Dans le sud-ouest de la France, lâassociation bordelaise #Ovale_Citoyen a crĂ©Ă© un pont entre des rĂ©fugiĂ©s sans activitĂ© professionnelle et des exploitants agricoles en manque de personnel Ă cause de la pandĂ©mie de Covid-19.
Arshad, un Afghan de 22 ans, nâavait jamais rĂȘvĂ© dâĂȘtre charpentier. RĂ©fugiĂ© statutaire Ă Bordeaux, il a pourtant suivi une formation dans ce sens et sâest retrouvĂ© Ă exercer ce mĂ©tier, faute dâautre option. Mais voilĂ que, le confinement venu et son activitĂ© professionnelle mise Ă lâarrĂȘt, une nouvelle opportunitĂ© sâest prĂ©sentĂ©e Ă ce jeune homme : travailler dans lâagriculture.
GrĂące Ă lâassociation Ovale Citoyen, qui oeuvre en temps normal Ă lâintĂ©gration des migrants et personnes en situation dâexclusion via la pratique du rugby, Arshad a suivi en avril une formation de deux jours pour apprendre les rudiments de la viticulture. Depuis, il a commencĂ© Ă travailler dans une exploitation. « Quand on lui parle dâagriculture, il a les yeux qui pĂ©tillent, il est hyper heureux », commente Jeff Puech, prĂ©sident de cette association basĂ©e en Aquitaine, dans le sud-ouest de la France.
Arshad fait partie dâun groupe de 70 personnes qui ont pu bĂ©nĂ©ficier dâune formation professionnelle accĂ©lĂ©rĂ©e mise sur pied en pleine crise sanitaire. « Nous sommes partis dâun double constat : dâune part, tous nos rĂ©fugiĂ©s statutaires et jeunes de quartiers dĂ©favorisĂ©s vont pĂątir de cette pĂ©riode de confinement due au Covid-19 au niveau professionnel. Câest dĂ©jĂ compliquĂ© pour eux de trouver du travail, alors avec la crise Ă©conomique qui sâannonce⊠», explique Jeff Puech. « Dâautre part, le monde agricole manque de bras [en raison des fermetures de frontiĂšres qui causent une pĂ©nurie de travailleurs saisonniers, venus principalement du Maroc, de Tunisie et de Turquie, NDLR]. Or lâagriculture reprĂ©sente un pĂŽle Ă©conomique crucial pour la rĂ©gion Aquitaine. »
LâidĂ©e a donc germĂ© de mettre en relation ces personnes dans le besoin et ces agriculteurs en attente de main dâoeuvre. Un peu comme une « agence dâintĂ©rim » mais constituĂ©e de bĂ©nĂ©voles, sâamuse Jeff Puech. AprĂšs avoir obtenu lâaval de la prĂ©fecture, le projet « Un drop dans les champs », inspirĂ© du terme « drop » qui dĂ©signe un type de coup de pied au rugby, Ă©tait nĂ©.
« Beaucoup ne savaient pas ce quâĂ©tait un pied de #vigne »
Le monde viticole a Ă©tĂ© le premier Ă ĂȘtre ciblĂ© par lâassociation, qui envisage de collaborer dans un futur proche avec les exploitations de maĂŻs et dâautres cultures maraĂźchĂšres. Pour ce faire, Jeff Puech a pu compter sur lâaide de Jacky Lorenzetti, prĂ©sident du club de rugby Racing 92, partenaire dâOvale Citoyen, qui possĂšde des exploitations dans le Bordelais.
â»https://twitter.com/OvaleCitoyen/status/1258073068150427661?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12« Le personnel dâune de ces exploitations a Ă©tĂ© mis Ă disposition des apprentis », se rĂ©jouit lâorganisateur. « Certains apprentis avaient dĂ©jĂ des connaissances en agriculture mais beaucoup ne savaient pas ce quâĂ©tait un pied de vigne. Ils ont notamment Ă©tĂ© formĂ©s Ă lâĂ©pamprage, une opĂ©ration qui consiste Ă couper les branches en trop sur un pied. »
Depuis, 38 personnes, ĂągĂ©es de 18 ans Ă 48 ans, ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă travailler. Parmi ce groupe, 75% sont des rĂ©fugiĂ©s statutaires, originaires majoritairement dâAfghanistan, dâĂrythrĂ©e, de Somalie et dâĂthiopie, 10% sont des personnes « en trĂšs grande prĂ©caritĂ©, parfois logĂ©es dans les hĂ©bergements du 115 », et le reste vient des quartiers dĂ©favorisĂ©s de Bordeaux.
« Une opĂ©ration dâurgence qui va peut ĂȘtre aboutir Ă un projet pĂ©renne »
Cette mobilisation de main dâoeuvre fait Ă©cho Ă un appel lancĂ© dĂšs le mois de mars par le ministre français de lâAgriculture, lequel avait encouragĂ© les personnes sans activitĂ© Ă rejoindre « la grande armĂ©e de lâagriculture française » sujette Ă un manque de 200 000 travailleurs saisonniers.
Lâinitiative « Un drop dans les champs » est considĂ©rĂ©e comme la bienvenue par les premiers concernĂ©s. « La rĂ©action du monde agricole a Ă©tĂ© plus que favorable, se fĂ©licite » Jeff Puech. « Cela nâarrive pratiquement pas que lâon nous dise âAh non, je ne veux pas de ces gens-lĂ dans mon champs !â, au contraire, on reçoit des appels dâagriculteurs qui ont entendu parler du projet et qui sont intĂ©ressĂ©s. »
Face Ă la demande, Ovale Citoyen, qui depuis la mi-mars organise des distributions de nourriture pour environ 900 personnes par semaine, compte mettre en place de nouvelles formations. Lâassociation a dĂ©jĂ recensĂ© 150 candidats et espĂšre pouvoir faire travailler entre 200 et 220 personnes au plus fort de la saison. « Certains ont signĂ© des CDD de six mois jusquâĂ la fin des vendanges », commente Jeff Puech. « Dâautres sont partis sur des contrats de deux-trois mois, comme cela se fait gĂ©nĂ©ralement dans ce secteur. » Plusieurs, en tout cas, se projettent plus loin.
« Beaucoup mâont dĂ©jĂ dit quâils avaient envie de continuer Ă travailler dans lâagriculture. Il y a, par exemple, un gros manque de conducteurs de tracteur, cela pourrait ĂȘtre un dĂ©bouché⊠Au final, cette opĂ©ration qui rĂ©pondait Ă une urgence va peut ĂȘtre aboutir Ă un projet sur le long terme », veut croire Jeff Puech. Ă condition, toutefois, prĂ©cise ce dernier, que des solutions soient trouvĂ©es pour la mobilitĂ© de ces salariĂ©s souvent sans permis et devant se rendre dans des zones rurales non desservies par les transports en commun. « Il faudrait un plan dâaction permis de conduire pour les rĂ©fugiĂ©s. »
En attendant, lâactivitĂ© principale de lâassociation, le rugby, ne devrait pas reprendre de sitĂŽt en raison de la pandĂ©mie. « Durant les matchs, on doit ĂȘtre au contact et on ne veut prendre aucun risque avec le coronavirus », dit encore le prĂ©sident de lâassociation. Certains rĂ©fugiĂ©s pourraient cependant avoir trouver une solution Ă ce problĂšme. « On me demande de plus en plus de jouer au cricket. Mais ça, ça ne va pas ĂȘtre possible », rit Jeff Puech.