Corinne Morel Darleux : « La pandémie ne doit pas servir à étouffer les luttes » - Page 1

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    Dans un essai percutant publié l’an dernier aux éditions Libertalia, Corinne Morel Darleux, conseillère régionale en Auvergne-Rhône-Alpes et militante écosocialiste, invitait à une profonde réflexion sur la compétition et le consumérisme de nos sociétés. Plutôt que de se fondre dans le moule, elle invitait à prendre un pas de côté et à refuser « de parvenir », prenant en exemple la figure du navigateur Bernard Moitessier qui, en 1969, avait renoncé à terminer une course en solitaire autour du monde.

    Ce petit ouvrage intitulé Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce prend aujourd’hui une lumière nouvelle. Imprégné de la perspective de l’effondrement, il ne prône pas pour autant le repli individuel face à la catastrophe, encore moins l’abdication de la volonté. Il encourage au contraire à chercher les « petites brèches de liberté » pour se mettre en action, faire des choix autonomes, et renouer avec la dignité. « Il est temps de réfléchir à une éthique de l’effondrement associée au projet politique, ancrée dans le réel », écrit l’autrice. Entretien.

    On a devant nos yeux ce qui ressemble aux premières secousses d’un effondrement. Économie, finance, transports, services de santé, lien social… Tout semble s’écrouler. Est-ce que cela ressemble à des choses que vous aviez imaginées ?

    Corinne Morel Darleux : Disons qu’on en avait déjà les prémices sous les yeux. Le système de santé s’écroulait en France avant l’arrivée du coronavirus. La casse des services publics, la fragilité de flux financiers basés sur la spéculation et la dette, l’absurdité de faire faire le tour du monde à un pot de yaourt ou à un jean, tout cela n’est pas nouveau. La pandémie agit comme le révélateur d’autres catastrophes préexistantes, elle précipite des risques qui existaient déjà.

    Par contre, une pandémie provoquant une paralysie mondiale aussi brutale, j’avoue que je ne l’avais pas imaginée. Dans mes interventions publiques, depuis des années, j’alerte sur le dérèglement climatique, l’extinction de la biodiversité, la dépendance au pétrole ou la perspective d’un krach boursier mais je ne m’étais jamais autorisée à parler de pandémie. Je me disais que cela sonnerait trop alarmiste, exagéré…
    libertalia

    Cette situation vient malheureusement valider plusieurs constats, notamment sur l’inconséquence que représentent la mondialisation des flux de marchandises et le fait d’avoir cantonné petit à petit certains pays à la production de biens dits immatériels. Nous nous retrouvons ainsi complètement dépendants pour certains biens de première nécessité, médicaux notamment.

    Elle agit également comme un révélateur des inégalités sociales. Ce qui est en train de nous arriver me fait penser à une expression de Naomi Klein que je cite souvent : le dérèglement climatique comme traduction atmosphérique de la lutte des classes. Les périodes de crise nous rappellent violemment que non, on n’est pas tous dans le même bateau, que ce soit en termes de responsabilité ou de vulnérabilité.

    On le voit avec le coronavirus qui à son tour réactive la notion de classes sociales, par les conditions de travail et de confinement notamment. La situation confirme que les activités professionnelles n’ont pas toutes la même utilité sociale – et que bien souvent cette utilité sociale est inversement proportionnelle à la reconnaissance, y compris salariale.

    La gestion de cette crise est enfin une démonstration par a+b que l’argent existe et que les affectations budgétaires sont des choix politiques. La « règle d’or » européenne des 3 % de déficit est une discipline dictée par des positions idéologiques, ce n’est pas une fatalité économique. Tout ce qui hier était soi-disant impossible au nom des logiques libérales devient possible en situation de pandémie – pas tant pour des raisons sanitaires d’ailleurs qu’économiques. Or la crise était déjà là, pour beaucoup de gens.

    Déforestation, destruction de la biodiversité, ultralibéralisation de nos économies et creusement des inégalités : le coronavirus est une catastrophe qui vient s’y superposer et fait basculer un à un l’ensemble des dominos qui vacillaient déjà.

    #Politique_demain #Coronavirus #Corinne_Morel_Darleux