• Le #mal-logement et ses enjeux à #Marseille, une veille cartographique (2018-2020)

    L’effondrement de deux immeubles dégradés du centre ville le 5 novembre 2018, faisant huit victimes, a déclenché une vague sans précédent de milliers d’évacuations préventives d’immeubles dégradés reconnus “en péril”, éclairant subitement les problèmes anciens de logement, de pauvreté et les besoins en matière de politiques publiques à Marseille. L’un des deux immeubles non entretenus et effondrés appartenait depuis des années à la Ville à travers sa société Marseille Habitat, l’autre à des propriétaires privés.
    Ce double effondrement a provoqué un choc émotionnel et politique, révélant le bilan de décennies de “laisser-faire” face au mal-logement et aux risques environnementaux urbains dans le centre de Marseille (la pluie et les glissements de terrain, invoqués comme cause des effondrements). La soudaineté des évacuations déclenchées ensuite (entre 3000 et 4000 personnes) évoque un contexte d’urgence humanitaire plus habituel dans les villes des Suds qu’en France. En février 2020, ce sont 497 adresses qui au total ont été évacuées en urgence . En mars 2020, ces évacuations se poursuivent et continuent à toucher des habitants de quartiers centraux (Noailles, Belsunce, Panier, Joliette) et péri-centraux (Belle de mai, Versailles), et de quelques copropriétés dégradées périphériques.
    Ces événements, cette crise et sa gestion questionnent la responsabilité des pouvoirs publics, celle des acteurs privés et la place des habitants plus précaires dans la cité. Après de fortes mobilisations sociales, de longues négociations entre pouvoirs publics et associations ont abouti à l’adoption d’une charte du relogement , signée entre la Ville, l’Etat, des collectifs et associations le 8 juillet 2019. Le suivi de cette charte se fait à travers des réunions périodiques entre signataires, non sans tensions dans un contexte pré-électoral. En janvier 2020, la conseillère municipale en charge de ce dossier démissionne de ses fonctions d’ajointe au logement en regrettant le manque de moyens publics et le non respect de cette charte. Plus d’un an après, le bilan de la gestion de cette crise humanitaire et du respect de cette charte n’a toujours pas été réalisé, un appel d’offre est en cours. La mobilisation d’associations pour remettre le mal-logement au centre de l’agenda politique marseillais a trouvé un écho néanmoins assez atténué au moment des élections municipales de mars 2020.

    Sur ces questions, nous avons contribué au rapport du Haut Comité au Logement des Personnes Défavorisées (HCLPD), Marseille, de la crise du logement à la crise humanitaire (novembre 2019) puis en lui fournissant unRecueil_de cartes_2019_sur_Marseilleet son contexte social, notamment celui du logement social (mise en ligne sur le site du HCLPD février 2020).
    Le caractère dramatique de l’événement déclencheur ne doit pas occulter les problèmes de fond, structurels, bien connus des observateurs à Marseille : fortes inégalités sociales et fragmentation urbaine, pauvreté (26%, 200 000 personnes) très concentrée au centre ville, dans plusieurs grosses copropriétés dégradées excentrées, et dans les quartiers où se concentre le logement social ancien.
    Ces problèmes sont aggravés par des inégalités de traitement entre les territoires de la ville, le manque de logements “très sociaux”, accessibles aux plus modestes, à la mesure des besoins (surtout en centre ville).


    Le mal-logement en période de confinement

    L’entassement des habitants dans des logements surpeuplés des quartiers populaires du centre-ville, des copropriétés dégradées et dans certaines cités de logements sociaux (Air bel) renforce les autres formes d’inégalités au quotidien en période de confinement face au Covid. Rappelons que les inégalités ne sont pas seulement intra-marseillaises, mais encore plus forte à l’échelle de la métropole Aix Marseille Provence. Cela nous est montré par l’analyse du nombre de personnes par pièce (qui rentre dans la composition de l’indice de surpeuplement, ce dernier, plus complexe, tient compte de la surface et de la proportion d’enfants). la carte suivante a été élaborée réalisée pour analyser les conditions de vie des jeunes en situation de confinement (dans le cadre du projet Graphite 2020).

