L’état d’urgence sanitaire ouvre des brèches dans l’Etat de droit

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  • Coronavirus : L’état d’urgence sanitaire ouvre des brèches dans l’Etat de droit
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    COLCANOPA
    La Constitution n’est pas suspendue, mais on peut y déroger en raison des circonstances liées à la crise du Covid-19. C’est le raisonnement totalement inédit que le Conseil constitutionnel a tenu dans sa décision rendue jeudi 26 mars sur la loi organique du 23 mars, votée avec la loi sur l’état d’urgence sanitaire.

    Le Conseil constitutionnel lui-même a autorisé une dérogation à la Constitution. Les nouvelles règles de fonctionnement des juridictions posent aussi question.

    Cette loi organique est constituée d’un article unique. Elle suspend jusqu’au 30 juin le délai dans lequel le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation doit se prononcer sur le renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel et celui dans lequel ce dernier doit statuer sur une telle question.

    Les conditions de vote par le Parlement de ce texte n’ont pas respecté la Constitution. Celle-ci prévoit (article 46) que l’Assemblée nationale ou le Sénat ne peuvent pas délibérer sur un projet de loi organique « avant l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt ».

    Un tel délai avait été introduit par le constituant de 1958 pour laisser un temps au débat public, avant de pouvoir voter un texte portant sur le fonctionnement des institutions. Or, ce projet de loi, adopté en conseil des ministres le 18 mars, a été voté au Sénat dès le lendemain, avant son approbation par les députés le 21 mars.

    « Il y aura accoutumance »

    Le Conseil constitutionnel, présidée par Laurent Fabius, a néanmoins jugé que cela n’était pas un problème. « Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution », écrivent les « sages » dans leur décision.

    « Cela crée un précédent autorisant à déroger à la Constitution en fonction de circonstances exceptionnelles », dénonce Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
    « C’est la pire décision que le Conseil constitutionnel a prise depuis 1958, cela crée un précédent autorisant à déroger à la Constitution en fonction de circonstances exceptionnelles », dénonce Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Le Conseil constitutionnel se défend d’une telle brèche dans l’Etat de droit : « Cela n’a rien à voir avec la théorie des circonstances exceptionnelles développée par le Conseil d’Etat, c’est une appréciation au regard de la situation d’espèce », y insiste-t-on. « Il y aura accoutumance, les contrôleurs ont lâché prise », tranche M. Cassia.
    Sur le fond, l’article unique de cette loi organique ne poserait pas de problème majeur, selon le #Conseil_constitutionnel. S’il n’impose plus de délai court pour l’examen des #QPC, il « n’interdit [pas] qu’il soit statué sur une question prioritaire de constitutionnalité durant cette période ». Il faut ainsi comprendre entre les lignes que le Conseil constitutionnel pourra examiner en urgence les questions portant sur la constitutionnalité de telle ou telle disposition de la loi sur l’état d’urgence sanitaire… comme il l’avait fait pendant l’état d’urgence de 2015-2017. En revanche, les autres QPC devront attendre.

    D’ailleurs, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat se sont organisés pour ne plus traiter que les questions urgentes de libertés publiques ou de libertés individuelles. Au Quai de l’Horloge, seule la chambre criminelle tient encore ses deux audiences hebdomadaires sur les pourvois concernant les affaires avec des personnes détenues. Au Palais-Royal, « seuls les référés portant sur des mesures liées à la crise sanitaire vont jusqu’à l’audience », affirme Louis Boré, président de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Les trente ordonnances adoptées lors des conseils des ministres des 25 et 27 mars ne manqueront pas d’alimenter ainsi de nombreux recours devant le Conseil d’Etat.

    Des dispositions « pas nécessaires »

    De ce point de vue, l’Etat de droit est maintenu. Pourtant, M. Boré s’alarme par exemple d’un « accès au juge qui devient fictif en raison des conditions de pourvoi en matière pénale ». Si le délai pour se tourner vers la Cour de cassation passe de cinq à dix jours dans cette période exceptionnelle, les difficultés du courrier et de transmission de pièces dans une procédure non dématérialisée rendent un tel recours hypothétique.

    « De nombreuses dispositions prises dans les ordonnances n’étaient pas nécessaires au regard des problèmes posés par l’épidémie », estime Béatrice Voss, présidente de la commission libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux. L’ordonnance « portant adaptation de règles de procédure pénale » instaure de nombreuses dérogations aux règles de fonctionnement des juridictions afin de leur permettre de gérer les situations d’urgence au moment où la plupart des magistrats et des greffiers sont confinés chez eux.

    En matière de justice des mineurs, par exemple, alors que réunir l’enfant, ses deux parents, leur avocat et l’éducateur de protection judiciaire de la jeunesse est sans doute compliqué, « le juge des enfants pourra prolonger de plusieurs mois une mesure de placement en l’absence de débat contradictoire, relève Mme Voss. Les droits de l’enfant et des parents sont totalement bafoués ».

    Juge unique, au lieu de trois

    Tandis que les tribunaux se sont organisés dans le cadre de plans de continuité d’activité pour gérer les affaires urgentes, l’ordonnance prévoit que certaines audiences pourront se tenir avec un juge unique, au lieu de trois, que l’absence de public pourra être décidée pour des raisons sanitaires et que le prévenu, s’il est détenu, pourra être entendu par visioconférence, voire par téléphone.

    En matière civile, certains litiges pourront être tranchés sans audience, c’est-à-dire sans la présence des intéressés ni de leurs avocats. « Le fantasme gouvernemental d’une procédure sans la présence du justiciable (…) pourrait être ainsi enfin totalement assouvi » , écrit le Syndicat de la magistrature, qui s’inquiète de voir ces dispositions maintenues au-delà de la fin de période de confinement de la population.

    « Le risque de cet état d’urgence sanitaire est qu’il constitue un laboratoire s’il s’installe dans la durée », a prévenu Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, vendredi 27 mars, lors d’un colloque qu’il a organisé en ligne avec de nombreux chercheurs sur le thème du « droit face aux circonstances sanitaires exceptionnelles ». Selon lui, les initiatives prises ici ou là de surveillance de la population par des drones, ou encore d’interdiction préfectorale d’activités ou de lieux qui vont au-delà des mesures gouvernementales, banalisent dangereusement des atteintes aux libertés fondamentales.

    #état_d’urgence_sanitaire #libertés_fondamentales

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