tomber par milliers si des mesures de fermeture ne sont pas prises au moins pour trois semaines.

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/140320/ils-jouent-avec-nos-vies-ne-les-laissons-pas-faire
    #fermeture #ouverture #facs #universités #coronavirus #covid_19 #covid-19 #responsabilité #droit_de_retrait #droit_du_travail