    1.2018-2019 : une vague d’évacuations préventives dans le parc d’habitat dégradé des quartiers centraux
    Entre novembre 2018 et novembre 2019, selon nos estimations croisant et recoupant des sources officielles et d’associations, au moins 1300 foyers (plus de 3000 personnes) ont été évacués en urgence, d’immeubles principalement situés au centre et déclarés inhabitables. Début novembre 2019, nous avons dressé la carte des 409 immeubles touchés par l’un des 68 arrêtés et/ou des 330 arrêtés de péril qui se sont succédé et comportent une interdiction d’occuper (en examinant et en géolocalisant toutes les adresses concernées par les arrêtés, car un même arrêté peut concerner plusieurs immeubles, certains ne préconisent pas d’évacuation).

    A cette date, 399 immeubles avaient été évacués tout ou partie (immeuble entier en général, quelques appartements dans certains cas). La moitié environ d’entre eux font aujourd’hui l’objet d’une “mainlevée” de l’arrêté de péril.
    Ces arrêtés de péril concernent majoritairement des habitants très modestes, violemment déstabilisés par ces délogements. Après une gestion improvisée au début, parfois brutale et souvent conflictuelle, la mise en place de dispositifs professionnalisés a permis de mieux prendre la mesure de cette crise inédite. D’abord la mise en place de deux MOUS[1] , l’une pour le relogement temporaire des ménages évacués (10 décembre), l’autre pour leur accueil et leurs suivi social ( février). Les associations ont mené à bien la longue négociation d’une la charte du relogement (janvier-juin, validée en conseil municipal le 17 juin, signée le 8 juillet) entre Mairie, Etat, collectifs et associations, avec la création d’un comité de suivi partenarial. Elle garantit, entre autres, un “droit au retour au centre” des habitants évacués.
    Malgré la mise en place de ce comité de suivi réunissant régulièrement Ville, Etat, opérateurs privés (France Horizon, Soliha) et associations, les pouvoirs publics n’ont longtemps pas communiqué d’informations précises et localisées sur le devenir des ménages évacués. Une polémique sur les risques d’éviction de ces ménages les plus modestes hors du centre-ville s’est nourrie de ce climat d’urgence et d’opacité dans le contexte des forts enjeux de renouvellement urbain pour les vieux quartiers de Marseille proches du Vieux Port.

    2. Arrêtés de périls, évacuations : banalisation des procédures d’urgence
    Au fil des mois, et tandis que se mettent en place des plans de rénovation du centre-ville, les arrêtés de périls imminents et les évacuations se poursuivent. Chercheurs et étudiants d’Aix Marseille Université (LPED) ont continué la veille En février 2020, ce sont 497 adresses qui sont touchées par des arrêtés d’évacuation et/ou de péril imminent. On ne constate pas de changement majeur dans la localisation des zones concernées : hypercentre ville ancien, toujours. Dans le détail, on constate que certains nouveaux espaces sont concernés principalement à partir de l’été 2019, correspondant à des zones de chantiers de rénovation, comme si l’arrêté de péril imminent et l’évacuation en urgence des habitants devenait un outil pour sécuriser les aménagements en cours.

    3. une cartographie des évacuations d’urgence et des relogements : un travail collaboratif entre géographes universitaires, la Commission des délogés du Collectif 5 novembre, les associations Marseille en Colère, Un Centre Ville pour tous, en lien avec la Fondation Abbé Pierre
    L’initiative d’une cartographie des arrêtés de péril avait été lancée dès le mois de janvier 2019, en collaboration avec le journal Marsactu qui a créé une animation accessible en ligne [https://marsactu.fr/cest-mon-data-chronologie-dune-vague-de-perils/]. Puis, face à la carence et l’imprécision des données publiques sur les trajectoires des ménages évacués, nous avons élaboré un outil de suivi indépendant, en collaboration avec l’Association Un Centre Ville Pour Tous, la Fondation Abbé Pierre et avec un développeur informatique bénévole (Datas-Collect). [présentation de l’initiative ici, par le journal Marsactu]
    Ce travail, réalisé selon les règles de l’art scientifique (questionnaire, géoréférencement, saisie, vérifications, validation) a démarré avec des étudiants en février 2019. Il s’est appuyé sur la veille réalisée depuis novembre 2018 par les permanences de la Commission des délogés du Collectif 5 novembre et de l’Association Marseille en Colère. Depuis le 5 novembre 2018, les deux cellules de crise bénévoles de ces associations soutiennent et accompagnent sans relâche dans leurs démarches environ 500 ménages évacués[2].
    Après avoir conçu et construit l’outil en collaboration avec les associations (décembre-février), défini le cadre déontologique de la démarche (mars), il a été possible, avec l’appui d’étudiants volontaires, de cartographier et de documenter les trajectoires d’une partie de ces ménages.
    La démarche, basée sur de nombreuses rencontres avec les associations et des habitants évacués, a été volontairement tenue discrète, les participants s’y étant engagés afin d’éviter toute instrumentalisation des observations qui concernent 368 ménages sur les 500 environ référencés par les collectifs et associations (ceux pour lesquels les associations disposent d’une information suffisante).

