• Pénurie de masques : enquête sur une faillite d’Etat
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    L’unité d’accueil des patients présentant les symptômes du Covid-19, devant l’hôpital de Pau.
    AFP

    La pression s’accentue à mesure qu’une série de dysfonctionnements apparaît. En pleine lutte contre le coronavirus, le gouvernement ne peut fournir assez de masques à tous les soignants, suscitant évidemment leur indignation, relayée par l’opposition. Comment expliquer la pénurie de ces produits pourtant peu onéreux, que les autorités viennent à peine d’admettre ? Les ministres successifs, leurs cabinets, les directeurs généraux de la santé, qui est comptable du retard ?

    Dans cette triste faillite d’Etat, les responsables sont certainement bien plus nombreux que les coupables. A partir de 2013, alors que la menace d’une épidémie semblait s’éloigner, le bouclier sanitaire édifié en 2006 a été sacrifié, sur fond d’austérité budgétaire et de délocalisation de la production en Chine.

    Chapitre 1. Années 2000 : les entrepôts sont pleins
    A cette époque, les autorités sanitaires ne jurent que par les masques pour arrêter les agressions virales. Dans la crainte d’une épidémie de grippe aviaire, qui, selon le titre du best-seller des professeurs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire menacerait de faire « 500.000 morts en France », le plan national de janvier 2006 les place au cœur du dispositif : les modèles à haut niveau de protection, dits FFP2, sont destinés aux médecins hospitaliers, aux libéraux (généralistes, infirmiers ou kinés) mais aussi aux policiers ou aux commerçants.

    Les masques chirurgicaux, eux, sont indiqués pour les malades et leurs proches (personnes contact). Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, loue sans cesse le double bouclier constitué d’un côté par « les masques altruistes » (chirurgicaux), qui protègent ceux qui ne les portent pas et, de l’autre, par « les masques égoïstes » (FFP2), permettant aux soignants et aux personnes indispensables à la société d’œuvrer en sécurité en cas d’épidémie.

    Selon une simulation du ministère de la Santé en 2006 que nous dévoilons, les besoins étaient alors évalués à plus de 561 millions de pièces pour faire face à une crise de 90 jours. Bien plus que les estimations avancées aujourd’hui par le gouvernement. Dans le détail, plus de 113 millions étaient jugés nécessaires pour les généralistes, 106 millions pour les infirmiers libéraux et près de 19 millions pour les pharmaciens. Pour le personnel hospitalier (médecins mais aussi infirmiers, aides-soignants, sages-femmes etc.), le chiffre s’élevait à environ 174 millions. Enfin, près d’1,5 million était prévu pour les pompiers et les équipes mobiles du Samu.

    Au même moment, le gouvernement suscite la création d’une filière nationale (quatre sociétés distinctes) afin de ne pas dépendre des usines asiatiques. « Un canard toussait en Roumanie et tout le monde tremblait, explique un ancien responsable. On était complètement paranos avec la menace épidémique. Grâce à ces chaînes, on savait qu’on pouvait produire environ 400 millions de masques par an. » En 2007, les professionnels de santé libéraux reçoivent un « kit de protection pandémie grippale » accompagné d’une lettre de Xavier Bertrand.

    Ce dernier suscite également la création de l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). L’agence publique placée sous la tutelle du ministère de la Santé a notamment pour rôle de gérer ces « stocks stratégiques » de produits de santé mobilisables en temps de crise. « On savait combien de matériel on avait, assure la même source, et où tout était entreposé. » Hors secteur sanitaire, le plan de 2006 prévoit que les différentes administrations et ministères constituent leurs propres stocks pour les agents identifiés comme « -prioritaires- ».

    Mais la polémique née après les achats massifs de vaccins durant l’épidémie de grippe H1N1 en 2009 change la donne. Deux commissions d’enquêtes parlementaires et l’opinion accusent Roselyne Bachelot d’en avoir trop fait. Un avis du Haut conseil de la santé publique (HCSP) bouscule la doctrine : les masques FFP2, difficiles à utiliser, ne sont plus nécessaires pour les chauffeurs de bus ou les caissières (ils doivent porter des masques chirurgicaux) mais seulement pour les professionnels de santé qui s’approchent tout près des malades.

    Quelques jours plus tard, ainsi qu’il l’indique dans une note datée du 27 juillet 2011, Jean-Yves Grall, alors directeur général de la santé, prône un certain relâchement : on peut tolérer, estime-t-il, que « 25% du stock » soit périmé et accepter un « lissage du renouvellement des stocks ». Il n’empêche, lorsque Xavier Bertrand cède sa place à Marisol Touraine, en mai 2012, les stocks stratégiques d’Etat (38 sites à l’époque) sont pleins de masques : 1,4 milliard au total, dont 600 millions de FFP2 et 800 millions de chirurgicaux. Les directeurs des Agences régionales de santé (ARS), sorte de préfets sanitaires, connaissent les quantités disponibles. Et le ministère de la Santé, qui centralise tous les achats, garde la main sur le dossier.

