• Le poids des émotions, la charge des femmes | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2020/04/20/le-poids-des-emotions-la-charge-des-femmes

    Dans nos débats du moment, il est question de malades et de soignants, de traitements et de souffrances, d’urgence et de mortalité, de confinement et de solitude, de courbes et de statistiques, sans que jamais ou presque ne soit évoqué ce qui forme comme la charpente paradoxale de ce drame : les émotions. Nous sommes tou·te·s plus ou moins ébranlé·e·s émotionnellement mais certain·e·s le sont plus que les autres, véritablement submergé·e·s. Il s’agit des personnes qui exercent les métiers dont nous ne pouvons pas nous passer, dans la santé ou le soin, l’entretien ou la distribution.

    Il s’agit aussi de celles qui n’ont pas pour profession mais bien comme fonction assignée de s’occuper de leurs proches, sur le plan pratique de la vie domestique comme sur le plan moins immédiatement repérable des besoins émotionnels. Or il se trouve que ces personnes sont, dans leur immense majorité, des femmes.

    Il va falloir y réfléchir et s’y préparer, les conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale de toutes celles qui supportent le poids des émotions risquent d’être incommensurables. Dans une approche de science sociale féministe, je voudrais essayer de saisir la nature de ce postulat en forme d’évidence selon lequel les femmes seraient naturellement responsables du bien-être émotionnel de leur entourage. Je le ferai en partant des travaux d’Arlie R. Hochschild, pionnière de la sociologie des émotions qui, dans The Managed Heart. Commercialization of Human Feeling (Le prix des sentiments), a défini ce qu’elle appelle le « travail émotionnel » en l’envisageant sous ses deux aspects.

    Il y a d’abord celui qui se déploie dans la sphère privée (emotion work) et qui consiste à déclencher ou à refouler une émotion de façon à présenter un état d’esprit adéquat à une situation donnée : être heureuse à un mariage, pleurer à un enterrement, se réjouir d’une bonne nouvelle annoncée par un·e ami·e. Ce travail sur soi pour obéir aux « règles de sentiments » se fait sur le mode d’un « jeu en profondeur » fondé sur la mémoire qui vise à faire advenir l’émotion attendue. Tous ces efforts ont pour objectif de « rendre hommage » aux personnes qui nous entourent, dans un système de don et de contre-don par lequel chacun·e ressent ou fait semblant de ressentir ce qu’il doit à l’autre et qui lui permet de tenir sa place dans le groupe.

    On retrouve ce « travail émotionnel » dans la sphère sociale à la différence notable qu’il s’effectue en échange d’une rémunération (emotional labor). À partir d’une étude sur les hôtesses de l’air et les agents de recouvrement – les unes devant impérativement paraître aimables et attentives, les autres autoritaires et inflexibles – Arlie R. Hochschild interroge le passage d’un usage privé des émotions à un usage marchand. Elle repère ses conséquences en termes de « dissonance émotive », soit la tension induite par l’écart entre l’affichage d’une émotion adéquate et le fait de l’éprouver réellement qui impose à celles et ceux qui la subissent de s’obliger à devenir sincères. C’est ainsi, souligne-t-elle, que les émotions ont été marchandisées et standardisées à mesure que les métiers du service à la personne et du care se développaient.

    Le fardeau des émotions est lourd à porter pour les femmes, en période de confinement, il peut devenir proprement insupportable.

    La sociologue prolonge l’analyse en insistant sur la dimension genrée de la capacité à développer des ressources émotionnelles. À partir de l’exemple des domestiques et des femmes, elle montre que les personnes dont le statut social est moins élevé doivent plus que les autres souscrire aux attentes en termes d’émotions affichées (sourires encourageants, écoute attentive, commentaires approbateurs). De cela, il découle que l’on en vient à considérer ces postures émotionnelles comme naturelles.

    Nous le savons depuis Simone de Beauvoir, et plus encore avec les études de genre, les mécanismes par lesquels on enferme les filles dans des aptitudes et dispositions associées à la gentillesse, au souci de l’autre et à la disponibilité, sont nombreux et pérennes. Ils perpétuent les représentations séculaires qui, au nom de leur capacité maternelle, enferment les femmes dans l’espace du foyer et les activités du soin (aux enfants, aux malades, aux personnes âgées). Voilà pourquoi elles sont considérées comme les « gestionnaires de l’émotion », selon les termes de Arlie R. Hochschild, c’est-à-dire que l’on attend d’elles qu’elles prennent en charge et assurent le bien-être émotionnel des membres de leur famille comme des personnes qu’elles côtoient professionnellement.

    Dans son ouvrage Les couilles sur la table, Victoire Tuaillon développe l’hypothèse intéressante selon laquelle les hommes exploiteraient cette disposition : « La masculinité va souvent de pair avec la rétention des émotions, le refus de la vulnérabilité, une réticence aux conversations profondes et intimes. (…) Toute la manœuvre [consiste donc] pour eux à dissimuler ces demandes émotionnelles et à faire en sorte que les femmes y répondent d’elles-mêmes ». Sans que la chose soit nécessairement consciente ni volontaire, les hommes considéreraient le « travail émotionnel » comme étant inhérent à l’existence féminine, quelque chose qui leur serait en quelque sorte dû.