    368 ménages évacués
    Hébergement temporaire 1 : 302
    Hébergement temporaire 2 : 100
    Hébergement temporaire 3 : 27
    Hébergement temporaire 4 : 11
    Relogement proposé 1 : 43
    Relogement proposé 2 : 9
    Relogement proposé 3 à plus : 6
    Relogement longue durée ou réintégration : 93

    En septembre 2019 les 368 ménages dont les trajectoires sont directement suivies par les collectifs et associations représentaient 955 personnes déplacées, 554 adultes, 309 mineurs de 4 à 18 ans, 72 enfants moins de 4 ans (dont 11 naissances pendant l’hébergement en hôtel). Le suivi des associations s’est concentré, au début, sur la gestion du quotidien. Les évacuations, surtout les premières semaines, ont été brutales, dans une ambiance de stress lié à une vague de signalements d’immeubles à risque à Marseille.
    Jusqu’en novembre 2019, et malgré une amélioration suivant la signature de la charte du relogement, certaines évacuations ont continué à être diligentées hors cadre légal, sans arrêté officiel (l’arrêté venant plusieurs jours après l’évacuation). Des habitants ont été évacués par les marins pompiers et la police en quelques dizaines de minutes, disposant ensuite d’une brève visite sous escorte pour récupérer quelques objets de première nécessité. les personnes ont alors été orientées vers des hôtels, une “cantine” d’urgence étant mise en place par la Ville sur la Canebière (Maison des associations). Sous la pression des associations, nombre de familles ont ensuite été placés dans des appart’hotels permettant la préparation de repas et un semblant de vie familiale.
    Au stade actuel de la saisie (mi sept. 2019), la carte montre 368 domiciles de ménages évacués depuis le 5 novembre (avec ou sans arrêtés de péril), leurs 441 hébergements temporaires successifs (hôtels, appart’hôtels), les appartements qui leur ont été proposés en convention d’occupation provisoire. Dans 93 cas, la trajectoire du ménage va jusqu’à la réintégration du domicile initial ou le relogement de longue durée, que ce soit via la médiation de SOLIHA ou par les propres moyens des ménages.
    Depuis l’été, de nouvelles évacuations d’immeubles en péril, parfois déclenchées par le voisinage, parfois associées à des travaux, à des projets de réaménagements du centre ville (périmètre de l’Opération d’Intérêt national EUROMED notamment) accroissent la pression.

    les hébergements d’urgence (hôtels et appart’hôtels)

    Pour les locataires évacués dans le cadre d’un Arrêté de péril (ce qui est la voie légale ), l’hébergement incombe légalement au propriétaire bailleur, le temps de réaliser les travaux prescrits. Nombre de propriétaires ont assumé correctement ce devoir. Mais les défaillances sont nombreuses, et sous la pression des associations, la Ville a assuré le relais – à charge pour les propriétaires de rembourser. Certains “marchands de sommeil” ont fait réaliser des travaux bâclés, insuffisants pour permettre une réintégration, ou réduits au strict minimum relatif à la sécurité, sans traiter l’insalubrité des immeubles (ou même en l’aggravant). Soucieux de rentabiliser la situation, certains propriétaires ont tenté de reloger leurs locataires dans d’autres logements tout aussi indignes. L’un a tenté de profité du relogement provisoire de ses locataires évacués pour détruire leurs affaires personnelles et relouer les appartements. Plusieurs immeubles évacués, mal sécurisés, ont été squattés, cambriolés en l’absence des habitants, et certains évacués ont tout perdu. Habitants et associations, soutenus par la fondation Abbé Pierre, ont lancé des procédures judiciaires. Très longues, certaines commencent tout juste à aboutir.
    Pendant des mois, le provisoire s’est prolongé pour les ménages les plus fragiles suivis par le Collectif du 5 novembre et Marseille en Colère.