    Chapitre 2. Juin 2013 : la doctrine chinoise
    Sous le quinquennat de François Hollande (2012-2017), le masque cesse d’être une priorité politique. Un ancien conseiller de Marisol Touraine, ministre de la Santé durant toute cette période, explique : « L’idée, ce n’était plus d’avoir des stocks gigantesques mais de pouvoir rapidement en faire fabriquer en Asie en cas de besoin. » A l’époque, Jérôme Salomon, l’actuel directeur général de la santé (DGS), est déjà au cœur du dispositif : entre 2013 et 2015, ce professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses, occupe le poste de conseiller chargé de la sécurité sanitaire.

    Deux mois après sa nomination, en juin 2013, le ministère décide que chaque employeur devait constituer son propre stock sous le pilotage du secrétariat général de la Défense nationale (SGDN), qui prend la main sur le dossier, comme le raconte le sénateur Francis Delattre dans un rapport rendu public en 2015. Le ministère de la Santé cesse de centraliser les commandes pour les temps de crise sanitaire. Chaque hôpital est désormais supposé acheter des masques pour ses soignants (FFP2 et chirurgicaux) en fonction de ses besoins.

    « Le ministère de la Santé continue de constituer un stock de masques chirurgicaux destiné aux malades », précise un ex-responsable socialiste. Qui ajoute : « Ce n’était pas vraiment un changement de doctrine mais plutôt une décision logistique. Le pays entier a renoncé à en produire, on s’est appuyé sur la capacité de production chinoise. » La fin du « masque pour tous » a donc avant tout des causes économiques. « Si la doctrine a évolué en 2013, c’est essentiellement pour des raisons de coût, analyse un autre acteur de premier plan. Il faut entre 50 et 100 millions d’euros par an pour maintenir un stock aussi important. Il faut détruire les masques périmés, les remplacer par d’autres. »

    Interrogé vendredi soir par le JDD lors de son point presse quotidien, Jérôme Salomon a botté en touche sur le virage de 2013 : « On a eu un retour d’expérience. A chaque fois, des avis d’experts ont orienté le gouvernent sur la bonne réponse globale, il y a eu plusieurs avis. » L’actuel DGS a-t-il joué un rôle clé dans l’abandon du principe de précaution cher à Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot ? Un ancien conseiller ministériel de droite note que Marisol Touraine a avalisé ce virage : « In fine, la décision lui revenait. »

    Selon les données fournies par le gouvernement de l’époque au sénateur Delattre, la valeur des stocks passe de 992 millions d’euros à la fin de l’année 2010 à 472 millions d’euros fin 2014. Le grand hangar situé sur l’ancienne base militaire de Vitry-le-François (Marne), où est entreposée une partie des stocks stratégiques de produits de santé, n’est pas aussi vide qu’aujourd’hui.

    En 2014, au moment où le virus Ebola sévit en Afrique de l’Ouest et menace le monde, des réserves sont reconstituées en urgence, selon deux sources haut placées. Idem après les attentats de novembre 2015 pour se prémunir d’autres attaques terroristes massives. Où sont passés ces masques, qui ont une durée de vie moyenne de cinq ans ? Mystère. « C’est compliqué de stocker du matériel pour le jeter ensuite, démine un connaisseur du dossier. En plus, quand la date de péremption approche, on ne peut pas les réinjecter dans le circuit hospitalier. En bon gestionnaire, on se dit qu’on gâche de l’argent public. C’est facile de dire après coup qu’il aurait fallu anticiper. Ce genre de décisions est difficile à prendre. »

    Chapitre trois. Février 2020 : la réserve est vide
    En 2018, Jérôme Salomon prend la tête de la direction générale de la santé, ce qui fait de lui le numéro 2 bis du ministère. Comme l’a révélé L’Opinion vendredi, cet ancien conseiller santé du candidat Macron avait attiré l’attention pendant la campagne présidentielle sur le fait que notre système de santé n’était pas prêt à affronter une épidémie d’ampleur. Une fois aux responsabilités, a-t-il réussi à infléchir ce désintérêt pour le bouclier sanitaire alors que les budgets dédiés à la santé restaient très contraints ? Il semble que non.

    En période de disette budgétaire, les hôpitaux ne constituent pas de réserves pour gérer une crise éventuelle mais achètent seulement les masques nécessaires à leur fonctionnement courant. Certains ministères ou administrations font plus de provisions que d’autres. Mais plus rien n’est centralisé. "C’est ce qui fait qu’aujourd’hui des conseils généraux et des universités disposent des masques qui font si cruellement défaut aux soignants", grince un témoin. A aucun moment, Agnès Buzyn, accaparée par plusieurs chantiers législatifs et par la crise de l’hôpital, n’a pris ce dossier à bras-le-corps.