    Ce qui est certain, c’est que le fardeau des émotions est lourd à porter pour les femmes. En période de confinement, il peut devenir proprement insupportable, s’ajoutant à la charge domestique (assumer l’essentiel de l’entretien de la maison, du linge et des repas), à la charge parentale (augmentée de la nécessité d’occuper et d’éduquer les enfants) et à la charge mentale (prévoir les besoins de tous et organiser leur satisfaction). L’autrice Emma décrit, dans le tome trois de sa série Un autre regard, cette responsabilité que les femmes s’imposent de devoir assurer le confort émotionnel de leur entourage : se priver d’une sortie pour ne pas laisser son conjoint s’occuper seul des enfants, acheter ce que les uns et les autres apprécient et y ajouter quelques surprises, accepter de n’avoir pas eu d’orgasme lors d’une relation sexuelle et qu’elle s’arrête avec celui de son partenaire, se soucier de la santé de tous les membres de la famille et veiller à maintenir le lien entre les générations… En un mot, être en permanence attentive aux besoins d’autrui, généralement sans obtenir ni aide ni remerciement.

    On imagine de quel poids cet « effort émotionnel » pèse au quotidien en contexte confiné. En plus de se trouver réassignées à domicile, enjointes d’assurer la gestion pratique de cette situation, les femmes doivent affronter l’angoisse de leurs proches et s’efforcer de l’atténuer alors même qu’elles n’y échappent pas. Ce sont elles qui soutiennent, qui rassurent, qui consolent et qui caressent. Il ne s’agit pas d’essentialiser, car il va de soi que les hommes sont tout autant capables de sollicitude et de tendresse mais, pour des raisons qui ont trait à des siècles de construction sociale des stéréotypes de genre, c’est bien aux femmes que l’on demande en priorité (et en urgence) d’appliquer la « règle des sentiments » au sein de leur foyer. Ce sont donc elles plus que les autres qui risquent de subir un véritable épuisement moral et psychique.

    Que dire alors de celles qui exercent les métiers de la santé, du soin et de l’aide à la personne ? Si les femmes y sont si nombreuses, on l’aura compris, c’est que l’on considère comme allant de soi qu’elles mettent leurs capacités émotionnelles aux service des autres. Dans le milieu professionnel plus encore que dans la vie privée, cette supposée aptitude innée dans le domaine de la gestion des émotions n’est ni reconnue ni valorisée.

    Les auxiliaires de vie, infirmières et aides-soignantes portent déjà en temps ordinaire la charge du bien-être émotionnel des patient·e·s et de leur entourage. Quand on pardonnera aux médecins de vouloir se protéger en limitant tout investissement personnel dans la vie des malades, on attendra d’elles qu’elles fournissent les gestes et les mots qui réconfortent et qui accompagnent. Il en va d’une exigence de conformité à leur rôle professionnel. Bien évidemment, ce partage n’est pas étanche, les attitudes des unes et des autres pouvant être inverses. Reste que, du fait de leur écrasante majorité dans les métiers du care, ce sont bien les femmes qui assument, de façon invisible, l’essentiel de ce travail émotionnel.

    S’il est un des aspects du drame que nous ne devrons pas oblitérer, c’est bien celui-ci : nous tenons par la force des sentiments qui nous lient.

    Dans un beau texte issu d’un livre collectif, La philosophie du soin, Claire Marin fait de « l’attention à l’autre comme disponibilité sensible » la condition non seulement décisive mais préalable du soin. Cette disposition, observe-t-elle, implique une tension entre le geste souvent rude visant à traiter le mal et les mots bienveillants destinés à rassurer. Parce que la maladie produit une douloureuse dissociation intérieure entre le sujet et son corps, parce qu’elle prive le malade de celui qu’il était, les soignant·e·s s’efforcent d’atténuer ce « malheur » par « une attention personnalisée et humaine à la souffrance ». En situation d’urgence, la chose relève du défi permanent. En plus du contexte médical proprement effarant dans lequel elles/ils travaillent, s’ajoute aujourd’hui la détresse morale inouïe des patient·e·s et de leurs familles.

    « La difficulté du soin, en médecine comme dans toute autre relation, tient à la peine que chacun éprouve à se vider de soi pour accueillir dans sa pleine mesure la demande d’autrui », écrit Claire Marin, ajoutant que « cet élan vers l’autre sans intentionnalité est une ascèse éreintante, puisqu’elle exige de se mettre entre parenthèses, se retirer de soi pour se laisser envahir par la douleur de l’autre ». Voilà précisément ce à quoi sont confrontées toutes celles et ceux qui accueillent les malades du Covid-19, à cet épuisant travail émotionnel visant à remettre le/la malade dans son corps humain (et non objet) et donc dans son être.