    Le lancement d’une MOUS “relogement”[1] confiée à SOLIHA les 10 décembre a ouvert des perspective de captation de logements à titre temporaire auprès de bailleurs sociaux et privés afin que ces ménages retrouvent un équilibre, pendant les travaux de mise en sécurité de leurs immeubles demandés aux propriétaires. Nombre de séjours forcés en hôtels ont duré de plusieurs semaines à plusieurs mois, dans l’attente de ces travaux. A l’été, nombre de ménages n’avaient toujours pas pu regagner leur domicile initial , ni récupérer meubles et vêtements, ni être relogés. Beaucoup demeurent encore, 1 an après, dans l’incertitude, en situation d’attente de relogement pérenne. Selon la « MOUS Relogement », 142 ménages et 336 personnes étaient encore “hébergés à l’hôtel” au 18 octobre 2019.

    Mais où se trouvent-ils, dans quels hôtels ? Et où se situaient les offres de relogements temporaires de longue durée ou définitifs proposés au ménages évacués au cours de ces 10 mois ? Faute d’information, les bénévoles des associations ont réalisé un travail de suivi quotidien dans les hôtels. C’est ainsi qu’a été réalisée cette cartographie, avec la collaboration des familles concernées : elle montre qu’à part quelques hôtels très excentrés, surtout lors des premières semaines (La Valentine, l’Estaque), la plupart des hébergements provisoires ont été ensuite rapprochés du centre-ville. Mais pour des raisons logistiques, beaucoup des ménages non relogés ont du changer plusieurs fois d’hôtels, certains plus de 5 fois en quelques mois, cette instabilité accentuant le traumatisme initial.
    L’une des priorités des associations a été d’accompagner ceux qu’elles appellent les “délogés” dans cette période traumatisante, palliant ainsi les fortes carences publiques. Réconfort moral et écoute, collectes de vêtements d’hiver (en décembre), puis d’été (en mai juin), de jeux pour enfants, organisation des fêtes de fin d’année, aide aux démarches administratives, prise de contact avec des avocats, cellule psychologique assurée par des professionnels bénévoles etc.
    Collectifs et associations ont exercé leur influence pour obtenir des hébergement plus conforme à une vie familiale, le regroupement des familles, le rapprochement des hébergements du logement d’origine.

    des réintégrations sous tension

    Un an après, 181 immeubles objet d’un AP sont officiellement considérés comme “réintégrables” (novembre 2019) après travaux prioritaires de mise en sécurité et main levée partielle d’arrêté de péril. Mais certains d’entre eux sont toujours lézardés de fissures inquiétantes et demeurent, par ailleurs, insalubres, conduisant des habitants à craindre de s’y réinstaller. Ils se souviennent qu’au 65 rue d’Aubagne, en 2018, les habitants avaient été autorisés à réintégrer leur immeuble après une telle mainlevée d’arrêté de péril, avant que celui-ci ne s’effondre sur eux.

    Après la mainlevée d’arrêté de péril, la réintégration du domicile de départ est parfois refusée et souvent contestée : travaux incomplets, appartements non remis en état d’occupation après travaux de sécurisation, persistance de fragilités dans l’immeuble, insalubrité qui était parfois associée au péril, et n’a pas été résorbée, voire s’est aggravée suite à des mois de non occupation.
    Tout comme les permanences bénévoles d’accueil et d’aide aux évacués[3], ou l’accompagnement juridique et social des ménages, cette veille cartographique associant universitaires et bénévoles a fonctionné pendant l’été 2019 : informaticien, géographes, membres de la Commission des délogés du Collectif 5N, de Marseille en Colère, Un Centre Ville pour Tous avec l’appui de la Fondation Abbé Pierre.
    4.Bilan du suivi officiel des relogements temporaires en septembre 2019 : 1186 ménages évacués

    La description de ce dispositif collaboratif lors d’un entretien collectif auprès du journal MARSACTU le 5 juillet 2019 a suscité des échanges lors des comité de suivi de la charte du relogement de l’été 2019. Nous avions proposé aux pouvoirs publics et à SOLIHA (opérateur de la MOUS qui gère la recherche de relogements et l’accompagnement des familles) de s’associer à cette démarche. La préfecture a accepté le principe d’une collaboration en juillet 2019, des données nous ont été remises fin septembre 2019.Les pouvoirs publics (préfecture, Ville) ont alors commencé à donner plus de transparence aux chiffres de la MOUS relogement.

