• Coronavirus : comment le Vietnam, pays « en développement », réussit à faire bien mieux que la France

    https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200328.OBS26732/coronavirus-comment-le-vietnam-pays-en-developpement-reussit-a-faire-bien

    Longtemps considéré comme un pays « pauvre », le Vietnam, îlot communiste en Asie du Sud-Est, a été félicité par l’OMS pour sa réaction face à l’épidémie de coronavirus. Pourtant, classé au 47e rang des puissances mondiales, le pays n’a pas les moyens de Singapour ou de la Corée du Sud. Analyse d’une stratégie de défense « low cost » mais efficace.

    « Rester chez soi, c’est aimer son pays ! » Le slogan sonne bon la propagande gouvernementale. Il a eu l’air pourtant plus écouté que le #restezchezvous, hashtag désespéré envoyé par les soignants en France, le week-end avant l’annonce du confinement, où la France a voté pour les municipales ou profité du soleil dans les parcs… 153 cas, dont l’immense majorité importés, et zéro décès, au 26 mars : la situation du Vietnam, l’un des pays les plus peuplés et denses de l’ASEAN avec 94 millions d’habitants, intrigue. Et incite à la modestie : quand tant de pays riches, comme les Etats-Unis ou la France, sont débordés par le coronavirus, voilà que le Vietnam, vu par les touristes comme « le-pays-pauvre-avec-des-enfants-sur-des-buffles-dans-les-rizières », semble réussir à contenir l’épidémie, alors qu’il était parmi les plus exposés, de par sa proximité avec la Chine. On a largement salué la réussite des dragons asiatiques plus nantis, Singapour, Taïwan ou la Corée du Sud. Le Vietnam, îlot communiste, est un cas à part.
    Corée du Sud, Taïwan, Hongkong... Les leçons des pays qui ont contenu l’épidémie de coronavirus

    Un seul exemple : les tests. La Corée du Sud, grâce à des capacités de production considérables, a pu tester 338 000 individus. En Europe, l’Allemagne a annoncé faire 300 000 tests par jour. Le Vietnam, lui, n’en a pratiqué que 15 637, adoptant de fait ce que le journal « Financial Times » a appelé une stratégie « low cost », avec en contrepartie une stratégie extrêmement offensive pour retrouver tous les patients contaminés et les cas contacts. Cette stratégie avait déjà porté ses fruits lors de l’épidémie de Sras, il y a seize ans, jugulée à un stade très précoce au Vietnam, avec 63 cas et 5 morts, dont le médecin qui avait sonné l’alerte. Paradoxe, d’ailleurs : le SRAS avait débuté au sein du rutilant hôpital français d’Hanoi, qui avait déploré les 5 décès, une situation aggravée par une infection nosocomiale, et beaucoup de contaminations chez les soignants. C’est l’hôpital traditionnel de Bach Mai qui avait pris la relève. Dans les salles à l’ancienne, sans air conditionné mais avec fenêtres grandes ouvertes, les familles, dûment gantées et masquées, s’occupaient des leurs pour les soins tels que la toilette et les repas, soulageant les aide-soignants. L’hôpital de Bach Mai avait réussi à limiter la contamination des soignants et le nombre de décès, un succès signalé par plusieurs études scientifiques.

    Sur le front du coronavirus, les Vietnamiens sont sur le pied de guerre depuis le tout début des alertes en Chine. Le pays reporte son premier cas − un Chinois, venu de Wuhan − le 23 janvier, le jour même où Wuhan est mis sous cloche après le 17e décès en Chine. Le premier ministre vietnamien, Nguyen Xuan Phuc, déclare : « Combattre l’épidémie, c’est combattre l’ennemi ». Nous sommes pendant les vacances du Nouvel an vietnamien. Le pays décide dès le 1er février de fermer partiellement ses frontières avec son puissant voisin, de ne plus délivrer de visa aux touristes chinois, et même de stopper les vols réguliers avec la Chine. Autre geste radical : la fermeture des écoles. Tuan, qui travaille dans le tourisme à Saigon, se souvient : « L’école a repris pendant une semaine après les congés et très vite ils ont annoncé que ça fermait ». Deux hôpitaux temporaires sont construits dans la région d’Hô-Chi-Minh-Ville. Une zone entière, dans le nord du Vietnam, est mise sous quarantaine pendant 21 jours. Les messages de prévention sur le coronavirus tournent en boucle sur les haut-parleurs, ces fameux haut-parleurs de la propagande gouvernementale présents dans toutes les villes et villages. « Très vite, les gens ont eu peur. On a déjà l’habitude de mettre des masques, pour la pollution ou la poussière. Mais là, on s’est mis à en porter partout, tout le temps, » se souvient Tuan. Sur les réseaux sociaux, la vidéo « Ghen Co Vy », un clip dansant incitant à bien se laver les mains, devient virale et connaîtra la gloire internationale, avec des concours de danse sur les réseaux sociaux, et même une mention dans le talk show de John Oliver aux Etats Unis.
    https://www.youtube.com/watch?v=7pFeKMWzclk&feature=emb_title