    Il semblerait que nous en ayons pris conscience, même si confusément, comme l’exprime ce besoin que nous avons de les remercier chaque jour. Mais les applaudissements aux balcons ne suffiront pas. Il faudra veiller, une fois que nous serons sortis de cette séquence confinée, à ne pas oublier que les personnes hospitalisées ont non seulement reçus tous les soins qu’il était possible de leur dispenser mais qu’elles ont aussi été accueillies et soignées avec sollicitude. Les primes annoncées ne doivent pas rester ponctuelles, c’est toute la chaîne des métiers du care qu’il convient de revaloriser pour qu’enfin soit reconnue l’importance de l’implication émotionnelle de celles (et ceux) qui les assument. S’il est un des aspects du drame que nous ne devrons pas oblitérer, c’est bien celui-ci : nous tenons par la force des sentiments qui nous lient.

    Il faudra donc aussi prendre au sérieux l’épuisement de celles qui auront supporté, en plus de tout le reste, la charge des émotions au sein de leurs familles. Là, c’est une véritable révolution des mentalités qui doit être initiée. Elle passera par un processus de déconstruction des stéréotypes de genre relatifs aux sentiments. L’attention à l’autre et la tendresse ne sont pas des exclusivités féminines, il n’y a pas de honte à exprimer ce que l’on ressent, y compris ce qui fait de nous des êtres vulnérables, lorsque l’on est un homme. Les émotions n’ont pas de genre, elles sont le propre de notre condition humaine. Quand nous nous retrouverons, faisons en sorte de nous débarrasser de ce mythe qui pose que nous n’avons besoin que de mobilité et d’adaptabilité pour restaurer notre sens de la proximité et de l’altérité. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons alors à nouveau nous laisser toucher, dans tous les sens que revêt ce mot.

  • Épidémie virale et panique morale : les quartiers populaires au temps du Covid-19 | AOC media - Analyse Opinion Critique
    Par Renaud Epstein et Thomas Kirzbaum
    https://aoc.media/analyse/2020/04/14/epidemie-virale-et-panique-morale-les-quartiers-populaires-au-temps-du-covid-

    La pandémie du covid-19 constitue justement l’exemple paradigmatique d’un risque localisé susceptible de se propager dans l’ensemble du territoire et de la société. Aussi se pourrait-il que la mise en lumière de la vulnérabilité des quartiers populaires à l’épidémie et des interdépendances entre territoires soit le levier inattendu d’une prise de conscience et d’une mobilisation des pouvoirs publics en leur faveur. La cartographie des foyers épidémiques à la fin du XIXe et au début du XXe siècle avait contribué à l’émergence de politiques locales de santé et de lutte contre l’insalubrité urbaine. Il n’est pas interdit d’espérer qu’à la « guerre sanitaire » succédera une bataille politique et sociale pour que les habitants des quartiers populaires ne soient plus considérés comme une menace, mais voient leurs mérites reconnus et les risques disproportionnés qu’ils encourent enfin pris en compte.

    #COVID-19 #coronavirus #quartiers #médias #populisme #inégalités #stigmatisation

  • Épidémie virale et panique morale : les quartiers populaires au temps du Covid-19 | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/analyse/2020/04/14/epidemie-virale-et-panique-morale-les-quartiers-populaires-au-temps-du-covid-

    Par Renaud Epstein et Thomas Kirszbaum

    Dans Folk Devils and Moral Panics, le sociologue britannique Stanley Cohen rappelait que « de temps à autre, les sociétés sont en proie à des épisodes de panique morale. Une circonstance, un événement, une personne ou un groupe de personnes sont alors définis comme une menace pour les valeurs et intérêts de la société. Les médias les dépeignent de façon stylisée et stéréotypée ; rédacteurs en chef, autorités religieuses, politiciens et autres personnes bien-pensantes érigent des barrières morales ; des experts patentés formulent leurs diagnostics et solutions ; des réponses nouvelles apparaissent et (plus souvent) des mesures anciennes sont réactivées ; enfin la circonstance ou l’événement se résorbe et disparaît, ou au contraire s’aggrave et gagne en visibilité »[1].

    La stigmatisation des habitants des quartiers populaires suspectés de ne pas respecter le confinement entré en vigueur le 17 mars dernier relève assurément de cette définition canonique du phénomène de panique morale. Dès le lendemain, ils étaient pointés du doigt par des médias et sur les réseaux sociaux, submergés par un flot d’indignation visant le comportement d’une population qui serait toujours prompte à se soustraire à la règle commune.

    Il n’aura donc fallu que quelques jours pour que les spécialistes de la stigmatisation des quartiers populaires adaptent leurs discours à la nouvelle donne pandémique. Cette panique morale n’est guère surprenante au regard de l’histoire longue de l’ostracisation des pauvres et des minorités accusés de propager les épidémies. Ce fut le cas au Moyen Âge avec la peste, maladie des pauvres, des quartiers insalubres et des logements misérables qui a suscité, dans les villes européennes, des violences contre les mendiants, les étrangers et les communautés juives, boucs émissaires d’une maladie terrifiante et mystérieuse qu’ils étaient suspectés de diffuser.