    Le 18 septembre 2019, avec l’accord de la préfecture et de la ville, SOLIHA a remis à l’Université des données chiffrées détaillées, anonymisées mais géolocalisables (adresses évacuées, adresses des relogements proposés et acceptés par les familles) concernant la MOUS relogement. Elles permettent de dresser un bilan de près d’une année de suivi des ménages évacués éligibles au relogement (locataires titulaires d’un bail). Plusieurs réunions et des échanges ont eu lieu pour valider, cartographier et diffuser ensemble des données de cette gestion de crise. Les cartes et graphiques qui en résultent ont été présentés en comité de pilotage de la MOUS relogement le 21 novembre 2019. [4]

    Il est donc possible de rendre compte de cette année de gestion de crise en combinant données officielles, éclairages du terrain et explications, ce qui peut favoriser le suivi de la “charte du relogement” et la concertation entre toutes les parties prenantes : habitants, organisations sociales, Collectivité, Etat.

    capter et sélectionner les logements

    La mission de la MOUS qui est de reloger temporairement les ménages évacués (locataires titulaires d’un bail) se base sur un repérage et une captation de logements sociaux et privés. Au début de sa mission le 10 décembre 2018, SOLIHA ne dispose que d’une centaine de logements pour plusieurs centaines de ménages évacués. En une année, plus d’un millier de logements ont fini par lui être proposés par bailleurs sociaux et privés, mais la moitié ont du être refusés en raison de leur éloignement du centre, ou de leur mauvais état. Seuls 550 baux environ ont été signés entre SOLIHA et les bailleurs, permettant ensuite d’y loger les ménages sous forme de “convention d’occupation temporaire”.

    les contraintes de l’offre de logements sociaux

    La mission de relogement des ménages évacués butte particulièrement sur le manque de logements sociaux au centre-ville ancien où prédomine d’un habitat privé, de rente locative, très dégradé. Dans l’ensemble, malgré une légère progression récente la ville de Marseille est légèrement déficitaire en logement SRU (21,01%), mais le déficit est plus fort si l’on exclut du calcul les logements étudiants et les logements de loyers “intermédiaires” qui, de fait, ne sont pas accessibles aux plus modestes… et de manière criante dans certains arrondissements : les logements sociaux familiaux, surtout les “très sociaux” sont peu nombreux au centre (1er, 2eme,4eme, 5eme) concentrés au Nord (15eme) et au centre nord de la ville(3eme), absents des arrondissements du sud (6eme, 7eme, 8eme) et du 12eme. La production de logements sociaux de ces dernières années a produit quelques milliers de logements “très sociaux”, mais presque tous dans les quartiers nord. Quelques milliers de logements “intermédiaires” créés autour des périmètres de projets (Euromed, ZAC ou zones de rénovation) sont inaccessibles aux plus modestes.

    Les contrastes, carences et besoins en logement social doivent aussi êtres lus à l’échelle de la métropole AMP (Aix Marseille métropole), dont les inégalités et le déficit de solidarité territoriale ont été pointées par un récent rapport de l’OCDE. La Métropole elle même s’est constituée tardivement et sous la pression de l’Etat, une partie des communes très favorisées du pays d’Aix refusant de s’associer à Marseille. En pleine crise du logement indigne et des évacuations, le programme local de l’habitat (PLH) métropolitain à l’échelle des 92 communes réunies, difficilement élaboré (et pourtant jugé trop timide par nombre d’associations) a été repoussé par une majorité des élus de la métropole, alors que plusieurs de ces communes comptent parmi les plus fortement carencées de France en logement social.

    4. Les enjeux
    En pleine période pré-électorale (élections municipales, mars 2020) et au moment ou des documents d’urbanisme importants pour la politique de logement abordable (PLUI et PLH) sont débattus, cette crise éclaire aussi brutalement les effets d’un système séculaire d’arrangements et d’informalité qui, certes, a permis à des ménages populaires de demeurer en centre ville… mais parfois dans des conditions indignes, et pour le plus grand profit de certains propriétaires privés indélicats ne mettant pas leur patrimoine aux normes d’habitabilité.

    La fabrique urbaine de Marseille est, historiquement, dominée par des logiques privées et par des arrangements les plus divers entre public et privé, pour le meilleur (tolérance, convivialité) et pour le pire (clientélisme). Nous l’avons déjà étudié en analysant la genèse historique des fermetures résidentielles à Marseille. Cette forme de “compromis de coexistence” est constitutif tant des formes d’urbanités marseillaises que de son histoire politique. La planification et les régulations ont été réduites au minimum, conduisant, à plusieurs reprises dans l’histoire, à des interventions directes de l’Etat face à des urgences.

