• Recherche publique, Gilets jaunes et Vrai/Grand débats — IRaMuTeQ
    (à l’occasion de l’anniversaire de la clôture du Grand débat, c’était le 18/03/2019 et c’est tellement loin…)
    http://www.iramuteq.org/Members/pmarchand/recherche-scientifique-vrai-grand-debats-et-gilets-jaunes

    « Tout ça pour ça ! ». C’est ce que nous écrivions en introduction de notre analyse du Grand débat sur l’identité nationale (Marchand & Ratinaud, 2012). On pouvait penser que, près de 10 ans plus tard, un autre gouvernement ne pouvait pas renouveler la même erreur. Lancer une consultation qui va mobiliser plusieurs dizaines de milliers de personnes et produire plusieurs millions de mots mériterait de réfléchir un peu, en amont, à la façon dont ces données allaient être analysées et utilisées. Il n’existe pas, actuellement, de méthode réellement éprouvée pour traiter scientifiquement ces consultations. Nous les abordons en tant que chercheur-e-s pour mettre à disposition une expérience ancienne en matière de production, d’extraction et d’analyse des données textuelles massives. Mais la recherche publique ne pèse pas grand-chose face à des officines de mesure de l’opinion dont le capital et le lobbying tiennent lieu de compétence. Avec quels résultats ?*
    […]
    Les bases de la classification de l’intégralité du Grand débat national sont donc posées. Il faudrait sans doute reprendre le corpus de base pour le rendre plus homogène (les premières opérations de nettoyage ont déjà été appliquées, notamment par Lucie Loubère). Mais notre expérience montre que ça ne changerait pas significativement la classification. Il faudrait, maintenant, en extraire et surtout en interpréter les propositions les plus significatives. C’est à portée de main, pour peu qu’on y consacre du temps de chercheur-e-s. Notons qu’un contrat post-doctoral d’un an représenterait un coût d’environ 0,25% de ce qui a été débloqué par le Gouvernement pour les officines privées. Si l’appel d’offre avait été concrétisé dans les délais annoncés, les résultats seraient aujourd’hui disponibles et publics.
    […]
    Si, un jour, un gouvernement souhaitait s’emparer des possibilités ouvertes par Internet pour mettre en place des consultations citoyennes à grande échelle et en faire un véritable outil de concertation, de participation et, éventuellement, d’aide à la décision, il pourrait alors compter sur la recherche publique pour étudier les dispositifs et mobiliser les meilleures innovations scientifiques et techniques. La confrontation des méthodes, outils et aides à l’interprétation pourrait ainsi permettre de proposer un modèle pour des consultations à venir. Nous pourrions indiquer, sur la base de nos théories et méthodes, les directions possibles pour produire des données exploitables. Mais ce n’est pas ainsi qu’est pensée la recherche publique.

    Avec les Gilets jaunes, c’est le social qui vient, du terrain, frapper brutalement (dans les deux sens du terme : soudainement et violemment) à notre porte (bottom-up) ; et nous cherchons les appels d’offre institutionnels (top-down). Nous avons tellement été habitués à candidater sur des appels d’offre définis en dehors de nous par des instances nationales ou européennes (Agence Nationale de la Recherche, Horizon 2020...), que nous avons beaucoup de mal à aborder des événements spontanés et imprévus, même d’une telle importance (et on pourrait aussi parler de "radicalisation").
    […]
    Pour conclure sur la question du rôle et de l’utilité des grandes consultations citoyennes, on peut signaler que l’Assemblée nationale a mis en place une Mission d’évaluation et de contrôle sur l’évaluation du financement public de la recherche dans les universités, sous la présidence d’Amélie de MONTCHALIN et de Patrick HETZEL (juillet 2018). Une des originalités mises en avant était d’avoir "ouvert une consultation citoyenne dont les résultats sont importants en termes quantitatifs comme qualitatifs". Cette consultation citoyenne a reçu près de 2 500 réponses individuelles :

    "un record pour ce type de consultations organisé depuis peu par l’Assemblée nationale, surtout dans un délai aussi court. De nombreux chercheurs, notamment, se sont ainsi mobilisés pour partager leurs impressions, ce qui montre leur motivation et leur engagement sur ces questions essentielles et stratégiques pour exercer de manière satisfaisante leur activité de recherche".

    Le rapport (voir notamment l’annexe 3) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/mec/l15b1213_rapport-information montre que les chercheurs ne sont pas satisfaits du financement actuel de la recherche (92%) et privilégient le financement récurrent sur le financement par projet (75%). Le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche n’en tient aucun compte et prend une direction opposée.

    #LPPR