    Avec l’épidémie de choléra au XIXe siècle, les pauvres et les étrangers furent de nouveaux visés, en particulier les « Orientaux » dénoncés pour leur saleté et pour la menace épidémique que représentaient leurs pèlerinages à La Mecque. Il en a été de même avec la tuberculose à la fin du XIXe siècle, qui fournit l’occasion à des bourgeois pétris de pensée hygiéniste d’exprimer leur répugnance vis-à-vis des mœurs et de l’immoralité des habitants des faubourgs ouvriers[2].

    Le travail des historiens s’avère précieux car il nous rappelle que les quartiers populaires ont toujours cristallisé les grandes peurs sociales. Les faubourgs ouvriers du XIXe siècle étaient dépeints par leurs contemporains des classes dominantes comme un monde peuplé d’une espèce à part et menaçante. Si les premiers temps des grands ensembles HLM ont constitué une sorte de parenthèse heureuse – quoique rétrospectivement idéalisée – dans l’histoire du logement des classes populaires, c’est sur ces quartiers que l’anxiété sociale s’est de nouveau fixée à partir de la fin des années 1970.

    L’incrimination précoce des quartiers populaires, supposément rétifs au confinement, a rapidement suscité un contre-feu nourri de la part d’élus locaux, d’acteurs de terrain et d’habitants, choqués par des discours qui transforment les victimes en coupables. Si le confinement a moins été respecté dans ces quartiers – ce qui reste à démontrer –, c’est d’abord parce que nombre de leurs habitants ne bénéficient pas de cette mesure protectrice. C’est notamment le cas des aide-soignant·e·s, assistantes maternelles, employé·e·s de la grande distribution, chauffeurs livreurs, agents d’entretien et autres professions surreprésentées dans les quartiers, tou·te·s en première ligne pour faire tourner un pays mis à l’arrêt par le coronavirus.

    Comme le résume le maire de Grigny, Philippe Rio, « les habitants des quartiers, c’est l’armée de l’ombre de cette guerre sanitaire ». Et cette armée de l’ombre s’avère particulièrement vulnérable face à la menace virale. Les territoires qui ont fourni le gros des troupes envoyées au front, sans matériel de protection, cumulent en effet les facteurs de vulnérabilité sociale et sanitaire, favorisant à la fois la propagation du virus et sa létalité. La densité urbaine, le surpeuplement fréquent des logements où cohabitent plusieurs générations, la faiblesse de l’offre commerciale renforcée par la fermeture des marchés rendent difficile la distanciation sociale.

    Cette configuration favorable à la diffusion du virus est d’autant plus préoccupante que la proportion de personnes obèses, diabétiques, touchées par des maladies respiratoires et affections de longue durée est nettement plus élevée dans les quartiers populaires que dans les autres territoires. Ces quartiers concentrant les facteurs de vulnérabilité au covid-19 sont aussi parmi les plus exposés aux inégalités d’accès aux soins, pour des raisons économiques et du fait de la désertification médicale qui les affecte massivement.

    Si les quartiers populaires semblent particulièrement touchés par le covid-19, c’est donc moins pour des raisons culturelles que structurelles. On peut d’ailleurs craindre que ces inégalités chroniques soient fortement amplifiées par la crise en cours. C’est le cas dans le domaine scolaire, la « continuité pédagogique » telle qu’organisée par l’Éducation nationale ne pouvant qu’accentuer les écarts entre les élèves qui disposent de toutes les ressources informatiques et familiales pour poursuivre leurs apprentissages à domicile et ceux, nombreux dans les quartiers populaires, qui se trouvent privés de telles ressources.

    Par ailleurs, de nombreux témoignages laissent penser que le contrôle policier des attestations de déplacement reproduit voire amplifie les pratiques discriminatoires des forces de l’ordre envers les jeunes des quartiers populaires, bien loin du « traitement de faveur » évoqué par certains médias. Le covid-19 fonctionne ainsi comme un révélateur d’inégalités socio-spatiales qui se combinent au détriment des quartiers populaires. Il rend visible l’ampleur des difficultés que connaissent leurs habitants – des difficultés qui avaient été progressivement occultées ces dernières années sous l’effet des discours opposant les cités de banlieue à une « France périphérique » dont les souffrances ont occupé le devant de la scène avec le mouvement des Gilets Jaunes.

    #Coronavirus #Quartiers_populaires #Paniques_morales

  • Parole présidentielle : commentateur n’est pas leader | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2020/04/14/parole-presidentielle-commentateur-nest-pas-leader

    La mise en regard des deux discours est d’autant moins flatteuse que la référence, à travers la promesse de jours heureux retrouvés, a manqué de finesse. La valeur de la parole politique ne se mesure pas en nombre de mots ou d’envolées lyriques. Celui qui parle pour s’écouter peut difficilement être celui dont la parole guide.