    La pop vietnamienne contre le coronavirus

    Par ailleurs, le gouvernement durcit son arsenal législatif. Des personnes accusées d’avoir colporté des fake news sur le virus sont convoquées par la police, 800 sont punies d’une amende. Le Ministère de la santé envoie régulièrement par SMS des informations sur l’évolution du virus ou des conseils d’hygiène. Les restaurants et lieux publics sont bien moins fréquentés qu’à l’habitude. Les Vietnamiens sont en mode « vigilance ».
    Le patient 17, une jet-setteuse de la mode.

    Pendant tout le mois de février, le nombre de cas reste très minime. L’épidémie semble en passe d’être résorbée : les 16 malades identifiés sont désormais guéris et ont quitté l’hôpital. Le Vietnam annonce d’ailleurs assouplir les restrictions à la frontière chinoise. Sauf que le danger ne vient plus de ce côté-là, mais de l’Occident. Le 6 mars, le Vietnam annonce l’existence du patient 17. Ah le patient 17 ! Nga Nguyen, 27 ans, mannequin et jet-setteuse, appelée le « patient zéro du monde de la mode » par le New York Times, vit entre Londres, Berlin et Hanoi. Or Nga Nguyen semble être une « super-spreadeuse » : en février, elle va à Milan pour le défilé Gucci, elle va à Londres, elle assiste à Paris au défilé Saint-Laurent, elle se montre aussi à un gala du Met. Elle tousse. Ce sont les premiers symptômes. Le 1er mars, elle rentre au Vietnam, sur le vol VN 5005, Londres-Hanoi, en classe business. Son chauffeur privé l’attend et l’emmène dans sa résidence. Elle est hospitalisée le 5 mars et testée positive. Sa tante et son chauffeur aussi. Les autorités confinent illico 200 personnes qui ont été en contact avec elle. Son quartier est mis en quarantaine et tout est mis en œuvre pour retrouver les passagers du vol VN 5005. Anna Moï, écrivaine française d’origine vietnamienne avait débarqué quelques jours avant ce vol fatidique, pour un atelier d’écriture qu’elle animait à Hoi An.
    "« Ils ont été très efficaces. La police allait dans les hôtels, pour retrouver les passagers du fameux vol. Grâce aux déclarations obligatoires à l’entrée du territoire, ils ont réussi à retracer tout le monde. Sans compter les voisins qui parlaient spontanément : tout se sait, au Vietnam ! En tout cas, j’ai vu clairement l’atmosphère changer. Il y avait beaucoup de défiance envers tous ceux qui venaient de l’étranger. Dans les magasins, on me prenait la température, et évidemment interdiction d’y rentrer sans masque. La maladie était devenue la maladie des Occidentaux… Une touriste néerlandaise m’a raconté que les cars de touristes étaient refusés sur les parkings des aires autoroutières. »"

    Comme beaucoup d’étrangers au Vietnam, l’écrivaine se conforme à l’usage général et porte un masque. Elle en a acheté d’avance, pour sa famille. Elle est revenue fin mars en France : « Quel paradoxe de ramener ça en France, alors qu’on est censé être un pays riche ! En France, on a répété pendant des mois que les masques étaient inutiles, ce qui est absurde… ». Autre mesure jamais appliquée en France, les contrôles sanitaires dans les aéroports. Dans les aéroports vietnamiens, il n’y a certes pas ces barrages à infrarouge qu’on voit dans les aéroports de Hongkong ou Singapour. Mais les douaniers et les policiers sont équipés tout simplement… de thermomètres.
    Quarantaines massives

