Gaza démunie face à l’imminence de l’épidémie

/gaza-demunie-face-a-l-imminence-de-l-ep

  • Gaza démunie face à l’imminence de l’épidémie
    Louis Imbert, Le Monde, le 27 mars 2020
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/03/27/gaza-demunie-face-a-l-imminence-de-l-epidemie_6034631_3210.html

    Une fissure dans la digue et l’eau s’infiltre, sans bruit. On pourrait imaginer ainsi la catastrophe sanitaire sans commune mesure qui se prépare à Gaza, et qui demeure pour l’heure presque invisible. Seuls neuf cas de contamination par le SARS CoV-2 avaient été détectés au 26 mars, au point d’entrée de Rafah, à la frontière qui sépare l’enclave palestinienne de l’Egypte. Tous ont été prestement confinés dans un centre de soins voisin. On ne dénombre aucun mort pour le moment. Mais les professionnels de santé craignent que des malades, non identifiés faute de tests, ne circulent déjà à l’intérieur du territoire.

    « La question n’est pas de savoir si l’épidémie se répandra à Gaza, mais quand ? », affirme Majdi Dohair, qui coordonne les mesures d’urgence au sein du « ministère de la santé » local, sous contrôle du Hamas. Joint par téléphone, puisque l’accès n’est plus possible aux étrangers, il fait ce constat amer : « Nous ne sommes pas coupés du monde. »

    Certains espéraient en effet que le blocus partiel imposé par Israël à l’enclave, depuis la prise du pouvoir du Hamas en 2007, ferait barrage au coronavirus. « Mais plus personne ne croit encore que Gaza pourra y échapper », résume Matthias Schmale, directeur local de l’Agence des nations unies pour les réfugiés (UNRWA). M. Schmale redoute l’apparition des premiers cas de contamination « indigène » parmi les 2 millions de Palestiniens qui s’entassent dans cette bande de terre exiguë, longue de 40 kilomètres : l’une des plus folles densités urbaines au monde. « Alors, l’épidémie se répandra comme un incendie : Gaza sera un enfer sur terre. »

    Les deux premiers cas interceptés à la frontière, le 19 mars – deux prédicateurs musulmans âgés, de retour du Pakistan – ont fait l’effet d’une bombe. Depuis lors, la circulation s’est réduite, en application de mesures décrétées encore plus tôt par le Hamas. Les écoles ont été fermées dès le 6 mars et les passages aux frontières réduits le 12 mars : seuls les biens commerciaux passent encore. Le 22 mars, les autorités ont ordonné un couvre-feu partiel et la fermeture des salles de mariage, des marchés et des restaurants, puis celle des mosquées, jeudi 26 mars. Pour une économie asphyxiée depuis longtemps, où plus de 60 % de la jeunesse est au chômage, c’est un arrêt de mort.

    2 000 personnes confinées

    Le mouvement islamiste a aménagé à la hâte vingt et un centres de quarantaine dans des écoles ou des hôtels. Il construit aussi deux installations de 500 places chacune aux frontières avec l’Egypte et d’Israël. Mais les capacités manquent : jeudi 26 mars, les autorités ont reconnu que les deux prédicateurs infectés avaient contaminé sept de leurs gardes. Depuis lors, elles font tester tous ceux qui ont pu entrer en contact avec eux, dans le périmètre de leur centre de soins : 160 personnes, selon M. Dohair.

    Le 24 mars, 1 400 personnes s’entassaient dans les centres de quarantaine, dans des conditions précaires, manquant d’eau et d’installations sanitaires de base, selon le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). S’il y a effectivement des malades parmi elles, ces centres risquent de se transformer à leur tour en foyers d’infection. Mais il y a plus grave : près de 2 000 personnes revenues de l’étranger avant l’ouverture de ces centres demeurent à l’isolement chez elles. S’ils sortent, ils risquent un an de prison et une amende de 1 200 euros, une fortune. Mais les autorités reconnaissent que cette injonction à demeurer chez soi semble impossible à Gaza, où l’idée même de confinement est inenvisageable. La majorité des familles s’entasse dans des logements étroits, les allers et venues sont incessantes, les réserves de nourriture souvent limitées. L’électricité fonctionne huit heures par jour, l’eau non polluée manque et l’eau potable s’achète en magasin.

    Pour l’heure, aucun malade présentant des symptômes ne s’est encore rendu dans les hôpitaux. « On ne peut pas le mesurer, mais il est presque certain que des cas existent. A un moment, plusieurs cas compliqués, dans un état déjà dégradé, arriveront d’un coup », craint pour sa part Ely Sok, chef de mission de Médecins sans frontières, à Gaza. L’organisation s’apprête à installer une unité de soins dans un des hôpitaux de l’enclave, aucun n’ayant une réelle capacité à faire face. Ils sont affaiblis par le blocus israélien et ne se sont pas remis des bombardements de trois guerres récentes, la dernière en 2014.

    Les personnels savent traiter un afflux de blessés par balle, mais à peine une vingtaine de docteurs sont formés pour affronter une telle épidémie, selon M. Dohair. Quant au matériel, tout manque. Gaza est un cul-de-sac où les respirateurs et les ventilateurs, après lesquels court le monde entier, risquent d’arriver bien tard. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fourni quelques centaines d’équipements de protection individuelle, une petite tonne de désinfectant, mais pas encore de médicaments – Gaza n’a quasiment pas d’antiviraux. « Au total, nous pouvons peut-être traiter quelques dizaines de cas à la fois. Mais si les malades sont plus nombreux, nous nous écroulerons », affirme M. Dohair.

    Aide minimale d’Israël

    Une telle saturation risque d’être aggravée par la fermeture du terminal d’Erez, où 1 700 malades graves, sans lien avec le coronavirus, se sont vu refuser le passage par les autorités israéliennes pour être soignés à Jérusalem-Est. Seuls passent encore des malades du cancer et des cas particulièrement urgents. Selon l’ONU, environ 4 000 opérations prévues au dehors ont également été repoussées. L’Etat hébreu facilite le passage de l’aide internationale, mais il n’a offert qu’une aide minimale. Il manque lui-même de moyens pour ses hôpitaux. Mais il sait aussi qu’il sera mis devant ses responsabilités, si l’épidémie emporte Gaza.

    Quant à l’Autorité palestinienne (AP), à Ramallah, elle recrée une forme de coopération avec le Hamas à mesure que la crise se fait plus concrète, à travers l’OMS et l’UNRWA. Mais c’est avec difficulté. Selon Bassem Naïm, haut responsable du Hamas, l’AP « refuse encore d’établir un comité de gestion conjoint de la crise ». Il craint que Ramallah, qui a coupé une large part dans les salaires des fonctionnaires dans l’enclave, dès 2017, ne retienne des fonds de donateurs internationaux. Selon OCHA, environ 1,4 million d’euros ont été provisionnés pour l’heure, pour un premier plan d’aide d’un coût total de 5,9 millions.

    #Palestine #coronavirus #Gaza

    Voir compile des effets délétères indirects de la pandémie :
    https://seenthis.net/messages/832147