    Une large partie du discours d’Emmanuel Macron du 13 avril a été dédiée à commenter, à la manière d’un journaliste, sa propre action. Président commentateur de ses déplacements à travers une piqûre de rappel de sa visite dûment mise en scène au professeur Raoult à Marseille (« j’ai tenu moi-même à comprendre chacune des options possibles »). Président commentateur de ses précédents discours, comme pour s’assurer que l’histoire, ou plus modestement les médias, n’oublient pas ses éléments de langage, et de lui en attribuer la paternité (« chacun d’entre vous dans ce que j’ai appelé cette troisième ligne »). Président commentateur de ses impuissances, sans plus avoir, face à la pandémie, la possibilité de les masquer par l’excuse des carences de « l’ancien monde ».

    Dès lors qu’il a été question des insuffisances de l’action gouvernementale et comme s’il n’était pas de sa responsabilité et de celle de son gouvernement de gérer la crise, il était étrange d’entendre Emmanuel Macron se mettre au niveau de tous les autres Français pour leur dire « comme vous, j’ai vu des ratés, encore trop de lenteurs… ». Annoncer des accents churchilliens obligeait pourtant à être à la hauteur d’un chef de guerre qui s’attachait, non pas à « voir » mais à trouver des solutions à chaque problème lors du second conflit mondial, du plus concret au plus stratégique, de la production des œufs à la sous-utilisation des capacités logistiques de transport.

    Chef de guerre, c’est la figure que tente d’incarner le Président de la République depuis que les ravages de la pandémie se sont abattus sur la France. Il n’a ainsi pas manqué dans son allocution de décliner à maintes reprises le vocabulaire militaire, même s’il y a recouru de manière moins marquée que lors de ses précédentes prises de parole : première, deuxième et troisième lignes, « lorsque l’on est au front », « une production comme en temps de guerre s’est mise en place ».

    La sémiologue et professeure à l’Université de Stanford Cécile Alduy a justement analysé les limites de ces références guerrières, les jugeant « [utiles] du point de vue de l’efficacité rhétorique (…) mais (…) éthiquement et politiquement problématique ». Pour l’auteure de Ce qu’ils disent vraiment : les politiques pris aux mots, le recours à la métaphore guerrière n’est pas exempte de « mauvaise foi » : « cela exonère le pouvoir de ses responsabilités propres. Avec « la guerre », le problème vient d’ailleurs ». Commenter une partie de ses failles pour les mettre à distance, s’exempter d’une autre partie en mettant en scène une guerre par le discours, le mécanisme d’évitement est le même.

    Il est frappant face à cette rhétorique militaire d’entendre la parole de beaucoup de soignants sur les réseaux sociaux et dans les médias demandant à ne surtout pas être considérés comme des héros, par crainte que cette rhétorique les prive de leurs droits à être humains, c’est-à-dire à pouvoir exprimer leurs doutes, leurs peurs, leur fatigue, et ne fasse passer au second plan leur manque cruel de moyens de travail. Les mots du Président de la République fédérale d’Allemagne Frank-Walter Steinmeier le 11 avril estimant que la lutte contre le Covid-19 n’est pas une guerre mais un « test de notre humanité », ont peut-être parlé tout particulièrement à nos soignants.

    Enseignants et parents d’élèves s’interrogent légitimement sur les fondements, en termes de sécurité sanitaire, d’une décision de réouverture des écoles, des collèges et des lycées alors que les bars et les restaurants sont appelés à rester volets baissés et que les premiers avaient été conduits, en mars, à fermer leurs portes avant les seconds. Le fossé est flagrant, à l’intérieur même du discours du Président de la République, entre ces mots, justes et attendus, de constat sur nos limites collectives face à la pandémie – « ce soir je partage avec vous ce que nous savons et ce que nous ne savons pas » – et une annonce de retour des élèves à l’école que ne vient étayer aucune justification scientifique.

    Après avoir depuis plusieurs semaines fondées chacune de ses prises de parole sur les analyses du comité scientifique et des experts, Emmanuel Macron n’a plus cité lundi soir ni l’un, ni les autres. La conséquence relève de l’évidence : citoyens, syndicats, responsables politiques demandent que les travaux scientifiques justifiant la reprise des cours dans le primaire et le secondaire soient rendus publics. Chacun peut comprendre que la France, comme tous les pays du monde, fait face à l’immense défi de juguler la crise sanitaire tout en tentant de limiter l’ampleur de la crise économique produite par le confinement, et surtout de ses conséquences sociales. Mais personne ne peut accepter que des risques soient pris quant à la santé des plus jeunes, et de leurs enseignants. Comment ne pas s’étonner qu’il y a quelques jours encore la porte-parole du gouvernement renvoyait toute prise de décision sur le port de masque à l’attente d’un consensus scientifique et que pas un mot ne soit dit sur celui-ci dès lors qu’il est question de regrouper par dizaines, dans les salles de classe, plusieurs millions d’élèves, même de façon progressive ?

