Voyages vers l’Europe – Institut des Migrations

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  • Voyages vers l’Europe

    Les premiers mineurs non accompagnés arrivent en France au début des années 1990. Ce qui devait être un épiphénomène dans le paysage de la protection de l’enfance et des migrations internationales s’est maintenu et confirmé comme une réalité durable. Les deux cartes présentées ici montrent la pluralité des routes et des expériences vécues par ces jeunes.

    Les premiers sont arrivés des pays de l’est de l’Europe, mais au fil des années le visage de la migration juvénile vers la France a évolué. Aujourd’hui la Guinée, le Mali et la Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest, sont les trois premiers pays d’où arrivent les mineurs non accompagnés pris en charge par les autorités françaises. Elles ont l’obligation de leur porter assistance en raison de leur isolement (article 375 du code civil), mais peinent à proposer une réponse satisfaisante.

    Qui sont ces mineurs et d’où viennent-ils ? La recherche permet aujourd’hui de mieux cerner le profil de ces jeunes, mais leurs trajectoires migratoires restent à préciser. Les routes maritimes et terrestres sont davantage médiatisées (sans qu’on connaisse la proportion exacte de mineurs qui les empruntent), c’est pourquoi je propose de mettre en lumière la situation des mineurs qui utilisent la voie des airs et de souligner la pluralité des routes et expériences vécues par ces jeunes avant leur arrivée en France.

    La voie des airs, une migration peu connue

    Si la migration des mineurs est souvent évoquée par le prisme de parcours particulièrement difficiles, tous les voyages n’impliquent pas que les jeunes bravent l’impossible pour rejoindre l’Europe. La majorité des mineurs que nous avons interrogés expliquent avoir réalisé la plus grande partie de leur parcours migratoire en avion, notamment pour les destinations les plus éloignées de l’Europe, du Pakistan à l’Italie, par exemple, ou du Congo en France.

    L’arrivée dans un pays européen ne marque pas toujours la fin de la migration. Pour certains, le trajet par avion est une première étape, celle qui représente la part la plus importante du voyage jusqu’en Europe. Une fois arrivés, ils continuent leur voyage en bus, en train ou en voiture pour rejoindre la destination visée.

    Ils appartiennent à des familles assez aisées pour payer le billet, mais aussi à des milieux plus modestes, dans lesquels familles et jeunes ont économisé sur le long terme. L’avion protège les mineurs les plus fragiles (filles ou enfants en bas âge) en leur permettant de quitter légalement et sans dangers le pays d’origine. Un mineur peut être inscrit sur le passeport d’un adulte désigné tuteur par ses représentants légaux. Certains disent ainsi avoir voyagé aux côtés d’un « oncle » ou d’une « tante », ou encore de passeurs chargés de faire le voyage avec eux. Ces adultes les abandonnent souvent, une fois le voyage réalisé, les laissant livrés à eux-mêmes dans les aéroports, leurs papiers d’identité détruits.

    Lorsque nous les interrogeons, ils ont peu de souvenirs de ce voyage. En une nuit, voire en quelques heures, ils sont passés d’un continent à un autre sans réaliser l’importance des distances parcourues. Ils ont aussi du mal à parler des lieux de leur migration et à situer les étapes de leur voyage vers l’Europe. C’est une perte des repères de plus pour des jeunes qui ont besoin, comme les autres, de construire leur identité grâce à une certaine permanence des environnements qui les entourent.

    L’acquisition d’un « #savoir-migrer »

    Lorsque ces mineurs arrivent en France, où ils seront pris en charge, ce n’est pas toujours la première fois qu’ils migrent. Seuls ou accompagnés de leurs proches, pour un voyage scolaire, des vacances en famille ou un premier exil, ces expériences ont permis l’acquisition d’un « savoir-migrer ». La migration internationale fait déjà partie intégrante de leur vie.

    Ibrahim*, dont le voyage est représenté sur la deuxième carte, n’a que onze ans quand il émigre d’Algérie pour la Turquie, avec le projet de rejoindre la Grèce. Ce voyage, effectué avec des voisins de son quartier, est le premier d’une longue série. Malgré la durée de son séjour en Grèce, Ibrahim dit n’avoir jamais bénéficié d’une protection institutionnelle à Athènes et avoir vécu pendant près de quatre ans dans la clandestinité. Inscrit dans des réseaux de revente de drogue, il s’établit dans une vie d’errance qui semble l’avoir profondément marqué.

    Quelques mois après son retour en Algérie, Ibrahim repart pour l’Europe et se dirige cette fois-ci vers l’Espagne. Il organise seul cette seconde migration, comme tous ses déplacements. Le fait que son pays soit proche de sa destination joue un rôle important dans sa migration. J’ai pu constater, au cours de ma recherche doctorale, que tous ceux qui avaient déjà migré en Europe étaient originaires du Maghreb. D’autres, en provenance d’Afrique de l’Ouest ou d’Asie, témoignent aussi d’expériences antérieures, mais hors d’Europe.

    Certains racontent avoir vécu entre plusieurs pays proches du leur pour suivre l’activité de leurs parents ou contribuer à l’économie de la famille. Djibril a accompagné son oncle dans la vente de bétails entre le Mali et la Mauritanie ; Ousmane a parfois été lui-même responsable d’échanges marchands régionaux.

    Le cas de ces mineurs invite à dépasser la vision de jeunes sans expériences migratoires ni « savoirs-migrer ». Rarement envisagés au regard de leur âge, ces voyages antérieurs éclairent ce qu’ils nous disent et donnent à comprendre la trajectoire heurtée et complexe de ces mineurs engagés sur les routes de la migration, parfois depuis plusieurs années.

    http://icmigrations.fr/2020/03/25/defacto-017-04
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