    Dans les années 60, la stratégie de construction des logements sociaux, majoritairement dans les quartiers nord était sous-tendue par des logiques clientélistes, a accentué un dualisme urbain de part et d’autre du centre paupérisé, lui-même abandonné au marché locatif puis spéculatif. Les quartiers centraux de Marseille ont ainsi joué, depuis longtemps, une fonction de transit et de logement des habitants plus pauvres dans un habitat de plus en plus dégradé, après le “glissement” des classes aisées et moyennes vers le sud et les périphéries. Ce centre, demeuré populaire jusqu’à cette dernière décennie, demeure très déficitaire en habitat social, surtout familial, malgré des projets successifs de résorption de l’habitat dégradé. Diverses initiatives de préemptions d’immeubles par la Ville ont été freinées par d’interminables procédures judiciaires. Bien des immeubles rachetés, pour créer du logement social n’ont pas été rénovés, sont restés des hôtels meublés, ont été maintenus vacants et/ou se sont dégradés, faute de moyens publics. Ainsi l’un d’entre eux, spécialement étudié, est loué 700 euros par mois par la Ville a un hôtelier. En échange de cette contrepartie, l’hôtel génère plus de 50000 euros de chiffre d’affaires déclaré et 12000 euros environ de bénéfices déclarés annuels.

    Les investissements de la Ville se sont orientés ailleurs : comme beaucoup de villes portuaires en crise post-industrielle, Marseille mise sur le tertiaire… En tant que ville subalterne, incapable d’attirer de véritables investissements productifs, il s’agit surtout d’économie résidentielle et de rente immobilière et touristique. Les options néolibérales sont assumées : rentabiliser le foncier, qui est supposé financer la fabrique urbaine, activer le potentiel des quartiers déjà attractifs (littoraux) et de quelques spots patrimoniaux, encourager le secteur immobilier locatif touristique et les centres commerciaux, au moyen de quelques partenariats publics-privés phares. Cela suppose mécaniquement un glissement des populations insolvables hors des espaces rentables, notamment ceux proches du Vieux Port. Divers projets comme celui de la rue de la République, artère haussmanienne reliant le Vieux Port et le port de croisières de la Joliette (2004-2007) ont déjà conduit, il y a 10 ans, à l’éviction d’une partie des locataires modestes d’immeubles privés anciens, délogés lors d’une vaste opération spéculative. Cet épisode avait déjà mobilisé des collectifs d’habitants et associations autour d’”Un Centre ville pour tous“, mobilisations déjà accompagnées par diverses études scientifiques.
    Ce défi d’un renouvellement concerté pour les quartiers centraux populaires et délabrés de Marseille, proche du Vieux port est à nouveau placé au centre des revendications de collectifs militants dans le cadre de cette crise des évacuations (associations historiques, comme Un centre Ville Pour Tous, collectifs récents directement liés aux effondrements, comme le Collectif du 5 novembre, ou Marseille en Colère, ou encore les tous nouveaux Conseils citoyens crés dans le cadre de la Politique de la Ville). Des mouvements informels comme “Marseille Vivant et Populaire” témoignent aussi d’une revendication de la diversité cosmopolite du vieux Marseille, au moment même où celui-ci commence à se transformer socialement (Belsunce, Noailles, le Panier, la Joliette). S’opposant à ce qui est qualifié de “stratégie de gentrification”, associations et collectifs contestant aussi, par diverses méthodes d’agit’propre, parfois humoristiques, des opérations urbaines de prestige menées dans ces périmètres d’où sont évacués les ménages les plus précaires.
    Cette année de crise a également eu pour effet de renforcer une presse locale très dynamique et souvent mobilisée (La Provence, Marsactu, la Marseillaise, le Ravi, avec la collaboration de Médiapart…), collaborant tant avec le monde associatif qu’universitaire, et qui a su se placer à la pointe d’investigations menées en réseau : analyses historiques, événements, monographies d’immeubles, de quartiers, chroniques des “marchands de sommeil” , critique du déficit historique des régulations et contrôles, tant de la part de la municipalité que de certains services d’Etat, comme l’ARS. [voir l’enquête de presse commune “la grande vacance”].

    https://urbanicites.hypotheses.org/2872
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