    Et une conclusion qui cogne (sous-texte en rappel : Elizabeth 2 était infirmière dans Londres sous les bombes :-)

    Aucun discours ne fait l’histoire. C’est l’histoire qui fait les grands discours. A plusieurs reprises, pendant les quatre minutes de sa prise de parole, Elizabeth II s’est effacée pour laisser place à des images de soignants, de manutentionnaires, de camions de pompiers, d’Anglais applaudissant dans un supermarché. Savoir s’effacer pour porter un message plus grand que soi. C’est ce qui fait toute la difficulté du discours politique, et peu de femmes et d’hommes sont capables d’atteindre un tel objectif. Mais c’est à son aune que se mesure la vraie valeur d’une parole présidentielle.

    #Discours_politique #Emmanuel_Macron #Coronavirus

  • Tue le temps ou c’est lui qui te tuera – à propos des Basement Tapes de Bob Dylan | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/critique/2020/04/13/tue-le-temps-ou-cest-lui-qui-te-tuera-a-propos-des-basement-tapes-de-bob-dyla

    par Francis Dordor

    Garth Hudson, le seul à avoir suivi des cours d’électronique à l’université, a été chargé d’y brancher un petit studio artisanal avec les moyens du bord et des éléments éparses, quelques micros récupérés chez le trio folk Peter, Paul & Mary, leurs voisins, une table de mixage et un magnétophone prêtés par Albert Grossman, ci-devant manager de Dylan.

    En quelques jours, le terrier voué un temps à de savoureux goûters rythmés se transforme en bateau ivre.

    Tout commence donc un après-midi pluvieux de début mars par une chanson intitulée comme de bien entendu : « On A Rainy Afternoon ». Et de là, dans une ambiance festive, voire bachique, le démiurge et ses suppôts se mettent à dévider une pelote de refrains, de couplets, de thèmes où le nouveau et l’ancien se jaugent avec un respect teinté de défi. Dans sa République Invisible, Greil Marcus, exégète dylanien en chef, nous dépeint en termes théâtraux cette folle et recluse farandole : « Assises face à face, la Comédie et la Tragédie disputaient d’interminables parties de bras de fer sous les acclamations d’une meute de poivrots qui prenaient des paris. »

    En quelques jours, le terrier voué un temps à de savoureux goûters rythmés se transforme en bateau ivre, son capitaine, contrefaçon beatnick de l’Achab de Melville, cinglant au doigt mouillé sur les flots impavides ou tempétueux de l’inspiration, ne sachant jamais tout à fait si le but de cette odyssée souterraine est de ramener l’ambre et les fanons d’une baleine blanche ou simplement de se distraire entre amis et de tuer le putain de temps. Pourtant, le souvenir de Garth Hudson, seul survivant avec Robertson du Band, restitue plutôt l’image saisissante d’un Dylan en transe attablé dans la cuisine, tapant fébrilement sur les touches de nacre d’une vieille Remington, avant de redescendre en trombe les escaliers pour donner corps à une nouvelle chanson. Preuve que l’affaire était quand même prise très au sérieux. Rarement vouloir tuer le temps ne l’a rendu aussi intensément vivant.

    Pour beaucoup, 1967 c’est l’année des hippies, du « summer of love », de Monterey Pop. On en oublierait presque que ce fut aussi l’année où les Etats-Unis connurent 159 émeutes raciales, avec des villes comme Detroit et Newark en état de guerre (respectivement 43 et 26 morts). C’est aussi l’enlisement au Vietnam et un pourrissement de la chose publique qui désagrège jusqu’aux fondations de la Maison Blanche.

    Prophète folk, puis ange exterminateur du rock, il n’aspire qu’à reprendre le contrôle d’une identité qui lui échappe et d’un art qu’il cherche à réinventer. D’autres éléments, personnels, contribuent à accélérer la mue. En font partie un accident de moto survenu sur une route du comté (on dit que ça lui a coûté une vertèbre, quoique peu documenté l’événement reste sujet à caution s’agissant du plus grand menteur de l’histoire de la musique) et les naissances successives de Anna Lea et Samuel Dylan, second et troisième de la dynastie.

    Dylan n’a jamais été le dernier à prendre la poudre d’escampette. Ses chansons d’adieux des débuts – « Long Time Gone », « Farewell », « Don’t Think Twice It’s All Right »- en témoignent. Hobo oui, vagabond certes, pierre qui roule assurément. Mais ermite ? Quand il se replie à Woodstock il vise autant l’isolement que le ressourcement, ne s’affranchit du monde que pour mieux s’enraciner dans une communauté, sa famille, ses musiciens. Le Band devient alors sa loge maçonnique et le parfait contre-exemple à tout ce qui fait tendance, le psychédélisme, son orgie de couleurs, de sons, ses mandalas, sa quête transcendantale… Le Band ressemble à une confrérie Amish et fait de la musique comme un syndicat d’arpenteurs spinozistes. Eux n’annoncent pas l’avènement de l’ère du Verseau, se tapent de l’utopie new age, fuient les solos de 25 minutes à la Jerry Garcia.