    Un peu partout, des « blocs » (regroupements d’habitation) sont mis en quarantaine. Parce qu’il y a ici un touriste anglais déclaré positif, là un ressortissant italien, là encore un Viet-kieu (Vietnamien de la diaspora) revenu des Etats-Unis. En effet, alors que l’épidémie se répand à toute vitesse en Occident, la panique monte chez les Vietnamiens vivant à l’étranger. Le pays a certes bloqué ses frontières et suspendu l’octroi de visas aux étrangers. Mais les Vietnamiens de la diaspora, comme tous ces étudiants qui vivent au Canada ou aux Etats-Unis, veulent rentrer à la maison : leur pays, paradoxalement, semble désormais plus sûr. L’afflux d’arrivants complique la gestion de l’épidémie. Les quarantaines se multiplient dans des hôtels d’Etat, des résidences étudiantes. Des quartiers entiers sont bouclés. Le 21 mars, le gouvernement réquisitionne les bases militaires pour mettre en quarantaine tous les nouveaux arrivants. « Le problème, c’est la corruption. Les riches essaient de faire sortir leurs enfants ou leurs proches avec des dessous-de-table, » dit Lan, une Viet-kieu de France, dont les proches sont encore au Vietnam. Le gouvernement a donc décidé progressivement de confiner tout le pays. « Il y a d’abord eu la fermeture des cafés-karaoké, des salons de massage, puis des grands restaurants, puis de tous les restaurants… Je ne sais pas si les vendeurs de phô − la soupe traditionnelle − le matin dans la rue vont pouvoir continuer à le faire, » dit Tuan. Pour lui qui travaille dans le tourisme, le coup est dur. « Depuis un mois, c’était déjà compliqué. La baie d’Halong et le delta du Mékong avaient été fermés. Il s’agissait surtout de gérer les annulations… et les rapatriements. » Le problème pour les touristes est en effet de réussir à partir, alors que le trafic aérien a été drastiquement restreint.

    Hong, qui habite Saigon, témoigne, elle aussi, de cette étrange ambiance :
    "« A part les étudiants de médecine qui continuent à aller à la fac, toutes les universités et écoles sont fermées. Les rues sont vides, comme pendant le Têt où on est tous en famille. Il y a une blague qui circule sur les réseaux qui dit : en fait, on est encore pendant les vacances du Têt… On a tous peur. »"

    La peur ? Anna Moï a été surprise aussi de sa présence dès début mars, avant même que le confinement ne soit déclaré, alors qu’en France on se baladait encore sur les quais et on faisait la fête dans les cafés.
    "« Le Vietnam a connu deux guerres, qui l’ont laissé exsangue. Il porte encore, plus ou moins consciemment, le poids de ce deuil collectif. Quand les Vietnamiens évoquent le mot « guerre », pour combattre le virus, ce n’est pas qu’une métaphore. J’ai ressenti cette peur de la mort, très forte, même chez les jeunes. Au même moment, il y avait un sentiment d’impunité et de toute puissance en France. »"

    Les épidémies, aussi, ont marqué la mémoire collective des Vietnamiens. Le Sras, bien sûr, qui a paniqué la population. Mais aussi d’autres maladies, qu’on trouve plutôt dans les livres. À l’occasion de la pandémie de Covid, My, 72 ans, a raconté à ses enfants, pour la première fois, que ses grands-parents étaient morts de la peste au début du siècle. « La maison avait été entièrement brûlée ».
    Délation et surveillance

    Lan, elle, s’inquiète de la résurgence des pires réflexes, comme à l’époque où le Parti communiste tenait la population d’une main de fer, où chacun surveillait et dénonçait à qui mieux mieux son voisin, son cousin, sa tante… « J’ai très peur de ce qui arrive. Dans les résidences, on a affiché le nom des personnes testées positif, ou qui sont des cas contacts, avec tous leurs déplacements, toutes les personnes qu’elles ont vues. Si tu as vu ton amant, ta maîtresse, c’est noté aussi ! Tout notre système, police, comité de quartier, sait très bien nous surveiller. Ça s’était relâché, mais la population est d’accord pour s’y remettre, parce qu’ils ont l’impression qu’il n’y a que ça qui pourra les sauver. Beaucoup se moquent des Etats-Unis, de la France, des démocraties occidentales, sur le thème : la démocratie, ça ne sert à rien, puisque vous n’êtes pas capables de protéger vos populations d’un virus. Alors c’est vrai, notre bilan humain sera certainement meilleur qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Mais à quel prix ? »
    Doan Bui