    Et depuis l’alerte lancée par l’OMS le 12 janvier 2020, signalant l’existence d’un nouveau coronavirus causant de mystérieuses pneumonies à Wuhan en Chine, la réaction du ministère de la Santé a-t-elle été à la hauteur de la situation ? Jeudi, Olivier Véran, nommé ministre de la Santé le 16 février, a rejeté la faute de l’impréparation sur « une autre mandature », évoquant le changement de doctrine durant le quinquennat Hollande. L’argumentation révulse à droite comme à gauche. « Les autorités ont eu près de deux mois pour se préparer, qu’ont-elles vraiment fait ? Pourquoi n’a-t-on pas réactivé plus tôt les chaînes de productions françaises et passé des commandes en Chine ? » interroge un ancien haut responsable socialiste.

    « Il y a un problème entre le SGDSN [Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ex-SGDN] et la Santé, il n’y a pas de pilotage technique, assure un témoin. Les réunions ont souvent été houleuses. » Vendredi soir, Jérôme Salomon n’a pu que convenir que le masque, cet « objet précieux », était devenu une « denrée rare ». Il a répété ce que le ministre de la Santé Olivier Véran avait concédé la veille au Sénat : en février, les réserves de Santé publique France (qui a repris les missions de l’Eprus lors de sa création en 2016) à Vitry-le-François étaient au plus bas : environ 150 millions de masques chirurgicaux ainsi que des modèles pour enfants.

    Au Sénat, le 26 février, le DGS s’était pourtant montré rassurant. « Il y a des stocks stratégiques importants détenus par Santé publique France sur les masques chirurgicaux, avait-il déclaré devant la commission des affaires sociales. On n’a pas d’inquiétude. La seule chose, c’est qu’on attend. On ne distribue les masques que quand c’est nécessaire : aux malades, aux personnes-contacts dans la zone où circule le virus. Si demain on nous dit qu’il y a une zone où le virus circule, évidemment qu’on privilégiera cette zone […] Il n’y pas de sujet de pénurie. J’encourage nos concitoyens à ne pas se faire avoir par des escroqueries. »

    Il ajoutait qu’une commande « urgente » de masques de protection respiratoires de type FFP2 allait être réalisée pour les professionnels de santé. Les déclarations des derniers jours soulignent les contradictions du DGS. Il a précisé vendredi soir : « Dans un monde idéal, on pourrait imaginer qu’on soit en permanence protégé. C’est le modèle asiatique. Ça n’a pas empêché l’épidémie de survenir en Chine. Porter un masque toute la journée et partout, c’est une stratégie proposée en Asie pour éviter des mesures de confinement. Si on ne se touchait pas, si on savait porter un masque, ça pourrait être une stratégie. »

    Il a fallu attendre le 3 mars pour que les alertes des soignants soient enfin entendues. Ce jour-là, Emmanuel Macron annonce que l’État réquisitionne « tous les stocks et la production de masques de protection » pour les distribuer aux soignants et aux personnes atteintes du coronavirus. Plus que l’impréparation, c’est le déni de ces dernières semaines qui a attisé le courroux des professionnels de santé. Ayant acté la faillite de l’Etat protecteur, les libéraux, en particulier, ont l’impression de monter au front sans arme. « Ils n’ont pas tort : qui sont leurs employeurs ? Je crois qu’on a simplement oublié de prévoir de masques pour eux en cas de crise », se désole un haut fonctionnaire aujourd’hui retraité.

    D’où le rationnement actuel (18 masques par semaine au maximum pour les médecins et les infirmiers) détaillé le 18 mars dans un courrier de l’Assurance maladie aux professionnels de santé. Mais, alors que des pièces arrivent au compte-gouttes dans les pharmacies et les hôpitaux (30 millions ont, selon le gouvernement, été livrés cette semaine), que les modèles FFP2 sont réservés aux professionnels en contact étroits avec les patients, l’heure n’est pas, pour les soignants, à la recherche du temps perdu. Tous promettent qu’ils feront face malgré tout. Ils n’ont pas le choix : l’ennemi invisible est là.

  • Coronavirus : la mission impossible de Jérôme Salomon, directeur général de la santé
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/20/coronavirus-la-mission-impossible-de-jerome-salomon-directeur-general-de-la-

    Dès 2016, l’actuel directeur général de la santé s’inquiétait des insuffisances du système de santé français. Confronté aujourd’hui à la pandémie causée par le coronavirus, il se voit obligé de les justifier.

    Après Buzyn, encore un portrait de « bon petit soldat du macronisme » qui craque, entre son devoir de médecin et celui de porter le chapeau et avaler les couleuvres de son chef.

    #in_retrospect

  • Les limites de l’idéologie du #flux_tendu

    André Gunthert @gunthert sur Twitter

    La clé de l’idéologie libérale : pas besoin de stocks, on produira ce qu’il faut quand il faut (de préférence en Chine…). En vertu de quoi une pandémie, qui concerne tt le monde (et qui a commencé en Chine), laisse le saint Marché strictement à poil…

    Marcel Aiphan @AiphanMarcel

    « On a décidé d’avoir une gestion de bon père de famille »

    3 minutes de #Sibeth_NDiaye sur la question : « où sont les masques ? » qui comme d’hab ne donne aucune réponse.

    Un père de famille genre Xavier Dupont de Ligonnès, alors...

    #médiocrité #LaRem