    Quant au petit maître, rock star insaisissable, pourtant la plus adulée du moment, prophète folk d’une génération en révolte, qui hier encore annonçait que les temps allaient changer, que l’avenir leur appartenait, le voici qui subitement se tourne vers le passé et la musique jouée à la charnière des siècles par les pionniers, les trimardeurs, les rémouleurs de rengaines. Piochant sans vergogne dans le puits sans fond d’un répertoire mité comme de la vieille dentelle, duquel le musicologue Harry Smith a tiré en 1952 son inestimable anthologie. Tout se passe dans ce huis-clos de Big Pink avec pour témoins et complices sa fratrie de canadiens austères.

    Voilà bien l’esprit et l’esthétique des Basement Tapes, ce fatras de morceaux rock’n’roll pour bastringue pleurétique, de ballades aux fonds de culotte troués, de romances bancales, perchées, tordues, certaines comparables à une ruée d’ivrognes dans un saloon borgne, d’autres à des moments de pure grâce épiphanique. Plus ou moins toutes vouées à se (nous) prémunir contre l’absurdité d’un monde froid et cruel. Mine de rien, en loucedé, Dylan vient d’inventer là ce qui va procurer à la musique blanche ricaine son boulot pour les quarante prochaines années, l’Americana, sorte de contre-culture étanchée par la racine.

    Quand en 1975, et de guerre lasse, Columbia consentira à sortir un double album avec une sélection de chansons du sous-sol, agrémentés d’inédits du Band, histoire de couper court définitivement à la production de pirates, on put enfin avoir accès à la mythique tanière et à son miel sardonique. De la ménagerie humaine de la fameuse pochette signée John Sheele, où se retrouvent confinés dans une vieille chaufferie acteurs musicaux (Robertson en costume Mao, Dylan en veste mexicaine), artistes de cirque et curiosités de foire, mais aussi personnages directement inspirés des chansons comme la voluptueuse Miss Henry et l’eskimo Quinn, le disque ouvrait alors la cage.

    #Musique #Bob_Dylan

  • Nous défendre – face au discours politique sur le Covid-19 | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2020/04/06/nous-defendre-face-au-discours-politique-sur-le-covid-19

    Ce qui est indigne, et encore plus de la part d’un directeur de la Santé ou des ministres issus du corps médical, c’est d’avoir répandu des fake news pour éviter de perdre la face et simplement reconnaître qu’il y a eu des erreurs. Cette incapacité à reconnaître des torts, à assumer rappelle le leitmotiv de la clique LREM depuis ses débuts : « j’assume » signifiant, paradoxalement, « je refuse de prendre mes responsabilités ». Cette tonalité autoritaire, à la fois sûre de son autorité politique et scientifique, et récusant toute contestation, est parfaitement reconnaissable pour les féministes : c’est celle du patriarcat.

    Toute critique de l’action gouvernementale, dont l’incompétence et l’irresponsabilité est visible aux yeux de tous, est écartée comme « polémique », ignare et même dangereuse (les « experts auto-proclamés » moqués par Macron, les « sociologues » et intellectuels cloués au pilori par ses alliés). Les seules dont on veut bien dire du mal au sein de la majorité présidentielle sont Sibeth Ndiaye, « porte-parole », donc chargée de transmettre les positions gouvernementales, et Agnès Buzyn, remplacée, Dieu merci, à son poste de ministre par un homme plus jeune, qui ment mieux qu’elle.

    La perception du monde est scindée en deux. D’un côté un discours martial, appuyé sur une soi-disant rationalité des chiffres, de l’économie, de la science. C’est le discours du gouvernement et de la plupart des experts convoqués par les médias – des hommes en majorité. De l’autre côté, une vie ordinaire qu’il faut au jour le jour réagencer au temps du Covid-19 et des actions : des femmes en majorité, au corps à corps avec des malades, au contact avec les clients dans les supermarchés, jonglant avec les tâches domestiques (trois repas par jour, sans cantine ni pour les grands ni les petits), les tâches éducatives prescrites par l’Éducation nationale sur le mode forcené de l’activisme, et réalisant par téléphone le travail de lien qu’elles font généralement entre les générations… en sus de leur télétravail, ou de leur travail sur le terrain. Des femmes enfin, confinées avec des conjoints violents au péril de leur vie, qui n’ont jamais eu aussi peu de marges de manœuvre pour se défendre[1]. Des conjoints qui continuent aussi leur guerre, une guerre qu’ils mènent contre les femmes, leur femme, leur propriété.

    L’épidémie actuelle a la puissance de décaper toutes les illusions, les fausses promesses et les mensonges du capitalisme avancé ou du néolibéralisme, de rendre visible à tous sur qui repose réellement notre société. Il est presque amusant (tragiquement) de voir tant de suppôts du capitalisme découvrir la réalité et des idées qu’ils attribuaient jusqu’alors aux gauchistes dangereux ou aux « bisounours » idéalistes : oui, mettre le profit d’abord, au détriment des institutions de protection de la société (hôpital public, enseignements, transports) c’est mal. Faible début de prise de conscience morale de l’inversion des valeurs qu’opèrent nos sociétés capitalistes : ce qui est le plus réellement utile, ce qui rend possible notre vie ordinaire, est le plus méprisé, et le moins valorisé.

    Ce qui apparaît aujourd’hui est très concrètement ce que les féministes et autres pensées critiques ont analysé en termes d’injustice épistémique. Les critères qui disent ce qui est bien, mal, valorisable, méprisable, les critères collectifs de ce qui compte se présentent comme universels mais sont de fait ceux d’une société patriarcale. Dans le désastre actuel émerge la nécessité vitale d’y inclure d’autres points de vue, d’autres voix que celles des dominants. Intégrer les voix de tous ceux et en majorité celles qui font vivre la société, dans les définitions de ce qui compte est bien affaire de démocratie : d’élargissement du public et d’intégration de l’ordinaire et du contingent dans la préoccupation politique, de reconnaissance de la compétence de personnes subalternes dont profitent les dominants qui les mobilisent plus que jamais aujourd’hui à leur service, leurs ambitions politiques ou leur expansion économique que rien selon eux ne doit arrêter.

    #Coronavirus #Féminisme

    • Cette incapacité à reconnaître des torts, à assumer rappelle le leitmotiv de la clique LREM depuis ses débuts : « j’assume » signifiant, paradoxalement, « je refuse de prendre mes responsabilités ».

      On appelle ces gens des psychopathes en langage normal, non ?

  • Quoi qu’il en coûte, sans doute : mais à qui ? – Coronavirus et inégalités | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2020/04/01/quoiquil-en-coute-sans-doute-mais-a-qui-coronavirus-et-inegalites

    On peut y lire surtout les inégalités galopantes devant le confinement et ses conséquences. Les inégalités entre ceux qui peuvent se protéger et ceux qui ne le peuvent pas. Les inégalités entre ceux qui doivent travailler et ceux qui ne le peuvent pas. Les inégalités entre hommes et femmes. Les inégalités entre le haut et le bas, comme le dit un élu de la CGT de Wattrelos : « Nous, les ouvriers, on nous dit : “ Allez travailler ! ” », « alors que les cadres travaillent depuis chez eux ». Les inégalités devant les conditions de confinement, exemple extrême, entre les footballeurs du PSG et certains de leurs supporters.
    Urgences économiques

    Sur fond de querelles sur le gel, les masques, l’efficacité des traitements, les comparaisons internationales, et de responsabilités sur la gestion de la crise sanitaire et l’impréparation française, sur fond de vague inéluctable des décès, on va aborder, échéance lointaine et très proche, la seconde vague, celle de l’écroulement de l’économie française. Il en est déjà question par le recours à la métaphore guerrière et aérienne : « Il faut un pont aérien de cash », « Le tuyau d’arrosage a été remplacé par la lance à incendie, mais on n’est pas encore passé au Canadair »…

    Intéressant cette manière de montrer la division économique entre « patrons » pour mieux briser leur solidarité idéologique.

    Inégalités entrepreneuriales

    Pourtant, ce qu’un patron peut faire durant « la crise » et ce qu’il peut faire « après la crise » est incommensurable. Déjà sont pointées du doigt certaines conduites d’entreprises (des grandes) constituant des réserves financières, comme d’autres se précipitent « dans les magasins pour acheter des paquets de nouilles ».

    Faire face revêt de multiples significations, incomparables, entre la multitude des chefs d’entreprise qui font la queue aux numéros d’attente de l’URSSAF, des hotlines, des cellules d’appui des chambres de commerce, et ceux qui se débrouillent avec leur comptable, sans parler de ces auto-entrepreneurs « reluctant » enrôlés malgré eux dans l’entrepreneuriat.

    Sur l’autre rive, ceux qui ont accès à toute une gamme de ressources sociales peuvent limiter la casse voire préparer l’après-crise ou même trouver les ficelles pour en tirer le meilleur parti, comme ce fut le cas en 2008. Le cas de Black Rock est certes états-unien ; l’administration Trump a en effet confié à des gestionnaires de fonds le soin d’assister le gouvernement dans son plan d’appui et de sauvetage des marchés financiers. À quelles conditions et à quel prix ? Les moyens très techniques et abscons qui peuvent être mobilisés ou inventés en matière de financement d’économies ravagées, devront faire preuve, beaucoup plus qu’après 2008, de vigilance et de pédagogie pour faire comprendre aux profanes ce que « refinancer » veut dire.

    Cela pourrait être à l’agenda d’urgence dans quelques semaines, quand la vague proprement sanitaire aura été jugulée. La vague politique va alors déferler, au rythme d’une insécurité économique imprévisible. Le « Quoi qu’il en coûte » et le « Plus ne sera jamais comme avant » devront alors trouver des traductions multiples, au plan français et européen. On peut se demander si la chambre de 2017, élue avec un taux d’abstention record, sera la mieux placée afin d’opérer l’immense refondation nationale qui vient, pour combattre à court, moyen et long terme, le virus des inégalités.

    #Sortie_de_crise #Coronavirus #Impôts